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    Le public des mal-voyants

    Par Marie-José Poitevin, Conservateur adjoint Bibliothèque Municipale de Caen

    Parlons de "publics" au pluriel pour les malvoyants. Leur handicap sensoriel, vision réduite ou cécité, les empêche de lire les documents écrits : cette caractéristique les range dans les "publics spécifiques", autrement dit les publics posant problème lorsqu'ils s'avisent eux aussi de vouloir lire (quelle audace !) et même d'être exigeants dans leurs lectures.

    Quels sont les publics mal-voyants ?

    Les plus nombreux sont peu identifiés comme des handicapés visuels :les personnes âgées. Une certaine coquetterie, voire une honte, les amènent souvent à cacher leur degré de mal-voyance, alors qu'abandonner la lecture des livres et des journaux est souvent un crève-coeur pour eux : public discret, ils revendiquent peu. C'est au bibliothécaire d'être attentif avant qu'ils ne quittent définitivement la fréquentation des livres, afin de les orienter vers des solutions de remplacement appropriées. Avec l'allongement de l'espérance de vie, des handicaps secondaires apparaissent souvent avec la vieillesse : difficultés à marcher, à entendre, à lire ... des services adaptés (portage à domicile, desserte des maisons de retraites et des services gériatriques) permettent aux bibliothèques de conserver des lecteurs centenaires heureux de lire et de vivre. Nombreux aussi sont les amblyopes (personnes ayant moins de 3/10e de vision totale après correction). Capables de se diriger seuls, ils refusent parfois les documents adaptés, se classant du côté des voyants, mais ne trouvant souvent rien convenant à leur capacité de vision dans une bibliothèque. Il est difficile de déterminer leur nombre en France (150 000, 500 000 ?). Certains mal-voyants le sont depuis l'enfance, avec un handicap évoluant ou non vers la cécité. D'autres malvoyants ont été atteints à l'âge adulte par des maladies évolutives, stabili-sables, ou opérables. Certains ont une vision centrale, d'autres une vision périphérique. Quelques-uns sont incommodés par la lumière, d'autres par la pénombre. Gardons-nous donc de généraliser, chaque personne étant un cas particulier qui mérite d'être examiné pour répondre à ses attentes selon ses capacités.

    Le public des aveugles est constitué de personnes ayant moins d'1/20e de vision. Il y en aurait environ 60 000 en France dont 2 000 à 3 000 jeunes scolarisés (dans des écoles spécialisées, ou de plus en plus, intégrés dans des établissements scolaires "ordinaires"). Là encore on ne peut parler de public homogène : certains, aveugles dès l'enfance ont acquis par les apprentissages nécessaires, une autonomie, en particulier en écriture et en lecture, en connaissance du clavier et de l'écriture Braille par exemple ou en locomotion. D'autres devenus aveugles à l'âge adulte, par accident ou maladie, ont dû plus ou moins brutalement s'adapter à leur nouvelle condition. Si, dans l'ensemble, l'aveugle bénéficie d'un certain respect dans la société actuelle (image d'une personne ayant développé des facultés extraordinaires compensant son handicap ...), les obstacles que doivent surmonter les personnes handicapées visuelles dans leur vie expliquent parfois certaines attitudes (repliement sur soi, difficultés de communication, passivité, susceptibilité voire agressivité...). Ces attitudes, parfois excessives ou déroutantes pour le bibliothécaire moyen pourvu de bonnes intentions, ont leur origine dans les décennies de ségrégation dont ont été victimes les aveugles. Dans l'ensemble ils ont été peu habitués à vivre avec des voyants : scolarisés (et souvent pensionnaires) dans des écoles spécialisées de bon niveau mais peu propices à une vie sociale épanouie, orientés vers des professions dites adaptées à leurs moyens intellectuels ou sensoriels, vers des loisirs jugés bons pour eux : musique, travaux manuels et exclus de certains autres : musées (interdit de toucher !) cinéma, théâtre, sports ... la société les a peu habitués à être autonomes (où sont les plans tactiles, les feux sonores, les guidages au sol, les transports adaptés ?) et les a dissuadés de fréquenter les mêmes lieux culturels que les voyants.

    Les bibliothèques sont en ce sens les temples culturels les plus inaccessibles aux aveugles, au point que certains bibliothécaires ne se souviennent pas en avoir jamais rencontré dans leur établissement et pensent qu'ils n'existent pas ou n'ont pas envie de lire ! De fait les aveugles et mal-voyants fréquentent peu les bibliothèques même quand elles commencent à offrir des documents dits "adaptés" : faute d'information diffusée par les bibliothèques vers l'extérieur, (et sous une forme accessible aux mal-voyants donc pas par l'écrit), et faute de curiosité des malvoyants souvent habitués à ce qu'on choisisse pour eux. En tous cas si les mal-voyants fréquentent les bibliothèques, ils n'y flânent pas, comme le font les voyants, d'une salle à l'autre. Mais qui a fait l'effort de leur présenter le bâtiment bibliothèque ? de leur faire visiter les salles, de leur décrire leur contenu, de leur expliquer les classifications, l'usage des fichiers, ou comment faire une recherche ? les bibliothécaires se présentent-ils en donnant leur nom, leur fonction ? Y a-t-il des maquettes des salles, des plans en relief, des terminaux de recherche, avec grossissement des caractères ou synthèse vocale ? Si vous n'avez pas toutes ces facilités dans votre bibliothèque (et pourtant elles existent, ce n'est pas de la science fiction) une simple personne humaine peut faire l'affaire, si elle s'adresse directement à la personne aveugle (et non à son accompagnateur) se présente, propose ses services (sans les imposer).

    Ainsi donc il n'y a pas un public spécifique des mal-voyants, il y a des concitoyens de tous âges, de tous niveaux de culture, ayant des personnalités différentes et des goûts différents, qui veulent lire par plaisir ou par obligation, et qui ne voient pas : rien d'affolant, essayons seulement de les reconnaître comme lecteurs et préparons nos usagers à partager la bibliothèque avec eux.

    Comment lisent les aveugles

    Si les aveugles et mal-voyants fréquentent peu les bibliothèques publiques, que lisent-ils ? triste constatation hélas, beaucoup d'handicapés visuels ne lisent pas : l'illettrisme touche aussi les aveugles et mal-voyants. Par contre ils écoutent beaucoup la radio, la télévision, sont adeptes fervents du téléphone. Traditionnellement les handicapés visuels se regroupent en associations (il en existe plus de 600 en France !) chacune ayant sa "clientèle" (aveugles de guerre, musiciens aveugles, groupement des intellectuels aveugles). Certaines associations proposent, parmi leurs services, des bibliothèques parfois fort anciennes et très importantes (l'Association Valentin Haüy et sa bibliothèque centenaire proposant 25 000 titres d'ouvrages en Braille, Groupement des intellectuels aveugles et amblyopes, ...). Des clubs services, tels les Lions'clubs, ont cherché à venir en aide aux aveugles et mal-voyants en créant l'Association des donneurs de voix et un réseau d'une centaine de bibliothèques sonores en France. Félicitons les de ces réalisations dues en partie au travail de bénévoles motivés : il faut transmettre leurs adresses aux lecteurs mal-voyants et aveugles. L'Association Valentin Haüy propose 3 bibliothèques : bibliothèque Braille, bibliothèque Musicale Braille, bibliothèque du livre parlé, avec prêts par correspondance aux usagers (et non aux bibliothèques hélas). L'AVH propose aussi des services de transcription ou d'enregistrement à la demande. Ce type de services est aussi proposé au G.I.A.A. (Groupement des intellectuels aveugles et amblyopes) qui fournit bien des étudiants et professionnels aveugles en ouvrages ou revues enregistrés sur cassettes, et en ouvrages transcrits en Braille grâce à l'informatique. L'Association des donneurs de voix a implanté plus de 80 bibliothèques sonores en France, dont une trentaine dans des bibliothèques municipales. Quelques associations permettent aussi de trouver des lecteurs "en face-à-face" venant lire au domicile de la personne ... aucune formule n'est à écarter. Interrogez les aveugles ayant fait des études supérieures et vous vous rendrez compte qu'ils ont tout "exploité" : lecteurs à domicile, ouvrages sur bandes et cassettes, livres sur Braille papier : tout leur est bon et plus spécialement ce qui leur permet de lire rapidement. Les nouvelles générations d'étudiants et de professionnels handicapés visuels utilisent ou utiliseront aussi les nouvelles technologies à domicile, dans les salles de cours ou lieux de travail. Le manque d'appétit en lecture de certains handicapés visuels ou au contraire la débrouillardise d'autres pour lire de toutes sortes de façons, ne doit pas dissuader les bibliothécaires de s'intéresser à ce qu'ils doivent considérer comme une partie du public à desservir. Ne renvoyons pas systématiquement ces lecteurs potentiels vers des associations, pour différentes raisons :

    • il est très important que les personnes handicapées visuelles s'intègrent dans la société : à l'école, dans le travail, dans les loisirs et qu'elles fréquentent les mêmes lieux culturels que l'ensemble des habitants. Il est souhaitable pour cette raison qu'elles montrent leur existence, leur désir de culture et de lecture, aux usagers bien voyants. Etablir des circuits parallèles de lecture, même efficaces et remarquables, tel le modèle des Etats-Unis d'Amérique avec envois par poste à partir des antennes du National Library service for the Blind and physically handicapped, contribue à maintenir les aveugles et mal-voyants dans un ghetto regrettable (tout au moins pour les personnes valides et aptes à se déplacer en bibliothèque). Travaillons plutôt, à l'exemple de la Suède, à satisfaire les demandes en lecture des handicapés visuels à travers le réseau des bibliothèques publiques existantes (qui comprend aussi le réseau des bibliothèques universitaires), en équipant les bibliothèques de collections de documents adaptés aux handicaps visuels et en coordonnant les achats, les productions, les prêts inter-bibliothèques, les catalogues grâce à une structure nationale Centre de Ressources. Affirmons notre désir de professionalisme vis-à-vis de toutes les catégories de lecteurs. Sans critiquer les services proposés par des associations ou des bénévoles, soyons exigeants dans la qualité des services rendus aux handicapés (libre accès aux documents, établissement de catalogues selon les normes et éventuellement de catalogues collectifs, horaires d'ouverture larges pour convenir à tous, vaste éventail dans les types de documents et les opinions représentées etc ...).

    Comment faire évoluer les mentalités ?

    Celles des handicapés pour qu'ils utilisent les bibliothèques, celles des usagers pour qu'ils acceptent l'aménagement des services pour les aveugles et mal-voyants, celles des bibliothécaires pour qu'ils se sentent concernés par ces publics et à l'aise avec eux ? Il se pourrait qu'il faille encore 20 ans, pour intégrer réellement les handicapés visuels dans le public des usagers ordinaires des bibliothèques.

    Les technologies sont déjà là pourtant qui permettraient une intégration immédiate des handicapés visuels lecteurs (mis à part le coût d'implantation systématique de ces appareils). Comment les bibliothécaires peu-vent-ils procéder pour faire venir les mal-voyants à la lecture :

    multiplier les occasions de rencontre entre voyants et mal-voyants dans la bibliothèque autour d'un goûter, d'une animation-lecture, de démonstrations de matériels, en rendant les manifestations largement accessibles au grand public de la bibliothèque. Lancer des invitations auprès des enfants aveugles et malvoyants et leurs familles, par leurs écoles, les associations de parents d'enfants déficients visuels, les enseignants, et auprès de toutes les associations d'handicapés visuels de la ville ou de la région ; envoyer des informations à la presse. Répondre aux invitations des associations elles-mêmes en participant aux fêtes, rencontres et en y apportant des informations sur les services de la bibliothèque. Etre présent de différentes manières (exposition, démonstrations de matériels, conférence, stands de présentation des services et des documents proposés ...) dans les salons (du livre, de la semaine des personnes âgées), foires et manifestations diverses (par exemple le télé-thon) afin d'informer les handicapés visuels eux-mêmes, leur famille ou des intermédiaires qui serviront de relais. Toutes ces techniques ont été utilisées il y a 20 ou 25 ans en lecture publique auprès des adultes et des enfants : elles semblent peut-être périmées, mais si le public à toucher (personnes âgées, enfants handicapés visuels, adultes aveugles isolés) n'a pas spontanément l'idée ou les moyens de s'informer des services proposés, il faut que les bibliothécaires sortent de leur bibliothèque, présentent, informent. Sans doute les mentalités changeront-elles beaucoup par l'intermédiaire des enfants : d'abord grâce à la présence de jeunes aveugles ou amblyopes dans les classes, permettant à leurs camarades de s'initier au Braille, à la synthèse vocale, à la lecture par Scanner. Dans les bibliothèques aussi l'intégration et une meilleure compréhension des particularités de lecture des aveugles peuvent se faire par les sections enfantines, grâce à l'esprit de curiosité des enfants, et à leur engouement pour les appareils en tout genre : ainsi à la bibliothèque municipale de Caen un atelier Braille s'est créé depuis 2 ans à la section enfantine. Une douzaine de jeunes de 7 à 16 ans ont saisi des textes destinés à des enfants aveugles sous 2 formes : Braille papier grâce à une machine à écrire manuelle Perkins ou mémorisation sur disquettes PC en utilisant le clavier Braille de l'appareil Delta relié ensuite à un ordinateur. Certains "mordus" de cette activité viennent pendant leurs congés pour taper des textes utilisables ensuite par des enfants aveugles. La synthèse vocale intéresse beaucoup les enfants, en particulier si elle accompagne des recherches amusantes sur un CDROM (par exemple sur le Dictionnaire Robert électronique dans lequel enfants et aveugles peuvent se promener, interroger et jouer avec grande facilité). Cela peut être aussi un jeu pour des enfants de confectionner un plan de la bibliothèque en relief et codé en Braille, ou de s'exercer à lire à haute voix et enregistrer sur cassettes des histoires. En retour on a vu cette année un enfant aveugle participer à un concours de la bibliothèque enfantine et rendre ses réponses en Braille. (Bibliothécaires, à vos alphabets Brailles !).

    Les besoins en lecture des handicapés visuels

    Il est banal de le rappeler, mais l'ouïe et le toucher permettent de compenser la perte de la vue. Le 18e siècle (Valentin Haüy l'écriture en relief sur bois puis papier gauffré) puis le 19e siècle (Louis Braille et l'alphabet à 6 points adopté internationalement ...) ont apporté des possibilités de lecture, puis de lecture et d'écriture qui ont révolutionné le monde des aveugles. Très utile pour l'autonomie, le Braille continue à être enseigné aux aveugles pendant leur scolarité. Le souci d'un bon apprentissage et d'un entraînement à la lecture conduit certains instituteurs et parents d'enfants aveugles à rejeter l'autre forme de lecture que sont les enregistrements sonores (certains allant même parfois jusqu'à interdire aux enfants d'emprunter des cassettes, sauf si l'ouvrage est étudié en classe !).

    Les bibliothèques Braille

    Il faut effectivement encourager l'apprentissage et le plaisir de lecture du Braille. Les bibliothèques devraient donc, au moins pour les enfants aveugles, constituer par achats ou transcriptions de bénévoles et en accord avec les enseignants et les parents une collection d'ouvrages en Braille ou d'ensembles comprenant livre imprimé, cassettes audio et livre en Braille. Signalons que pour les transcriptions faites sur informatique, une disquette pourrait être prê-tée parallèlement ou à la place dulivre, autorisant divers types desortie : Braille papier, Braille éphé-mère sur plage tactile reliée à l'ordi-nateur, ou synthèse vocale. (Toutefoisdes problèmes juridiques restent atta-chés à ce genre de diffusion sansautorisation des ayants droits bienqu'elle soit déjà pratiquée et sansdoute la voie de l'avenir).-

    Les bons lecteurs de Braille préféreront toujours un ouvrage transcrit en Braille plutôt que des cassettes audio : contact direct avec le texte d'un auteur sans l'intermédiaire de la voix d'un lecteur, lecture à son rythme, silencieuse, possible en toutes circonstances. Bien que les productions de différents centres et associations soient en vente, le nombre de titres disponibles est peu important, le prix élevé, et le stockage très encombrant (conduisant d'ailleurs les grosses bibliothèques Braille à s'équiper de rayonnages compacts). De plus dans une bibliothèque publique le pourcentage d'usagers fervents du Braille est restreint (5000 pratiquants sur 60 000 aveugles en France semble-t-il). Le Braille sur papier présente des avantages dans certains cas : pour les manuels techniques, manuels d'informatique par exemple.

    Relativement peu de bibliothèques se sont lancées en France dans la constitution de collection Braille : les plus connues bibliothèque municipale de Toulouse, bibliothèque municipale d'Antony ont leur propre atelier de transcription : une dizaine de transcripteurs bénévoles à Toulouse, la bibliothèque municipale de Toulouse propose 2 800 titres en 7 000 volumes, 500 partitions musicales en Braille, des revues ... en prêt sur place ou par correspondance avec franchise postale.

    La bibliothèque municipale d'Antony utilise 15 copistes et correcteurs bénévoles et propose 400 titres de livres pour adultes et enfants qu'elle envoie aussi par poste et pour lesquels elle établit un catalogue annuel distribué en Braille et en noir. La bibliothèque neuve d'Antony offre aux usagers aveugles une salle de 80 m2 en rez-de-chaussée avec livres en Braille en libre-accès, atelier de travail pour copiste bénévole, et dans l'avenir, transcription Braille informatisée et poste de lecture autonome pour aveugle et mal-voyant. Il est probable que les bons lecteurs de Braille soient usagers de plusieurs bibliothèques privées ou publiques, les envois par poste se faisant en franchise postale sous la mention récente de "cécogramme". Il serait donc judicieux que les bibliothécaires aient à leur disposition catalogues et listes d'adresses des bibliothèques Braille pour aider les aveugles dans leurs recherches d'ouvrages.

    Les bibliothèques sonores

    Les collections d'ouvrages sur support audio se sont beaucoup développées dans les bibliothèques, mais pas uniquement à usage des aveugles.

    L'édition commerciale propose actuellement plus de 1000 titres, chez une cinquantaine d'éditeurs aux productions souvent confidentielles et mal distribuées ou mises en place chez les libraires. Avant de se lancer, comme plusieurs bibliothèques publiques françaises, dans la création de véritables sections sonores à l'usage des aveugles et mal-voyants, produisant leurs propres enregistrements de livres sur cassettes, pour répondre aux premières demandes d'un public mal-voyant, ou bien attirer ces personnes à la bibliothèque et tester leurs goûts, les bibliothécaires peuvent acheter chez leurs libraires ou directement chez les diffuseurs un choix de titres pour adultes et enfants. Ces livres-cassettes sont prêtés sans problème juridique particulier comme les documents des discothèques, à condition bien sûr de prêter les originaux.

    Si, pour les lecteurs voyants, les livres-cassettes du commerce présentent une alternative pratique aux éditions imprimées (une marque de fer à repasser en offre actuellement en cadeau "écoutez des textes classiques en repassant ...", pour les aveugles et mal-voyants il subsiste encore quelques inconvénients : éventail restreint composé surtout de fiction, peu de documentaires, importance des titres classiques tombés dans le domaine public et peu de nouveautés contemporaines, choix de textes courts, d'extraits, voire d'adaptation des textes d'auteurs afin de faire court et moins cher, pas ou peu d'annonces sonores de l'auteur, du titre, de l'édition imprimée, de l'identité du lecteur ... Cela montre encore que ces produits sont conçus pour les voyants et non pour les aveugles. Les enregistrements de bonne qualité obtiennent un grand succès auprès des enfants voyants comme mal-voyants.

    Pour mieux satisfaire les demandes (exprimées ou non d'ailleurs) de publics mal-voyants qu'on a vu si variés, il est nécessaire de proposer une bibliothèque sonore encyclopédique avec autant d'ouvrages documentaires (en intégral bien sûr) que de romans, et pouvant répondre rapidement aux besoins ou aux goûts des usagers mal-voyants, grâce à des enregistrements à la demande. L'idéal serait bien sûr d'avoir, comme en Suède, des collections locales, propriété de chaque ville, avec recours possible aux collections d'un service national, central, assurant sélection, production, diffusion auprès du réseau des bibliothèques publiques, grâce à un catalogue collectif, des dépôts, des prêts inter-bibliothèques Par ailleurs des problèmes juridiques sont attachés à ces productions maisons, réservées toutefois à des publics "empêchés de lecture", mais pas forcément aveugles au sens réglementaire du terme. Ces problèmes devront être examinés et résolus avec l'appui du Ministère de la Culture qui entend élargir l'accès des publics à la lecture. Aucun recensement précis des services de lecture pour les mal-voyants dans les bibliothèques publiques n'est fait à ce jour (ce document manque vraiment). Je ne citerai donc que les bibliothèques sonores les plus connues : les 2 bibliothèques sonores de Caen et de Basse-Normandie (respectivement 5000 et 3000 ouvrages en livres-cassettes), les bibliothèques sonores des bibliothèques municipales de Laval, de St-Brieuc, de Toulouse et les très nombreuses collections sonores de l'Association des donneurs de voix prêtées dans les bibliothèques publiques comme au Mans, à Lyon ... ou encore la création de salles de lecture pour les aveugles et mal-voyants proposant des documents adaptés (livres cassettes ou Braille) et tout un matériel pour avoir accès directement aux livres et revues imprimées (les lecteurs scanners, avec sortie en synthèse vocale ou en Braille éphémère ...) comme à la bibliothèque publique d'information, à la médiathèque de la Villette, à la nouvelle bibliothèque municipale de Bordeaux ... et déjà ou bientôt dans plusieurs bibliothèques universitaires (Toulouse, St-Etienne, Reims ...). Il est d'ailleurs à déplorer que certains services d'aide à la lecture des étudiants aveugles et mal-voyants par les nouvelles technologies ne passent pas du tout par les bibliothèques : de nombreux projets ont (et heureusement) vu le jour, mais sans la participation de professionnels des bibliothèques, en réseau parallèle, principalement dans les universités (Toulouse, Lyon, Paris, Clermont-Ferrand etc ...) documents produits à l'unité, jamais récupérés, non recensés ni catalogués et perdus pour les étudiants suivants.

    Quels services peuvent attendre les mal-voyants d'une bibliothèque ?

    D'abord la lecture, sur différents supports comme nous l'avons vu : sur Braille papier ou plastique thermoformé, sur cassettes audio, CD, disquettes informatiques, ou CD-ROM ... documents à emprunter ou à lire sur place. Dans les bâtiments des bibliothèques de petites salles ou cabines utilisables par les malvoyants cellules aménagées avec des appareils de lecture scanner comme à la salle Louis Braille de la médiathèque de la Villette ou à la salle Borgès de la B.P.I. La bibliothèque métropolitaine de Tokyo propose aux aveugles des petits bureaux où des bénévoles peuvent faire de la lecture directe de livres en face-à-face, où l'aveugle peut prendre des notes sur sa machine à écrire sans gêner les autres lecteurs, ou réécouter une disquette sur terminal informatique équipé d'une synthèse vocale (l'usage d'un casque permet toutefois une écoute silencieuse des synthèses vocales d'ordinateur). Les aveugles et mal-voyants, ou leurs intermédiaires, peuvent aussi espérer des bibliothèques des informations sur les documents et où les trouver, si la bibliothèque ne peut les fournir elle-même : catalogues de bibliothèques sonores ou Braille, consultation de bases de données. La B.P.I. propose ainsi une aide aux recherches des livres ou des références grâce à l'emploi d'une équipe de bénévoles formés, ou la consultation de son CD-ROM Lise par synthèse vocale. Les demandes de renseignements peuvent porter sur des livres mais aussi sur tout autre chose : matériels pour les aveugles, associations, services divers ... les bibliothèques peuvent faire connaître aux aveugles les services de l'AGATE, agence nationale pour les aides techniques et l'édition adaptée pour les personnes déficientes visuelles, qu'on peut interroger sur une foule de choses concernant les aveugles, par téléphone et par minitel (36-14 code AGAT) : la base AGAT propose un catalogue de 18 000 références de documents adaptés pour les aveugles avec leur localisation et leur disponibilité. La bibliothèque, munie éventuellement d'un minitel reliée à une synthèse vocale, peut initier les usagers aveugles et mal-voyants à ces recherches qu'ils pourront ensuite faire seuls à leur domicile sur leur propre minitel.

    Les bibliothécaires remplissent vraiment leurs fonctions quand ils peuvent fournir l'information : une bibliothèque sans collections adaptées, sans nouvelles technologies de lecture, peut au moins jouer le rôle d'un petit centre de documentation sur ce qui intéresse les aveugles : où y a-t-il une bibliothèque de prêt de livres en Braille ? où apprendre le Braille ? tel titre existe t-il en cassette-audio et qui le prête ? y a-t-il une association pour les aveugles dans la région ? quels sont les écoles acceptant les enfants aveugles dans la ville ? où se renseigner sur les vidéo-agrandisseurs ou les synthèses vocales ? ... où se renseigner pour faire adapter un poste de travail pour les aveugles ? Il est utile de connaître des services de documentation dans le domaine social ou concernant les handicapés (CNTHRI par exemple) et il ne faut pas hésiter à demander un délai, afin de chercher la réponse à une question, on ne peut tout savoir, mais on se doit de mettre la personne sur la bonne piste.

    Il est intéressant aussi d'entretenir de bonnes relations avec des aveugles qui vous aideront en cas de besoin pour lire ou transcrire un document, tester cassettes ou appareil de lecture, assurer des démonstrations de matériel ou des initiations à un nouveau matériel mis à la disposition des publics mal-voyants.

    Bien desservir un public c'est aussi garder un esprit curieux de ce qui existe, de ce qui est nouveau (visites de bibliothèques, participation aux colloques, visites de salons spécialisés) et trouver les solutions qui fassent que de public spécifique, les mal-voyants deviennent tout simplement des usagers lecteurs.