Index des revues

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    Par Hugues Van Bésien
    Noé Richter

    Cinq siècles de lecture populaire

    La formation du système de lecture français de la Renaissance à nos jours

    Société d'histoire de la lecture, 1998.-(Matériaux pour une histoire de la lecture et de ses institutions, 4). - 45 p. - 90 F

    L'auteur tente une généalogie de ce qu'il appelle « le système de lecture français actuel » en examinant les théories et les pratiques bibliothéconomiques des acteurs successifs des système de prise en charge de la lecture populaire. L'ouvrage est riche en sources et en références de travaux antérieurs qui lui donneront une réelle utilité pour ceux que l'histoire de la lecture et des bibliothèques intéresse. N. Richter fait remonter à la Renaissance l'apparition des pratiques de lecture des milieux populaires, avec un premier mouvement d'alphabétisation qui sera suivi par plusieurs autres. L'apparition de ces pratiques de lecture s'inscrit dans le cadre de l'instruction religieuse et sous le contrôle de l'encadrement religieux, mais aussi, dans un contexte de multiplication des écrits, dans un mouvement spontané d'appropriation. Les travaux de R. Muchembled établiraient la visée fondamentalement acculturante des premières initiatives d'instruction de masse et de large diffusion du livre ; ceux de C. Ginzburg la réalité complexe du syncrétisme qu'opère l'autodidaxie populaire, et la façon dont il peut représenter une menace pour les détenteurs du savoir. Au cours des siècles suivants, et particulièrement à partir du mouvement des Lumières, la question de la lecture populaire est une des dimensions du débat sur l'instruction du peuple, tantôt refusée, tantôt souhaitée, dont les contenus sont toujours soigneusement définis (et limités). On est encore loin d'un partage de savoirs communs ou d'une culture commune, en dehors de quelques utopies sans concrétisation de la période révolutionnaire. Les différentes institutions porteuses d'un discours éducatif ou soucieuses d'un contrôle social s'engagent donc dans le débat théorique et dans les réalisations pratiques. Des mises en circulation de livres revêtant un faible niveau d'organisation sont attestées très tôt et se maintiendront pendant toute la période. Des expériences et des choix proprement bibliothéconomiques peuvent être identifiés dès le XVIIIe siècle, bien avant l'intervention du bibliothécaire dans la lecture populaire. Ils sont le fait d'une multiplicité d'acteurs qui composent tous ensemble un paysage désordonné. La lecture populaire au XIXesiècle concerne l'Église, des sociétés philanthropiques, des autorités locales, des militants ouvriers et, à partir de l'empire libéral, l'État via le ministère de l'Instruction Publique. N. Richter estime que ce mouvement composite des bibliothèques populaires au sens large constitue une réussite à la fin du XIXe siècle et que ses acteurs ont tous composés avec l'expérience, c'est-à-dire qu'ils sont tous plus ou moins sortis de leur cadre de départ, étroitement paternaliste, pour entrer dans un processus de libéralisation et de diversification des collections, qui finit par concéder une autonomie réelle au lecteur populaire. La fin du monopole d'accès à la culture légitime devenant à la fois un fait (en raison de la disparition des pratiques ségrégationnistes liées au projet paternaliste et de la massification de la pratique de la lecture) et une doctrine commune, les bibliothèques populaires s'effacent et le vingtième siècle voit la mainmise des bibliothécaires professionnels sur les appareils de lecture de masse. Les considérations sur l'état actuel (à partir de 1970) de la lecture publique en France ne sont pas le point fort de l'ouvrage, ni d'ailleurs son sujet. Il nous semble par exemple difficile de faire remonter à la Circulaire de 1978 la déscolarisation des Bibliothèques départementales, puisque le souci en était toujours aigu en 1986 et que les statistiques de ces établissements montrent encore aujourd'hui le caractère très inégal et très relatif de cette réorientation fondamentale... Le lecteur pourra également s'interroger sur la question de savoir si les bibliothèques populaires se sont éteintes en raison de leur succès ou de leur inadaptation. C'est finalement au moment où les deux grandes mouvances des bibliothèques populaires, le mouvement ouvrier et l'action catholique, se donnent des structures nationales, entre 1935 et 1945, que s'amorce leur dessaisissement au profit des politiques culturelles publiques et du bibliothécaire professionnel.