Cet article a pour objet de retracer les différentes étapes de la mise en place d'une politique d'acquisition dans les médiathèques du SAN de Saint-Quentin-en-Yvelines entre fin 1997 et 2000.
Le réseau des médiathèques du SAN a intégré début 1998 les dernières bibliothèques municipales encore gérées directement par les communes, unifiant ainsi en un service intercommunal les sept équipements de lecture publique existants. Certains services avaient été construits et gérés par le syndicat d'agglomération nouvelle depuis leur origine : la média-thèque des Sept-Mares, la média-thèque du Canal (5 000 m2) et le bibliobus. Les autres avaient eu une « histoire municipale propre comme médiathèques des communes de Trappes, avec une annexe, de Voisins-le-Bretonneux, de Magny-les-Hameaux.
Par ailleurs, les derniers projets d'équipements structurants ont été connus à cette époque, avec la perspective de construire encore une médiathèque moyenne (1 500 m2) sur le territoire de la commune de Guyancourt et un petit établissement sur le territoire de la dernière commune dépourvue d'équipement (La Verrière). Le réseau destiné à desservir les 140 000 habitants de la ville nouvelle prenait sa configuration définitive.
Sa nature intercommunale et surtout la géographie de la collectivité, avec des distances entre équipements qui peuvent dépasser 10 km et comporter des coupures urbaines difficiles à franchir, la physionomie même des équipements, avec des équipements de second niveau sensiblement plus importants (entre 1 000 et 2 000 m2) que des annexes municipales habituelles, limitent forcément les comparaisons avec un réseau urbain classique, composé d'une centrale de grande taille dotée de missions spécifiques (étude et recherche, patrimoine) et d'annexes vouées à la desserte de proximité et présentant souvent une offre de services plus réduite. Les éléments d'étude des déplacements des usagers montrent une réalité complexe, avec plusieurs pôles : certains sites ont sur le public d'autres sites une attraction supérieure à celle de la « centrale ». Le système informatique unique (Geac, puis Opsys à partir de 2000), des règles de prêt communes, l'accès indifférent de l'usager à tous les équipements fondent l'unité fonctionnelle du réseau.
L'achèvement du réseau intercommunal, la montée nationale des préoccupations concernant les acquisitions, tel était le contexte de notre entreprise de définition d'une politique d'acquisition. Celle-ci devait a priori compter quatre moments :
Dans un réseau où l'équipe de direction est constituée par les responsables d'équipement, et non par un état-major siégeant dans la médiathèque centrale, il était naturel que la responsabilité transversale sur les collections, au même titre que la communication interne, le développement informatique et les questions de rapports avec le public, soit confiée à l'un des responsables d'équipement, en l'occurrence celui de la médiathèque des Sept-Mares. La mission transversale en question n'a pas de contenu hiérarchique : elle correspond à un rôle de proposition (consistant notamment à rédiger, d'étape en étape, les documents de travail aboutissant aux textes définitifs), d'animation de la réflexion, d'assistance méthodologique et de synthèse. Mais c'est bien au comité de direction du réseau, et, pour leur part, aux équipements et services, que revient le soin de produire les projets « collections » au sein des projets de service et de les mettre en oeuvre.
Ce document général était avant tout destiné aux élus. On peut le regarder comme une tentative pour obtenir localement les définitions et les garanties qui font défaut au niveau national, et procurer aux décideurs politiques une meilleure visibilité sur les fonctionnements internes. Il s'agit d'un document minimum qui tente de s'ancrer dans le dispositif de textes existant. Ses points principaux sont les suivants :
L'intérêt de ces indicateurs d'ensemble est du reste très limité : le taux de renouvellement moyen du réseau est un monstrueux agrégat de plusieurs dizaines de supports qui recouvre, pour des segments vraiment pertinents de conduite de la collection, des écarts de 0,5 à plus de 15... D'une manière générale, l'absence de valeurs de référence pour les principaux indicateurs fut un problème tout au long de l'entreprise : les moyennes nationales sont la résultante de données hétérogènes et ne définissent pas de niveaux de services, les recommandations déjà anciennes figurant dans les documents de la Direction du livre peuvent tout au plus être appliquées aux imprimés, etc. (3)
Il n'y a pas grand-chose à redire à ce texte, mais on peut s'interroger sur son utilité véritable, au moins tant qu'il n'a pas servi à régler un conflit. Je doute pour ma part que les responsables politiques qui l'ont adopté, ou leurs successeurs, le recouvrent du même sens que les bibliothécaires, et ne peux que remarquer que son adoption s'est faite finalement par procédure administrative, sans débat devant le délibératif et devant la commission Culture, ce qui lui ôte sans aucun doute une partie de sa portée.
C'est avec ce document que la politique de gestion de la collection, terme que nous préférons à celui de politique d'acquisition car il s'étend à la gestion des éliminations et aux retraits du libre accès, « commande » de la direction du réseau, a rencontré les acquéreurs, a priori peu demandeurs, et parfois porteurs de craintes diffuses devant ce qui pouvait apparaître comme une perspective de centralisation, de dépossession ou tout simplement de changement, même s'il était clair pour ses auteurs que l'entreprise ne changerait les pratiques qu'à la marge et consisterait surtout en une codification de l'existant et en une amélioration des moyens d'autocontrôle.
Au-delà des améliorations mineures qui pouvaient légitimement être attendues d'un moment de « mise à plat ", de réflexion collective, existaient pourtant une ambition de réforme sur certains points particuliers, et, pour tous les responsables d'équipement, un double besoin partagé : celui d'une visibilité accrue sur une dimension de l'activité des équipes depuis longtemps déléguée aux responsables de services composantes des équipements et aux agents de catégorie B ; et celui d'une prise en charge, dans l'organisation existante, d'une gamme de supports étendue (cédéroms, vidéos dans certains équipements), étant entendu que tous les centres d'acquisition avaient vocation à devenir multisupports, et qu'il ne serait plus créé de services composantes sur une logique de supports.
Trois de ces préoccupations locales peuvent être citées ici. À la médiathèque du Canal, où les acquisitions reposaient sur la délégation d'un domaine d'acquisition (une classe Dewey ou Discothèque de France) à une personne, les conditions d'un fonctionnement collectif n'étaient pas remplies, et on pouvait relever les inconvénients d'un cloisonnement excessif : perte de connaissance du fonds dans les autres domaines, et aussi, bien que les outils de diagnostic manquent, multiplication des lacunes par rapport aux sites ayant un fonctionnement collectif, mais pas forcément dérive de spécialisation, comme on pouvait s'y attendre...
À la médiathèque des Sept-Mares, pour les imprimés, une très ancienne symbiose avec le libraire voisin conduisait à une domination du choix sur office et de l'achat hebdomadaire sur place, qui ne faisait pas assez porter l'effort de sélection sur un balayage systématique de la totalité de la production, mais reposait sur le choix forcément limité du fournisseur principal. La responsable du projet de nouvelle médiathèque avait pour sa part besoin de capitaliser l'expérience des autres sites, de situer la mission et la place du nouvel équipement dans l'ensemble du réseau, et de réviser les collections du petit équipement préexistant : il se situait donc d'emblée dans un environnement complexe.
Enfin, une dimension « supralocale " devait être insufflée à des services pour lesquels celle-ci n'est pas spontanée (un réseau de plus de 120 personnes sans mobilité courante a quelque chose d'abstrait), ne serait-ce que parce que le début du prêt entre bibliothèques donnait un intérêt nouveau à des complémentarités raisonnées entre les sites. Le protocole fut étudié lors des réunions courantes des services, puis mis au point au cours de réunions associant l'ensemble des responsables de service (c'est-à-dire la vingtaine de conservateurs et de bibliothécaires) et les personnels de catégorie B assimilés aux précédents par leurs fonctions, l'ensemble de la procédure prenant un peu plus d'un an...
Il est frappant de constater à quel point cette discussion fut beaucoup consacrée à rassurer, à expliquer, à défendre certains particularismes « sectoriels » ou locaux, et peu aux orientations d'ensemble, à l'échelle du réseau, soit que cette préoccupation soit peu intégrée au niveau opérationnel, soit que les principes généraux définis dans le protocole n'aient finalement pas souffert d'objections.
Étant donné la géographie particulière de la collectivité et l'architecture du réseau, le premier principe du protocole est négatif : les équipements restent tous généralistes, aucun site n'est spécialisé. Néanmoins, en plus des fonds spécialisés préexistants de la médiathèque du Canal, certains fonds quantitativement mineurs ont été délégués à certains établissements qui, pour ces fonds, exercent un rôle d'intérêt général. Les fonds délégués sont des fonds dont la situation antérieure était insatisfaisante, c'est-à-dire qu'il y avait une difficulté réelle à les entretenir localement et que leur utilisation locale était très faible : il s'agit des fonds de langues étrangères et d'un fonds de poésie contemporaine.
Tous ces fonds n'engagent que des budgets d'un faible montant, en général moins de 10 000 F par an, et tous les équipements en gèrent au moins un. Nous sommes partis du principe qu'un réseau offrant près de 400 000 documents devait posséder des fonds de langues étrangères, mais que chaque équipement ne pouvait, faute de moyens et de compétences, entretenir véritablement des fonds dans plusieurs langues, et de fait ceux-ci étaient peu renouvelés, peu visibles et peu empruntés.
Nous avons postulé que le public susceptible d'utiliser ces fonds avait une motivation supérieure à la moyenne, correspondant par exemple à la fréquentation de librairies spécialisées, et qu'il pourrait s'accommoder de déplacements, de l'usage du catalogue ou du recours au prêt-inter si l'offre était attractive. Nous avons donc maintenu des acquisitions en langue anglaise dans tous les sites, et attribué à chaque site une langue pour laquelle il concentrera les fonds existants et sera à l'avenir le seul à faire des acquisitions : les langues retenues dans un premier temps ont été l'espagnol, l'italien, l'arabe, le portugais, l'allemand et les langues slaves, un des sites ayant une mission de recours pour la langue anglaise, recevant les documents retirés du libre accès et achetant sur le critère principal de l'absence dans le réseau.
La localisation des délégations n'a pas été dictée par des raisons évidentes, les données sur l'environnement étant réduites et finalement peu pertinentes pour une collection par définition « extraterritoriale Précisons que ces délégations ne portent que sur les livres en langues étrangères destinés aux adultes : les fonds jeunesse restent polyglottes, ainsi que les collections de la classe 400 (dictionnaires, méthodes de langues).
La délégation d'un fonds de poésie contemporaine correspond aux mêmes préoccupations et au projet, associé à celui de la dernière médiathèque moyenne, d'une maison de poésie ».
Certains équipements, enfin, développent des fonds spécialisés soit par leur destination à un public restreint (par exemple le secteur associatif), soit par les conditions d'accès (accès limité, consultation sur place). Ces centres de ressources ont néanmoins une vocation de proximité et un cadre qui n'est pas l'ensemble de la collectivité (politique de la ville d'une commune ou besoin local) : il n'en sera plus question, mais indiquons que leur suivi et leur évaluation sont nécessairement distincts de la gestion des fonds courants.
L'absence de spécialisation thématique des équipements ne signifie bien entendu pas que les acquisitions de l'équipement de 120 m2 ont les mêmes objectifs que celles de la médiathèque du Canal. Celleci abrite, en dehors des fonds courants en libre accès pour le prêt, auxquels leur volume suffit à donner une fonction de recours, des fonds/services spécialisés : info-thèque et surtout médiadoc (emploi et entreprise, fonds en communication sur place), qui ont une fonction pour l'ensemble du réseau. Le protocole n'est pas allé pour le moment jusqu'à une carte documentaire qui aurait précisé la répartition des supports, puisqu'à l'heure actuelle tous les équipements n'alignent pas le spectre complet imprimé-vidéo-musique-cédérom et que tous ne peuvent y prétendre.
Les projets d'implantation d'un service nouveau dans un équipement demeurent le fait de cet équipement lui-même, avec validation ou non par la direction du réseau. Rétrospectivement, cette limitation semble s'expliquer par l'incertitude qui prévalait alors sur l'avenir à court terme de la vidéo et du DVD, et par le découplage entre la politique de gestion de la collection et les procédures budgétaires, annuelles et d'une logique purement comptable...
L'absence de perspectives budgétaires pluriannuelles, au moins sur trois ans, est un frein sérieux au développement d'une gestion raisonnée des collections, de même que l'indistinction chronique entre les moyens consacrés au renouvellement des fonds courants et les moyens à consacrer à des constitutions initiales de collection pour des services nouveaux dans des équipements existants. Ces dernières questions sont encore aujourd'hui à l'étude.
Le second grand principe de gestion de la collection, après la vocation généraliste et multimédia des équipements, est celui d'une participation aux acquisitions des agents de tous statuts, les acquisitions étant effectuées au plus près par les agents chargés aussi du service public : donc, pas d'acquéreurs spécialisés, pas de service d'acquisition et/ou de traitement du document centralisé. Chaque unité de service public est un centre d'acquisition autonome que la politique générale d'acquisition « cadre » de façon générale.
L'intervention de tous les personnels de tous grades et statuts au niveau de la suggestion figure comme un principe dans ce document, au titre d'un travail régulier et organisé, au moins par la répartition du dépouillement des sources d'information sur la production. La validation des suggestions est naturellement plus restreinte. Les procédures d'acquisition existantes étant naturellement très diverses, il a été posé simplement un cadre général auquel elles devaient satisfaire : distinguer trois états (suggestion, décision, commande), publier les sources d'information, définir un système de validation des suggestions (délégation à un binôme, réunion d'acquisition, etc.).
Le détail de ces procédures était lui aussi très variable selon les services. Pour un service donné, selon les supports, il faisait appel à des fichiers manuels, à des adaptations de logiciels bureautiques, à des émargements de revues ou de catalogues, à des paniers » Electre, la saisie des données bibliographiques étant, selon les cas, intégrée à un moment ou à un autre du circuit des acquisitions ou reportée en première étape du circuit du document, commande faite. Le module d'acquisition du système Geac n'ayant jamais été utilisé et la réinformatisation intervenant (avec Opsys) en 2000, nous n'avons pas cherché à normaliser les procédures locales avant l'entrée en service d'Opsys au-delà des modifications visant à satisfaire aux conditions générales énoncées plus haut. La mise par écrit des circuits d'acquisition, depuis la suggestion jusqu'à la commande, a inévitablement posé la question de l'évolution des sources d'information.
Il apparut que les offices du libraire n'étaient en général pas définis, et pas redéfinis annuellement, et qu'il s'agissait bien plus de l'office du libraire que d'un service défini par le client, ce qui marqua pour les services concernés, en premier lieu les services jeunesse, le début d'une réflexion sur le rôle de l'office, dont l'objet n'est certes pas de permettre de voir avant achat la quasi-totalité d'une production largement recensée dans les périodiques professionnels... Le travail sur la politique d'acquisition conduisit à plusieurs reprises à un partage d'expertises sur les fournisseurs actuels (mise au point d'une liste de fournisseurs vidéo plus large, document exhaustif sur les éditeurs de gros caractères), naturellement le plus souvent dans le sens d'un transfert de la médiathèque du Canal, qui a toujours les fournisseurs les plus nombreux, vers les autres équipes.
À ce stade, les sources en ligne ne pouvaient qu'être évoquées comme sources, les marchés triennaux en cours d'exécution, dont les CCTP avaient été rédigés avant le lancement de la politique de gestion des collections, n'ayant pas prévu le recours à des fournisseurs de ce type. Mais il est bien sûr que l'effort fait sur les acquisitions va alimenter la rédaction des prochains appels d'offres : pour les livres uniquement, la répartition en lots devrait être modifiée, et passer de deux lots principaux à quatre ou cinq, chacun correspondant à au moins une prestation de service définie en fonction des procédures d'acquisition des services. On peut constater sur ce point que tous n'utilisent pas toutes les procédures (achat sur place, office, commandes, achat de nouveautés équipées, etc.), mais qu'aucun service n'est utilisé par un seul équipement ou même service, sauf la régie d'avance.
En conséquence de la non-spécialisation des équipements, les premières indications d'achat concernent la politique d'exemplaire : en dehors des services jeunesse, aucun site ne peut multiplier les exemplaires d'un même titre. La notion d'exemplaire a également été mise au premier rang des critères de diagnostic pour le retrait du libre accès et l'orientation ultérieure du document (mise au rebut après décision de retrait du libre accès jusqu'au dernier exemplaire subsistant dans le réseau, qui sera, lui, mis en magasin, systématiquement pour les oeuvres de fiction, sous condition pour les documentaires). Pour la même raison, les rachats de remplacement sont à faire avec réserve, la réduction des multiples participant de la vie normale des collections.
Au-delà, les indications d'achat s'inscrivent dans une logique floue à à deux niveaux : il est normal que des documents correspondant à un usage fréquent, régulier, récurrent, ou à une forte demande, soient achetés en exemplaires multiples dans les différentes bibliothèques (premier niveau d'acquisition). En revanche, pour les documents spécialisés, coûteux, d'usage peu fréquent (4) (deuxième niveau d'acquisition), la présence dans un autre site est une indication de non-achat, et l'absence une indication d'achat, par les plus grands établissements.
Le protocole comporte une liste non limitative des types de documents entrant dans cette catégorie. Cette logique trouverait sa pleine application dans le fait d'asseoir ces deux niveaux d'acquisition sur des éléments de sélection normalisés » (dans une grille d'analyse) : cette solution, comme on le verra, n'a pas été retenue, d'autant que, tant qu'aucun module d'acquisition n'est utilisé, les gestionnaires de la collection n'ont de vue que sur la collection des autres équipements, mais pas sur leurs fichiers aux étapes de suggestion et de commande en cours.
De la même façon, le protocole comprend des indications sur les durées de vie souhaitables des documents par classes et par types, destinées à éclairer les décisions de retrait du libre accès, mais pas de méthode Youpi faisant appel à une grille préétablie commune, estimée trop lourde, trop susceptible de ne refléter que les différences entre analystes. Chaque service est appelé à établir ponctuellement ses propres grilles, ou à utiliser les éléments statistiques nécessaires avant une opération d'envergure (statistiques sur l'activité des documents, l'âge des fonds, etc.).
Trois indicateurs ont été généralisés pour le suivi des collections : le taux de rotation, le taux de renouvellement, la comparaison systématique entre la structure de la collection, des achats, des prêts. Les petits sites sont chargés avant tout de répondre à la demande telle que l'activité des collections permet de la reconstituer, et les plus importants, sans déroger à ce respect de la demande, sont encouragés à développer des politiques d'offre sur certains segments de la collection jugés prioritaires dans les projets annuels, sur des considérations d'offre, de demande ou d'état de la collection.
L'observation de l'état des collections accumulées montrait en effet que le danger de déséquilibre entre l'offre et la demande se situait plutôt du côté d'une politique d'offre inadaptée et non dans la perspective d'une « démagogie de la demande », que la politique d'exemplaires, du reste, bornait convenablement puisqu'il n'était pas question de multiplier localement les achats des titres les plus demandés. Les classes généralement concernées par l'« hypertrophie relative » étaient, de façon très normale, la musique classique, les classes documentaires 800, 900 (histoire), et à un moindre degré les classes 000 (hors informatique), 700 (hors 790) et 900 (hors histoire), tandis que les classes 600 et surtout 500 tendaient à n'avoir pas le taux de renouvellement plus élevé correspondant à la moindre durée de validité des documents, ou que la musique de films pâtissait du dédain des mélomanes...
Prendre en compte la demande reconstituée par les indicateurs d'activité des collections, faire mieux ce que nous ne pouvons pas ne pas faire peut paraître un objectif bien modeste, mais il est très nécessaire dans la plupart des bibliothèques... Les acquéreurs de bonne foi disposent désormais d'un outil qui leur permet de n'être pas victimes de leurs intérêts propres, de leur formation antérieure ou de l'activisme de la petite minorité d'usagers qui s'exprime, et qui a des chances d'être entendue... Dans la majorité des cas, le diagnostic sur la structure des collections héritées devrait d'ailleurs conduire non seulement à des déplacements de moyens d'acquisition, mais aussi à des révisions des espaces alloués en libre accès.
Les grandes catégories de supports déclinées dans le rapport statistique annuel traditionnel manquent de pertinence pour ce suivi de la collection. À la recherche d'une meilleure segmentation des fonds, nous nous sommes heurtés à deux questions : jusqu'où affiner la segmentation des fonds documentaires et des fonds musicaux, comment segmenter les fonds de fiction ? Il fut finalement décidé de suivre l'évolution des indicateurs jusqu'à la sous-classe Dewey ou Discothèque de France pour les premiers, et de ne pas aller au-delà des distinctions existantes (romans, romans policiers, science-fiction, bandes dessinées, albums, avec éventuellement des distinction d'âge) pour la fiction.
À l'épreuve des faits, seul le plus gros équipement a des volumes suffisants pour envisager un suivi des indicateurs et des prévisions d'achat au niveau de la sous-classe : pour tous les autres, à l'exception de quelques sous-classes qu'il apparaît nécessaire d'isoler, ce raffinement est impraticable pour cause de volumes non significatifs (moins de 10 acquisitions annuelles par catégorie). La segmentation des fonds de fiction aurait pu intervenir sous la forme d'un codage par zones linguistiques/géographiques sur moins de 50 langues ou zones géographiques d'origine, plutôt que sur la base trop subjective et flottante de genres littéraires, mais nous avons renoncé à reprendre le fonds existant, soit plusieurs centaines de milliers de documents.
Néanmoins, l'équipement en projet eut la chance de pouvoir adapter la Dewey en réduisant le nombre de sous-classes utilisées, et il dispose d'un outil mieux adapté, mais il est obligé de « traduire " ses sous-classes propres pour entrer dans le cadre statistique général ! Les exigences de maîtrise statistique de la collection rencontrent donc des réflexions déjà anciennes sur la segmentation des collections au service de la mise en espace de celle-ci : trouver un système de cotation permettant de définir une unité valable, en gros un indice par tablette.
L'introduction de cette segmentation permit aussi de constater que le renouvellement de certains fonds avait atteint ici ou là un niveau dangereusement bas (moins de 2,5 % de renouvellement annuel) et de confirmer la situation de quasi-pénurie pour d'autres, quand les taux de rotation se mettent à dépasser les 8 prêts par document et par an en moyenne... La préparation du budget 2000 se fit pour la première fois en choisissant, pour chaque segment de la collection, un taux de renouvellement à déterminer, converti ensuite en nombre de volumes à acquérir, puis, par le biais d'un prix moyen segment par segment, en une enveloppe budgétaire prévisionnelle.
Les indicateurs retenus pour cette première approche ne peuvent être tous appliqués qu'aux collections courantes destinées au prêt en libre accès. Leur intérêt est plus partiel pour les fonds d'usuels et pour les fonds en magasin. Mais, pour leur conserver leur pertinence, il convient de considérer séparément ces fonds : chaque service gère donc une dizaine de catégories de documents (documentaires imprimés, fiction imprimée, BD, albums, disques, vidéos fiction et documentaires, cédéroms, livres en langues étrangères, en gros caractères, etc.), et, pour chaque catégorie, de 1 à 100 segments de collections, et ce pour chacun des fonds : fonds courants, fonds d'usuels, fonds en magasin, fonds spécialisés, soit entre 500 et 600 segments de fonds... On voit la difficulté d'introduire encore des catégories supplémentaires en appliquant ce principe à la fiction.
En dehors de leur multiplicité même, l'exploitation des indicateurs de composition et d'activité des collections se heurte au déficit de ratio de référence au-delà de quelques évidences, mais les établissements du réseau de Saint-Quentin-en-Yvelines sont assez nombreux pour que nous puissions espérer dégager des valeurs de référence au fil des exercices.
Par exemple, il apparut dès la préparation du budget 2000 que les acquéreurs étaient amenés à distinguer quatre régimes d'exploitation des fonds, par le taux de renouvellement, en considération des taux de rotation et de la durée de vie prévisible des ouvrages, et modulaient les taux de renouvellement à 2 (fonds maintenu, à rotation lente et longue durée de vie, type 200 ou 800, partitions), 5 (activité moyenne), 8 (amélioration d'un segment dans la durée, ou durée de vie courte) ou plus (10) pour les segments « en pénurie » (taux de rotation supérieur à 8).
Les retraits du libre accès doivent naturellement être intégrés dans le calcul du taux de renouvellement, comme un moyen de le moduler au même titre que le jeu sur le nombre de titres acquis. Nous avons fait nôtre le postulat de la littérature professionnelle qui attribue au taux de renouvellement un effet intrinsèque (pas de perception du renouvellement au-dessous de 7,5) en plus d'une valeur d'indicateur, même si nous sommes loin d'avoir les moyens d'atteindre partout les valeurs de référence, sans doute d'ailleurs plus faute de désherbage que faute de moyens.
Depuis fin 1999, tous les services disposent donc d'un cadre quantitatif plus précis qu'auparavant, avec, pour chaque segment (classe ou sous-classe de support/type de documents), un objectif annuel d'acquisition (et d'élimination) en volume, en budget.
On objectera évidemment que, dans un segment donné de la classe 300, par exemple, on peut procéder aux mêmes acquisitions en volume et obtenir des fonds très différents, selon que l'un n'achète que des ouvrages universitaires et l'autre que des guides grand public. Ou que, sur la base d'une répartition correcte des moyens consacrés à la fiction, ces moyens peuvent être consacrés à l'achat exclusif d'oeuvres expérimentales ou de romans populaires, de littérature anglo-saxonne ou extrême-orientale. Les principes de diversité figurant dans le protocole sensibilisent les acquéreurs de bonne foi à ces dérives... En l'occurrence, faute d'une mise en grille titre par titre, ces objections demeurent, mais il revient à chaque service de décrire plus précisément ses objectifs qualitatifs de contenu des acquisitions dans la segmentation commune utilisée...
Ici, les chiffres sont de peu de secours, sauf peut-être dans quelques cas : " quota de premiers romans, de telle ou telle littérature "rare ", de nouvelles, éventuellement sur la base de données décrivant la production éditoriale, toujours difficiles à manier en dehors de productions clairement spécialisées, qui plus est pour l'année à venir. Mais les intentions d'acquisition peuvent s'exprimer dans une typologie générique non normalisée : « vulgarisation », ouvrage pratique », « parascolaire «beau livre", «guide»... Cela ne suffira peut-être pas à mettre fin aux réponses aux usagers du style : c'est trop cher mais l'existence d'un corpus local d'orientations a aussi l'avantage de nourrir l'information donnée au public quand le besoin s'en fait sentir...
L'auteur de ces lignes estime que ce progrès de la méthode quantitative est appréciable, mais qu'il y aurait quelque vice à le pousser plus loin, et que l'intérêt de cette politique de formalisation réside au moins autant dans le questionnement mis en oeuvre : que n'achète-t-on pas, pourquoi achetons-nous ceci ici ou là, quels sont les nouveaux outils (sources d'information ou outils de gestion, comme le module d'acquisition) que nous pouvons utiliser, etc. ?
Pour cette raison, les délais relativement effrayants de l'entreprise ne sont pas négatifs, et nous n'avons pas l'impression d'avoir engendré une " usine à gaz ", pour conclure en répondant à une objection parfois exprimée à l'encontre de ce type de démarches apparues à la suite du premier livre de Bertrand Calenge. Il s'écoulera donc entre trois et quatre ans entre le début de la réflexion et le passage à un fonctionnement de croisière de la conduite de gestion des collections, quand nous disposerons d'un module d'acquisition permettant le suivi automatique de nos segments et que les prestations demandées aux fournisseurs de documents correspondront autant que possible à notre démarche de sélection.
À l'arrivée, nous aurons optimisé l'emploi de nos moyens d'acquisition, de nos capacités de présentation en libre accès et de nos stockages en magasin. Nous aurons probablement amélioré le service rendu et potentiellement notre gestion des conflits dans ce champ. Surtout, nous aurons réfléchi à tous les aspects de nos pratiques d'acquisition. Le processus a également valeur de diagnostic sur les pratiques spontanées, ou organisées sur des bases locales, qui prévalaient antérieurement. Il est assez frappant de constater d'ailleurs que le résultat des procédures antérieures a bien passé ce diagnostic.
Nulle part les collections ne présentaient de hiatus vraiment choquant entre leur composition et leur usage. Quand un hiatus existait, il s'expliquait par l'héritage de l'histoire de l'équipement dans la durée : déclin progressif des budgets d'acquisition, changements de mission et d'environnement pour des bibliothèques qui furent en leur temps des « centrales » (bibliothèque municipale ou ex-centrale des débuts de la ville nouvelle), ou par des habitudes quasi universelles dans la profession. Les acquéreurs semblaient avoir empiriquement une perception assez bonne de la demande et de ses évolutions, et avaient réagi. Il est vrai que les équipements gérés par le SAN ont toujours disposé d'un niveau de moyens budgétaires qui facilitait grandement la tâche des acquéreurs, et n'ont eu qu'exceptionnellement à faire des choix de priorité difficiles.