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    Heurs et malheurs du constructeur

    Par Pierre Chourreu, Directeur du Service commun de la documentation de la Bibliothèque Université de Haute-Alsace

    Notre nouvelle bibliothèque est toute récente, à l'Université de Haute Alsace (Mulhouse) : nous nous y sommes installés au début de l'été 91. Depuis le début de l'année 90 où sa mise en chantier a été réellement autorisée, ce bâtiment n'a pas cessé d'être une de mes principales préoccupations professionnelles, quand ce n'était pas l'unique. Il continue de l'être, puisque nous souhaitons déjà l'étendre, et préparons un dossier en ce sens.

    Pourtant, à bien y regarder, la réalisation de ce projet a été faite de plus de temps morts que de temps pleins. Surtout, la réflexion que nous avons menée dans cette période m'apparaît, avec le recul, bien singulière : pendant les quatre cinquièmes de la durée du projet, nous avons envisagé de construire une bibliothèque qui allait à l'encontre de notre conception de principe de nos établissements. C'est en fin de parcours, avec la satisfaction qu'on devine, que nous avons trouvé une solution à ce crève-coeur. Je voudrais ici tenter de tirer un peu au clair cette étrange configuration des choses.

    M Un projet tombe du ciel

    Novembre 1984 : il fait gris en Alsace. Grisaille du temps, grisaille dans les esprits. L'Alsace, qui est restée au centre droit, voire à droite, se sent politiquement "hors jeu" et attend peu de la visite annoncée du président Mitterrand. Qu'attendre d'ailleurs de Paris, qui vient d'accorder à une autre, Grenoble, le synchrotron promis à Strasbourg ?

    La visite présidentielle est pourtant l'occasion de boucler le contrat de plan Etat-Région. Peut-être est-ce le bon moment pour obtenir le déblocage de projet toujours remis depuis des années ? C'est le cas pour le double projet de construction de notre université : une faculté des Lettres et une bibliothèque qui attendent une décision favorable depuis... la création de l'université, soit plus de douze années.

    Divine surprise en cette période où le tournant de la rigueur a été pris, et où les constructions universitaires sont au plus bas : le président Mitterrand tranche en faveur du dossier, demandant même "une réalisation exemplaire".

    Si à Mulhouse on se réjouit d'une telle autorisation, il semble que la satisfaction ne soit pas aussi universellement partagée. Sans être par trop polémique, on peut dire que la Direction des Constructions du Ministère de l'Education voit dans ce projet un imprévu, difficile à gérer en période de vaches maigres. Il s'agit pour elle de le ramener à la plus simple expression possible.

    Le programme de construction est donc remis entre les mains du Procuste ministériel, qui se charge de le faire entrer dans un lit plus modeste que celui prévu par l'Université. Opération douloureuse : au bout du compte, ce sont 30 MF qui sont assignés au projet (faculté et bibliothèque réunies).

    Traduisons : la surface impartie à la BU ne pourra aller au-delà de 1 800 m2 - moins si l'on raisonne en termes de surface utile. Le campus mulhousien accueille à l'époque 3 000 étudiants à peu près.

    3 Le concours

    Le concours sera organisé dans un délai tout à fait raisonnable, et dès 1985 on connaît les lauréats : le cabinet JEMMING et SPITZ de Colmar, associé à CLAPOT de Strasbourg. Ce dernier a oeuvré pour la partie bibliothèque du projet.

    Le campus de Mulhouse est situé à la sortie sud de la ville, sur la colline de l'Illberg. La nouvelle bibliothèque est construite au plus fort du relief : d'où les trois parties du bâtiment bibliothèque, qui s'étagent sur la pente (il y a un mètre d'un niveau à l'autre).

    A partir de ce schéma, notre choix se fera sans grosse difficulté : mettre les documents au centre, et les lecteurs sur les deux côtés. Quant au personnel, il serait partout, ce qui est bien normal.

    M APS, APD, et délai

    La discussion s'engagea avec l'architecte, pour trouver l'aménagement le plus fonctionnel et obtenir les modifications qui nous paraissaient indispensables. Elle fut courtoise et agréable, même si nos points de vue de profanes en architecture - mais professionnels des bibliothèques - eurent parfois du mal à rejoindre ceux de l'architecte, peu versé dans les bibliothèques. Mais il n'y a rien là que de très habituel.

    Notre principal casse-tête restait quand même celui de la surface disponible : comment faire entrer dans les 1 600 m2 "utiles" du bâtiment à la fois nos lecteurs et nos documents ? L'expérience montrait qu'il avait fallu vingt ans pour obtenir un bâtiment propre à la BU et rien n'indiquait que la situation irait en s'améliorant sur ce point. Il fallait donc éviter la saturation dès l'entrée dans les locaux.

    Les chiffres s'imposèrent : la seule solution envisageable pour éviter une telle saturation était de "compacifier" le stockage des documents. D'où l'idée de ne laisser à portée des lecteurs que le minimum vital de documents, afin de disposer du maximum de places de lecture. Et le magasin central, rendu inaccessible aux lecteurs, devenait un "compactus", capable d'absorber pour plusieurs décennies nos acquisitions.

    On devine que ce n'est pas sans nous tordre les mains - au moins par la pensée - que nous annulions cet acquis de toujours à Mulhouse : le libre accès à la totalité des ouvrages. Mais nécessité fait loi, et l'étude pour le futur magasin commença. Rails encastrés ou non dans la dalle, électrification, desserte automatique du magasin à la banque de prêt, tout fut envisagé, consulté, visité.

    Nous n'eûmes pas à aller au bout de notre démarche : assez brutalement, le projet s'arrêta. La nature du terrain, très meuble et gorgé d'eau, imposait des surcoûts de fondation que personne n'était disposé à prendre en charge. On demanda aux architectes de trouver des économies : ils le firent. Mais le butoir des 30 MF restait dépassé, et la Direction des Constructions se montra inflexible. C'était la mise en panne.

    Ø Déblocage et acrobaties

    Pendant trois longues années, rien ne bougea. Du moins rien de perceptible, et je dois avouer que peu d'entre nous à la BU croyaient encore à un redémarrage. Celui-ci vint, fin 89. Début 90, il devint officiel. En mai, le chantier débutait pour de bon.

    J'avais pris la direction de la bibliothèque en février de la même année. Autant l'avouer : le déblocage du projet devint une source de préoccupations sérieuses pour moi, comme pour tous mes collègues. Car tout avait changé, et aucune des données anciennes ne valait plus.

    De 3 000 étudiants, on était passé à près de 4 000 (5 000 en 1993). Tout indiquait que la croissance allait continuer. Quant aux acquisitions, le contrat d'établissement que nous préparions demandait un quadruplement des moyens, et nous allions obtenir un triplement. Le maintien d'une solution annulant le libre accès devenait illusoire : tôt ou tard, il faudrait en venir à contingenter le nombre de documents demandables par lecteur et par jour. D'un autre côté, la suppression du magasin compact entraînait un surcroît de stockage dans les salles de lecture. Comment imaginer de réduire encore les capacités d'accueil, en pleine explosion des effectifs étudiants ?

    J'épargnerai au lecteur les diverses solutions que nous envisageâmes - certaines réalistes, d'autres moins, aucune gérables. La solution vint quand apparut évident que la hauteur de la grande salle de lecture permettait de réaliser une mezzanine - celle dont on voit une photographie.

    Je le dis sans honte : nous n'avons pensé à cette solution qu'en voyant l'enveloppe de béton réalisée. Le plan était resté pour nous une surface, son volume un néant. Il était plus que temps de lancer notre eurêka !

    3 Quelle solution ?

    L'essentiel était sauvé : la capacité pour la BU de fonctionner normalement, ce qui aurait été impossible sans libre accès. La solution était-elle pour autant idéale ? A l'évidence pas.

    Si nous avons sauvé les capacités d'accueil, celles-ci sont maintenues à un niveau très faible : une place pour vingt étudiants ; quant à la sauvegarde du libre accès, elle se paye d'une quasi saturation de nos capacités de stockage. Encore un contrat d'établissement favorable, et il faudra stocker livres - ou étudiants, selon la préférence, sur les pelouses voisines si tentantes.

    Peut-être sommes-nous arrivés trop tôt ? J'aimerais croire que programmé en 1990 par exemple, notre bâtiment aurait été calculé moins juste. En étant plus optimiste, je veux croire que les indispensables projets d'extension que nous préparons aboutiront vite.

    Reste ce constat, qui ne peut qu'inciter à renforcer notre travail auprès des universitaires et des politiques : ce bâtiment, d'un bout à l'autre, n'a pu être conçu sans que l'une de ses fonctionnalités de base ne soit sacrifiée aux autres.

    Dans ces conditions, la prise de possession des locaux a demandé un soin tout particulier, tout comme leur fonctionnement actuel, comme on pourra le vérifier en lisant l'article de ma collègue Catherine Krebs.