Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓
    Par Robert Tranchida
    Philippe Hoch, sous la dir. de

    Trésors des bibliothèques de Lorraine

    Paris : Association des bibliothécaires français, 1998. 317 p. : ill. en coul. - ISBN 2 900177 16 2. - 265 F

    Trésors des bibliothèques de Lorraine est le titre de l'exposition itinérante organisée dans les quatre départements lorrains, du 24 mai 1998 au 3 janvier 1999, à Nancy, Épinal, Bar-le-Duc et Metz par les responsables d'une quinzaine de bibliothèques regroupés au sein du groupe ABF Lorraine. Fruit d'un travail de plusieurs années, cette exposition réunit, pour la première fois, une collection de 205 pièces remarquables et représentatives du patrimoine écrit et graphique régional, toutes issues des fonds anciens, rares et précieux de divers établissements lorrains ouverts au public : bibliothèques municipales, universitaires, ecciésiatiques, de sociétés savantes. En exhibant les fleurons de leurs collections, riches mais méconnues, les bibliothécaires lorrains ont voulu rappeler, qu'à côté de leur mission de collecte et de diffusion d'informations récentes, ils devaient veiller à constituer une « mémoire », à la conserver, à l'enrichir et à la transmettre.

    Le livre-catalogue que nous présentons ici regroupe, en ses deux parties, cinq études appronfondies sur les différents aspects de ce patrimoine lorrain et le catalogue raisonné de la collection dont chaque pièce est richement commentée, illustrée, légendée et répartie suivant les sept sections de l'exposition. Si bien qu'à l'occasion de cet important et singulier événement culturel lorrain, comme le soulignent les commissaires dans leur préface, on dispose désormais d'un véritable ouvrage de référence qui fera date non seulement pour la découverte et la diffusion publique de ces trésors régionaux mais aussi pour la connaissance qu'apportent à l'histoire du livre, de l'imprimerie et de la gravure ces chefs-d'oeuvre d'enluminure, ces témoignages de la prototypographie : manuscrits, incunables, dessins, estampes, reliures précieuses, etc. En effet, toute la richesse de la culture occidentale, du haut Moyen Âge à nos jours, s'y reflète dans toute sa dimension encyclopédique : religion, droit, histoire, géographie, sciences, arts, littérature.

    Précisons aussi qu'au désir d'érudition s'ajoute le plaisir de la découverte par les yeux car nous sommes en présence d'un très beau livre d'art, à la mise en page élégante et somptueusement illustré : dans un grand format, 24 cm x 32 cm , favorisant une disposition aérée des textes et des images, les deux parties ont été judicieusement composées, l'une sur un beau papier vergé grisé pour les études, l'autre sur papier légèrement glacé pour le catalogue. Les études sont elles-mêmes « rehaussées », en leurs marges de nombreuses et belles vignettes en noir ou en couleur. La lecture des différentes études, accompagnées chacune de substantielles notes et d'une bibliographie, nous révèle la haute tenue scientifique de l'ouvrage.

    La première étude, signée Philippe Hoch, conservateur en chef à la Bibliothèque municipale de Metz, chargé des fonds anciens et précieux, sert d'introduction générale au catalogue tout en livrant une synthèse des spécificités du patrimoine des bibliothèques de Lorraine : après avoir rappelé la notion complexe de « patrimoine écrit» dans sa diversité, l'auteur retrace l'origine historique des fonds provinciaux, essentiellement constitués des biens du clergé placés « sous la main de la nation ». Puis il décrit la nature de ces fonds, selon un relevé typographique ou thématique qui sera repris en détail dans la suite de l'ouvrage avant d'évoquer leur « destinée » et leur situation actuelle : les problèmes de traitement et de restauration, les projets d'enrichissement et de valorisation. Le souhait de l'auteur est que l'exposition puisse contribuer à faire avancer les nombreux dossiers et les chantiers en perspective.

    Dans la deuxième étude, Simone Collin-Roset, chercheur au Service régional de l'Inventaire général (Nancy), traite des manuscrits à peinture dans la Lorraine médiévale. Partant des manuscrits carolingiens du Ville siècle, elle fait le point sur la production manuscrite des cités épiscopales, des centres monastiques ou des mécènes puis trace le panorama de ce que fut la décoration des livres du Xe siècle à la période gothique. L'activité du scriptorium lorrain nous renseigne sur la vie intellectuelle des abbayes, reflet des échanges culturels et littéraires de toute une époque.

    La troisième étude est consacrée aux deux premiers siècles de l'imprimerie et de la librairie en Lorraine. Albert Ronsin, conservateur honoraire de la Bibliothèque municipale et du Musée de Saint-Dié-des-Vosges, relate les débuts de l'imprimerie, dresse la liste des imprimeurs, avec des données biographiques et passe en revue la production de qualité des ateliers lorrains, ville par ville et pour chaque grande période. On voit au passage combien les écrits luthériens et le mouvement de la Contre-Réforme ont joué un rôle fondamental dans la professionnalisation de l'imprimerie et le commerce des livres et comment l'esprit tridentin triomphant dans les esprits a influencé les réalisations graphiques et artistiques jusque dans le baroquisme des titres, des textes, des illustrations. On trouvera en annexe, un tableau relevant le nombre d'ateliers, de titres recensés, la répartition des ouvrages par discipline, etc.

    La quatrième étude, de Paulette Choné, professeur d'histoire de l'art à l'Université de Dijon, veut démontrer qu'on peut parler d'une école lorraine de gravure aux XVIeet XVIIesiècles. La région passe pour avoir été le berceau de l'art de la gravure en taille-douce pour la France, sinon pour avoir joué un rôle exceptionnel dans la gravure sur bois. De grandes familles d'artistes sont proches par leurs styles et leurs préoccupations formelles. On découvre pour le XVIel'art d'un Gabriel Salmon, d'un Pierre Woeiriot, et pour le XVIIe ; celui d'Alexandre Vallée ou de Jacques Bellange et on retrouve les oeuvres du célèbre Jacques Callot, né à Nancy, tous grands inventeurs et expérimentateurs de techniques.

    La cinquième et dernière étude porte sur les bibliothèques monastiques et conventuelles de Lorraine aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elle est due à Gérard Michaux, maître de conférence d'histoire moderne à l'Université de Metz, président de l'Académie nationale de Metz. Région «frontière de la catholicité la Lorraine a connu une floraison d'établissements réguliers (abbayes, prieurés, couvents), favorisant ainsi le développement d'importantes bibliothèques, tant en termes de collections qu'en termes de bâtiments, reconstruits, embellis et encore aujourd'hui d'une grande valeur patrimoniale, comme l'atteste le raffiné décor intérieur de la bibliothèque bénédictine de Saint-Mihiel. On apprend, avec étonnement, que la bibliothèque de l'abbaye Saint-Arnould de Metz était ouverte au public en 1785. L'ampleur et le contenu des fonds se mesurent à l'examen d'inventaires plus ou moins fiables quand ils existent. Et si l'on perçoit une évidente prédominence des matières religieuses, au XVIIIe, les ordres ont fait preuve d'une indéniable ouverture au monde contemporain, aux sciences « profanes », à l'encyclopédisme du siècle, aux moyens d'information de leur temps comme en témoignent les collections complètes de gazettes et journaux qui ont été conservées. En annexe, des données quantitatives nous sont fournies, sous forme de tableau, sur les collections et les domaines couverts.

    On dira encore quelques mots de la remarquable partie catalographique qui a pour titre « La collection ». Chaque section est précédée d'une courte introduction résumant dans son domaine les propos antérieurs. Chaque pièce numérotée fait l'objet d'une représentation en couleur, de haute qualité, de formats variés, parfois en détail. Elle est présentée, en tête, par un surtitre en caractères rouges, sorte de légende la caractérisant (par exemple : « labore et constantia » qui est la devise de Plantin, pour présenter sa Bible polyglotte de 1573). Titre et notice descriptive de la pièce sont généralement complétées par un commentaire nourri s'achevant sur une bibliographie de base. Cette partie de l'ouvrage recèle ainsi de nombreuses références réunies avec une grande rigueur scientifique.

    Présentons pour finir les différentes sections de l'exposition qui montreront toute la diversité et la richesse de la collection réunie :

    • 1. Religion - ensemble où se trouvent les éléments les plus beaux et les plus précieux du patrimoine lorrain : bibles manuscrites ou incunables, évangéliaires, livres de prière, écrits patristiques, canoniques, missels, graduels, bréviaires, gravures hagiographiques...
    • 2. Sciences - des premiers manuscrits savants aux ouvrages renaissants ou datant du siècle des Lumières, un fonds d'un grand intérêt historique mais aussi esthétique où prime, comme toujours, l'illustration, avec des planches colorées de toute beauté : astronomie, mathématiques, sciences naturelles, botanique, zoologie, entomologie, médecine, anatomie...
    • 3. Arts du dessin et de la gravure - collections iconographiques des bibliothèques qui vont du Moyen Âge au XIXesiècle : miniatures découpées, gravures, cuivres, dessins préparatoires, ex-libris, livres de musique, partitions sur parchemin...
    • 4. Littérature - une anthologie de pièces ou d'oeuvres du Moyen Age au XXe siècle, françaises ou étrangères, ouvrages pour la jeunesse : glossaire sur parchemin, belle édition incunable du Nom de la Rose, livres romantiques avec gravures sur bois, autographes de Hugo, Aragon, Chagall, manuscrits de Barrès, du poète surréaliste Yvan Goll, des éditions de Dante, de Cervantès, un album hagiographique sur Jeanne d'Arc...
    • 5. Géographie- témoignages de la cartographie occidentale, du XIIe au XIXesiècle : Cosmographie de Ptolémée, premier atlas moderne de 1571, le Traité cosmographiquede 1507 où apparait pour la première fois le nom du nouveau continent « Amérique et autres recueils concernant l'Égypte, la Chine, les Indes...
    • 6. Lorraine - section qui retrace les grandes heures de l'histoire régionale, celle du duché, la cité de Metz, les Vosges : armorial du XVIe, portraits, charte avec sceau ducal, anciens plans de la ville de Metz, lettres patentes signées par Napoléon, arbres généalogiques, un périodique de la fin du XIXe, le « Pinau-Journal »...
    • 7. Reliure et arts du livre, ensemble présenté comme un « musée du livre et de l'image », conservatoire de la chose écrite : exemples de luxueuses reliures médiévales ou classiques, richement ornées ou sobrement élégantes, cartonnages d'éditeur du XIXe, reliures mosaïquées et même un livre-objet de 1976, réalisé par Michel Butor et le peintre Monory.

    En annexes finales, on appréciera le très utile glossaire d'une centaine de termes techniques relatifs au patrimoine écrit ou graphique, indispensable pour la lecture ainsi que divers index : incunables et pièces non imprimées, noms de personnes, lieux de conservation, adresses des bibliothèques lorraines.