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    A nouvel équipement public nouveau ?

    Par Dominique lahary, Directeur de la Bibliothèque municipale de Vanves.
    Les médiathèques de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) et de Sceaux (Hauts-de-Seine) cinq ans après leur ouverture.

    Quels sont les impacts sur le | public de l'ouverture d'un nouvel équipement ? Tel a été le thème d'une rencontre entre Thérèse Pila, Directrice de la Bibliothèque municipale de Sceaux (18 000 habitants) et Marie-Odile Dufaure, Directrice de la Médiathèque Louis-Aragon de Fontenay-sous-Bois (52 000 habitants), qui était entourée des membres de son équipe.

    La Bibliothèque municipale de Fontenay était située dans le centre ancien, aujourd'hui habité en majorité par des personnes âgées et des artisans et commerçants avec une forte proportion d'originaires d'Italie et du Portu-gal. La médiathèque a été construite dans le nouveau centre ville, et cette migration a accompagné celle des principales administrations (Hôtel de Ville, poste, commissariat de police, sécurité sociale). Le nouveau bâtiment se situe donc incontestablement au coeur de la vie actuelle de la commune, sa notoriété étant confirmée par l'apparition d'une publicité en faveur d'un commerce situé "en face de la bibliothèque".

    Même cas de figure à Sceaux où la bibliothèque a quitté la partie assez excentrée de la vieille ville, où elle était installée pour rejoindre un quartier récemment rénové comprenant notamment une grande surface et de nombreux commerces.

    A Sceaux, l'ouverture du nouvel équipement en 1985 a coïncidé avec la création d'une discothèque intégrée dans le bâtiment. A Fontenay, dont l'ancienne centrale ne comportait qu'une section adultes, la nouvelle médiathèque a été ouverte partiellement en 1985, la section jeunes étant mise en service en 1986 et la discothèque en 1987.

    On ne s'étonnera pas que la mise à la disposition du public d'équipements plus vastes, offrant de nouveaux services, soit sanctionnée par une augmentation notable de la fréquentation mesurée par le nombre d'emprunteurs : + 41,6% à Fontenay-sous-Bois, + 50,5% à Sceaux. Dans cette dernière ville, on a cependant assisté à un phénomène d'afflux provisoire lors de l'ouverture : les 4351 emprunteurs de 1986 n'étaient plus que 3689 en 1989, pour ne remonter à 4139 en 1990 qu'à la faveur d'une informatisation, couplée avec une campagne d'information dans les boîtes aux lettres.

    La progression est encore plus forte en nombre de documents empruntés : + 96% à Fontenay, + 69% à Sceaux. Mais ce chiffre intègre les documents sonores et tombe respectivement à 39% et 37% si on ne compte que les prêts de livres et de périodiques, seul service offert antérieurement.

    Si le public augmente en valeur absolue, sa composition ne semble guère varier. Dans les deux villes, les trois groupes dominants sont, dans la population active, les cadres supérieurs, les professions intermédiaires et les employés. Marie-Odile Dufaure constate, à Fontenay, que son service ne touche pas les marges extrêmes de la population : tout se passe comme si les catégories très aisées et les milieux défavorisés n'avaient pas besoin de nous. Ceci ne concerne évidemment que le public adulte, l'action de la section jeunes et du bibliobus permettant de toucher de façon équilibrée les enfants de toutes origines sociales.

    La principale modification dans la composition du public induite par l'équipement est la prédominance masculine parmi les emprunteurs des discothèques, le lectorat adulte demeurant à majorité féminin. Les instruments de mesure manquent pour apprécier une éventuelle répercussion de la fréquentation d'une section particulière sur l'ensemble d'un équipement.

    Aucune catégorie du public n'a semblé particulièrement rebutée par la configuration d'une nouvelle médiathèque, sinon pour des raisons géographiques. C'est ainsi qu'une forte proportion des lecteurs âgés du vieux Fontenay n'a pas pris le chemin de la nouvelle centrale, et ne s'est guère reportée sur le bibliobus dont une desserte hebdomadaire dans ce quartier a été instituée à titre compensatoire.

    Un effort constant d'amélioration de l'offre documentaire permet de fixer des publics spécifiques : c'est ce qu'ont observé les bibliothécaires de Fontenay avec la mise à disposition d'un fonds pratique et d'un fonds centré sur la formation socio-professionnelle et la formation permanente, tandis que l'accroissement de la collection d'ouvrages de droit répond à une certaine demande étudiante que les établissements de lecture publique sont de plus en plus amenés à satisfaire. L'offre s'est également élargie à Fontenay à la vidéo, par constitution d'un fonds de cassettes de 3/4 de pouces consultables sur place et, récemment, au vidéo-disque et au CD-ROM (renseignements bibliographiques au public grâce au CD-ROM ELECTRE). Mais les responsables de la médiathèque constatent qu'en la matière, ils répondent moins à une demande explicite qu'ils ne la précèdent ou ne la suscitent, la nature des documents disponibles ou consultables dans un équipement municipal pouvant jouer le rôle d'incitation à l'achat, précédant le développement de nouvelles consommations domestiques. Nombreuses ont été par exemple les questions du public sur le fonctionnement et le coût d'un lecteur de vidéo-disque.

    Les visites de classe, mais aussi les activités d'animation peuvent permettre d'attirer un public nouveau. L'expérience menée à la section jeunes et à la discothèque de Fontenay avec deux animateurs à plein temps est à cet égard positive. Mais l'effet réel sur les inscriptions et les emprunts resterait à mesurer. Quant à la fréquentation des animations, leur régularité permet une progression pendant un certain temps, puis on assiste à une stabilisation.

    Quels que soient les services offerts, quelle que soit l'image diversifiée de la médiathèque diffusée parmi la population (image susceptible de s'imposer chez les jeunes), tout se passe comme si nous finissions toujours par atteindre les limites du public mobilisable. Alors même que le renouvellement des inscrits est supérieur aux mouvements de population : Sceaux enregistre environ 30% d'abandons et de nouvelles inscriptions chaque année.

    Les améliorations à apporter pour encourager une fréquentation maximale concerneraient les heures d'ouverture et l'accueil sur place. Sur le premier point, on se heurte aux limites imposées par les effectifs et les contraintes de la réception des scolaires, souvent difficilement compatible avec l'ouverture à tout public. La médiathèque de Fontenay ouvre 21 heures par semaine, sur 4 jours, et la bibliothèque de Sceaux 27 h 30 sur 5 jours. Une ouverture plus étendue serait, bien sûr, préférable. En ce qui concerne l'accueil sur place se posent des problèmes de locaux (ni Fontenay ni Sceaux ne disposent de salles isolées), mais aussi de surveillance. C'est ainsi qu'à la suite de dégradations répétées de documents, l'espace de lecture sur place à été provisoirement fermé à Fontenay pour quelque temps.

    La confrontation des cas de Fontenay et de Sceaux confirme que nous manquons singulièrement d'instruments pour mesurer, ne serait-ce que quantitativement, nos publics. Si la gestion informatique permet de comptabiliser rigoureusement le nombre d'emprunteurs actifs (sous réserve des utilisations collectives, familiales ou autres, des cartes d'emprunteur, phénomène renforcé en cas d'inscription payante), nous comptabilisons rarement les utilisateurs de salles de lecture, et jamais la consultation des documents ou les demandes de renseignements, services, ô combien ! importants pour nos usagers.

    La médiathèque de Fontenay a fait de gros efforts dans cette direction. Elle comptabilise les passages au portillon d'entrée (106 728 en 1990), la fréquentation de l'espace de lecture sur place (7550 entrées en 1990) et celle des animations (4083 bénéficiaires en 1990 à la discothèque et 4192 à l'heure du conte, les mêmes individus étant le cas échéant comptabilisés plusieurs fois).

    Faut-il préconiser l'inscription obligatoire pour toute consultation de document, voire toute pénétration dans les locaux ? Ce serait, pour des raisons de comptage statistique, aller à l'encontre du principe d'accessibilité maximale des établissements de lecture publique. Pourtant, la médiathèque de Fontenay a été amenée, à la fois pour des raisons de surveillance et de mesure, à établir un laissez passer pour ses salles de travail.

    En définitive, les éléments chiffrés en notre possession ne nous procurent qu'une image très grossière du public, de sa composition, de son évolution, de son comportement, de l'usage qu'il fait des services offerts et des documents empruntés, de l'impact de l'action des municipalités et des personnels sur tous ces éléments. De telles insuffisances ne sont que bien imparfaitement comblées par les notations impressionnistes issues de notre expérience quotidienne.

    S'il peut paraître démesuré et vain de procéder à une analyse fouillée dans chaque établissement, sans doute ne serait-il pas inutile que soient enfin menées en France de véritables études sur les publics des établissements de lecture publique, banlieue et province comprise.

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