Index des revues

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    Un catalogue sur Internet, pour quoi faire?

    Par Jean-Paul Oddos, Mission de préfiguration du Musée de l'Homme,des Arts et des Civilisations

    Le catalogue de la Documentation du MNAM-CCI est aujourd'hui, 19 septembre, disponible sur Internet : voilà une nouvelle que les médias ne vont pas relayer et qui n'est à dire vrai pas spectaculaire. Je ne veux pas dire que les effets de mode n'ont pas joué dans cette démarche ; retenons plutôt l'aspect positif de la chose, l'émulation. Une bibliothèque très proche de nous, la BPI, a depuis un an déjà son catalogue sur Internet. La course de vitesse, liée à l'effet de mode, était donc perdue d'avance ! Restait à faire mieux (beaucoup mieux), c'est-à-dire à réfléchir aux objectifs poursuivis, aux publics et aux usages visés, donc à l'outil que nous souhaitions. Cela a pris un peu de temps, il a fallu franchir quelques obstacles ; le résultat présenté aujourd'hui répond-il pour autant à toutes nos attentes ? Non sans doute. Nous allons essayer de comparer plus attentivement ce que nous espérions faire et ce que nous avons obtenu et tirer, à chaud et en direct (exercice périlleux, s'il en est !), ce premier bilan.

    Rappelons d'abord que la « Documentation. est un compromis original entre un centre de doc oeuvrant au sein d'un musée, un centre d'archives ouvert à la recherche, une bibliothèque au service d'étudiants déjà spécialisés. Ces trois fonctions sont intimement mêlées : par exemple, la photothèque, qui gère aussi bien des diapos de reportages récents que des tirages anciens de certains artistes, de leur atelier ou de leur famille, participe-telle à la fois de la documentation, de l'archive ou de la bibliothèque de travail (pour les oeuvres ou artistes non publiés). L'importance des collections rassemblées depuis l'origine du Musée, grâce au développement de celui-ci et à une politique continue de ses responsables, en ont fait une des toutes premières ressources à l'échelle internationale, avec le Museum of Modem Art (MOMA) de New York et le Stedelik d'Amsterdam. La Documentation n'a pas seulement accumulé, elle a su traiter ces collections, les organiser, veiller à leur intégrité (et même combattre pour !) et produire un ou plus précisément deux catalogues (le catalogue sur GEAC n'intégrant pas toutes les données des catalogues CCI et MNAM depuis la fusion). Ces catalogues sont informatisés depuis 1988 (Mistral pour le CCI) et 1990 (Advance pour le MNAM) et sont devenus en euxmêmes une ressource de tout premier plan : on y trouve naturellement un ensemble de monographies particulièrement abondant sur la création au XXe siècle, dans un pectre allant des performances à l'archi-tecture, de la vidéo au design,... mais aussiun fonds exceptionnel de revues (plus de5 000 titres), des catalogues d'expositionvenus du monde entier par les échanges,les dons (quel artiste n'a pas souhaité êtreainsi présent au Centre Pompidou ?), desphotographies d'oeuvres que le musée nepossède pas, et aussi des dossiers consti-tués sur des créateurs, des manuscrits oudes archives, des reportages photo, deslivres d'artistes...

    Comme tout catalogue, celui-ci (l'ensemble des catalogues de la Doc) est une ressource à plusieurs niveaux : au premier niveau, il permet de gérer et d'accéder aux documents eux-mêmes, tels qu'ils sont conservés ; au second, il est une ressource propre, par l'ensemble des références qu'il propose : listes d'autorités d'institutions ou de personnes physiques, liste de concepts, liste d'expositions ou d'événements tenus dans tel ou tel lieu, bibliographie sur un artiste ou d'un critique ou d'un historien, etc. Cette ressource est naturellement incomplète, mais la masse d'informations est telle aujourd'hui que certaines lacunes se repèrent et deviennent signifiantes.

    Un autre niveau se dessine aussi : c'est cette sorte de bibliothèque virtuelle que constitue un catalogue rigoureusement organisé, où les concepts renvoient à des créateurs et à des critiques, des lieux à des mouvements et à des artistes, des galeries à des tendances artistiques, etc. Ces liens sont bien présents, même si l'outil informatique actuel ne permet pas de les exploiter systématiquement et même si les informations sont celles d'un catalogue signalétique, sans renvoi à des contenus textuels ou à des images.

    Cette simple analyse montre qu'un tel catalogue, à partir d'un certain seuil, ne peut demeurer un outil de gestion locale. Sa diffusion, son accès large prennent un sens dans la mesure où il est une des sources de références dans la discipline concernée et une sorte de bibliothèque idéale, certes pas totalement homogène, mais déjà très significative.

    Le projet Internet est né de ce constat, même s'il n'était pas aussi clair au départ, notamment dans sa forme. Mais avant de voir comment cette approche du catalogue s'est précisée au cours de la démarche, je vais reprendre rapidement l'historique de celle-ci, résumer les choix techniques que nous avons faits, analyser les premiers résultats, décrire les étapes à venir.

    En fonction de cela, j'essaierai de reprendre la question : Internet, pour quoi faire ? et de proposer quelques pistes de réflexion sur ce monstre nouveau.

    1. Historique

    On peut dire que c'est un projet de deux ans. Quelques étapes : septembre 1995, c'est la rédaction d'un projet d'étude pour une stagiaire canadienne, très intéressée par la question des réseaux ; avril 1996, la remise du rapport de Stéphanie Simard, intitulé : « Etude de faisabilité pour l'accès Internet au catalogue de la Doc » ; juin 1996, l'établissement par Bruno Gonthier, du SOSI, du CCTP, et la validation de celuici ; septembre 1996, choix de la société Archimed et de sa solution technique ; premier semestre 1997, les longues négo-ciations avec GEAC pour la correction denotre base (une dizaine de milliers denotices corrompues) et le passage en ver-sion 6.1.9, version permettant l'«interfa-çage» le logiciel d'interrogation ; juin-juillet 1997, le développement par Archi-med et test ; septembre 1997, la validationet l'ouverture le 19 septembre, à l'occasionde ce congrès.

    2. Les choix techniques

    Il faut rappeler qu'au printemps 1996, les grands centres spécialisés dans l'art (comme le Moma ou le Guggenheim) n'offraient pas leurs catalogues sur Internet : seuls avaient franchi cette étape des institutions comme la Library of Congress, la British Library ou la Bibliothèque nationale de France. Les choix techniques étaient seulement en train de se dessiner.

    Dans son étude, Stéphanie Simard en recensait trois, dont elle analysait avec une remarquable acuité les avantages et les inconvénients :

    • * la solution Telnet (celle qu'avait retenue la BPI), où l'utilisateur accède, en mode texte, à l'OPAC originel du catalogue, comme s'il utilisait un terminal passif. Rapide à mettre en oeuvre, apparemment la moins coûteuse, cette solution est assez décevante sur le plan de l'ergonomie et n'utilise aucune fonctionnalité propre au réseau.
    • la solution Web générale : l'utilisateur accède à une copie de la base, en mode graphique, et bénéficie de toutes les fonctionnalités du Web ; les modes de recherche sont cependant limités.
    • * la solution dite Z 39 50, qui est une solution Web utilisant une norme spécifique à la recherche documentaire ; cette norme été développée par les principales institutions bibliographiques américaines, au départ pour le format LC MARC ; elle est maintenant disponible pour le format Uni-marc ; grâce à cet interface, l'utilisateur peut réaliser des interrogations précises, «dialoguer» avec des bases différentes.

    Le rapport de Stéphanie Simard concluait en recommandant cette solution comme répondant le mieux aux attentes d'un public spécialisé, utilisateur du Web et familier des recherches sur les grands réseaux bibliographiques. Il préconisait, pour des raisons de sécurité et parce que notre unité centrale apparaissait à sa limite de capacité, de créer une copie de la base sur un second serveur, celui-ci étant régulièrement mis à jour.

    Le cahier des charges établi à la suite reprenait cette dernière orientation, en s'ouvrant à toute solution technique non envisagée offrant des résultats comparables ou plus performants.

    Parmi les réponses à la consultation, en effet, une société nous proposa une solution Z 39 50, mais avec deux alternatives : une avec copie de la base ; l'autre attaquant directement la base, en faisant l'économie d'une copie (donc d'un second serveur) et de mises à jour.

    Nous avons demandé à tester d'abord cette solution, pour savoir si les temps de réponses étaient acceptables pour un usager du Web et, s'ils étaient modifiés, pour un utilisateur interne. Les résultats étant cor- rects (et perfectibles en changeant plus tardnotre machine), c'est cette solution qui aété finalement retenue. Elle est en passede devenir un standard chez ce fournisseur.

    3. Les résultats

    Avant d'analyser le produit actuel, il fautrevenir sur quelques difficultés, parcequ'elles sont naturellement instructives.

    Un projet se situe toujours dans un envi-ronnement avec des contraintes dont ilfaut tenir compte.

    La Documentation disposait d'un sys-tème d'information autonome, avec unemachine dédiée à ses applications(GEAC sur Motorola) ; pour bénéficierdu serveur Internet du Centre Pompi-dou, installé à l'IRCAM, il a été néces-saire d'intégrer ce système au réseaulocal et d'installer une fibre optique dansnotre local informatique : une simpleligne téléphonique (comme nousl'avions au départ) ne permettant pasdes débits suffisants, surtout si l'on envi-sage de mettre par la suite des imagesliées au catalogue.

    Ensuite, nous sommes partis non pas d'uncatalogue idéal mais d'un catalogue réel,avec ses imperfections. L'une tient auxadaptations locales de la norme interna-tionale, dues moins aux limites de celles-ci ou à sa connaissance imparfaite, qu'auxlimites imposées par le système GEACdans certains aspects (catalogage despériodiques, catalogage à niveau parexemple). L'autre résulte de circonstancesplus particulières : à la suite d'un change-ment de version du système Advance, desnotices ont « explosé et des éléments sesont concaténés à d'autres. Il a fallu, avecl'aide de GEAC, identifier ces notices, éta-blir des typologies d'erreur et commencerla correction, automatique ou manuelle ;il n'était pas question de diffuser un cata-logue présentant de telles erreurs.

    Enfin, il faut tenir compte des limites dela norme Z 39 50 elle-même, sorte de pluspetit commun dénominateur, qui ne peutdonc pas offrir la même complexité d'ana-lyse et de catalogage qu'un format local.L'état de développement de ce protocolechez certains constructeurs (chez GEACpar exemple) est une limite supplémen-taire, même si elle doit se réduire avec letemps. Mais on comprend que les adap-tations locales sont à fortiori hors champsde la norme.

    Ces réserves faites, nous avons sous les yeux (et sous les doigts) un outil qui représente une étape décisive dans l'évolution de la notion même d'accessibilité.

    L'écran graphique, en couleur, le design des pages d'accueil et du catalogue (respectant la charte graphique du Centre) font paraître bien tristes les écrans mal fagotés des OPAC antérieurs.

    Les fonctionnalités windows (souris, ascenseurs, barres d'outils, etc.) et celles propres au Web (fonction d'avancement et de retour sur recherche, tris, sauvegarde, possibilité d'impression, usage du courrier électronique, etc.) donnent une convivialité et un confort d'utilisation remarquables.

    Pour résumer quelques uns de ces aspects novateurs, on peut noter :

    • * la recherche peut se faire soit par un formulaire multicritère où l'on peut procéder soit à une recherche pointue (le titre précis d'une oeuvre, le croisement de concepts au moyen d'opérateurs booléens) ou à une recherche large par n'importe quel mot de tous les index ; soit par les listes d'autorité déroulantes où l'on vérifie la présence ou l'exactitude d'un nom, d'un sujet, d'un titre, etc.
    • Le type de recherche, et les résultats de celle-ci restent affichés dans des fenêtres, à gauche de l'écran, ce qui permet de conserver le contexte de celle-ci sous les yeux et de visualiser les résultats détaillés par rapports aux résultats d'ensemble. La première liste de résultats peut être triée selon plusieurs critères (date, supports,...) ; on peut aussi opérer une sélection de ces résultats.
    • * On peut concrètement et de façon quasi-instantanée rechercher des relations à l'intérieur du catalogue, en utilisant les liens hypertexte à l'intérieur des notices : par exemple, rechercher toutes les références bibliographiques d'un auteur ou sur un artiste apparaissant dans une notice, ou retrouver toutes les manifestations ayant eu lieu dans une galerie ou un musée, et cela sans interrompre le cours de la première recherche ; cette possibilité de navigation, déjà familière aux utilisateurs de cédéroms, semble infinie dans une base de plus de 150 000 notices et de plusieurs centaines de milliers d'autorités.

    Malgré ces gains réels, les contraintes évoquées plus haut (dues autant aux particularités de notre base qu'aux limites de la Z39 50 de GEAC) n'ont pas permis à Archimed de répondre totalement à notre cahier des charges. Sans entrer trop dans le détail, notons deux aspects :

    • nous souhaitions distinguer nettement les « sources (images non publiées, manuscrits, archives, dossiers) et les documents secondaires (livres, revues, catalogues, usuels,...) dans la présentation des résultats de la recherche, en donnant d'abord les seconds, puis les premiers si l'usager le souhaitait. La discrimination sur le champ 852 n'a pas été possible. Les résultats sont néanmoins présentés de façon distincte (quatre imprimés, trois images, etc.).
    • * les listes d'autorité se déroulent à partir du mot recherché, sans possibilité de remonter en amont, ce qui limite le contexte ; le nombre des occurrences est affiché, mais pas la notice d'autorité ellemême.

    4. Les étapes ultérieures

    D'abord, pour que ce nouvel OPAC soit utilisable par des chercheurs de tous horizons, il sera utile d'en présenter une version en anglais ; la traduction est en cours et la version anglaise sera installée la semaine prochaine.

    Ensuite, les pages d'accueil doivent être développées : le Guide des fonds particuliers (texte et images) sera consultable très prochainement ; le signalement d'autres catalogues et ressources avec références, adresse du site, etc. pourra également être intégré aux pages d'accueil ; ceci se fera avec l'accord des sites concernés, ce qui suppose des prises de contact et la constitution d'un réseau « privilégié en quelque sorte.

    Ultérieurement, d'autres outils permettront d'interroger simultanément plusieurs bases de données, comme premier repérage.

    L'étape attendue est celle de la consultation de certains documents, soit des données textuelles enrichissant le catalogue (comme des sommaires de revues ou de monographies, des notices biographiques, chronologiques, des listes d'oeuvres, etc. incluses dans les catalogues), soit des documents directement consultables : dossiers d'artistes, ensembles d'archives ou.de photographies, dossiers de presse, etc. Mais cela suppose une évolution de notre système et la réalisation d'un programme de numérisation.

    Sur le premier point, l'étude aboutissant à un cahier des charges a été rendue au printemps 1997, mais la décision financière et politique n'a pas été prise, dans un contexte de restrictions financières touchant tous les services du Centre.

    Sur le second point, un programme de numérisation pluriannuel, avec un premier objectif de 500 000 images, a été élaboré, mais il rencontre les mêmes problèmes financiers. Seuls des essais en interne ont pu être menés, sur des dossiers, des ensembles photographiques.

    5. Quelques leçons d'un catalogue «branché»

    Il peut sembler un peu tôt pour tirer des leçons : risquons l'exercice, au risque d'être démenti par les faits.

    D'abord, cette ouverture renforce, rend manifeste l'exigence de qualité du catalogue : nous travaillerons désormais sous le regard direct, immédiat de la communauté scientifique ; le contrôle bibliographique, la correction des listes d'autorité prennent tout leur sens. Sans parler du respect de la norme, pour que toutes les informations soient disponibles sur le réseau.

    D'autres leçons tiendront à l'usage des deux OPAC (trois en comptant l'OPAC « maison » de Mistral) : l'Opac originel reste plus rapide en temps de réponse, plus direct d'accès et plus pointu (limitation par langue, par pays d'impression, etc.) ; les usagers qui auront le choix entre cet accès et l'accès Internet vont-ils privilégier ces avantages ou au contraire donner leur préférence à l'ergonomie, à la convivialité d'Internet ? Dans le second cas, on peut imaginer qu'on donnera au public l'accès via Internet à d'autres bases de données sélectionnées (cet accès étant libre pour les documentalistes bien sûr). En revanche, les temps de réponse (liés en grande partie à la puissance du serveur), les aléas du réseau peuvent décourager certains usagers.

    Au total, la modernité de l'outil, son inscription au sein des ressources globales du Centre, comme dans l'ensemble des ressources disponibles du Web, amèneront, je crois, peu à peu tous les usagers vers l'OPAC Internet.

    Quel usage les chercheurs, les professionnels de l'art feront-ils de cet accès ?

    Ils y verront, j'imagine, un moyen d'accès à la collection, dans un premier temps, bien sûr, avec la possibilité de préparerune journée de travail, de réserver desdocuments ou de demander des informa-tions complémentaires par le courrierélectronique ; un moyen d'information, lecatalogue étant consultable comme uneencyclopédie ; un lieu de butinage de l'in-formation, grâce à la navigation au seindu catalogue.

    On peut aussi essayer de réfléchir à ce que sera cet outil pour tous les professionnels extérieurs : on peut résumer cela en disant que ce sera autant un outil de référence bibliographique qu'un outil bibliotbéconomique, que ce soit dans le domaine des acquisitions, des tris et des éliminations, des mises en réserve.

    Non seulement certains choix pourront être faits à la lumière de notre collection (comme nous pouvons le faire en fonction d'autres ressources déjà), mais l'affirmation des complémentarités, des pôles d'excellence sera plus forte, car basée sur des éléments réels. On peut penser que ce sera l'occasion d'une réévaluation scientifique des collections.

    L'accès au catalogue n'est donc pas une fin en soi, mais la base d'une coopération passant éventuellement par d'autres voies.

    De façon plus générale, on peut estimer que la présence de ce catalogue est un premier pas vers un partage des ressources, personne n'ayant aujourd'hui (pas plus qu'hier) la compétence, les moyens ou l'intérêt de les réunir et de les maîtriser toutes dans ce champ particulier qu'est la création du XXe siècle.

    Cela débouchera, j'en suis persuadé, sur une nouvelle façon de travailler dans le domaine documentaire : chacune des actions, de la collecte à la production d'information, se fera dans un contexte plus large, dans un environnement ouvert, où le partage, la collaboration ne seront pas occasionnels, mais permanents. Cela ressemble un peu à une ouverture de frontières...