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    Les réseaux départementaux de lecture publique

    Permanences et mutations

    Par Bernard Voltzenlogel, Directeur, Vice-Président Bibliothèque départementale de prêt de la Dordogne, ADBDP

    En préliminaire à mon propos sur les réseaux départementaux de lecture publique, quelques remarques destinées à préciser le champ d'action de ces réseaux.

    Remarque sur le cadre institutionnel propre à ces réseaux

    Pour ce faire, il est indispensable de dresser un rapide historique des strates successives de textes qui régissent directement ou indirectement la vie de ces réseaux de lecture publique, sans pour autant qu'il faille en conclure qu'il existe une profusion de textes : au contraire, un des problèmes majeurs les affectant réside justement dans l'absence d'une loi sur la lecture publique.

    Ordonnance n° 45-2678 du 2 novembre 1945 créant une bibliothèque centrale de prêt dans certains départements.

    « L'entretien d'une bibliothèque publique dépasse les possibilités budgétaires de la plupart des petites communes, notamment de celles dont la population municipale est inférieure à 15 000 habitants. [...] Il est nécessaire que l'État vienne en aide à ces communes. Les expériences françaises et étrangères ont montré qu'à l'octroi de subventions ou à des dons de livres, il fallait préférer un dépôt temporaire et renouvelable de livres. [...] Ce ravitaillement doit être assuré dans chaque département par une bibliothèque Centrale disposant d'un bibliobus. »

    Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des Communes, des départements et des régions.

    "Le département apporte aux communes qui le demandent son soutien à l'exercice de leurs compétences. (article 23). »

    Loi na83-663 du 22 juillet 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État.

    Les bibliothèques centrales de prêt sont transférées aux départements (article 60) et les bibliothèques municipales sont organisées et financées par les communes (article 61).

    Loi d'orientation na92-125 du 6février 1992 relative à l'administration territoriale de la République.

    « L'Administration territoriale de la République est assurée par les collectivités territoriales et par les services déconcentrés de l'État. Elle est organisée, dans le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales, de manière à mettre en oeuvre l'aménagement du territoire, à garantir la démocratie locale et à favoriser la modernisation du service public (article premier). »

    Loi na92-651 du 13 juillet 1992 relative à l'action des Collectivités locales en faveur de la lecture publique et des salles de spectacle cinématographique.

    "Il est créé au sein de la dotation générale de décentralisation des départements un concours particulier relatif aux bibliothèques [ ... Les crédits [...] sont répartis entre les départements qui réalisent des travaux d'investissement au titre des compétences qui leur sont transférées en vertu de l'article 60 ou qui participent à des travaux d'investissement réalisés par des communes ou des groupements de communes de moins de 10 000 habitants au titre des compétences qui leur sont transférées en vertu de l'article 61. (article 3). »

    Loi na 95-115 du 4février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.

    « La politique d'aménagement et de développement du territoire concourt à l'unité et à la solidarité nationales. Elle constitue un objectif d'intérêt général. Elle a pour but d'assurer, à chaque citoyen, l'égalité des chances sur l'ensemble du territoire et de créer les conditions de leur égal accès au savoir. Elle a pour objet la mise en valeur et le développement équilibré du territoire de la République. À cet effet, elle corrige les inégalités des conditions de vie des citoyens liées à la situation géographique [ ... Les politiques de développement économique, social, culturel, [...] contribuent à la réalisation de ces objectifs (article premier). »

    Quelques remarques subsidiaires

    Remarque qui complète la précédente

    L'analyse des réseaux départementaux de lecture publique revient pour l'essentiel à prendre en compte les relations entre bibliothèques départementales de prêt et bibliothèques municipales, et ce quelle que soit la taille de la commune concernée. On peut rappeler que si le champ d'intervention traditionnel d'une BDP est limité aux communes de moins de 10 000 habitants, soit environ 35 000 communes représentant près de 50 % de la population, rien a priori n'exclut une prise en compte des communes supérieures à 10 000 habitants.

    Troisième remarque

    Si les BDP ont été longtemps seules à occuper leur territoire départemental, il faut reconnaître qu'aujourd'hui elles ne sont plus les seules à occuper le terrain, et qu'à la logique initiale de substitution aux carences municipales (ordonnance de 1945), doit succéder maintenant une logique de partenariat avec les municipalités : la mise en place d'un tel partenariat constitue une première approche, donc une définition possible des réseaux départementaux de lecture publique. Car après tout, qu'est-ce qu'un réseau départemental de lecture publique ? Quelle doit en être la tête? Les modalités de fonctionnement ?

    Quatrième remarque

    Sur l'aménagement du territoire, que les BDP pratiquent depuis 50 ans, sous des formes et des appellations diverses, elles seront dorénavant appelées à le partager avec les bibliothèques municipales, leurs partenaires naturels, au sein des réseaux de demain.

    Cinquième remarque

    Sur la notion même de lecture publique, notamment si on confronte les possibilités offertes par les nouvelles technologies aux termes de la récente loi sur l'aménagement du territoire, je cite, à propos de la politique d'aménagement et de développement du territoire :

    • elle a pour but d'assurer, à chaque citoyen, l'égalité des chances sur l'ensemble du territoire et de créer les conditions de leur égal accès au savoir ;
    • à cet effet, elle corrige les inégalités des conditions de vie des citoyens liées à la situation géographique.

    Rapporté aux réseaux départementaux de lecture publique, cela induit :

    • d'une part une politique commune en matière d'accès à l'information bibliographique, avec la constitution de bases bibliographiques départementales,
    • d'autre part une politique en matière de circulation des documents au sein de l'espace considéré.

    Ces quelques remarques préliminaires exposées, il est temps maintenant d'esquisser une typologie des réseaux départementaux de lecture publique, tout en précisant qu'il s'agit d'un premier niveau d'analyse, et non pas d'une typologie érigée en modèle.

    Quatre types de réseaux

    Ce qui frappe tout de suite, et je me réfère en cela au sous-titre de mon intervention, permanences et mutations, c'est la coexistence, y compris au sein d'une même BDP, d'un schéma classique d'organisation et de fonctionnement, et d'un schéma plus novateur, souvent réactif par rapport à l'existant.

    C'est dans cette perspective pour le moins paradoxale qu'il faut considérer les quatre types de réseaux qui vont suivre, leur différenciation correspondant uniquement à la présence pour chacun d'entre eux d'une logique différente mais dominante de leur fonctionnement.

    Les réseaux de ravitaillement

    Il s'agit bien sûr d'un petit clin d'oeil à l'ordonnance de 1945, qui parle de ravitaillement ; on pourrait tout aussi bien parler d'approvisionnement ou de fourniture. Sont concernées la majorité des bibliothèques départementales de prêt, qui privilégient une action de fourniture de produits matériels aux bibliothèques locales (documents bien sûr, matériel, expositions,...).

    Cette conception de ravitaillement est d'ailleurs aussi présente dans l'architecture même des BDP, avec une surface-magasin ainsi qu'une logique de stockage importantes.

    Les réseaux de flux documentaires

    Ils sont peu nombreux. Ce sont les BDP qui commencent à organiser de tels flux et qui privilégient la circulation des documents. Ce sont paradoxalement celles qui sont le plus fidèles à l'esprit de l'ordonnance de 1945, les bibliothèques centrales de prêt ayant dû être plus un principe de rotation de documents qu'un principe d'approvisionnement.

    Les réseaux de services

    Ce sont les BDP qui se positionnent sur leur territoire comme un centre de compétence et de technicité ; ce sont aussi celles qui proposent, souvent sur des bases de partenariat contractualisé, un ensemble croissant de services techniques, ou plutôt des services vus et pratiqués comme des services techniques. Par exemple, selon qu'une formation est pratiquée dans une perspective de partage d'une technicité, ou comme la simple reconduction d'une mission traditionnelle en BDP, elle n'aura ni la même qualité ni le même impact auprès des collectivités et de leurs bibliothèques.

    De manière plus générale, ces réseaux de services visent à positionner les bibliothèques départementales de prêt comme un centre de ressources, une centrale technique que les bibliothèques locales peuvent solliciter, voire comme devant impulser une dynamique locale, notamment en matière d'équipements intercommunaux.

    Les réseaux d'information

    Ce sont les bibliothèques départementales de prêt qui orientent leur offre documentaire et de services vers les besoins d'information soit des bibliothèques locales, soit des utilisateurs. Exemples : les bulletins d'information (présents dans 29 BDP) et autre exemple, unique à ce jour, le service de télédocumentation en Saône-et-Loire.

    Ce sont aussi les BDP qui essaient de mettre en place dans les bibliothèques locales de véritables services de référence, à l'instar des bibliothèques anglo-saxonnes ou scandinaves.

    Dans ces réseaux d'information, j'inclus bien sûr les réseaux informatisés qui en sont à leurs prémices, mais très rapidement on devrait voir apparaître des bases bibliographiques locales en OPAC, ainsi que des projets d'informatisation regroupant plusieurs bibliothèques.

    Enfin, cette présentation des réseaux d'information serait incomplète, si n'y figuraient pas les réseaux de solidarité professionnelle, l'ABF en est un, pour les bibliothèques départementales de prêt plus particulièrement, l'ADBDP constitue très certainement un réseau d'information unique en son genre, car entièrement orienté vers la mise à disposition des BDP des outils informatifs nécessaires à une action dont la complexité est croissante. Je citerai, à titre d'illustration :

    • le journal de l'Association Transversales
    • le Guide annuel des BDP
    • l'ouvrage intitulé L'informatisation des bibliothèques, vers un réseau départemental ?
    • enfin, l'exposition BDP, 50 ans d'aménagement culturel du territoire disponible à la vente dès le mois de septembre 1995.

    En conclusion

    La complexité croissante des bibliothèques départementales de prêt, l'émergence de bibliothèques municipales ou intercommunales dans des lieux jus-qu'alors dépourvus de telles structures, l'évolution socio-démographique des zones rurales et du cadre institutionnel, la diversité des modes de fonctionnement en BDP, l'importance des réseaux d'information professionnels, tout cela converge vers un concept renouvelé de la lecture publique territoriale et des réseaux afférents, avec déjà quelques constantes :

    • des réseaux départementaux de lecture publique dont les bibliothèques départementales de prêt, centres de ressources et centrales techniques, ont vocation naturelle à assurer le développement ;
    • des enjeux considérables liés à la fois à la détermination d'un nouveau mode relationnel BDP/bibliothèques locales et à l'intégration dans les politiques de réseau de l'outil informatique.

    Après 50 ans d'existence dont 40 sous tutelle de l'État et 10 sous tutelle des Conseils généraux, les bibliothèques départementales de prêt abordent la phase suivante de leur développement avec des atouts jamais réunis à ce jour. D'une part le contexte nouveau créé par les politiques d'aménagement du territoire et d'autre part les possibilités ouvertes par les outils technologiques, enfin la contribution croissante des bibliothèques locales à ce qu'on pourra dorénavant identifier comme les réseaux départementaux de lecture publique.