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    Introduction

    Par Philippe Debrion, Président de la section des bibliothèques publiques ABF

    Avant decommencer, je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à l'élaboration de cette journée d'étude : le groupe de travail de la section, mais aussi la BPI et plus particulièrement Nic Diament et Annick Lehire qui ont contribué à assurer les conditions matérielles de cette journée. Je tiens aussi à remercier par avance les intervenants et à vous remercier aussi d'être venus aussi nombreux à cette journée.

    Avec pour thème "les acquisitions en bibliothèques publiques" cette journée d'étude s'inscrit bien dans les débats actuels : pour s'en convaincre, il suffit de regarder les thèmes des conférences du Salon du livre, cette semaine, ou lire la presse professionnelle ou non.

    Qu'en est-il de la collection aujourd'hui? Quels sont les enjeux qui gravitent autour de la collection? Qu'en est-il de la censure et des interdits qui touchent les acquisitions ? Comment se constitue, se gère une collection? En quoi les bibliothécaires sont-ils garants de la notion de pluralisme? Ce sont quelques unes des questions que nous nous sommes posées pour définir le sujet de cette journée d'étude et le choix des thèmes qui seront évoqués aujourd'hui.

    Il n'est peut être pas inutile de rappeler que la collection est la condition de l'existence d'une bibliothèque. Et si une bibliothèque existe par les documents qui forment sa collection elle en est le reflet, l'image. Le fait que les acquisitions ou la gestion de la collection soit le centre de notre réflexion peut nous ravir, car le sujet est passionnant, et à la fois nous inquiéter car cela nous rappelle qu'à nouveau des pressions s'exercent sur ce qui constitue la base de notre métier.

    Nous avons donc pensé qu'il était nécessaire de poser à nouveau les problèmes liés à la collection et plus particulièrement sur deux aspects : d'une part ceux qui concernent la censure et d'autre part les acquisitions et ses relations avec les différents acteurs qui y contribuent de près ou de loin.

    Alain Pansu rappelait au Conseil national de l'ABF, qu'il y a dix ans un débat sur le choix de livres s'était tenu au Salon du livre, à l'invitation de l'ABF, en présence de Marie-Claude Monchaux. Je ne pense pas que l'histoire se renouvelle; en revanche, les débats, les remises en cause, les questionnements concernant notre rapport à la collection sont une bonne chose car ils nous feront nécessairement avancer afin de trouver des réponses.

    Vignette de l'image.Illustration
    Les acquisitions en bibliothèques publiques : programme de la journée d'étude du 18 mars 1997

    Censure et baisse des budgets

    Il me semble aussi important d'évoquer les différentes tensions qui gravitent autour de la gestion de la collection et des enjeux qui peuvent profondément transformer notre situation professionnelle.

    D'une part, il y a la censure, déjà évoquée. Mais celle que nous rencontrons aujourd'hui est plus dure, plus profonde. Nous sommes confrontés à une force brutale, totalitaire qui tente de trouver une légitimité et veut absolument diffuser ses idées; les bibliothèques sont un des instruments de cette volonté. Mais au-delà des bibliothèques c'est aussi la diffusion culturelle qui est remise en cause par les membres de ce parti fascisant. Cela dit que l'arbre ne nous cache pas la forêt, les villes dirigées par le FN n'ont malheureusement pas l'exclusivité de la censure ou d'un contrôle orienté.

    Autre axe de tension : la filière culturelle et la déprofessionnalisation programmée du métier de bibliothécaire. Claudine Belayche le soulignait dans le dossier de la Gazette des communes, des départements et des régions sur les acquisitions : "Le CAFB accordait une place importante à la connaissance des éditeurs et des collections. Il a disparu corps et bien et il est remplacé par les DUT et DEUST métiers du livre et de la documentation, qui n'ont pas les mêmes objectifs. Le concours de bibliothécaire territorial est généraliste et ne suppose pas de connaissances bibliographiques très poussées. Les formations ne font qu'effleurer les acquisitions. On a oublié l'importance de l'acquisition, un geste créateur qui séduit, attire et fidélise le public."

    Toujours sur le thème du métier, il y a indéniablement de la part des bibliothécaires un chemin à parcourir pour que les acquisitions et plus globalement la politique de gestion des collections soient débattues sur la place publique. L'ombre et le mystère ne conviennent pas à cet aspect de notre métier. En expliquant, nous montrerons certainement qu'acquérir, désherber, gérer nécessite des compétences, une expérience et que cela ne peut s'improviser ou être confié au premier dilettante inspiré parce qu'il aime lire. Choisir est un acte d'engagement : à nous de savoir bien l'expliquer.

    Les moyens financiers sont eux aussi en cause, les statistiques éditées par la DLL montrent une baisse des budgets d'acquisitions dans les bibliothèques municipales. Si cette baisse est globalement peu importante elle peut toutefois, dans certaines communes, atteindre une chute de plus de 25 %. A cette baisse de budget il faut ajouter deux épées de Damoclès : la limitation des remises demandées par les libraires et la demande des éditeurs d'instituer un droit de prêt qui serait facturé directement aux usagers.

    Mieux définir la démocratie

    Je terminerai par la notion de pluralisme et de la loi puisqu'il en est question. Concernant la loi, je crois que nous ne pouvons qu'apprécier la politique instrumentale de l'Etat qui a aidé la création de milliers de mètres carrés de bibliothèques. En revanche, nous ne pouvons que regretter l'absence d'accompagnement législatif qui risque de réduire la portée des efforts entrepris par les collectivités locales. On voit déjà à quel point nous sommes fragilisés : la charte du Conseil supérieur des bibliothèques, le manifeste de l'UNESCO ne sont que de piètres paravents devant une volonté politique extrême et je ne m'appesantirai pas sur l'impuissance de M. Denis Pallier lors de son inspection à la bibliothèque d'Orange. Mais plus couramment, le maire d'une commune reste le responsable de la collection d'une bibliothèque, cela a ses avantages et ses inconvénients.

    Je ne reviendrais pas sur la nécessité ou non de légiférer sur le pluralisme. Martine Blanc-Montmayeur en parlera plus longuement que moi. Je voudrais juste citer le définition du pluralisme que j'ai obtenue, modernité oblige, en consultant l'Encyclopédie Encarta: Pluralisme, caractéristique des sociétés admettant l'existence et le libre jeu des idées politiques, économiques, sociales et religieuses, quelles qu'elles soient.

    Dans une société régie par le pluralisme, il n'existe pas une élite homogène mais un ensemble d'élites différenciées: élites politiques, économiques, administratives, associatives, syndicales. Chacune de ces "élites" poursuit des buts propres et s'efforce de mobiliser des "ressources" pour les faire triompher. Dans une société pluraliste, aucun courant n'est a priori écarté de l'influence. La classe la plus fortunée bénéficie de l'influence de l'argent mais elle subit le handicap du nombre. Les groupes les moins fortunés réussissent, inversement, à monnayer les soutiens électoraux qu'ils apportent à certains leaders politiques. Les sociétés pluralistes privilégient la libre confrontation des opinions, donc la libre compétition des candidats à la représentation. Le pluralisme est donc consubstantiel à la démocratie puisque celle-ci apparaît comme le produit du libre jeu des rivalités et des influences dans le cadre des institutions représentatives (voir Représentatif, système). (1)

    Le Front national a bien compris cette définition puisqu'il a assuré que si une loi sur le pluralisme dans les bibliothèques était votée [il] «l'utiliserait devant les tribunaux pour faire entrer dans les bibliothèques les auteurs et journaux qui en sont aujourd'hui exclus" (M. Le Gallou, le Monde du 19 février 1997). Nous sommes bien confrontés là une des limites de la démocratie...

    Je disais tout à l'heure qu'une bibliothèque existe avant tout par sa collection. Par sa structure, par les choix qui ont été faits, elle a un sens, elle reflète des idées. Cette signification provient des différents acteurs qui contribuent à l'édifier, bibliothécaires, publics, élus, moyens financiers et matériels, marché éditorial, j'en oublie... Une collection peut aussi être le lieu de diffusion, d'échange et d'apprentissage des valeurs fondamentales que sont l'humanisme la démocratie et les valeurs républicaines. Mais pour que ces valeurs, pour que l'espace de liberté que représente une collection, soient préservés, il faut que nous soyons à prêt à es défendre et que des garde-fous soient institués.

    Autrement dit, il faut que nous nous engagions, et que nous réduisions les contradictions qui gravient autour des termes forts que sont : pluralisme, censure, sélection, déontologie.

    1. "Pluralisme", Encyclopédie@ Microsoft@ Encarta 97. © 1993-1996 Microsoft Corporation. Tous droits réservés. retour au texte