Le livre s'intitule Les bibliothèques municipales, il est sous-titré Acteurs et enjeux et s'ouvre sur une interrogation : Qu'est-ce qu'une bibliothèque municipale aujourd'hui ? à laquelle il est répondu quelques lignes plus tard : la bibliothèque municipale est un établissement (une structure, un objet) complexe. Cette constatation est suivie d'une hypothèse... le jeu d'influences et d'attraction entre ces acteurs et leurs valeurs (objectifs, attentes, besoins...) construit et déconstruit l'identité de la bibliothèque municipale. D'emblée le ton est donné et le propos du livre clairement annoncé, et c'est la première qualité de cet ouvrage. Le pluriel est vite abandonné au profit du singulier, on préférera analyser (questionner, rendre compte de) la complexité, plutôt que décrire la diversité. De même, le regard porté sur la bibliothèque municipale sera jusqu'au bout celui de l'observateur, et même si on peut le regretter, jamais, ou presque, il n'y aura prise de position. Le fil rouge de cette analyse, ou si l'on veut la grille de lecture, est donné lui aussi dès l'abord : l'évolution de la bibliothèque municipale résulte de l'interaction de plusieurs acteurs pour lesquels elle est, ou est devenue, un enjeu.
La première phase de l'analyse s'attache assez logiquement à circonscrire le phénomène dans le temps : dater dans le même mouvement le décollage des bibliothèques municipales, le début de leur « complexification et l'émergence des acteurs de cette évolution. Les deux premiers chapitres s'y emploient. Un peu d'histoire détermine le point de départ, les années soixante-dix, par comparaison avec la période précédente (la grande et générale misère des bibliothèques municipales est reconnue et déplorée par tous dans les années soixante) et la période suivante (les années quatre-vingt) qui voit une accélération de la métamorphose des bibliothèques municipales. L'analyse plus approfondie des raisons du décollage des années soixante-dix est l'occasion d'une première illustration de l'hypothèse de départ : on y voit l'entrée dans le jeu de nouveaux acteurs - les villes qui structurent leur politique culturelle et pour lesquelles la bibliothèque municipale devient l'un des enjeux, et le public qui fait le succès de nouveaux équipements - rencontrant ainsi les désirs de modernisation des bibliothécaires et les incitations politiques et financières de l'État en faveur des bibliothèques publiques.
Un exposé du cadre administratif dans lequel évoluent les bibliothèques municipales, dû à Hélène Richard, revient sur certains points de l'analyse précédente : l'image de la bibliothèque municipale auprès des élus, l'interaction de l'État et des collectivités territoriales, et, à travers la question du classement des bibliothèques ou de la notion de bibliothèques municipales à vocation régionale, l'incapacité actuelle à donner une expression politique et administrative satisfaisante à la fonction supracommunale de certains établissements.
Le quatrième chapitre, Quels objectifs pour les bibliothèques municipales ?, contient le noeud de l'analyse. En pointant les divergences, voire les contradictions, entre les missions à elles assignées par les différents acteurs, on voit apparaître la cause fondamentale (ou l'effet) de la complexité énoncée au début : l'identité incertaine de la bibliothèque municipale. On retrouve l'expression de cette incertitude sur soi-même dans les chapitres suivants qui analysent, au moyen du même prisme, les relations de la bibliothèque municipale avec ses partenaires dans la ville, avec le secteur éducatif, avec les autres bibliothèques, les modalités de l'offre (locaux, accessibilité, l'action culturelle), les collections (constitution et mise en oeuvre) et les publics.
Chacun de ces thèmes donne lieu à des analyses, souvent stimulantes et convaincantes, nourries par l'expérience de l'auteur, confortées par les travaux des sociologues de la culture (beaucoup de pistes bibliographiques en notes) si bien qu'on s'étonne, ou qu'on est agacé, quand la mauvaise humeur tient lieu de démonstration (on apprend, par exemple page 87, que les structures de formation ne se préoccupent guère de transmettre une culture professionnelle, c'est possible, mais l'affirmation n'est ni nuancée ni démontrée). On trouvera bien sûr des points sur lesquels on pourrait approfondir ou développer la réflexion. Par exemple, le prêt-inter voit son compte réglé un peu vite : il serait faible dans les bibliothèques municipales parce qu'artisanal. Mais on peut renverser la proposition et penser que le manque de moyens de localisation - qui reste à démontrer, les bibliothèques municipales peuvent consulter comme tout le monde le CNN, auquel beaucoup d'entre elles participent d'ailleurs, et le Pantacalogue - est dû au peu d'intérêt pour ce service ; c'est un symptôme de plus de l'hésitation de la bibliothèque municipale sur son rôle. La réflexion sur les implications des nouveaux statuts des personnels, et notamment des nouvelles conditions de recrutement et de formation, est à peine amorcée. On peut regretter que les relations de la bibliothèque (municipale) et de la librairie, leurs fonctions respectives dans l'approvisionnement en lecture, objets sinon enjeux des débats actuels sur le droit de prêt, ne soient pas abordées. On peut aussi déplorer la présentation de la bibliographie en fin d'ouvrage (à qui, à quoi, peuvent vraiment servir sept pages de références livrées au hasard de l'ordre alphabétique auteurs et titres d'anonymes ?). On peut, on peut... Mais surtout, on ne peut qu'être admiratif devant la cohérence de la démonstration d'ensemble et devant cette tentative réussie de rendre compte clairement et synthétiquement du complexe, de l'incertain.