Index des revues

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    Synthèse des débats

    Anonyme

    Philippe DEBRION (Ptde la SBP de l'ABF)

    Les interventions précédentes s'inscrivent dans deux approches : une analyse historique prolongée jusqu'à nos jours et l'analyse de la situation aujourd'hui aux Etats-Unis.

    Avant d'entamer le débat, je rappelle que le Conseil national de l'ABF, réuni il y a deux jours, a décidé de créer une commission consacrée à la liberté d'action et d'acquisition dans les bibliothèques. Cette commission mettra au point si possible un «kit de survie comparable à celui des bibliothécaires américains pour aider les collègues en difficulté et élaborera des outils nécessaires à la constitution et à la diffusion de politiques d'acquisition.

    Jacqueline CANCEL (Bibliothèque départementale des Landes)

    La question de la professionnalisation déjà évoquée prend une dimension particulière du fait de l'existence de nombreux bénévoles dans les réseaux des BDP.

    Philippe DEBRION

    On peut épiloguer longtemps sur ce problème. D'un côté, nous défendons le professionnalisme des bibliothécaires capables de faire des acquisitions ; de l'autre, les bénévoles abordent cela presque sans outils, même s'l y a la formation ABF et l'encadrement assuré par les BDP. Quels sont les moyens dont disposent les BDP pour assurer cet encadrement?

    Hugues VAN BESIEN (BM Beauvais)

    Le problème des bénévoles n'est pas seulement un problème de compétences : sur ce point, l'encadrement réalisé par les BDP peut leur permettre d'aller aussi loin que possible. C'est aussi qu'on devient bénévole par souci d'engagement social. Les bénévoles viennent de la société civile et peuvent représenter une confession, une tendance, alors que le professionnel est à la fois enfermé et protégé par la neutralité, l'obligation de réserve exigés du fonctionnaire public.

    Dominique AROT (Conseil supérieur des bibliothèques)

    Le CSB a travaillé il y a quelques années à une charte du bibliothécaire bénévole, que je suggère de relire ou même d'adapter aux problèmes de l'heure.

    Jean-Claude VAN DAM (Direction du Livre)

    Un consensus s'établit à juste titre en ce qui concerne la professionnalisation, en tous cas celle des directeurs d'établissement, avec un problème particulier autour du bénévolat. A l'évidence, quelle que soit la collectivité, les bibliothécaires ne sont pas les seuls acteurs de la lecture publique. Les bénévoles sont nécessaires en milieu rural et dans les villes, à l'hôpital, dans le milieu carcéral, dans les actions hors les murs. Pour résoudre cette question, il faut affirmer le caractère unifié des bibliothèques, unifié parce que répondant globalement aux mêmes missions. C'est sur cette notion de service public unique, constitué par l'ensemble des bibliothèques, qu'on peut articuler des réponses. La constitution des collections n'est d'ailleurs pas le seul domaine où se posent des problèmes de pluralisme : les actions culturelles aussi, et là aussi les acteurs sont multiples.

    Philippe DEBRION

    Pour les actions culturelles, les actions de promotion, les bibliothécaires traitent avec le service communication et les élus, et ceux-ci donnent plus facilement des orientations sur les manifestations culturelles que sur les acquisitions : des orientations et éventuellement des pressions...

    Il faudra s'entendre sur cette notion de service public dans un contexte européen. Nous avons besoin de nous appuyer sur du législatif : une loi, des textes... Il y a aujourd'hui une forte ambiguïté sur la vision du service public entre positions européennes et positions nationales.

    Caroline RIVES (Centre national de documentation pédagogique)

    Une des données intéressantes et compliquées de ce débat, c'est que nous sommes dans la situation de lutter contre des gens qui utilisent les armes de la simplification abusive avec des armes d'une grande complexité. Si nous renonçons à la complexité et à la nuance dans le débat, notre position perd tout son sens et nous nous mettons à ressembler à nos adversaires. Chacun d'entre nous peut citer des cas dont la discussion est complexe : mettre ou pas Mein Kampf dans une bibliothèque, le mettre en libre-accès, ou en accès différé. C'est, je pense, l'intérêt de cette future commission que de permettre un débat permanent sans gommer ce qui fait la complexité du débat, parce que c'est le seul moyen d'être fidèles à nous-mêmes.

    Jean-Luc GAUTIER-GENTES (Inspection générale des bibliothèques).

    Il nous a été dit que, d'une part, il pouvait être regrettable de ne pas mettre certains livres «extrémistes» à la disposition des usagers en raison du profit que la démocratie peut retirer a contrario de leur étude, et que, d'autre part, il convenait d'éviter qu'on ne les lise au premier degré et que cette mise à disposition ne contribue à répandre leurs thèses. Selon que l'on privilégie l'un ou l'autre point de vue, on est conduit soit à acquérir Mein Kampf, soit à ne pas l'acquérir. Je rappelle qu'il existe le cas échéant une voie moyenne, une solution qui permet de concilier les deux exigences, d'informer et de prévenir : proposer aux usagers des éditions critiques au sens large du terme, des éditions comportant des mises en perspective, des commentaires, des mises en garde. Encore faut-il que de telles éditions aient vu le jour. Pour reprendre l'exemple de Mein Kampf, je n'en connais pas d'édition historique française ; j'entends une édition associant historiens, philosophes, linguistes et spécialistes des pathologies de la pensée, qui à la fois remettrait ce livre à sa juste place, celle d'un texte intellectuellement indigent, entre mensonge et paranoïa, et expliquerait pourquoi il s'est agi et il s'agit toujours d'un livre dangereux. C'est ici aux universitaires, aux chercheurs de prendre leurs responsabilités. A défaut d'éditions historiques et critiques, on peut accompagner les livres dont il est question d'études appropriées. Ainsi, si l'on place sur les rayons les Protocoles des Sages de Sion sans autre forme de procès, des esprits peu avertis vont peut être se convaincre de l'existence d'un «complot juif international». En revanche, si l'on associe à cet ouvrage les deux volumes que Pierre-André Taguieff et, sous sa direction, divers auteurs, lui ont consacré (Berg international, 1992), il devient impossible d'ignorer qu'il s'agit d'un faux fabriqué par la police secrète tsariste à des fins antilibérales. Le public, de la sorte, est à la fois informé et prévenu. Et l'antisémitisme, démasqué, se retourne contre lui même. Trouver les éditions ou les travaux adéquats quand il en existe, sauf erreur, cela relève typiquement de la compétence des bibliothécaires. Par ailleurs, une question à Caroline RIVES : vous avez évoqué la censure que certaines minorités sociales, ethniques ou sexuelles exercent parfois sur les acquisitions aux Etats-Unis. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Ces groupes imposent-ils aussi des acquisitions? Vont-ils jusqu'à se faire attribuer, dans la bibliothèque, des espaces géographiques et documentaires spécifiques? Ma question rejoint les interrogations actuelles sur le communautarisme et les excès de 1' «affirmative action», des excès dénoncés tant à gauche qu'à droite en France au nom d'un autre modèle de société, qu'il soit réel ou mythique : celui de l'«intégration républicaine".

    Caroline RIVES

    Les Etats-Unis fonctionnent plus selon les principes de la laïcité qu'on ne le croit mais ne fonctionnent pas selon les principes de l'intégration républicaine. Pour parler rapidement, parce que c'est un débat qui est entièrement lié au débat sur la censure mais qui n'est pas exactement le même, ce que revendiquent des groupes qui se réclament du multi-culturalisme, c'est une pratique communautaire. A l'intérieur d'un espace déterminé, il y a des communautés bien distinctes qui chacune ont des droits et les revendiquent.

    On pourrait le rapprocher de la revendication de quota d'élection pour les femmes, par exemple, ou de la discrimination positive en matière d'embauche. Cela n'est pas le modèle de l'intégration républicaine mais certains le revendiquent en France à l'heure actuelle. Donc, ce n'est pas complètement étranger chez nous non plus. Il me semble que c'est exploité par leurs adversaires et qu'il y a de fait une revendication de groupes, femmes, homosexuels, groupes appartenant à des minorités ethniques, pour que soient représentés dans les collections de la bibliothèque des livres qui mettent en valeur leur culture ou qui défendent leurs idées, qui demandent aussi l'accès à des salles de conférence ou d'exposition (cela fait partie du Library Bill ofRight). En fait, les incarnations les plus fréquentes, en sont les attaques contre Huckleberry Finn qui est une sorte de symbole malgré lui de cette affirmation-là. Il y a des débats au sein de l'American Library Association qui a des positions très fermes à laquelle tous ses adhérents n'adhèrent pas et il y a aussi des jeux de pouvoir à l'intérieur de l'American Library Association pour que tel ou tel groupe représentant des minorités exerce plus de pouvoir. (1)

    Dans ces débats justement, dans ces différences entre situation américaine et situation française, il y a véritablement les deux lectures possibles du terme de pluralisme et il est certain qu'aux États-Unis l'idée de pluralisme tourne autour des droits des mouvements d'opinion à se faire représenter. Et à ce moment-là, les collections seraient effectivement gérées par un principe de quota et refléteraient les forces en présence. Ce qui me semble, comme je le disais tout à l'heure, tout à fait contraire au principe républicain qui suppose effectivement un pluralisme mais également un certain volontarisme des démarches de choix, qui repose sur un principe élitiste en ce sens qu'on forme des gens pour faire ces choix. Je pense qu'il faut garder, du point de vue de cette tradition, des choix assumés. Ce qui suppose également, tant qu'il y a pouvoir reconnu aux municipalités d'intervenir sur les collections, pour qu'un choix subsiste, qu'on reconnaisse le droit des bibliothécaires à lever le secret professionnel ou au moins à afficher, en cas de désaccord, les raisons qui font que tel livre a été soit imposé soit refusé par des autorités.

    Marie-Charlotte DELMAS (BM de Bagneux)

    Je vais enfoncer des portes ouvertes en disant qu'évidemment la question n'est pas simple mais je voudrais citer deux faits précis et très concrets. Il y a quelques semaines, j'ai dû répondre de manière un peu rapide à un journaliste sur la question du pluralisme. « Êtes-vous pluraliste ? je ne pouvais plus rester là dans un débat abstrait... Il fallait lui donner immédiatement une réponse précise et je n'avais pas l'intention de me défiler. Donc, j'ai été un peu provocatrice en disant : «Non, je ne suis pas pluraliste ! Pas de liberté pour les ennemis de la liberté !» Manière un peu caricaturale d'engager le débat, je le reconnais.

    Cela dit, il se trouve que je suis aujourd'hui dans une ville où je peux affirmer un certain nombre de valeurs en disant que la culture est un lieu de cohésion sociale, un facteur de développement de l'humanité. A partir de là, tout ce qui peut être contraire à cette cohésion sociale, la ségrégation raciale, l'antisémitisme, etc., je le refuse en tant que bibliothécaire dans ma bibliothèque. Il y a quelques années dans une autre bibliothèque, même si je me battais pour ces mêmes valeurs, je ne pouvais pas me permettre d'aller jusque là. Les lecteurs venaient dans la bibliothèque, allaient voir le maire en disant : on voudrait que ce livre-là soit enlevé- ou «on voudrait que ce livre-là soit admis dans la bibliothèque,... Chaque fois, je suis montée au créneau pour défendre des livres. J'ai réussi deux fois sur les deux cents problèmes de censure que j'ai eus. Alors, je suis partie. Est-ce la solution ? Il me semble, c'est pourquoi je dis que j'enfonce des portes ouvertes. J'ai été effarée de lire les maires des Hauts-de-Seine, y compris des maires dits de droite libérale, dire : «oui, effectivement la représentativité du Front national est démocratique,...

    Si demain le Front national propose Présent dans ma bibliothèque, et c'est monsieur Santini d'Issy-Les-Moulineaux qui parle : «je saurai ne pas y répondre,. Que vont faire les collègues de ces bibliothèques face à ces maires ? Ils feront comme j'ai fait, c'est-à-dire qu'ils vont monter au créneau auprès du maire et on va leur répondre : Madame, si vous n'êtes pas satisfaite, la porte est grande ouverte, vous la prenez !» La profession, là, a vraiment un rôle à jouer. Ce devoir de réserve qui nous pèse et qui interdit le droit de dire à l'extérieur sur cette censure quotidienne est la premiere chose qu'il faudrait probablement modifier. Je me rappelle, après un changement de municipalité, j'avais indiqué sur les rayonnages où des abonnements ..de gauche avaient été supprimés la mention « abonnement supprimé Ce fut ma première réception dans le bureau du maire avec menace de licenciement. Je n'avais pas à signaler aux lecteurs qu'on avait supprimé ces abonnements-là de cette manière-là ! Comme c'était litigieux quand même, je suis restée en poste. Cela dit, il est temps aujourd'hui qu'on s'intéresse à tous ces lieux-là et qu'on commence à demander que l'obligation de réserve sur les acquisitions soit levé.

    Aline BILLON, (Bibliothèque de la Ville de Paris)

    Je vais peut-être continuer à déprimer l'assistance mais nous semblons former un front uni contre le Front national ici et nous avons peut-être l'impression d'être «une profession au-dessus de tout soupçon». Mais vu la part de Français qui votent Front national aujourd'hui, il y a forcément des bibliothécaires.

    Hier, lors du débat sur l'extrémisme (2) il y a eu une question qui n'a peut-être pas été relevé : «Que ferons-nous le jour où un bibliothécaire Front national professionnel, protégé par la loi, sera en fonction dans une bibliothèque ?»]e ne voudrais pas dessiner l'apocalypse mais pour un parti militant pour lequel le contrôle de la pensée est très important, on doit imaginer que des militants Front national seront envoyés dans des écoles en formation pour sortir de là avec les diplômes qui les mettront à l'abri de toute contradiction.

    Philippe DEBRION

    Il n'est pas question de confier les acquisitions au bibliothécaire sans qu'un contrôle puisse s'exercer. Cela serait une aberration. Le contrôle peut tout à fait s'exercer, que ce soit au niveau du Conseil supérieur, que ce soit au niveau de l'Inspection générale. On a quand même à un moment donné des structures qui nous permettent d'avoir des contrôles et qui peuvent intervenir dans les bibliothèques. Un contrôle qui soit celui de mes pairs, pas celui des élus ou des politiques. Il n'est pas question de demander une délégation globale, générale, où je m'approprierais les acquisitions sans aucune contrepartie. Moins on est nombreux, plus il peut avoir des dérives fortes sur les acquisitions.

    Claudine BELAYCHE (Présidente de l'ABF)

    En tant que professionnel, nous avons à réfléchir pour accroître la formation réelle de chacun sur les acquisitions, l'ouverture au monde. Ce qui veut dire qu'on ne lit pas seulement Livres-Hebdo, qu'on s'intéresse aux publications qui sont analysées partout, qu'on a les oreilles toujours ouvertes et les yeux toujours ouverts c'est fondamental. Effectivement, quand un lecteur met dans un cahier d'acquisitions les Protocoles des Sages de Sion, il est important que les bibliothécaires sachent ce dont il s'agit, qu'ils cherchent, qu'ils se renseignent, qu'ils soient à l'écoute.

    Deuxièmement, il est impossible d'imaginer qu'un bibliothécaire, quelle que soit sa compétence, soit capable d'être réellement objectif ou neutre. La seule garantie contre d'éventuelles prises de pouvoir, c'est qu'il y ait une collégialité des décisions sur les acquisitions.

    Et pour notre pratique, il faut y revenir de façon très sérieuse, parce que nous avons probablement un peu oublié que les acquisitions, ce n'est pas seulement répartir les acquisitions en domaines thématiques ou autres, mais cela impose que plusieurs personnes en parlent, qui soient à l'écoute des usagers, qui discutent, avec virulence s'il le faut. C'est la seule chance de donner la parole à tous, de ne pas risquer qu'elle soit monopolisée par un seul. Le bibliothécaire doit être citoyen et penser ce qu'il croit devoir penser. Cela dit, cette pensée-là ne peut pas être la seule qui s'exprime dans la bibliothèque où il travaille.

    [FIN PREMIER DÉBAT]

    Déjeuner.

    [DÉBUT SECOND DÉBAT]

    Philippe DEBRION

    A l'issue de l'exposé de Claudine Belayche, selon lequel que nous sommes face à une double question : d'un côté, un dialogue raté, des élus voudraient faire des choses, sont porteurs de projets, de tensions et de demandes, en fait de tensions et de besoins. Ils attendent des bibliothécaires qu'ils soient capables de leur répondre en leur disant : «voilà ce qu'on peut faire". Peut-être avons-nous conscience intuitivement de ce que nous allons faire, mais nous ne sommes pas capables de le dire et de l'exprimer de façon formalisée.

    Ce qui pose d'ailleurs une deuxième question : à partir du moment où un projet de réponse a été émis, projet d'acquisition, projet de collection, est-on capable - et comment? - de mettre en place une sorte de contrôle interne, qui évalue la conformité aux objectifs négociés avec les élus? Il y a une lacune à deux niveaux : à un niveau de formalisation explicite externe et à un niveau d'organisation et de contrôle interne par rapport à un objectif général.

    Le moment est venu de vous laisser la parole et de questionner les intervenants autour de cette table ou de faire part de vos réflexions.

    Hélène BEUNON, (BMAndrésy)

    Je voudrais faire un petit point, à propos du fait que ce qui serait remis en cause serait uniquement les livres politiques. Je voudrais dire qu'il n'est absolument pas question des livres politiques dans les demandes des conseillers Front national qui sont actuellement en poste. Je parle en connaissance de cause. J'ai été confrontée à un élu Front national de la ville et son problème n'est absolument pas le fait d'avoir ou de ne pas avoir le dernier livre de Jean-Marie Le Pen. Évidemment, il préférerait qu'on l'ait mais à partir du moment où on lui montre qu'on est cohérent par rapport à l'ensemble des livres politiques (nous avons fait le choix de ne pas prendre les textes parus, par exemple, pour les élections législatives ou présidentielles), il peut se satisfaire de cette réponse. Il est beaucoup plus virulent sur le choix de certains romans mis à disposition des jeunes, qu'il considère comme étant l'anti-France par excellence, sur le fait qu'on n'ait pas les derniers Signes de piste, sur le fait qu'on ait des BD qui lui paraissent des BD à caractère pornographique ou même utilisant les valeurs de la religion de façon dévalorisante. C'est aussi le fait qu'il parcoure les différentes éditions de Freud et qu'il considère qu'on n'a pas de contrepoint. Cela est beaucoup plus difficile à contrer que le simple fait d'avoir des livres politiques qui concernent leur famille. Et dans le concret, pour la réponse, je vais sortir de la journée pas beaucoup plus à l'aise que je n'y étais entrée, malheureusement.

    Claudine BELAYCHE

    Je peux répondre en vous renvoyant à l'étude de René Monzat sur les origines idéologiques du Front national. Son livre est tout à fait éclairant et je crois qu'il nécessite d'être lu. Vous avez un élu qui est de l'autre tendance. C'està-dire qu'au Front national coexistent trois tendances idéologiques.

    Si les trois revues : Présent, National Hebdo et Rivarol sont toujours présentées ensemble, et vous remarquerez qu'elles excluent Minute, c'est que vous seriez justement non pluraliste par rapport à leur idéologie en en omettant une. Les articles de Présent qui critiquent la littérature, vous ne les trouvez pas dans National Hebdo. Donc, selon que les élus sont plutôt de la tendance catholique-intégriste, celle de Présent, ou plutôt d'une autre tendance, vous aurez des demandes qui ne seront pas les mêmes. La liste des auteurs recommandés par chacun des journaux n'est pas la même. Il n'y a presque pas d'intersection. Si vous prenez la liste conseillée par Présent, vous n'avez pas Jean-Marie le Pen. Vous n'avez pas non plus Alain de Benoît.

    Nicole SAINT-DENIS (ABF Aquitaine)

    Je n'interviens pas au nom de la bibliothèque de Bordeaux mais en tant que membre du Groupe ABF Aquitaine. J'ai l'impression que cet après-midi, même si les communications étaient fort intéressantes, nous avons tenu des propos de riches. Les statistiques de la DLL font apparaître une baisse des budgets générale dans toutes les bibliothèques publiques, une baisse des personnels qualifiés, qui à mon avis est liée aux baisses des budgets. Cette baisse des budgets qui s'amorce va continuer parce que, nous le savons, dans les pays anglo-saxons, on ferme des bibliothèques par manque de budgets. On ferme des bibliothèques dans ces pays qui étaient des modèles pour nous. Notre collègue allemand hier nous a dit qu'en milieu rural, on fermait des bibliothèques. Une baisse des budgets s'amorce en France à un moment où nos équipements commençaient, je dis bien « commençaient « à être vraiment à niveau mais où il y avait encore beaucoup à faire : nous manquons de documentation dans certains domaines, il y a peut-être là un effet de «censure" plus ou moins inconscient. Quand on manque à ce point-là de documents adaptés pour les handicapés, pour les personnes en difficultés de lecture, pour les populations étrangères etc., nous sommes sous-équipés dans ce domaine par rapport aux pays riches... Une journée ABF aurait pu souligner cette inquiétude de la profession face à la baisse des moyens.

    Philippe DEBRION

    Je pense à titre personnel que vous avez tout à fait raison de souligner ces problèmes. Je crois sincèrement que c'est justement parce que de tels problèmes surviennent qu'il est temps de poser clairement un certain nombre de priorités, de choix, quand on se retrouve avec des moyens insuffisants par rapport à l'ensemble des problèmes qui animent le corps social, qu'il faut à la fois servir les enfants, servir ceux qui ont envie de lecture de loisir, ceux qui sont en recherche d'emploi, ceux qui ont des problèmes de handicap, etc., etc. Il est nécessaire de faire des choix.

    Nous avons tendance à ne dire ni ce qu'on choisit ni ce qu'on ne choisit pas, ce qui revient à offrir le libre-cours à toute coupe de crédit supplémentaire. A quoi servons-nous ? C'est un peu la question qui nous est posée? Claudine Belayche citait : on installe une bibliothèque dans un quartier difficile. On ne lui donne peut-être pas assez de moyens, mais on lui demande rien qu'en l'installant de faire quelque chose". Quelle est la réponse des bibliothécaires autre que d'agir ? Quelle est la réponse explicite ? Qu'est-ce qu'on va choisir, privilégier, négocier au moins dans ce lieu-là ? C'est un problème de dialogue aussi. Ce n'est pas qu'un problème de dialogue.

    Je ne dis pas que le dialogue va augmenter le budget et là, je rappelle que je parle toujours à titre personnel, je vais souligner une petite anecdote. Je discutais avec un secrétaire général de ville, il y a quelques jours, qui me disait « nous avons des difficultés avec des tas d'équipements de tous les côtés mais alors, il y a une chose qu'il faut reconnaître, c'est que les bibliothécaires sont vraisemblablement le corps professionnel avec lequel il est le plus difficile de discuter. Il y a une culture professionnelle très forte mais la discussion vers l'extérieur se heurte vraiment à des blocages qu'il avait rencontrés à de nombreuses reprises. Il ne disait pas ça pour mépriser les bibliothécaires dont il reconnaissait le talent, la compétence, la conviction civique. Il me semble que l'intervention de Monsieur Landrieu appelle des remarques : de votre point de vue, certes limité dans le sens où vous avez un mode d'action tout à fait particulier vis à vis des bibliothèques, votre impression est que les bibliothécaires sont une représentation du grand public.

    Vous fonctionnez comme fonctionnerait un libraire ouvert au grand public, ou voyez vous quand même certaines différences dans les pratiques et dans les choix?

    Gérard LANDRIEU (BIBLIOTHECA)

    Il faudrait prendre quelques exemples très précis mais mon sentiment, et je reste sur une intuition et une pratique relativement récente, c'est qu'effectivement, nous préparons notre sélection comme nous préparions notre table de nouveautés qui se réduirait, comme dans beaucoup de librairies, entre cent cinquante et trois cents titres. En fait, on se retrouve très vite avec trois cents titres pour des raisons d'économie. Notre méthode, de fait, est de faire abstraction des bibliothécaires et de penser au public, ayant perçu qu'en fait nous avons aussi bien les uns que les autres, libraires et bibliothécaires, le même regard sur ce public et la même sensibilité.

    Annie BLANCHAUD, (BDP de la Manche)

    Je travaille en partie avec BIBLIOTECA et je voulais dire que la vision que Monsieur Landrieu a de nos acquisitions est assez sévère. Nous achetons à BIBLIOTECA. Mais si je veux acheter un livre chez Verdier, par exemple, un roman étranger qui sort chez Verdier, je ne vais pas l'acheter à BIBLIOTECA même s'ils me le proposent parce que je sais que j'aurai un public relativement restreint et que ce livrelà va faire partie du fonds mais ne va pas sortir de façon tellement importante. Donc, nos achats à BIBLIOTECA sont faits dans une optique grand public ou bien dans un autre sens, tournés vers des classiques du fonds de la bibliothèque.

    Gérard LANDRIEU

    J'ai mis beaucoup de restrictions dans mes propos, à la fois parce qu'elle est limitée et parce que nous vendons des livres plus chers et que, je suis toujours le premier à le dire, nous ne sommes en aucune façon, nous ne pouvons être un fournisseur important ou majoritaire d'une bibliothèque. Beaucoup de titres ne justifient pas le surcoût proposé par la reliure mais je dirais que nous mettons également très régulièrement des titres dont nous savons très bien que nous allons vendre quinze exemplaires. C'est beaucoup plus dans un souci de sélection et de crédibilité de sélection et de notre communication avec les bibliothèques, car si nous réduisons notre sélection à ce qui se vend, l'expérience du libraire montre que notre catalogue ne serait plus regardé. Nous essayons d'avoir une double vocation, une proposition commerciale tout à fait claire et explicite d'une part, mais aussi un outil de communication, qui peut aller plus loin parce qu'en fait les trois cents ou quatre cents titres qui représentent statistiquement l'essentiel des acquisitions en littérature tous les mois,sont maîtrisés nous les connaissons comme vous les connaissez et mon plaisir serait de pouvoir les proposer aussi même sans les vendre .

    INTERVENANTE dans la salle

    Je travaille à la bibliothèque municipale de Grenoble. J'ai beaucoup aimé l'exposé de Claudine Belayche, notamment à la fin, quand elle fait une différence entre un livre porteur d'information et un livre porteur de propagande. Dans la pratique, comment arrivez-vous à faire cette frontière? Nous avons eu à Grenoble la visite des enquêteurs du Front national. Ils sont restés deux jours devant l'OPAC. Ils ont interrogé le catalogue de toutes les bibliothèques de Grenoble. Et nous avons vu très peu de temps après dans la presse locale les résultats de cette enquête. Les bibliothécaires puis le maire ont été accusés d'avoir des fonds de la plus grande partialité. Ils avaient relevé que nous avions dans toutes les bibliothèques municipales de Grenoble quinze livres hostiles au Front national et zéro livre de Monsieur Le Pen. Ils ont fait des statistiques très complètes pour leur permettre de hurler au manque de pluralisme des collections. Tout ceci nous a relativement ébranlés. Nous avons discuté entre collègues. Certaines disaient «bon, nous sommes dans les quartiers. Nous prêtons nos livres à domicile. Vous, vous êtes dans une bibliothèque d'étude. Vous n'offrez que la consultation sur place donc, achetez ces ouvrages, au moins ce sera une manière de limiter les dégâts si je puis dire, dans la mesure où ils ne pourront pas sortir à domicile».

    Certains étaient très opposés dans la bibliothèque d'étude en disant «non, non, clause de conscience, je refuse». L'un de ces enquêteurs a sorti du fonds de la bibliothèque pour les consulter sur place toute une série des années trente et quarante notoirement antisémite avec la caricature du juif, le Protocole des Sages de Sion. Nous ignorions nous-mêmes, je le dis à ma grande honte, que nous avions ces documents parce que nous sommes une très grande bibliothèque avec un très gros fonds ancien, et nous avons découvert à ce moment-là que nous avions vraiment une très grande quantité de livres antisémites. On nous a demandé de prendre l'abonnement à la revue Présent. Sur le bulletin de suggestions, j'étais sensée répondre à ce bulletin de suggestion. Quel argument pouvais-je mettre pour refuser cet abonnement ? Par ailleurs, nous avons dans notre collectif compulsé des National-Hebdo et vraiment je ne peux pas m'empêcher de demander pourquoi cette revue n'est pas interdite.

    Claudine BELAYCHE

    Il est certain que,accompagnant une polémique sur les acquisitions, il y a en général beaucoup d'autres choses qui sont mises en cause... malheureusement ou heureusement. C'est pourquoi il y a importance à situer les acquisitions dans une perspective globale. Titre par titre, il n'y a aucune chance de s'en sortir. C'est vrai que tous les jours, lisant certains journaux, tel ou tel article tomberait sous le coup de la loi. Y compris en tant qu'Association des Bibliothécaires Français, nous avons été clairement diffamés dans Présent. Nous aurions dû faire un procès en diffamation. Une collègue d'une bibliothèque du sud a été traînée dans la boue par Rivarol et là encore nous n'avons pas lancé d'actions en justice, parce que nous ne pouvons pas le faire tous les jours, mais nous le ferons à Marignane.

    Joëlle CHARBONNET (BM Savigny-sur-Orge)

    Les débats, les interrogations, les commissions sont utiles, mais il y a une situation d'urgence, des situations de censure dans les bibliothèques et des journaux qui diffament et propagent la haine. Il faut agir. S'il faut faire des procès, faisons des procès, allons dans telle ou telle bibliothèque, s'il faut faire grève, faisons grève. J'ai un sentiment d'isolement. Sans rapport avec le Front national, nous avons fait grève après des suppression d'emplois et lancés une pétition départementale, que peu de collègues ont signé et que l'ABF a laissé sans réponse.

    Philippe DEBRION

    Une collègue a déjà dit que nous n'étions pas seuls, mais avec nos collègues territoriaux, selon les cas et selon les endroits, pourrait-on nuancer. Du côté de la communauté des bibliothécaires, la remise en cause des acquisitions est la contestation d'une compétence spécifique mais difficile à établir : nous avons besoin de ne plus être tout seul, au besoin d'invoquer le jugement de collègues, pour ne pas se trouver jugé exclusivement par une autorité municipale qui, dans le cas du Front National, ne joue pas franc jeu avec la démocratie. Il faut être clair, il faut le dire. Mais pour le dire en dehors des assemblées professionnelles, sur la place publique, il faut pouvoir fonder l'intervention des collègues extérieurs, que d'autres bibliothécaires puissent intervenir dans un débat local. Donc il faut pouvoir se référer à quelque chose qui ressemblerait à une déontologie. La commission devrait réfléchir à ces aspects là, pour faire avancer les choses plus vite que n'avancera, je l'espère, le Front National.

    INTERVENANTE dans la salle

    Je voulais signaler à propos des autres cadres territoriaux que dans la Lettre du cadre territorial de mars, il y a un article d'une dizaine de pages : « Mairie F.N., désobéir, partir ou collaborer? » J'avais demandé à la LICRA de nous dire si les trois journaux, Rivarol, Présent et National-Hebdo avaient été condamnés, quand et pourquoi ? La LICRA m'a envoyé effectivement la date des dernières condamnations et je m'étais dit qu'on pouvait faire passer ça par le groupe Aquitaine. C'est un premier argument. Au moment où se met en place cette commission A.B.F., est-ce qu'il ne pourrait pas y avoir dans les régions, auprès de chaque groupe A.B.F. une cellule de crise? Des cellules qui se coordonnent très rapidement avec les autres afin de savoir ce qui se passe ailleurs, les réponses qui ont été apportées.

    Claudine BELAYCHE

    La décision de créer la commission a été prise dimanche dernier en présence de tous les représentants des groupes régionaux et des sections Bibliothèques Publiques et Étude et Recherche... Ce sera un travail décentralisé puisqu'il est évident qu'il y a besoin de collecter de l'information et de faire l'information-formation des bibliothécaires. Malheureusement ou heureusement, comme vous voudrez, il n'y a pas de liste pluraliste à opposer à leur - liste pluraliste. Quand je dis information / propagande », cela veut dire qu'au cas par cas, il y a une analyse de chaque document pour se demander quel type d'information il apporte par rapport à la dose de propagande. On ne fait pas l'économie de se dire qu'on a un regard obligatoirement non objectif parce que l'objectivité ne peut pas exister là. Il faut à un moment donné accepter de ne pas être objectif, mais tenter d' afficher nos critères de « non-objectivité de sorte que ces critères soient justifiables devant un lecteur. Je suis bien d'accord avec Nicole, pour dire qu'effectivement le budget est un problème important. Il y a une censure budgétaire, elle n'est pas du même ordre. Nous nous inquiè-tons auprès des autorités nationales. Nous ne pouvons malheureusement intervenir sur chaque suppression de postes. C'est le rôle des groupes régionaux. Certains le font très bien d'ailleurs. Dans la région Aquitaine, à la suite de suppressions de postes monstrueuses, le Groupe régional est intervenu.

    Caroline RIVES (Centre National de Documentation Pédagogique)

    Il me semble que la commission annoncée n'a surtout pas pour objectif de dire aux bibliothécaires ce qu'ils doivent penser et ce qu'ils doivent faire et qu'elle ne sera pas composée de gens qui détiennent la vérité... Son utilité, à mon avis, est d'assurer une fonction de veille sur ce qui se passe dans les bibliothèques. Il y a des problèmes récurrents. Voilà un certain temps que j'entends des gens dire, « on est venus chez moi et quelqu'un m'a demandé pourquoi je n'étais pas abonnée à Présent Si c'est si fréquent, initiative individuelle ou pas, c'est quelque chose sur lequel une commission peut élaborer des réponses efficaces à partir des informations que les bibliothécaires lui enverront. La commission n'inventera pas toute seule. Si elle ne s'est pas créée avant, c'est probablement parce qu'il y a une chose qui a beaucoup changé dans la profession, c'est que les gens en parlent. J'ai le souvenir des années 80, en particulier avant l'affaire Monchaux : en fait, les premières affaires de censure des années 80 remontent aux élections municipales quand un certain nombre de municipalités sont passées à droite... et quand les bibliothèques ont commençé à devenir un enjeu social et culturel. Les maires de ces nouvelles équipes se sont inquiétés de ce qui se passait dans les bibliothèques. Vous vous souvenez peut-être de l'affaire de Montfermeil où Pierre Bernard, qui a fait parler de lui par la suite, a été un des premiers maires à poser ce genre de problèmes. A l'époque, il était extrêmement difficile de faire remonter l'information. Je me souviens de sondages qui avaient été publiés dans la revue Interlignes auquel un nombre absolument dérisoire de bibliothécaires avait accepté de répondre... Donc, nous pouvons faire une commission. Si les gens ne parlent pas, on ne peut pas la faire... Elle sera ce que les collègues de l'association en feront.

    La section des bibliothèques publiques remercie tous les participants à ce débat.

    Les contraintes déformât du Bulletin ne permettant pas une transcription intégrale, d'autant que beaucoup d'interventions en provenance de la salle étaient convergentes, nous avons donc dû opérer une sélection des propos publiés tout en tentant de conserver l'essentiel des thèmes abordés.

    1. Il y a quelques années le Congrès avait lieu à San-Francisco et à cette occasion la couverture de la revue représentait le groupe des homosexuels de l'American Library Association en train de manifester sous leur banderole propre. Cela a donné lieu à un débat passionné à l'intérieur de la revue, beaucoup de bibliothécaires américains refusant que leur congrès soit représenté par cette partie-là de la profession. retour au texte

    2. XDLR : débat organisé le 17 mars au Salon du livre de Paris par la FFCB retour au texte