Au Québec, des structures équivalentes de nos bibliothèques départementales de prêt, les Centres régionaux de services aux bibliothèques publiques (CRSBP (1) ), sont engagées depuis deux ans dans la mise en place d'une infrastructure de type intranet pour améliorer leur productivité et les services offerts à leurs bibliothèques affiliées.
Le CRSBP de la Montérégie (2) qui, sous l'impulsion de son directeur général M. Richard Boivin, s'est toujours affirmé comme organisme pilote en matière d'informatique et de management, conduit ce projet d'intranet. Il doit pouvoir être étendu à l'ensemble des réseaux de lecture publique du Québec en milieu rural et semi-urbain, soit un réseau professionnel potentiel de quelque 800 petites et moyennes bibliothèques.
Outre leur remarquable niveau d'informatisation, les CRSBP du Québec ont en effet la particularité d'avoir fondé dès 1986 un « réseau des réseaux » sous la forme du Regroupement des CRSBP. Ces CRSBP partagent tous le même logiciel de gestion (logiciel MultiLIS/TAOS) ainsi qu'un certain nombre de services communs (3) . D'une façon générale, et la stagiaire ENSSIB que j'étais à l'automne 1997 en a été assez éblouie, les CRSBP du Québec et en particulier celui de la région de la Montérégie ont atteint un degré rare de développement en matière d'organisation comme de niveau de services.
Entreprises privées à but non lucratif, financées conjointement par le ministère de la Culture et des Communications du Québec et par les cotisations contractuelles des municipalités (4) , ces structures d'aide au développement de la lecture publique ont autant emprunté au modèle français qu'au modèle anglo-saxon. Au CRSBP Montérégie en particulier, c'est une véritable culture d'entreprise au service de la lecture publique qui s'affirme avec le temps : approche client, automatisation maximale des tâches de distribution des documents, adoption de procédures standardisées, nombreux indicateurs chiffrés de fonctionnement, calculs coûts-bénéfices, plan triennal de développement, etc.
Comme dans n'importe quelle entreprise qui aurait à coeur d'assurer les conditions de sa croissance à venir, la mise en place d'un intranet à visée professionnelle au CRSBP Montérégie intervient comme la suite logique de dix années de développement soutenu en matière d'offre de services à sa clientèle. Plus qu'un simple intranet, qui doit être de toute façon développé en interne, il s'agirait davantage d'un extranet où les bibliothèques sont les clientes (ou les succursales) d'une entreprise mère chargée de la production et de l'organisation d'un nouvel environnement de communication et de travail. L'intranet/extranet du CRSBP offrira à terme une interface unifiée et ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre (5) à une large palette de services destinés à une clientèle de professionnels éloignés et peu disponibles.
Pour un tel projet, une condition sine qua non de réalisation devait être remplie : un bon niveau d'équipement des bibliothèques en ordinateurs reliés à Internet. C'est là qu'interviennent les programmes gouvernementaux d'accès à Internet communs depuis déjà plusieurs années à toute l'Amérique du Nord, et qui restent encore sans équivalents réels en Europe. Ces programmes qui ont pour objectif de contribuer au développement d'un « accès universel » aux autoroutes de l'information utilisent les bibliothèques municipales comme points d'accès publics. Les bibliothèques, et en particulier les plus petites, ont ainsi fait l'objet de financements gouvernementaux massifs et sont bientôt près d'être toutes raccordées à Internet (6) .
Il est important de souligner que ces programmes sont en fait beaucoup plus qu'une aide financière pour l'acquisition d'équipements : ce sont des ensembles très complets de soutien à l'introduction de ces points d'accès au sein de la communauté : achat de matériel et connexion, mais aussi support technique, aide à la formation et au maintien d'un « club internautes » de bénévoles, etc. Pour la majorité des régions administratives du Québec, ce sont les CRSBP qui ont été mandatés par le ministère de la Culture et des Communications du Québec, pour la gestion de ces programmes de soutien à Internet.
Dans le réseau du CRSBP Montérégie, au printemps 1999, 80 o/o des bibliothèques sont dotées de postes connectés à Internet, une nouvelle réalité susceptible de transformer en profondeur les conditions de travail du personnel de ces petites bibliothèques ainsi que la nature des services qu'elles pourront offrir à leur public.
Une première phase de réalisation intervient à l'automne 1997. Le catalogue informatisé, qui rassemble les ouvrages du CRSBP mais aussi ceux des collections propres des bibliothèques du réseau (7) , devient consultable via Internet. À cet effet, on fait l'acquisition d'un nouveau serveur Windows NT sur lequel sont également installées les pages du site Web du CRSBP et ses bibliothèques affiliées. Une étude préalable est commandée à la société DRA Information de Montréal, propriétaire du logiciel MultiUS/TAOS, et qui s'est récemment diversifiée dans la prestation de services réseaux en devenant partenaire de la société Microsoft. Je réalise moi-même de septembre à novembre 1997 un premier document d'aide à la définition des objectifs et services supportés par cet intranet dans le cadre d'un stage d'étude ENSSIB (8) .
À l'heure actuelle, le projet est en voie de réalisation. L'infrastructure informatique et de télécommunications est en place. Certains modules tels le prêt entre bibliothèques affiliées, l'accès aux banques de données de catalogage coopératif, le manuel de gestion des opérations, la gestion du réseau de bibliothèques affiliées et le courrier électronique sont en place.
On l'a dit : la mise en oeuvre de cet intranet sous l'impulsion de M. Richard Boivin, qui a su s'entourer d'une équipe forte et dynamique, a obéi avant tout à des objectifs de management interne. C'est l'occasion de repenser des processus opérationnels pour redonner un nouveau souffle au service, d'accroître encore l'usage de l'outil informatique comme environnement naturel commun de toutes les activités des membres du personnel, de réaliser des économies de temps de travail non négligeables permettant de renforcer certains services essentiels (9) .
C'est aussi une source potentielle d'augmentation de la productivité par « impartition des ressources », Le. la réalisation de certaines activités en tout ou en partie avec d'autres, soit pour en réduire les coûts, soit pour réaliser quelque chose qui ne pourrait voir le jour sans la collaboration de partenaires, un mode de fonctionnement déjà largement pratiqué dans le cadre du Regroupement des CRSBP du Québec. Étendu à tous les CRSBP du Québec, l'intra net-extra net doit offrir de nouvelles perspectives aux partenariats existants en matière de services techniques centralisés, outils de communication et de promotion de la lecture, programmes de formation conjoints, etc.
C'est par ailleurs un moyen non négligeable de renforcement de l'image du CRSBP auprès des élus et responsables municipaux, comme d'affirmation - monnayable - de son expertise en matière de technologie informatique.
Enfin, un objectif important du projet d'intranet dans son extension aux bibliothèques affiliées du réseau est de permettre de créer ou de renouveler l'investissement et l'intérêt du personnel en charge (bénévoles ou permanents) pour Internet et les nouvelles technologies. Quel meilleur moyen en effet pour s'attaquer à l'épineux et crucial problème de la formation des responsables de ces petites bibliothèques que de leur permettre d'utiliser ces technologies dans leurs tâches professionnelles quotidiennes tout en préparant le terrain à des objectifs à plus long terme, comme la formation à distance ?
Lorsqu'on les passe en revue, rares sont les services du CRSBP qui ne bénéficient pas à un degré ou à un autre de ce nouveau médium (10) . Certains de ces services sont passifs (consultations de catalogues de services et autres documents professionnels...) ; d'autres, plus interactifs, mettent à contribution l'utilisateur (formulaires de commande, d'inscription, de saisie de statistiques, mais aussi communications avec le support technique, échanges entre collègues).
L'apport de l'intranet a un impact direct sur le service au public des bibliothèques, particulièrement en ce qui concerne l'efficacité de la fourniture en documents. Offert au sein des quatre-vingts bibliothèques affiliées du CRSBP Montérégie, ce service fonctionne selon deux modes principaux : la circulation régulière et très automatisée de larges volumes de documents appartenant au CRSBP qui arrivent en complément de la collection achetée localement (module Échange de collections) ; et le prêt entre bibliothèques du réseau de documents appartenant soit au CRSBP, soit à l'une des bibliothèques, sur demande d'un usager. Ce service, appelé Prêt Inter-Biblio (11) , fait l'objet de demandes en forte croissance de la part des usagers.
L'intranet va permettre de réduire considérablement les délais de livraison du document - d'au mieux deux semaines et demie en 1997 - en permettant l'envoi direct de la demande dans la boîte aux lettres électronique de la bibliothèque concernée, qui informera par le même moyen la bibliothèque demandeuse de la possibilité ou non de prêter le document. Il ne s'agit pourtant pas d'échanges directs entre bibliothèques : chaque demande et chaque réponse se font bien au travers d'un formulaire propre à l'intranet qui alimente une base de données gérée par le logiciel MultiUS/TAOS. Le CRSBP continuera par là même à garantir - en comptabilisant les requêtes et en permettant leur relance en cas d'échec - l'équilibre et l'efficacité des flux de prêts entre bibliothèques. Si les échanges entre partenaires du réseau gagnent en souplesse, le CRSBP continue malgré tout à jouer son rôle de centre nerveux régulateur par le fait même qu'il produit et réglemente l'environnement commun d'échange et de communication.
Je ne résiste pas, pour conclure, à soumettre au lecteur un développement plus hypothétique d'une telle architecture réseau en lecture publique : ne peut-on penser en effet que l'intranet-extranet puisse servir, dans son prolongement à l'usager lui-même, d'intermédiaire à des bases de données payantes (12) et autres documents électroniques à forte valeur ajoutée ? Renouvelant l'idée de partage des coûts à l'origine des réseaux de lecture publique (13) , le CRSBP pourrait devenir l'interlocuteur unique d'un organisme producteur, son infrastructure lui permettant d'effectuer un certain contrôle quant à l'accès à ces documents numériques tout en pouvant assurer une forme de support technique à leur usage : l'intranet - ou toute autre structure technique équivalente - comme unique moyen de faire perdurer au XXIesiècle notre idée actuelle de la lecture publique, Le. la garantie d'un accès pour tous, quels que soient ses revenus et son lieu d'habitation, à l'ensemble des supports de culture et d'information.
On le voit, l'expérience du CRSBP Montérégie est un cas plein d'enseignements car il montre la voie d'un mode possible de gestion du passage très délicat qu'abordent ou qu'aborderont bientôt nos bibliothèques publiques et en particulier les plus petites.
Dans un contexte de concurrence renouvelée où éditeurs et libraires cherchent à occuper le créneau habituel des bibliothécaires, à l'heure où les publics changent, où les contraintes en matière budgétaire restent égales - dans le meilleur des cas - et où de nouvelles bibliothèques électroniques se constituent, un vrai problème de survie à long terme de ces établissements se pose en effet. Le développement de bibliothèques publiques sur tout le territoire et la sauvegarde à travers leurs activités des idéaux de la lecture publique vont dépendre plus que jamais de ces deux facteurs principaux traditionnels qui semblent avoir tout simplement changé de forme :
Il est clair qu'une architecture intranet du type de celle expérimentée aujourd'hui par le CRSBP Montérégie renouvelle les conditions de fonctionnement d'un réseau coopératif et contribue à maintenir la compétitivité des petites bibliothèques en matière de fourniture à leur public de livres, d'informations et d'animations, tout en permettant le déploiement à long terme d'une stratégie de formation continue des professionnels. Il sera intéressant de suivre attentivement l'évolution de ce projet novateur qui commence déjà à donner des fruits.
Remerciements à Jacqueline Labelle du CRSBP Montérégie pour l'information fournie.