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Un intranet professionnel pour un réseau de petites bibliothèques publiques au Québec

1999
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    Un intranet professionnel pour un réseau de petites bibliothèques publiques au Québec

    L'expérience du CRSBP Montérégie

    Par Pascale Félizat, Bibliothèque départementale de prêt de la Guadeloupeet Médiathèque caraïbe Bettino Lara

    Au Québec, des structures équivalentes de nos bibliothèques départementales de prêt, les Centres régionaux de services aux bibliothèques publiques (CRSBP (1) ), sont engagées depuis deux ans dans la mise en place d'une infrastructure de type intranet pour améliorer leur productivité et les services offerts à leurs bibliothèques affiliées.

    Le CRSBP de la Montérégie (2) qui, sous l'impulsion de son directeur général M. Richard Boivin, s'est toujours affirmé comme organisme pilote en matière d'informatique et de management, conduit ce projet d'intranet. Il doit pouvoir être étendu à l'ensemble des réseaux de lecture publique du Québec en milieu rural et semi-urbain, soit un réseau professionnel potentiel de quelque 800 petites et moyennes bibliothèques.

    Un intranet d'entreprise en lecture publique ? C'est possible !

    Outre leur remarquable niveau d'informatisation, les CRSBP du Québec ont en effet la particularité d'avoir fondé dès 1986 un « réseau des réseaux » sous la forme du Regroupement des CRSBP. Ces CRSBP partagent tous le même logiciel de gestion (logiciel MultiLIS/TAOS) ainsi qu'un certain nombre de services communs (3) . D'une façon générale, et la stagiaire ENSSIB que j'étais à l'automne 1997 en a été assez éblouie, les CRSBP du Québec et en particulier celui de la région de la Montérégie ont atteint un degré rare de développement en matière d'organisation comme de niveau de services.

    Entreprises privées à but non lucratif, financées conjointement par le ministère de la Culture et des Communications du Québec et par les cotisations contractuelles des municipalités (4) , ces structures d'aide au développement de la lecture publique ont autant emprunté au modèle français qu'au modèle anglo-saxon. Au CRSBP Montérégie en particulier, c'est une véritable culture d'entreprise au service de la lecture publique qui s'affirme avec le temps : approche client, automatisation maximale des tâches de distribution des documents, adoption de procédures standardisées, nombreux indicateurs chiffrés de fonctionnement, calculs coûts-bénéfices, plan triennal de développement, etc.

    Comme dans n'importe quelle entreprise qui aurait à coeur d'assurer les conditions de sa croissance à venir, la mise en place d'un intranet à visée professionnelle au CRSBP Montérégie intervient comme la suite logique de dix années de développement soutenu en matière d'offre de services à sa clientèle. Plus qu'un simple intranet, qui doit être de toute façon développé en interne, il s'agirait davantage d'un extranet où les bibliothèques sont les clientes (ou les succursales) d'une entreprise mère chargée de la production et de l'organisation d'un nouvel environnement de communication et de travail. L'intranet/extranet du CRSBP offrira à terme une interface unifiée et ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre (5) à une large palette de services destinés à une clientèle de professionnels éloignés et peu disponibles.

    Des programmes gouvernementaux pour développer les infrastructures nécessaires

    Pour un tel projet, une condition sine qua non de réalisation devait être remplie : un bon niveau d'équipement des bibliothèques en ordinateurs reliés à Internet. C'est là qu'interviennent les programmes gouvernementaux d'accès à Internet communs depuis déjà plusieurs années à toute l'Amérique du Nord, et qui restent encore sans équivalents réels en Europe. Ces programmes qui ont pour objectif de contribuer au développement d'un « accès universel » aux autoroutes de l'information utilisent les bibliothèques municipales comme points d'accès publics. Les bibliothèques, et en particulier les plus petites, ont ainsi fait l'objet de financements gouvernementaux massifs et sont bientôt près d'être toutes raccordées à Internet (6) .

    Il est important de souligner que ces programmes sont en fait beaucoup plus qu'une aide financière pour l'acquisition d'équipements : ce sont des ensembles très complets de soutien à l'introduction de ces points d'accès au sein de la communauté : achat de matériel et connexion, mais aussi support technique, aide à la formation et au maintien d'un « club internautes » de bénévoles, etc. Pour la majorité des régions administratives du Québec, ce sont les CRSBP qui ont été mandatés par le ministère de la Culture et des Communications du Québec, pour la gestion de ces programmes de soutien à Internet.

    Dans le réseau du CRSBP Montérégie, au printemps 1999, 80 o/o des bibliothèques sont dotées de postes connectés à Internet, une nouvelle réalité susceptible de transformer en profondeur les conditions de travail du personnel de ces petites bibliothèques ainsi que la nature des services qu'elles pourront offrir à leur public.

    L'intranet du CRSBP Montérégie : objectifs et réalisations

    Une première phase de réalisation intervient à l'automne 1997. Le catalogue informatisé, qui rassemble les ouvrages du CRSBP mais aussi ceux des collections propres des bibliothèques du réseau (7) , devient consultable via Internet. À cet effet, on fait l'acquisition d'un nouveau serveur Windows NT sur lequel sont également installées les pages du site Web du CRSBP et ses bibliothèques affiliées. Une étude préalable est commandée à la société DRA Information de Montréal, propriétaire du logiciel MultiUS/TAOS, et qui s'est récemment diversifiée dans la prestation de services réseaux en devenant partenaire de la société Microsoft. Je réalise moi-même de septembre à novembre 1997 un premier document d'aide à la définition des objectifs et services supportés par cet intranet dans le cadre d'un stage d'étude ENSSIB (8) .

    À l'heure actuelle, le projet est en voie de réalisation. L'infrastructure informatique et de télécommunications est en place. Certains modules tels le prêt entre bibliothèques affiliées, l'accès aux banques de données de catalogage coopératif, le manuel de gestion des opérations, la gestion du réseau de bibliothèques affiliées et le courrier électronique sont en place.

    On l'a dit : la mise en oeuvre de cet intranet sous l'impulsion de M. Richard Boivin, qui a su s'entourer d'une équipe forte et dynamique, a obéi avant tout à des objectifs de management interne. C'est l'occasion de repenser des processus opérationnels pour redonner un nouveau souffle au service, d'accroître encore l'usage de l'outil informatique comme environnement naturel commun de toutes les activités des membres du personnel, de réaliser des économies de temps de travail non négligeables permettant de renforcer certains services essentiels (9) .

    C'est aussi une source potentielle d'augmentation de la productivité par « impartition des ressources », Le. la réalisation de certaines activités en tout ou en partie avec d'autres, soit pour en réduire les coûts, soit pour réaliser quelque chose qui ne pourrait voir le jour sans la collaboration de partenaires, un mode de fonctionnement déjà largement pratiqué dans le cadre du Regroupement des CRSBP du Québec. Étendu à tous les CRSBP du Québec, l'intra net-extra net doit offrir de nouvelles perspectives aux partenariats existants en matière de services techniques centralisés, outils de communication et de promotion de la lecture, programmes de formation conjoints, etc.

    C'est par ailleurs un moyen non négligeable de renforcement de l'image du CRSBP auprès des élus et responsables municipaux, comme d'affirmation - monnayable - de son expertise en matière de technologie informatique.

    Enfin, un objectif important du projet d'intranet dans son extension aux bibliothèques affiliées du réseau est de permettre de créer ou de renouveler l'investissement et l'intérêt du personnel en charge (bénévoles ou permanents) pour Internet et les nouvelles technologies. Quel meilleur moyen en effet pour s'attaquer à l'épineux et crucial problème de la formation des responsables de ces petites bibliothèques que de leur permettre d'utiliser ces technologies dans leurs tâches professionnelles quotidiennes tout en préparant le terrain à des objectifs à plus long terme, comme la formation à distance ?

    Un exemple de service à l'usager amélioré par l'intranet : le prêt interbibliothèques

    Lorsqu'on les passe en revue, rares sont les services du CRSBP qui ne bénéficient pas à un degré ou à un autre de ce nouveau médium (10) . Certains de ces services sont passifs (consultations de catalogues de services et autres documents professionnels...) ; d'autres, plus interactifs, mettent à contribution l'utilisateur (formulaires de commande, d'inscription, de saisie de statistiques, mais aussi communications avec le support technique, échanges entre collègues).

    L'apport de l'intranet a un impact direct sur le service au public des bibliothèques, particulièrement en ce qui concerne l'efficacité de la fourniture en documents. Offert au sein des quatre-vingts bibliothèques affiliées du CRSBP Montérégie, ce service fonctionne selon deux modes principaux : la circulation régulière et très automatisée de larges volumes de documents appartenant au CRSBP qui arrivent en complément de la collection achetée localement (module Échange de collections) ; et le prêt entre bibliothèques du réseau de documents appartenant soit au CRSBP, soit à l'une des bibliothèques, sur demande d'un usager. Ce service, appelé Prêt Inter-Biblio (11) , fait l'objet de demandes en forte croissance de la part des usagers.

    L'intranet va permettre de réduire considérablement les délais de livraison du document - d'au mieux deux semaines et demie en 1997 - en permettant l'envoi direct de la demande dans la boîte aux lettres électronique de la bibliothèque concernée, qui informera par le même moyen la bibliothèque demandeuse de la possibilité ou non de prêter le document. Il ne s'agit pourtant pas d'échanges directs entre bibliothèques : chaque demande et chaque réponse se font bien au travers d'un formulaire propre à l'intranet qui alimente une base de données gérée par le logiciel MultiUS/TAOS. Le CRSBP continuera par là même à garantir - en comptabilisant les requêtes et en permettant leur relance en cas d'échec - l'équilibre et l'efficacité des flux de prêts entre bibliothèques. Si les échanges entre partenaires du réseau gagnent en souplesse, le CRSBP continue malgré tout à jouer son rôle de centre nerveux régulateur par le fait même qu'il produit et réglemente l'environnement commun d'échange et de communication.

    Je ne résiste pas, pour conclure, à soumettre au lecteur un développement plus hypothétique d'une telle architecture réseau en lecture publique : ne peut-on penser en effet que l'intranet-extranet puisse servir, dans son prolongement à l'usager lui-même, d'intermédiaire à des bases de données payantes (12) et autres documents électroniques à forte valeur ajoutée ? Renouvelant l'idée de partage des coûts à l'origine des réseaux de lecture publique (13) , le CRSBP pourrait devenir l'interlocuteur unique d'un organisme producteur, son infrastructure lui permettant d'effectuer un certain contrôle quant à l'accès à ces documents numériques tout en pouvant assurer une forme de support technique à leur usage : l'intranet - ou toute autre structure technique équivalente - comme unique moyen de faire perdurer au XXIesiècle notre idée actuelle de la lecture publique, Le. la garantie d'un accès pour tous, quels que soient ses revenus et son lieu d'habitation, à l'ensemble des supports de culture et d'information.

    Apports de l'intranet du CRSBP Montérégie

    On le voit, l'expérience du CRSBP Montérégie est un cas plein d'enseignements car il montre la voie d'un mode possible de gestion du passage très délicat qu'abordent ou qu'aborderont bientôt nos bibliothèques publiques et en particulier les plus petites.

    Dans un contexte de concurrence renouvelée où éditeurs et libraires cherchent à occuper le créneau habituel des bibliothécaires, à l'heure où les publics changent, où les contraintes en matière budgétaire restent égales - dans le meilleur des cas - et où de nouvelles bibliothèques électroniques se constituent, un vrai problème de survie à long terme de ces établissements se pose en effet. Le développement de bibliothèques publiques sur tout le territoire et la sauvegarde à travers leurs activités des idéaux de la lecture publique vont dépendre plus que jamais de ces deux facteurs principaux traditionnels qui semblent avoir tout simplement changé de forme :

    • 1. Le professionnalisme du personnel en charge de ces bibliothèques, et l'accent est maintenant clairement mis sur leur plus ou moins grande aptitude à maîtriser un nouvel environnement technique.
    • 2. Et surtout, facteur crucial puisque le premier point même en dépend, l'existence et l'efficacité d'organismes coopératifs de support et de services très dynamiques, qui doivent être capables aujourd'hui de déployer et de gérer sur le long terme une architecture technique complexe de coopération en réseau indissociable, au même titre que d'autres armes managériales, de leur capacité à aider les bibliothèques à faire face à une nouvelle concurrence commerciale ainsi qu'à l'évolution générale des conditions d'accès à la culture et à l'information.

    Il est clair qu'une architecture intranet du type de celle expérimentée aujourd'hui par le CRSBP Montérégie renouvelle les conditions de fonctionnement d'un réseau coopératif et contribue à maintenir la compétitivité des petites bibliothèques en matière de fourniture à leur public de livres, d'informations et d'animations, tout en permettant le déploiement à long terme d'une stratégie de formation continue des professionnels. Il sera intéressant de suivre attentivement l'évolution de ce projet novateur qui commence déjà à donner des fruits.

    Remerciements à Jacqueline Labelle du CRSBP Montérégie pour l'information fournie.

    1. Le Québec, province du Canada (environ 7 millions d'habitants sur un territoire grand comme quatre fois la France), compte au total 11 CRSBP : 10 d'entre eux sont réunis au sein du Regroupement des CRSBP du Québec. retour au texte

    2. La Montérégie est une région limitrophe de la ville de Montréal qui rassemble elle-même l'essentiel de la population du Québec. Le CRSBP Montérégie (http://www.crsbp.org/) dessert quelque 80 bibliothèques publiques affiliées ainsi qu'un certain nombre de bibliothèques de communes supérieures à 10 000 habitants, dites bibliothèques associées. retour au texte

    3. L'un des CRSBP sert notamment de service commun de catalogage pour la communauté des CRSBP. retour au texte

    4. Les financements gouvernementaux vont essentiellement à l'achat de livres. Le contrat établi entre le CRSBP et la municipalité ouvre à la bibliothèque affiliée une gamme de services de base auxquels peuvent s'ajouter des services complémentaires payables en sus. Le taux de redevance annuel de la municipalité au CRSBP est calculé au prorata du nombre d'habitants desservis. retour au texte

    5. Les bibliothèques du réseau ouvrent le soir et le week-end plus encore qu'aux heures traditionnelles de bureau. Elles sont tenues majoritairement par des bénévoles (près de 1 200 bénévoles pour les 80 bibliothèques du réseau Montérégie !), ce qui rend la qualification et le professionnalisme des structures d'encadrement et de formation que sont les CRSBP d'autant plus essentiels à la bonne marche de la plupart de ces équipements publics. retour au texte

    6. Voir notamment le dernier rapport US sur l'état d'avancement des connexions Internet en bibliothèques (http://research.umbc.edu/~bertot/ala97.html). Il est noter par ailleurs que le problème du coût des communications se présente de façon bien différente en Amérique du Nord et en Europe : ce coût est tout simplement nul dès lors que le prestataire d'accès se trouve dans la même zone de téléphonie ! retour au texte

    7. C'est en effet une architecture d'informatique de gestion centralisée qui prévaut dans tous les réseaux des CRSBP du Québec. Les bibliothèques informatisent leur collection propre en se connectant via un modem à un catalogue MultiLIS unique rassemblant l'ensemble des collections du territoire. La mise en place de l'intranet professionnel est donc précédée d'une expérience non négligeable d'informatique en ligne. retour au texte

    8. Le mémoire qui en a résulté est au format PDF à l'adresse http://www.enssib.fr/Enssib/f_txtint.html retour au texte

    9. En particulier, l'intranet doit rendre plus efficaces la cueillette et la diffusion des données (statistiques et autres informations) en provenance des bibliothèques affiliées, permettant l'économie d'un mi-temps de secrétariat à réaffecter au développement du service de prêt interbibliothèques et du service de références à distance Info-Biblio. retour au texte

    10. Je renvoie le lecteur à mon mémoire (p. 52 à 72) pour avoir la liste détaillée de ces services. Le mémoire contient également une analyse comparative de différentes expériences d'intranet en bibliothèques. retour au texte

    11. Depuis septembre 1997, en prolongement de l'ouverture à plusieurs CRSBP du Regroupement des CRSBP du service de référence à distance Info-Biblio créé par le CRSBP Montérégie, la demande peut même s'effectuer entre CRSBP, ce qui ouvre à l'usager un catalogue de plusieurs centaines de milliers de titres différents. retour au texte

    12. Je pense en particulier au service de la société EBSCOHost, qui cible le public des bibliothèques publiques en offrant un accès convivial à une base de données de plusieurs milliers de revues comportant de très nombreux textes intégraux d'articles. retour au texte

    13. On sait que l'un des nombreux problèmes introduits par la révolution technologique en cours est la question du maintien d'une forme d'accès public à l'information et aux documents numériques à forte valeur ajoutée, tout en créant des conditions viables pour la nouvelle économie qui se met en place. L'idée soumise ici correspond à la voie d'une mise à disposition collective des documents par licences négociées pour une collectivité. Si les universités peuvent déjà la pratiquer, qu'en sera-t-il de nos petites et moyennes bibliothèques publiques ? retour au texte