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"Agir en réseau et promouvoir sa bibliothèque"

1996
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    "Agir en réseau et promouvoir sa bibliothèque"

    Synthèse de la journée du Groupe Ile-de-France, Issy-les-Moulineaux, le 6 juin 1996

    Par Michel Melot, Conservateur général des bibliothèques

    Cette journée nous a été annoncée comme la deuxième d'une série de trois (1) . Il faudra donc attendre la troisième pour avoir les réponses aux questions multiples qui ont été posées et à la question centrale, qui n'est pas « comment communiquer », mais quel est le message que les bibliothécaires veulent et doivent faire passer auprès de quel public ?

    Or, lorsqu'il s'agit de bibliothèque, cette question est particulièrement complexe. Anne-Marie Bertrand nous a bien expliqué pourquoi. Elle a parlé de cette incertitude identitaire » qui semble hanter les bibliothèques publiques aujourd'hui et qui se traduit, a-t-elle dit, dans les appellations mêmes de nos institutions. L'offre y est générale et précède souvent la demande. Elle vise plusieurs objectifs à la fois : culturel, éducatif, urbain et social. Faut-il choisir au risque de figer la bibliothèque dans une seule de ces missions ? Faut-il courir tous ces lièvres à la fois au risque de s'y épuiser en vain ? Comment définir le service public de la bibliothèque ? Comment faire de cette polyvalence, une richesse et non un handicap ?

    Cette dimension « ouverte » de nos bibliothèques publiques était sensible dans le discours chaleureux que nous a adressé M. Santini, maire d'Issy-les-Moulineaux. Il a parlé de la bibliothèque comme d'un lieu fédérateur un service « transversal ». Il semble donc bien que ce foisonnement est attendu par la population et souhaité par ses élus, même s'il est vécu comme contradictoire par les bibliothécaires. Robert Revat a surenchéri sur ce constat paradoxal. Le propre de la bibliothèque, nous a-t-il affirmé, avec son autorité de professeur de marketing, est de ne pas suivre les règles du marché. Au rebours des discours dominants qui nous incitent à adopter une attitude entrepreneuriale " et à nous caler sur le secteur concurrentiel et commercial pour plus d'efficacité, il n'a pas hésité à légitimer le fait que la bibliothèque soit un lieu où l'offre prime sur la demande, précisément parce qu'il s'agit d'un service public dont le but, nous a-t-il dit, n'est pas, comme une entreprise à but lucratif, de « s'adapter au monde mais de « changer le monde » et de le rééquilibrer en faveur des publics non solvables ou non expérimentés. Discours courageux, qui déculpabilise le fonctionnaire dans sa fonction de prescripteur, mais qui ne doit pas devenir prétexte à paresse intellectuelle ou à repli sur soi-même.

    C'est donc bien dans ses contradictions mêmes que la bibliothèque doit trouver sa force. La bibliothèque est un lieu paradoxal : on la définit habituellement par des oxymores : lieu de solitude partagée », « mémoire de l'avenir », service public rendu à domicile », « université des non-universitaires ", permanence des savoirs éphémères ", etc. Pour dépasser ces contradictions, on nous propose un mot : le réseau. Mot magique et dangereux s'il est là pour exclure ou pour limiter. Avant d'intégrer un réseau, il faut vérifier ce qu'il élimine : réseau local, déterminant une exclusivité géographique, réseau administratif, social, etc. Le réseau en soi ne répond pas à la demande d'identification de la bibliothèque : il en découle. Les partenaires possibles sont innombrables, nous l'avons vu tout au long de la journée. Leur choix est indispensable et ce choix dépend lui-même de l'identité qu'on veut donner à sa bibliothèque.

    Je définirai donc la bibliothèque comme un point d'ancrage, un port où tous les navires peuvent accoster. Un bon port ne limite pas le type des navires qu'il peut accueillir : il ne choisit ni leur provenance, ni leur cargaison, ni leur équipage. Il offre à tous la stabilité de ses installations, la sécurité de ses services. De même la bibliothèque intègre la diversité dans sa totalité, évolue dans l'actualité sans perdre pied dans l'histoire. Permanence ne veut pas dire absence de mouvement. Le débat de cet après-midi en a apporté de nombreux et beaux exemples. La bibliothèque de Voreppe fait du cabotage dans les vitrines des commerçants de la ville ; les bibliothèques de la ville de Paris offrent un port à toute la francophonie ; Saint-Quentin-en-Yvelines fait naviguer de conserve le service public et le service commercial de la lecture ; Issyles-Moulineaux s'aventure dans la haute mer du monde scolaire et l'université de Paris-111 fait monter à son bord les spécialistes de la communication de l'Université. Cette succession d'expériences, au-delà de l'histoire exemplaire de chacune d'elles, porte l'enseignement de la diversité. Partout il se passe des choses dans les bibliothèques françaises, mais nulle part il ne se passe la même chose. Chercher à unifier ces expériences, voire même à les reproduire ailleurs, serait tout à fait vain : c'est bien la diversité de ce qu'elles rendent possible qui fait l'unité et la force des bibliothèques.

    Je prétendrai donc que la synthèse qu'on me demande de faire après cette journée d'échanges si divers et si riches, ne se trouve ni dans les contenus des partenariats recherchés, ni dans les méthodes appliquées ici ou là pour promouvoir la bibliothèque. La synthèse se trouve dans l'ouverture même de la bibliothèque, sa disponibilité, sa souplesse, son agilité. La multiplicité n'est pas le contraire de l'identité. Au contraire, là est l'originalité même de la bibliothèque dans l'ensemble des institutions - pour reprendre Anne-Marie Bertrand - culturelles, pédagogiques, urbaines et sociales.

    Comment manifester cette identité pour la reconnaître ? Il y faut des qualités rares : un sens aigu de l'hospitalité, l'ouverture d'esprit, la tolérance aux autres et je dirai même un appétit » des autres. La bibliothèque, lieu de contradictions, réclame du bibliothécaire des qualités contradictoires : modestie et ambition. Plusieurs intervenants ont fait allusion à la proverbiale timidité des bibliothécaires. Cette timidité est néfaste s'il s'agit d'un repli sur soi, d'une susceptibilité jalouse. Mais cette timidité est précieuse si elle ouvre la voie aux collaborations harmonieuses, établit avec les partenaires des liens sincères, profonds et durables. Je pense à la modestie de Jean-François Jacques, notre hôte aujourd'hui, lorsqu'il déclare que le but de la promotion de la bibliothèque n'est pas la promotion d'un lieu, mais le succès d'un service : « Le bibliothécaire n'est pas le gardien d'un espace mais le serviteur d'une cause a-t-il joliment dit. Il nous montre par là que la modestie dans le travail n'est pas incompatible avec la fierté professionnelle.

    1. Les interventions de ces trois journées seront publiées par le GIF en un document unique mais il a paru utile de faire dès maintenant état du pré-séminaire du congrès et nous remercions Michel Melot d'avoir bien voulu nous transmettre cette synthèse - NDLR. retour au texte