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A la médiathèque de la Cité des Sciences et de l'Industrie, un nouveau mode d'accès à la lecture

1991
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    A la médiathèque de la Cité des Sciences et de l'Industrie, un nouveau mode d'accès à la lecture

    La salle Louis Braille

    Par Véronique Morel, Médiathèque de la Cité des Sciences et de l'industrie

    La médiathèque, dans le cadre de l'action d'intégration des personnes handicapées menée par la Cité des sciences et de l'industrie, a ouvert en janvier 1989 un lieu complètement nouveau où une partie de ses collections est accessible aux personnes déficientes visuelles : la Salle Louis Braille (1) .

    Conçue pour leur assurer l'autonomie la plus grande, cette réalisation permet aux non-voyants de consulter les documents imprimés à l'aide d'équipements informatiques qui restituent, en voix de synthèse ou en braille (éphémère ou imprimé), le contenu d'un document imprimé en noir. D'autres équipements comme des téléagrandisseurs, permettent aux mal-voyants de consulter des documents imprimés et manuscrits. L'architecture de la salle a été conçue pour que les aveugles puissent s'orienter grâce à des signes stimulant les sens : l'ouïe, l'odorat et le toucher, et prendre ainsi possession de cet espace réalisé pour eux. Cet espace comprend une salle de conversation, quatre cabines individuelles de travail et un local technique. On y accède grâce à un chemin de guidage mis en place à l'entrée de la Cité qui se prolonge jusqu'à l'accueil de la Salle Louis Braille.

    Prévue dès le projet initial de la médiathèque, la Salle Louis Braille a été réalisée grâce aux compétences et à la collaboration étroite d'une équipe pilotée par Marie-Françoise Bis-brouck et constituée des architectes Louis Pierre Grosbois et Paul Sautet, des informaticiens et de Hoëlle Cor-vest, elle-même non-voyante, travaillant à l'intégration des déficients visuels dans la Cité.

    L'architecture et l'aménagement de l'espace

    Les différents volumes qui la composent attirent d'emblée l'attention par des jeux des formes : "salle de conversation" cylindrique (point d'accueil et de rencontre avec les lecteurs), cabines parallélépipédiques, volume triangulaire en caillebotis, et jeux de matières : bois, végétaux, acier, tube métallique, tissu. Ces formes et ces matières ont leur signification pour la personne aveugle. Les différentes formes lui permettent de se repérer par le toucher : tasseaux de bois à l'extérieur des cabines, opposés à la grille métallique ou au tissu. Les matières l'aident à s'orienter grâce à l'odeur persistante du bois de pin d'Orégon, et à celle des fleurs du petit jardin plantées au rythme des saisons : jacinthe, gardénia et jasmin.

    L'eau qui s'écoule de la fontaine du bassin introduit un repère sonore. A ces valeurs esthétiques sensorielles, s'ajoutent des fonctions d'usage. Pour que le visiteur se déplace aisément, les voies de passage entre les cabines, la "salle de conversation" et le volume métallique abritant le petit jardin sont rectilignes et se croisent à angle droit. Les sols en caoutchouc des circulations s'opposent aux sols en moquette des cabines de travail et de la salle de conversation. Le choix principal du bois , en contraste avec le verre et le granit utilisés dans tous les aménagements de la médiathèque évite les phénomènes de résonance et de vibration très gênants pour le non-voyant. Les cabines très bien insonorisées permettent de se soustraire aux bruits environnants.

    Une sculpture réalisée par Antoine Larène à l'issue d'un concours est un signal d'entrée de la salle et un élément tactile livré à l'appréhension d'un public aux sens particulièrement aiguisés. Elle est un élément des rythmes qui animent cet espace. Il a donc fallu pour la réaliser jouer là encore sur l'utilisation de différents matériaux ou sur les traitements divers d'un même matériau, de manière à faire appréhender le lisse et le rugueux, le rond et l'arête, le doux et le dur, le froid et le chaud et mettre en valeur ces contrastes. Par sa forme abstraite et ses volumes, alvéoles, rainures, citation en braille, elle est "lisible" au toucher.

    Les équipements

    Quatre cabines reçoivent le public de la Salle Louis Braille. Une fois établi le contact avec le visiteur dans la "salle de conversation", celui-ci peut travailler dans l'une des cabines mises à sa disposition. L'une permet aux mal-voyants de lire des documents de leur choix, documents de la médiathèque, lettres manuscrites, papiers administratifs et autres grâce à trois téléagrandisseurs, véritables loupes électroniques, qui grossissent chaque signe de 3 à 45 fois. Les autres sont équipées de matériels informatiques : d'un micro-ordinateur, d'un numériseur d'images appelé couramment scanner et de deux terminaux - synthèse vocale et terminal braille.

    Les principales possibilités d'utilisation de ce matériel par un non-voyant

    Le visiteur, une fois exprimées ses attentes, peut d'abord consulter le catalogue automatisé de la médiathèque. Il le fait le plus souvent à l'aide du terminal braille : le "braillex". Cette plage tactile est une barrette électronique percée d'autant de trous qu'il y a de points pour composer un signe braille (6 pour le français). Des picots rétractables passent ou non à travers ces trous, reproduits 80 fois. Chaque groupe de 6 points est la transcription d'un des 80 signes d'une ligne écran. Faisant alors défiler le curseur à l'aide de touches, effaçant ainsi la ligne de braille éphémère à l'appel de la suivante, le lecteur peut lire une page écran en identifiant les signes sur le "braillex". De cette manière, il navigue dans la base bibliographique et établit lui-même son choix de livre. Il peut aussi apporter le document de son choix à condition qu'il soit imprimé.

    Une fois identifié et mis à disposition le livre choisi, examinée la qualité d'impression du document, la présence de graphiques, de signes mathématiques ou de symboles chimiques, caractères grecs ou cyrilliques non identifiables par le logiciel, la lecture peut être entreprise. Le livre est placé sur le scanner qui déchiffre la page, à l'aide de paramètres programmés. Le logiciel de reconnaissance de caractères identifie chacun des signes pour sa valeur, a pour a , 5 pour 5.... Pour cela, l'ordinateur possède en mémoire une série de polices de caractères préenregistrées et sélectionne automatiquement la plus proche des caractères du texte.

    L'étape suivante est la restitution du document en braille éphémère à l'aide de l'équipement décrit plus haut ou en voix de synthèse grâce à une carte vocale. A la possibilité de restitution en voix de synthèse ou en lecture immédiate grâce au terminal braille, s'ajoute une utilisation fréquente de ces équipements, la copie sur disquette des textes numérisés et identifiés. Très souvent, les lecteurs équipés chez eux de micro-ordinateurs conservent ainsi, sur disquette, le document de leur choix.

    Il faut dire que le document n'est pas identifié à 100%. En effet, le logiciel de reconnaissances de caractères si perfectionné soit-il ( nous en sommes à la 31 version depuis le 17 janvier 1989, date d'ouverture), ne prend pas en compte certains caractères qui ne sont pas identifiés, soit qu'ils se touchent, soit que l'encre d'impression se dépose mal sur un papier de mauvaise qualité. Cela nécessite alors une phase de traitement de texte pour obtenir un texte lisible à 100%. Une fois le texte parfaitement corrigé par traitement de texte effectué par une tierce personne à l'extérieur, il est possible de l'imprimer en braille grâce à deux imprimantes isolées dans un local technique. Il faut bien préciser ici que la Salle Louis Braille n'offre pas un service d'édition. Il n'est pas dans sa mission de reproduire des livres en braille imprimé, les imprimantes jouent le même rôle que les photocopies dans la médiathèque : dupliquer une partie du document et en garder la trace.

    Le fonctionnement

    La Salle Louis Braille est ouverte comme la médiathèque de 12 h à 20 h tous les jours sauf le lundi (le dimanche de 13 h. à 18 h.) Chacun des visiteurs peut la découvrir à tout moment, l'utilisation des salles se fait sur rendez-vous.

    Une équipe de 8 personnes l'anime à tour de rôle et à temps partiel (ce qui correspond à 2,5 postes plein temps), la semaine et le week-end. Leur activité : accueillir, initier les utilisateurs aux équipements, préparer certains documents par le perfectionnement des polices de caractères, gérer et promouvoir la salle. Dès le départ, le choix a été fait d'intégrer cette activité à leurs tâches habituelles dans la médiathèque. L'équipe est ainsi constituée d'un personnel très motivé par cette activité, magasiniers, employés de prêt, bibliothécaires. Cette multiplicité de fonctions et d'intérêts variés fait la richesse et la complémentarité de cette expérience innovante, mission de service public à l'attention d'un public ciblé à satisfaire et fidéliser.

    Au préalable ce personnel a reçu une formation adéquate : initiation aux équipements informatiques, sensibilisation à l'approche du handicap qu'est la cécité. Deux stages ont été organisés, dont l'un dit de "locomotion" permettant à chacun d'appréhender la cécité par des mises en situation réelle comme la déambulation les yeux masqués. Il faut souligner que la pratique quotidienne a mis en évidence le caractère indispensable de cette formation.

    Une assistance assurée par les informaticiens lui permet aussi de se perfectionner en permanence dans l'usage des fonctions du système. Ceux-ci assurent également le suivi et l'évolution du matériel spécifique.

    Le public

    Cette description doit être complétée par une analyse et une évaluation du public. Il a fallu l'atteindre, l'encourager à venir et le fidéliser. Des actions de promotion ont été entreprises auprès des associations , institutions et écoles spécialisées dans l'accueil des jeunes aveugles. L'inauguration de la salle, en octobre 1989, a généré une campagne d'information auprès de la presse entraînant une hausse de fréquentation. Dès la fin de l'année 1990, on comptait plus de 400 utilisateurs. Qui sont-ils ? ... des jeunes, (la moyenne d'âge est de 35 ans), étudiants ou travailleurs. Ainsi viennent-ils transcrire et saisir sur disquette des documents professionnels d'informatique, de kinésithérapie ou de linguistique. Ils sont pour la plupart actifs, curieux et disponibles ; ils sont souvent au fait de l'informatique et de ses matériels, leur utilisation n'étant pas pour eux un obstacle. S'ils viennent jusqu'à la Salle Louis Braille, ce n'est généralement pas pour une lecture de "loisir", mais pour une lecture à finalité professionnelle ou éducative. Des habitués ont pris leurs rythmes de fréquentation, certains prenant leur rendez-vous à jour fixe. Une action régulière d'initiation des enfants non-voyants a été entreprise. Des enfants de l'Institut des aveugles de Saint-Mandé sont venus chaque semaine, accompagnés de leur éducateur. Une démarche pédagogique a été conduite pour les familiariser avec les équipements informatiques, perfectionner leur connaissance du braille, leur faire lire des textes, récits, documents les initiant aux sciences et techniques et au sujet de leur choix. Plusieurs séances de formation ont été assurées aussi auprès des enseignants de l'Institut de Chilly-Mazarin et vont être développées sous forme de stages. Un projet de valises documentaires à destination des enfants non-voyants, composées de jeux pédagogiques, de livres d'apprentissage du braille, d'un boulier chinois, de cartes géographiques en relief (la liste n'est pas exhaustive), pouvant être empruntées cinq semaines, est à l'étude.

    A ce public de non-voyants, il faut ajouter le public des institutions spécialisées, des associations étrangères, des visiteurs de marque de la Cité, et bien sûr, des bibliothécaires venus prendre connaissance de la salle comme d'un prototype dont certaines bibliothèques se sont déjà inspirées pour en reproduire les fonctions.

    Certains des usagers de la première heure n'ont pas renouvelé leurs visites à la Salle Louis Braille. L'équipe d'animation entreprend actuellement une enquête pour connaître les raisons de "cet abandon". Même si l'argument le plus fréquemment invoqué est la difficulté d'accès à la Cité des Sciences, sa distance par rapport aux lieux de travail ou la difficulté de locomotion dans le métro mal balisé pour eux, il faut aller plus loin dans l'enquête. Car il convient d'améliorer la qualité d'accueil et perfectionner l'utilisation des matériels qui, bien que représentatifs de la haute technologie, peuvent parfois montrer des défaillances qui découragent certains.

    La Salle Louis Braille ne se veut pas figée dans son mode d'exploitation. Aussi est-elle prête à acquérir des matériels plus performants, à améliorer ses modes de gestion et espère-telle tirer de cette enquête des enseignements lui permettant d'être, auprès d'un public exigeant, un lieu privilégié d'accès à l'information.

    1. *(Tél.40.05.78.42, avec répondeur). retour au texte