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Les politiques documentaires en BDP à la recherche d'une légitimité

2000

    Les politiques documentaires en BDP à la recherche d'une légitimité

    Par Bruno Dartiguenave, Directeur Bibliothèquedépartementale de Maine-et-Loire

    Les politiques documentaires sont au coeur du dispositif d'intervention des bibliothèques publiques pour développer la lecture. Paradoxalement, elles n'ont pas donné lieu, jusqu'à une période récente, à de véritables évaluations sur leur pertinence au regard de la demande sociale ».

    Aujourd'hui, la réflexion sur les politiques documentaires devient un sujet de préoccupation en raison d'une double évolution :

    • la remise en cause par certains élus et groupes d'usagers du professionnalisme des bibliothécaires comme garantie du pluralisme des collections ;
    • l'étude engagée par les professionnels eux-mêmes sur l'adaptation de leur service à la diversification des publics et des usages.

    Ce dernier questionnement s'inscrit dans une réflexion plus large menée, notamment par les collectivités territoriales, sur l'évolution du service public face aux mutations technologiques, économiques et sociales du monde contemporain. La culture est en effet de nos jours étroitement liée, du moins sur le plan des représentations, au développement économique et social. Comme toute prestation publique, l'offre culturelle doit donc être motivée par la recherche de l'intérêt général, qui doit prévaloir sur les intérêts particuliers.

    Choisir le service public, c'est se mettre au service du public. Dans cette perspective, la maîtrise d'une politique documentaire prend une autre dimension : elle n'est plus la simple application de recettes bibliothéconomiques éprouvées, elle est l'un des fondements d'une stratégie de légitimation d'un équipement de lecture au sein d'une collectivité territoriale soucieuse de promouvoir une image moderne et performante de son activité.

    Mais cette démarche d'introspection n'est pas aisée, tant la définition d'une politique documentaire suscite des controverses passionnées. Orienter une politique documentaire, c'est en effet affirmer son rôle de professionnel et susciter plus profondément un questionnement sur le sens et le rôle de la culture.

    Une politique documentaire encore peu formalisée

    À l'occasion de ses journées d'étude de 1999, l'ADBDP a lancé une enquête sur les pratiques d'acquisition en BDP sous la forme d'un questionnaire quantitatif et qualitatif détaillé. Si une majorité de BDP a répondu, jugeant le thème important (65 BDP sur 96 ont renseigné l'enquête, soit un taux de 67 % de réponses), il ressort cependant de cette étude que 4 BDP seulement ont formalisé leur politique dans un texte écrit comprenant la mise en place d'objectifs à réaliser, de moyens à déterminer et de résultats à évaluer.

    Cette quasi-absence de formalisation de la politique documentaire en BDP est corroborée par plusieurs constatations.

    L'opacité de l'offre documentaire

    Les grandes caractéristiques de l'offre documentaire en BDP ne sont pas bien connues. Ce constat ne s'explique pas uniquement par les imperfections inévitables d'un questionnaire dû à des bibliothécaires plus ou moins férus de méthodologie, ni par les limites intrinsèques de ce type d'investigation. De même, notons que plusieurs questionnaires soulignent la difficulté de recueillir des données statistiques avec des logiciels de bibliothèque encore trop imprécis.

    Le récolement des données comporte en effet de nombreuses lacunes : 47 BDP sur 65 connaissent le nombre de volumes adultes et jeunesse qui constituent leurs collections ; et 44 BDP sur 65 indiquent le nombre d'exemplaires adultes et jeunesse achetés annuellement. La connaissance du fonds documentaire est encore moins précise dès qu'il s'agit de comptabiliser les ouvrages par type de documents. Par exemple, 25 BDP seulement peuvent recenser le nombre de romans adultes achetés dans l'année. Plusieurs BDP ont ainsi déploré « une absence de gestion globale des fonds ».

    Une organisation du travail non harmonisée

    Sur 65 BDP, 56 organisent leurs acquisitions en équipe. Mais le choix des acquisitions est confié à une ou à plusieurs catégories d'agents, parfois indépendamment des dispositions statutaires. Les documents sont achetés de manière parfois exclusive, mais plus souvent complémentaire par les catégories d'agents suivantes : des conservateurs dans 30 BDP, des bibliothécaires dans 41 BDP, des assistants qualifiés dans 61 BDP, des assistants dans 56 BDP, des agents du patrimoine dans 11 BDP.

    De la même manière, 30 BDP organisent des réunions régulières pour coordonner leurs acquisitions, tandis que 33 pratiquent plutôt la « concertation permanente ». Enfin, les conservateurs ont un domaine réservé d'acquisitions dans 18 BDP.

    Une prise en compte inégale des besoins

    La grande majorité des BDP (62 sur 65 recensées) assure un service de réservations et gère en partie son budget d'acquisition en fonction des demandes d'ouvrages, mais sans nécessairement prévoir un budget spécifique et un montant déterminé (9 BDP donnent un pourcentage par rapport au budget annuel avec une moyenne de 10 %). Seules 11 BDP calculent le pourcentage d'achats sur demandes par rapport à leurs acquisitions annuelles, mais cette proportion varie de 6 à 54 % !

    De la même manière, si 16 BDP répondent à toutes les demandes des lecteurs (sauf ouvrages trop spécialisés ou universitaires), 32 s'y refusent notamment sur « des titres trop sujets à polémique, les apologies du racisme et de la violence », des ouvrages jugés « nuls », « l'ésotérisme bas de gamme ", les livres édités dans des « collections de mauvaise qualité », trop médiatisés, sujets aux modes et peu enclins à perdurer ou qualifiés d'« inintéressants », avec une méfiance particulière envers les produits commerciaux ". Le niveau et la qualité littéraires sont fréquemment avancés pour écarter, par exemple, les ouvrages « événementiels » afin de porter l'attention sur des documents dont on parle peu.

    Une évaluation encore empirique

    Sur 62 BDP recensées, 18 utilisent les statistiques annuelles pour infléchir les politiques d'acquisition. Les statistiques constituent alors un outil d'analyse et d'identification des besoins par un repérage des déséquilibres existant entre les différentes disciplines des classes Dewey. Elles permettent une pondération dans certains domaines, un dégagement de priorités, un effort sur les collections à développer.

    À l'inverse, plusieurs BDP manifestent leur inquiétude par rapport à un alignement de la politique d'acquisition sur les statistiques de prêts, les achats documentaires devant rester le fruit des analyses et des suggestions des bibliothécaires.

    En fait, la majorité des BDP souhaite évaluer les collections pour mieux constituer un fonds encyclopédique (la réponse à la demande des lecteurs ne vient qu'en deuxième position dans l'ordre des priorités d'évaluation). Il semble donc que « pluralisme et encyclopédisme » forment l'arrière-plan permanent d'une volonté « d'équilibre et d'adéquation des fonds au public ".

    La cohérence des collections en question

    Il faut pourtant noter que cette référence au pluralisme et à l'encyclopédisme ne semble pas totalement opératoire aux yeux des bibliothécaires pour mener un accroissement raisonné des fonds. En effet, 27 BDP manifestent leur volonté de corriger des pratiques jugées empiriques. D'aucuns déplorent une politique d'acquisition trop intuitive : « intuitif, implicite, pas de méthode, pas de réflexion, manque de cohérence, manque de concertation, dans l'urgence, au « feeling »... » ou encore « pas de définition de niveaux d'acquisition, manque d'une politique écrite ou formellement validée, pas de définition de critères ni d'orientations formalisées ».

    Certains déplorent le " manque de lisibilité » des collections et conviennent de l'existence d'un « déséquilibre des fonds » avec des domaines négligés comme la science fiction adulte, la poésie, le théâtre », « aucun spécialiste dans le personnel pour le domaine scientifique », « un manque de relief ou en évidence des achats inutiles >,, « un manque de mise à jour et de rattrapage ». On constate également l'existence de « territoires professionnels » qui sont un frein à la transparence et un risque de personnalisation ».

    L'ébauche d'une politique d'acquisition concertée

    Sur 63 BDP recensées, 12 ont une politique d'acquisition concertée avec leur réseau ; elle peut se résumer à des échanges ou à des comités de lecture avec les responsables des bibliothèques communales. De manière plus formalisée, elle peut déboucher sur des projets de conventionnement avec des BM ou des réseaux intercommunaux ou aboutir à un service documentaire à la carte.

    Mais, bien souvent, le « manque d'appréciation sur les fonds existants ou acquis par les bibliothèques du réseau » génère « l'impossibilité de compléter ou de faire des acquisitions partagées ». De la même manière, les besoins des lecteurs du réseau des bibliothèques communales sont difficilement repérables en BDP.

    Conscients de ne pouvoir approcher le lectorat qu'à travers le filtre du bénévolat, certaines BDP préconisent ainsi de se démarquer fortement des politiques d'acquisition des bibliothèques recevant des lecteurs. « Nous devons connaître de manière approfondie nos correspondants bibliothécaires du réseau et leurs pratiques vis-à-vis de leurs lecteurs pour acheter à bon escient... Il faut les encourager à acheter par eux-mêmes le tout-venant » et leur prêter ce qui est plus cher ou plus difficile à bien sélectionner. »

    Le souci d'organiser une politique plus cohérente avec son réseau s'exprime ici clairement, ainsi que la volonté des bibliothécaires de conserver un rôle de prescripteurs culturels. La demande des bénévoles n'est pas toujours prise en compte, notamment en raison de considérations déontologiques : les professionnels sont estimés seuls juges pour constituer un fonds de qualité.

    En fait, les BDP sont bien conscientes d'une contradiction difficile à surmonter ; il faut en effet « maintenir un fonds propre encyclopédique de la BDP » dont on sait bien qu'il contient des ouvrages non empruntés à rotation lente », mais on regrette la difficulté rencontrée pour « coller au plus juste des besoins des fonds des bibliothèques du réseau ». Ce dilemme ne nous semble pas simplement refléter deux conceptions du métier dont l'une serait archaïque (l'encyclopédisme compris comme un avatar de la politique de conservation) et l'autre moderne (le « bibliothéconomisme (1) » perçu comme la quintessence de l'efficacité au service de l'usager). Il reflète davantage deux paradigmes en partie inconciliables qui traversent plus largement notre conception de la culture.

    L'encyclopédisme ou le mythe d'une bibliothèque universelle

    La volonté d'omniscience est un vieux rêve de l'humanité (cf le mythe de la bibliothèque de Babel, les Encyclopédistes du XVIIIe siècle, etc.). L'encyclopédisme est ainsi apparu comme un idéal moral (lutte contre les préjugés, l'ignorance...) et un modèle culturel fondé sur l'accumulation des connaissances.

    La bibliothèque incarne sans aucun doute cette volonté d'accumulation systématique des connaissances dans les domaines les plus divers pour la postérité. Traduit en termes de politique culturelle, cet idéal encyclopédique s'est exprimé sous le ministère d'André Malraux, pour qui la démocratisation culturelle devait s'appuyer sur l'offre culturelle de qualité (les grandes oeuvres artistiques de l'humanité, le « trésor des pensées et des idées humaines »). Les oeuvres d'art sont le bien commun de l'humanité et sont le reflet de l'expérience humaine dans lequel tout un chacun peut se reconnaître. Perçue comme une expérience quasi mystique (la Révélation esthétique), cette vision rêve d'un oecuménisme culturel qui par ce contact brasserait les catégories sociales.

    Les bibliothèques publiques sont encore aujourd'hui profondément animées par cette volonté d'unification et d'ordonnancement des connaissances ; l'adoption d'une classification universelle, la recherche de l'exhaustivité, la rédaction de bibliographies participent de cet idéal d'une connaissance engagée dans le flux du progrès, d'un savoir toujours à constituer et à parfaire, reflet du travail de l'humanité entière. Avec le développement d'internet, les bibliothèques pourraient avoir le sentiment de revivifier le savoir encyclopédique, cet « être qui ne meurt point » (Diderot).

    Pourtant, cet idéal de la culture humaniste n'a jamais été aussi menacé. L'hyperspécialisation des sciences conduit à une connaissance morcelée et au pouvoir des experts ; le savoir est fragmenté, alors que la globalisation de la société et de l'économie nécessite des réponses transversales et multidimensionnelles. La surabondance de la production de l'information rend son accessibilité de plus en plus difficile, voire illusoire. En 1983, on estimait que le volume de l'information scientifique et technique s'accroissait de 12,5 % par an. On avait également calculé qu'un agronome lisant un article par jour, soit 365 articles par an, aurait eu besoin de trois ans pour lire la production annuelle mondiale (2) .

    Or, le numérique contribue à amplifier le flot des nouvelles dans des proportions gigantesques, élargissant à l'infini les sources possibles (par exemple, les télévisions n'hésitent plus à diffuser des séquences vidéo de particuliers...). Avec l'utilisation du numérique dans l'information, les modes de vérification et les preuves sont affectés, interdisant une hiérarchisation de la valeur des données informatives (3) . Au pis, les images virtuelles peuvent aboutir à une désinformation.

    La dématérialisation du livre (naissance du livre électronique) conduit également à minorer le rôle des bibliothèques (et d'autres acteurs de l'économie du livre) comme réceptacles du savoir. Enfin, ce modèle de bibliothèque universelle est contredit par les modes de lecture des usagers, qui ne correspondent pas tous à l'image idéale de l'humaniste éclairé, aux goûts éclectiques, susceptible de parfaire son jugement critique et esthétique.

    Certains bibliothécaires ne manquent pas en effet de s'inquiéter d'une forme boulimique et exclusive de la lecture qui ne privilégie qu'un genre (exemple : le roman policier, le roman sentimental, le roman du terroir, etc.) au détriment de tous les autres, et manifestent de la défiance pour les " modes passagères ». Mais la prise de conscience d'un décalage entre une offre culturelle de nature encyclopédique et la demande sociale est aujourd'hui mal ressentie, car cette distorsion contrevient aux principes déontologiques d'une profession soucieuse de légitimité sociale. Les partisans d'une approche économique de la culture tendent précisément à trouver une nouvelle source de légitimation de la lecture publique.

    Le « bibliothéconomisme » ou l'illusion d'une bibliothèque de verre

    Les bibliothèques sont saisies par l'économie. Elles mettent en place des systèmes d'évaluation et de contrôle réclamés par les autorités publiques, qui souhaitent rationaliser leurs dépenses et offrir un service de qualité au moindre coût. La question de l'adaptation aux besoins de l'usager devient centrale. Dès lors, à la manière des entreprises privées, les bibliothèques cherchent à segmenter leurs publics pour adapter leur offre à la demande ; cette démarche peut sembler prendre en compte la diversité de l'expression culturelle, entendue au sens de l'anthropologie britannique, comme reflet de l'ensemble des comportements et des modes de vie.

    Privilégiant la création plutôt que la diffusion culturelle, cette approche plus différentialiste, illustrée notamment par la politique culturelle de Jack Lang, tente de faire le lien entre l'apport des créateurs et les pratiques effectives de la population. Son corpus repose sur la spécialisation thématique (culture régionale, ouvrière, immigrée, etc.), la relativisation de la hiérarchie des valeurs artistiques et l'évanescence des créations artistiques (l'acte créateur s'épuise dans son effectuation).

    Dans cette optique, les bibliothèques cherchent à démythifier la notion d'auteur et à favoriser la création spontanée (exemple: ateliers d'écriture). Mais, si cette démarche ne manque pas de mettre au jour des pratiques culturelles qui ne sont pas uniformes, elle ne les caractérise pas véritablement d'un point de vue sociologique. Au contraire, le « bibliothéconomisme " tend à hypostasier la demande ; certes, face à la contradiction apparente de la demande sociale avec l'offre encyclopédiste de la culture, d'aucuns concèdent que « l'offre se construit parfois contre la demande ».

    Mais, en réalité, le jeu de l'offre et de la demande se situe dans un rapport dialectique continu (l'offre conditionne la demande et vice versa) et la quête incessante d'un public introuvable,, renvoie à l'illusion d'une bibliothèque de verre où tous les comportements et stratégies des lecteurs seraient totalement déchiffrables. Plus précisément, le « bibliothéconomisme » espère un ajustement parfait entre une offre et une demande culturelles, oublieux d'une distanciation toujours existante entre l'oeuvre et son lecteur ; chacun a pu faire l'expérience concrète, au cours d'échanges avec d'autres lecteurs, de réactions et d'interprétations très diverses à partir de la lecture d'une oeuvre ; dans la tentative d'élucidation d'une oeuvre, certains lecteurs prêtent un contenu plus large et extensif aux propos littéraux de l'auteur, tandis que d'autres n'y décèlent qu'un élément partiel et réducteur. Au reste, même dans le secteur marchand, cette adéquation entre l'offre et la demande demeure souvent imprévisible, comme l'illustre le phénomène des « best-sellers inattendus ».

    En fait, la bibliothèque publique ne peut plus prétendre à une vocation encyclopédique ni calquer totalement sa politique d'offre documentaire sur la sphère économique. Dans le premier cas, elle privilégierait une conception unitaire, élitiste et « légitimiste » de la culture. Dans le second cas, elle favoriserait la prépondérance de la culture de masse (4) en subordonnant exclusivement la culture à la demande sociale. La politique documentaire devrait donc plutôt se situer à la charnière de deux exigences mises en oeuvre autour de l'idée de développement culturel :

    • faire mieux connaître la culture consacrée par l'Histoire par une stratégie d'extension de l'offre ;
    • favoriser l'émergence de la création artistique y compris dans les espaces territoriaux fragilisés (banlieues, zones rurales en voie de désertification, etc.).

    Pour une approche anthropologique de la lecture

    Les objectifs attendus d'une politique d'acquisition en BDP ne sont plus alors d'obéir à une logique distributive, mais d'initier des plans d'acquisition partagés avec les bibliothèques du réseau dans une démarche partenariale. Une telle démarche ne peut cependant se suffire à elle-même. Il nous faut reconsidérer nos modèles de référence et nos critères de sélection pour constituer nos collections, en proposant, par exemple, de :

    • Réfléchir à la répartition entre les domaines d'acquisition au-delà du découpage arbitraire entre fiction et documentaires. Alors que l'appareil critique universitaire vient conforter la dissociation des genres, le public peut être davantage sensible au double mouvement de l'imaginaire mimant le réel, et du réel prenant les couleurs de l'imaginaire » (Edgar Morin), qui recouvre, par exemple, la thématique du « vécu », des « biographies romancées ", la « littérature de terroir », les ouvrages et les magazines spécialisés sur la chanson ou le cinéma, etc.
    • Favoriser une modulation plus importante du nombre d'exemplaires par titre en fonction d'une charte documentaire préalablement définie avec les bibliothèques du réseau.
    • Définir une politique d'acquisition véritablement ouverte à tous les genres, à toutes les collections et à tous les publics sans discrimination, dans le respect de la légalité républicaine. Il s'agit notamment de prendre en compte des approches thématiques plus soucieuses de l'actualité, de l'éphémère et du « superficiel », qui portent en elles une dimension symbolique constitutive d'une sociabilité ».
    • Coordonner une carte documentaire à l'échelon local. Il ne s'agit pas de laisser le «tout-venant » (l'expression est un peu péjorative...) aux bibliothèques du réseau et de garder une orientation encyclopédique à la BDP. Il nous semble, au contraire, nécessaire de développer conjointement quelques thèmes médiatisés qui sont systématiquement réclamés par les lecteurs (littérature de terroir, vécu, biographies, romans d'amour, etc.) dans toutes les bibliothèques d'un réseau intercommunal, et de les compléter par un ou plusieurs fonds spécialisés (peinture, classiques littéraires, romans policiers, disques de jazz, fonds local, etc.) en fonction du contexte local.

    Ces orientations peuvent sembler utopiques tant elles nécessitent du temps dans la mise en oeuvre d'une politique documentaire dégagée de l'urgence et du travail quotidien. Elles peuvent également inquiéter des bibliothécaires déroutés par de nouvelles pratiques professionnelles qui remettent partiellement en cause leur rôle de prescripteurs culturels.

    Il nous semble pourtant que cette démarche confère au contraire une nouvelle légitimité aux bibliothèques ; à l'inverse d'un encyclopédisme exsangue et d'un bibliothéconomisme sans âme, la bibliothèque pourrait concevoir une politique documentaire qui relie ce qui est séparé (d'où l'importance d'une valorisation des collections), qui associe l'inutile et l'essentiel (les modes éphémères et les oeuvres classiques), qui intègre le ludique et le sacré (les documents distrayants et les témoins du passé).

    La lecture ne se réduit pas en effet à une pratique purement utilitaire. Elle autorise, surtout dans le domaine de la fiction, l'épanchement d'un imaginaire pulsionnel qui donne un sens à nos passions, à nos aspirations, à nos désirs, et qui nous aide à vivre. Cet imaginaire s'exprime aussi bien dans des oeuvres majeures que dans des productions commerciales, dans l'utile et le futile, dans l'essentiel et l'éphémère.

    Les bibliothèques pourraient s'inspirer de l'approche globale et symbolique d'un thème à l'image de certaines collections. Ainsi, la merveilleuse collection « Le temps de rêver,,, aux éditions du Seuil, comprend de petits ouvrages (sur la maison, l'eau, le vent, etc.) qui mêlent avec bonheur les références à la poésie, à la peinture, à la publicité, au dessin d'architecture, au roman, à l'essai, et mettent au jour les invariants anthropologiques qui relient un être singulier à ses semblables.

    Les bibliothèques peuvent contribuer à cette mise en perspective en inscrivant la valorisation des collections et l'animation au coeur de leur activité. Par une singulière récurrence, la bibliothèque renouerait alors « avec l'esprit de la Renaissance, celui de la problématisation de Dieu, du monde, de l'être humain (Edgar Morin).

    1. Nous employons ce néologisme à dessein en référence à l'économisme, qui est une distorsion de la pensée économique soumettant l'étude de l'ensemble de la société aux lois du marché. retour au texte

    2. Cité par Claire Guinchat et Yolande Skouri ln : Guide pratique des techniques documentaires, Edicef, 1989. retour au texte

    3. Lire à ce propos L'information au risque du « vrai faux et du « faux vrai » de Jean-Marie Charon, In: L'état de la France La découverte 1999. retour au texte

    4. La culture de masse est une culture produite selon des techniques de diffusion massive et qui s'adresse à une masse sociale. retour au texte