Cet article présente les tendances actuelles de la gestion des ressources humaines dans les entreprises commerciales publiques et privées. Certaines pratiques qui y sont décrites commencent à être appliquées dans les services publics du secteur non marchand pour trois raisons essentielles :
De plus, les responsables de ces services sont confrontés à l'accroissement des personnels à statuts précaires : stagiaires, vacataires, CES... Ils sont, comme leurs collègues du secteur marchand, amenés à gérer des compétences et non plus des fonctions statiques.
En Europe de l'Ouest, depuis les années 1950, nous avons vécu sur la croyance en un progrès conjoint de l'économique et du social : éducation, santé, sécurité de l'emploi, retraite, augmentation du niveau de vie, amélioration des conditions de travail, services publics accessibles à tous... Les entreprises, et en particulier celles du secteur public, géraient leurs ressources humaines en fonction de cette certitude stigmatisée par les organisations représentatives du personnel.
Mais qu'en est-il en cette fin de siècle? Quelles sont les turbulences qui secouent les concepts et les pratiques de la gestion des ressources humaines ?
Déjà présente après la Deuxième Guerre mondiale, accentuée avec la décolonisation et amplifiée avec le partage du travail au niveau planétaire, la première turbulence est astronomique. Le marché, de local, est devenu régional, puis national, enfin international. L'un des aspects contemporains de cette turbulence est la vitesse de circulation des capitaux et des informations autour de la planète. Une décision prise à Tokyo, à Bruxelles ou à New York influe sur la gestion d'un site industriel ou commercial à Orléans, Barcelone ou Munich.
Un modèle de voiture, un logiciel, une émission de télévision, un disque laser de pop music ou de Vivaldi ne sont rentables que si le monde est leur marché. La bataille sur l'exception culturelle lors des accords du GATT est un exemple des enjeux mis en oeuvre. L'émergence de nouveaux compétiteurs : Russie capitaliste, Corée, Chine, etc., place les salariés européens en concurrence avec des ingénieurs et des ouvriers moins coûteux". Ces nouveaux compétiteurs sont aussi des marchés susceptibles de relancer nos offres technologiques.
Les compétences, comme les organisations, ne sont plus immuables. En 1960, un professeur d'éducation civique pouvait dire à ses élèves : « Vous pourrez changer d'employeur, mais surtout, conservez votre métier toute votre vie. » Maintenant, ce professeur dirait : Le métier que vous ferez plus tard n'existe pas encore. Et surtout, soyez prêts à changer de métier plusieurs fois dans votre vie. »
La deuxième turbulence est la prise de conscience de la mortalité des entreprises. Les organisations qui se croyaient immortelles et voulaient se transformer en institutions immuables découvrirent que le royaume des vivants est aléatoire. Nous avons en mémoire les fermetures de sites sidérurgiques, miniers et textiles dans les années 1970. Les sciences de la gestion, à la lumière de cette turbulence, emploient maintenant des métaphores organiques et biologiques. La gestion des ressources humaines est envisagée à partir de conceptions systémiques. L'absentéisme, les accidents du travail, les griefs et les conflits sont considérés comme des dysfonctionnements de l'ensemble.
Les services publics, tout en continuant à garantir les emplois de leurs agents, sont en train de réviser de fond en comble la gestion de leurs compétences internes pour faire face à la montée des exigences des usagers clients » et à la limite économique de la ponction fiscale.
La troisième turbulence est d'ordre psychologique. Chaque salarié ne rentre pas tout à fait au hasard dans une organisation. Celle-ci lui fait revivre des sentiments enfouis depuis sa plus tendre enfance. L'entreprise est parfois assimilée à une mère nourricière supposée prendre en charge affectivement ses filles et ses fils. L'entreprise est un lieu où les rites, les symboles et les mythes perpétuent des tendances tribales. L'indispensable finalité économique qui consiste à gagner son salaire pour satisfaire ses besoins physiologiques et ceux de sa famille ne suffit pas à motiver et impliquer le personnel. Au-delà de l'argent et des conditions matérielles de travail, les salariés recherchent des relations humaines, des émotions, des jeux, du pouvoir, de la reconnaissance sociale... L'entreprise remplace le "village" en termes de liens sociaux.
La version paternaliste de la conception taylorienne de la gestion des ressources humaines envisageait la motivation des salariés sous l'angle de leur satisfaction. Cependant, on peut avoir des salariés satisfaits mais amorphes ; la motivation est maintenant envisagée sous l'angle de l'implication.
La quatrième turbulence, paradoxale au regard des statistiques sur le chômage, est une mutation des valeurs sur le travail. Les aléas de la conjoncture, l'incertitude et les changements répétés génèrent un contexte insécurisant pour les entreprises et leurs salariés. La flexibilité est élevée au rang de valeur. Ce terme à la mode remplace les notions classiques d'adaptabilité et de souplesse. Des économistes appellent de leurs voeux la flexibilité des temps et des contenus du travail. Les syndicats mettent en garde les salariés contre cette flexibilité qu'ils nomment précarité, ou retour à la loi de la jungle. Les dirigeants d'entreprises privées et publiques mettent en place des systèmes d'appréciation des performances débouchant sur des revenus flexibles pour leurs collaborateurs. Les stages d'analyse transactionnelle, de programmation neuro-linguistique nous apprennent à acquérir de la flexibilité comportementale. Les responsables d'encadrement partagent avec les directeurs des ressources humaines la gestion du personnel. L'encadrement analyse les besoins de formation, apprécie, se préoccupe de l'adaptation et du développement des compétences. La question majeure que se posent les managers est : « Quelles sont les compétences rares dont nous aurons besoin pour gagner en compétitivité?"Ceux qui, malheureusement pour eux, possèdent des compétences professionnelles banalisées vivent dans la peur de l'exclusion. Des jeunes en difficulté d'insertion abandonnent tout espoir d'embauche et s'installent dans une relation distanciée par rapport aux formes classiques du travail salarié.
La pratique qui consiste à gérer les ressources humaines est vieille comme le monde. Les pharaons, au cours de leurs campagnes militaires, ramenaient des esclaves pour mener à bien leurs grands travaux. Leur gestion était fort simple, il suffisait de brandir le fouet et le bâton en ajoutant une dose de sacré. Depuis, le management des ressources humaines s'est complexifié, mais rappelons que l'abolition de l'esclavage est récente à l'échelle de l'histoire et que subsistent encore de nos jours des pratiques proches de l'esclavagisme dont la plus criante est le travail forcé des enfants.
Les modèles classiques du management des ressources humaines ont d'abord fait l'objet de recherches et de publications aux États-Unis d'Amérique. D'abord le taylorisme, puis l'école des relations humaines, enfin l'approche socio-technique. Ces théories furent revisitées par les Japonais au début des années 1960. Les grands thèmes sont maintenant universels dans les pays dits développés avec des adaptations pratiques aux différences culturelles.
Aux États-Unis, le libéralisme est conforme au modèle élitiste des Américains, à leur esprit de compétition et à la précarité de leur courte histoire. Cette nation s'est constituée avec des pionniers qui fuyaient les régimes despotiques. En outre, le protestantisme s'accommode plus facilement que le catholicisme de l'étalement au grand jour de la réussite économique.
Au Japon, les entreprises sont bâties sur des modèles de loyauté et de volontarisme collectif. On serre les rangs pour « l'Empire et pour faire face à la pénurie des matières premières. Chacun existe par son appartenance à des groupes.
L'attraction pour le modèle américain revisité par les Japonais est encore vivace dans la mesure où ils ont monopolisé des niches technologiques entières. Mais, après analyse, les problèmes de transposition à notre culture sont incontournables. Nombre de dirigeants européens ne souhaitent pas ou ne peuvent pas transposer les éléments de base du modèle idéalisé du management japonais : l'emploi à vie, le salaire à l'ancienneté, le syndicat unique d'entreprise, l'embauche « à la base de la hiérarchie, la quasi-absence de sanctions négatives, les prises de décisions par consensus et la portion congrue réservée aux femmes.
Revenons en Europe de l'Ouest puisque la majorité de mes lecteurs y vit et y travaille. Les valeurs de la démocratie européenne reposent sur la dialectique entre la liberté individuelle et la solidarité. Les défis économiques, les modèles théoriques, les cultures nationales et les revendications des salariés font émerger de nouvelles formes de management des ressources humaines décrites ci-dessous.
Notons pour entamer cette description que le management hiérarchique traditionnel reste dominant avec cependant une réduction des niveaux hiérarchiques. Trois grandes nuances sont apportées par rapport au commandement de type taylorien :
Ces versions modernes de l'organisation scientifique et technique du travail sont parfois synthétisées dans un projet d'entreprise qui précise son identité et ses finalités. Le projet est supposé renforcer l'esprit d'appartenance des collaborateurs envers l'entreprise.
Il est de bon ton de critiquer le système néotaylorien, mais il reste pratique et pratiqué, chacun des acteurs pouvant se repérer dans des règles du jeu quasi stables et connues de tous. L'obéissance et la loyauté restent plus que jamais à l'ordre du jour. L'une des compétences rares très recherchée sur le marché du travail est justement le talent de commandement.
De nombreuses entreprises du service public, des hôpitaux et des collectivités territoriales mènent au moment où j'écris ces lignes des réformes en matière de gestion des ressources humaines : projets de services, entretiens d'appréciation, management par objectifs, partie du salaire individualisée. Elles passent avec plus ou moins de heurts d'une logique du « tableau d'avancement » à une logique de la performance.
Les entreprises soumises directement aux aléas du marché et des modes ont tendance soit à écraser encore plus les lignes hiérarchiques, soit à s'organiser en "pyramide inversée Dans ces entreprises, la hiérarchie traditionnelle est considérée comme une grande retardatrice Elles partagent le même défi : servir vite et bien des clients exigeants et pointilleux. Ce niveau d'exigence est tel que le clivage ne s'opère plus entre clients satisfaits et non satisfaits, mais entre clients satisfaits et clients très satisfaits.
Nous rencontrons dans ces entreprises de nouveaux modes d'organisation du travail qui modifient, voire transforment les méthodes de management des ressources humaines.
La performance d'une entreprise ou d'un service passe par sa capacité à réagir vite et bien aux sollicitations de sa clientèle. Cela génère des reconfigurations de l'organisation du travail afin d'y progresser en rapidité et en fluidité. Par exemple : pas d'attente de plus de 5 minutes au guichet d'une banque, une livraison promise qui arrive à temps, un lecteur qui obtient rapidement des informations bibliographiques précises...
La réactivité nécessite des personnels compétents et autonomes, sachant traiter les problèmes au plus près des clients internes et externes. Une gestion des ressources humaines centrée sur le développement des compétences de chacun dans l'entreprise est un des facteurs clés de sa pérennité et de son essor.
De plus, en cette période de mutation, les entreprises ne garantissent plus l'emploi à vie, ni la croissance significative des revenus. Leur rôle social est de maintenir et de consolider les compétences de chacun de ses collaborateurs afin qu'il puisse gérer lui-même sa propre évolution professionnelle.