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La politique d'acquisition de la bibliothèque municipale de Brest

2000

    La politique d'acquisition de la bibliothèque municipale de Brest

    Méthode et fonctionnement

    Par Yannick Lucea, Directeur Bibliothèque municipale de Brest
    Par Chantal Jonneaux, Conservateur Bibliothèque municipale de Brest

    Depuis 1994, la bibliothèque municipale de Brest a progressivement repensé les modalités de sa politique d'acquisition. Cela s'est notamment traduit par:

    • la rédaction d'une charte décrivant les principes de constitution des fonds ;
    • la mise en place de plans d'achats annuels dans chacune de ses annexes.

    Ce choix maintenant ancien s'explique sans doute par la nature même du réseau de lecture publique brestois, composé de dix établissements répartis sur la ville sans véritable centrale, et par les problèmes particuliers qu'il pose. L'harmonisation des achats, la mise en cohérence des fonds sont en effet des éléments forts permettant de mieux relier entre elles les bibliothèques d'un réseau.

    La politique documentaire de la bibliothèque s'est schématiquement mise en place selon trois temps forts, représentés chacun par la rédaction d'un document. Les missions du réseau ont d'abord été rédigées. La charte des collections en a ensuite découlé pour finalement prendre la forme concrète de plans d'achats annuels utilisés par chaque annexe du réseau brestois.

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    Brest et son réseau de bibliothèques

    Les missions de la bibliothèque

    La rédaction des missions principales et objectifs prioritaires de la bibliothèque (1) est apparue comme un préalable indispensable à la définition de la politique documentaire du réseau. Cet exercice s'est avéré à la fois difficile et passionnant tant il oblige à se poser de questions sur des sujets essentiels tels que la nature de notre métier ou le sens à accorder à la notion de service public... Les missions ont été listées de manière volontairement concise. Les principales sont les suivantes :

    • Entretenir et développer la pratique de la lecture auprès des publics jeunes et adultes.
    • Garantir à tous l'accès aux nouveaux supports et aux technologies documentaires (cédéroms, internet...), apprendre aux usagers la maîtrise de ces outils.
    • Favoriser la formation initiale et permanente, la mise à jour des acquis scolaires, universitaires ou professionnels. Dans un monde changeant où les savoirs se périment vite, la bibliothèque permet à l'usager de compléter ses connaissances : elle accroît ainsi l'égalité des chances et encourage la promotion sociale.
    • Constituer, promouvoir et conserver des fonds patrimoniaux.

    Ces missions ont été discutées au sein de la bibliothèque puis validées par la tutelle administrative et politique de la ville. Elles contiennent en filigrane des choix et des priorités dont la politique documentaire de la bibliothèque a tenu compte.

    La charte des collections

    La charte des collections (2) de la bibliothèque reprend dans son introduction l'intégralité des missions énoncées précédemment. Celle-ci est directement consultable sur le site de la bibliothèque municipale de Brest, à l'adresse suivante : http ://www.mairie-brest.fr/ biblio/ les_services/reglements. htm Les missions et la charte des collections constituent le fondement de la politique documentaire de la bibliothèque. Cette charte n'a évidemment pas la prétention de servir de modèle. Une question aussi épineuse que le pluralisme des collections a, par exemple, été abordée sans que la réponse apportée paraisse parfaitement satisfaisante. La charte comporte logiquement des éléments aussi bien locaux que généraux. Les éléments locaux concernent les particularités propres du fonds de la bibliothèque municipale de Brest, et en particulier l'existence de deux pôles documentaires importants, concernant l'un la Bretagne et l'autre la mer sous tous ses aspects. Les éléments généraux sont communs aux bibliothèques de lecture publique. Citons notamment :

    • * Le respect des lois et valeurs de la République, c'est-à-dire la volonté affichée de refuser les actes de pression, de prosélytisme ou de propagande qui porteraient atteinte à la dignité du citoyen, et la volonté de privilégier la raison contre les croyances et les passions.
    • * L'information du citoyen pour un usage éclairé de la démocratie, autrement dit encourager l'analyse personnelle, l'esprit critique, l'exercice de la raison, la compréhension d'un monde complexe et polymorphe, élargir l'univers intellectuel et la culture de chacun.
    • * Une forme de résistance au politiquement correct, au prêt-à-penser, au tiède et au médiocre, en favorisant la découverte de thématiques, d'oeuvres et d'auteurs peu connus, en refusant aux modes et intérêts commerciaux la place indue que la plupart des médias leur offre.

    Il est à noter que ce texte, affiché dans toutes les annexes du réseau brestois et consultable en ligne, n'a jamais suscité la moindre remarque de la part de qui que ce soit, usager de la bibliothèque ou non.

    Les offices

    Une fois ces textes fondateurs validés, plusieurs actions ont été entreprises. La fonction transversale de responsable de la politique documentaire a été définie et attribuée à un conservateur. Un marché a été passé, permettant de prédéfinir des lots. Les lots et leurs montants sont des éléments primordiaux dans la mise en place d'une politique documentaire. En tant que choix, ils la préfigurent. Le système des achats directs en librairie a été réformé au profit d'une livraison des nouveautés par offices à la bibliothèque.

    Les offices, qui doivent représenter le plus fidèlement possible la variété de la production éditoriale, sont livrés par les titulaires du marché tous les mois. Les ouvrages sont présentés à plat sur des tables, dans une salle spécialement aménagée de la bibliothèque. Les achats s'effectuent donc, pour ce qui concerne le marché, livre en main. Le poste de responsable des offices et des relations avec les fournisseurs a été créé.

    Le service des offices, en plus de gérer la réception et le retour des nouveautés, accompagne les bibliothèques dans leurs choix : conseils, fourniture de catalogues, veille éditoriale, élaboration de listes bibliographiques thématiques pour combler les lacunes repérées sur le réseau, etc. Bien que la salle des offices soit accessible aux équipes toute la semaine, sa fréquentation est surtout importante le mardi et le jeudi matin. À cette occasion, des échanges et discussions informelles ont lieu entre les bibliothécaires à propos des livres présentés.

    Il n'a pas été jugé utile de mettre en place des réunions de coordination régulières pour deux raisons : d'une part, chaque annexe, disposant de son propre plan d'achats, sait assez précisément quels seront ses choix ; d'autre part, il est possible en salle des offices, d'un seul coup d'oeil, de savoir quelle annexe commande quel livre par un système de Post-it disposés sur les couvertures des ouvrages.

    Les plans d'achats

    Dans l'esprit de la charte ont été mis en place des plans de développement des collections appelés à Brest » plans d'achats ». L'ensemble du réseau brestois établit ses achats de livres et de vidéos à l'aide de ces outils. Les plans d'achats sont discutés section par section en début d'année et validés par le conservateur responsable de la politique documentaire, qui s'assure que les objectifs poursuivis par l'annexe sont pertinents en soi et cohérents avec la politique générale du réseau. Comme mentionné plus haut, Brest ne dispose pas pour le moment d'une véritable bibliothèque tête de réseau.

    La problématique n'est donc pas pour nous d'harmoniser les achats de la centrale et ceux du réseau, mais tout simplement de mettre en cohérence les acquisitions de dix établissements à partir d'outils et d'objectifs communs. À cet égard, nous avons souhaité développer des fonds thématiques (mer, cinéma, emploi-formation, théâtre...), véritables points forts, dans chaque annexe, pour faire jouer la complémentarité entre les bibliothèques du réseau. Cette répartition des thématiques et ce partage des compétences reposent sur une volonté, celle de considérer le fonds de la bibliothèque municipale de Brest comme un tout cohérent et non comme la coexistence de dix collections autonomes.

    Les plans d'achats s'inscrivent dans un cadre budgétaire prédé-fini. La bibliothèque municipale de Brest consacre 40 % de son budget livres aux ouvrages pour la jeunesse et 60 % aux ouvrages pour adultes afin d'obtenir au final l'équilibre des collections entre les deux secteurs, répondant ainsi à la demande importante des enfants. La répartition des crédits entre les documentaires et la fiction est pour les fonds adultes de 40 % - 60 % et pour les fonds jeunesse de 1/3 - 2/3. Les budgets d'acquisition font l'objet d'un marché.

    Ils sont découpés par lots (fictions jeunesse, documentaires jeunesse, bandes dessinées jeunesse, fictions adultes, documentaires adultes, bandes dessinées adultes), puis par annexes (dix, dont une discothèque de prêt), et enfin par sections (neuf sections jeunesse, neuf sections adultes). Pour exemple : cette année, le lot global des fictions jeunesse est de 211 000 F. Les sections jeunesse du réseau ont un budget fictions qui, selon leur taille et leurs projets, varie entre 16 270 et 39 000 F. Chaque section sait aussi en début d'année quelle sera la somme affectée à l'achat de documentaires et de fictions.

    Pour chaque bibliothèque du réseau, le plan d'achats annuel précise les objectifs quantitatifs et qualitatifs à atteindre par type de document et regroupement d'indices Dewey. La répartition quantitative s'effectue en nombre de documents, établi d'après un prix moyen lui-même calculé en référence aux achats précédents. Exemple : une section adultes doit dépenser 28 800 F en documentaires ; si le prix moyen d'un documentaire est, pour cette section, de 80 F, il en résulte qu'environ 360 seront achetés dans l'année.

    Cette méthode permet une continuité de lecture avec les statistiques annuelles de prêt et d'état du fonds ; elle nécessite cependant des vérifications régulières et d'éventuels réajustements, les moyennes ne représentant par définition qu'une estimation probable des prix fixés par les éditeurs. Le jeu consiste donc, à partir de ces éléments chiffrés, à répartir les ouvrages par catégorie : combien de romans et de documentaires à acheter. Cette procédure est déclinée pour toutes les classes et sous-classes Dewey dans lesquelles il est prévu d'acquérir des ouvrages.

    La même chose est faite pour les fictions, par genre (romans, romans policiers, science-fiction/ fantastique, contes, poésie, théâtre, bandes dessinées...). Une fois ces choix faits, ceux-ci sont fixés par écrit. La méthode suivante a été adoptée : des tableaux, suivant l'ordre des indices Dewey, dans lesquels chaque case représente un ouvrage.

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    Emploi, formation (331) - 1

    Dans cet exemple, la grille comportant dix cases indique qu'il est prévu d'acheter dix ouvrages sur le thème de l'emploi et de la formation. Par la suite, chaque case est cochée quand le livre est effectivement réceptionné.

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    Emploi, formation (331) - 2

    Ici, quatre ouvrages ont déjà été achetés et réceptionnés. À n'importe quel moment de l'année, il est possible de savoir si les objectifs fixés sont en passe d'être atteints ou non. Il convient également de fixer des objectifs qualitatifs en étant le plus précis possible sur le type d'ouvrages à acheter. Les annotations qualitatives sont capitales puisqu'elles fixent les priorités en matière de sujets à couvrir, de collections à suivre ou de niveau de lecture à respecter. Plus l'outil est précis, plus il est performant.

    On peut ainsi arriver au résultat suivant : Emploi, formation (331) Métiers des sciences et techniques

    Les 35 heures : application CV et méthodes de recrutement Annales pour bac pro et bac techno

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    Rubriques divers

    Des rubriques « divers peuvent être créées pour faire face aux achats initialement non prévus. Les plans d'achats prennent en compte l'évaluation qualitative des collections et les décisions de désherbage qui en découlent. Ils s'élaborent aussi à partir d'une comparaison entre les prévisions et les résultats obtenus l'année précédente afin de déceler, s'il y a lieu, les causes de décalage : sujet mal couvert par l'édition ? prix moyen mal ajusté ? dérapage ?...

    Ces données sont ensuite mises en relation avec les résultats statistiques annuels (étude des taux de rotation et de la répartition des fonds). En outre, pour l'année 1999, une étude comparative des résultats entre bibliothèques du réseau a été amorcée. Cette approche est fructueuse, car elle offre la possibilité de repères extérieurs et permettra à chaque bibliothèque de mieux expliciter et analyser ses spécificités afin d'en vérifier le bien-fondé.

    Ce travail critique préalable est fondamental, mais il est ensuite nuancé par un certain pragmatisme lié à la réalité commerciale : on peut souhaiter développer le secteur pays de l'Est (géographie physique et humaine, voyages, données économiques, etc.) ; il n'en reste pas moins que l'édition française propose peu d'ouvrages récents dans ce domaine ! Cette remarque prouve, si nécessaire, que le travail d'élaboration des plans d'achats ne peut se suffire à lui-même.

    Si la formalisation des plans d'achats comme de l'ensemble de la politique documentaire peut paraître une démarche contraignante et exigeante, cet outil offre en retour l'avantage tout à la fois d'une vision d'ensemble et d'une approche détaillée de l'évolution des collections (notamment de leur taux de renouvellement), et de leur interaction avec les différents publics. Il nourrit ainsi la réflexion et le débat, donne à la bibliothèque la possibilité de mûrir ses choix, par exemple sur des questions sensibles comme l'explosion des prêts de bandes dessinées ou de policiers. C'est enfin un outil majeur dans le dialogue entre la bibliothèque et sa tutelle.

    1. Des textes fondateurs peuvent être consultés en ligne, notamment la charte des bibliothèques publiée par le Conseil supérieur des bibliothèques, à l'adresse suivante : http://www.enssib.fr/csb. et le Manifeste de l'Unesco pour les bibliothèques publiques, reproduit par l'ADBDP sur son site : http ://www. adbdp. asso. fr/outils/droit/manifeste. htm retour au texte

    2. Des exemples de chartes sont, entre autres, consultables sur le site Poldoc animé par Bertrand Calenge : http ://www. enssib. fr/autres-sites/poldoc retour au texte