Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓
    Par Jean-Claude Garreta
    Isabelle Duquenne
    Aude Le Dividich
    Marie de Laubier
    Frédérique Savona
    Dominique Varry, préface

    Patrimoines insolites

    Théâtre, opéra, écrits savants et autres fers à dorer

    S.I., éditions de l'ENSSIB, 7997. - 795p.

    Poursuivant leurs publications bibliothéconomiques, les éditions de l'ENSSIB font apparaître cette fois un recueil de 4 mémoires d'étudiants sous le titre Patrimoines insolites, titre piquant certes, mais malheureusement insignifiant, quand les bibliographies en ligne ne proposent guère de vedettes matières au-delà des mots du titre (et le sous-titre ici n'éclaire pas mieux). Or il s'agit d'un recueil de grande valeur témoignant du bon niveau des mémoires d'études réalisés par les futurs bibliothécaires sur des sujets pointus mais d'un intérêt certain.

    • * C'est aux livrets d'opéra que s'est intéressée Isabelle Duquenne, mettant à profit les travaux d'approche de la conversion rétrospective des catalogues de la BNF. L'auteur analyse la situation des principaux dépôts, propose des solutions neuves mais prudentes et récapitule les réalisations étrangères menées sous l'égide du RISM, le vénérable Répertoire international des sources musicales. Isabelle Duquenne accorde la palme à la Bibliothèque royale Albert Ier, dont le catalogue est pris dans la toile d'Internet. Elle n'omet pas de serrer d'abord la définition, souvent laissée dans le flou, du « Libretto », terme qui depuis un siècle a cédé, en France, la place à « livret » : un texte lié à une distribution donnée en vue d'une représentation. À la bibliothèque de l'Opéra comme ailleurs, les catalogues par titres sont prioritaires, mais la question de la vedette principale a perdu toute acuité, depuis que l'informatique a multiplié les entrées (signalons que la prééminence du titre de l'oeuvre vient de cette tradition théâtrale qui n'autorisait pas un auteur à se nommer, avant que sa pièce n'ait reçu l'approbation du public. Réclamer l'auteur à la fin de la première représentation pour qu'il se dévoile était le signal nécessaire de cet agrément. L'appel de l'auteur se fait toujours entendre aujourd'hui, mais en guise de politesse pour qu'il vienne saluer avec ses interprètes). Jusqu'au XIXe siècle, beaucoup d'oeuvres dramatiques paraissent sous une forme anonyme parce que la publication précède la représentation publique (qui n'a souvent jamais eu lieu).

    Compte tenu de cette entrée principale, il est donc de toute nécessité de fixer un titre uniforme, que les traductions, et plus encore les adaptations, ont souvent déformé.

    Pour les livrets, la question se pose de tous les auteurs secondaires » : à commencer par le compositeur (les livrets proprement dits ne comportent normalement pas de partition musicale), mais aussi le chorégraphe, le metteur en scène, le décorateur... et les interprètes avec le nom des personnages. Où s'arrêter ? La mention de représentation (ville, lieu, date), en revanche, est un élément essentiel et tous les vieux catalogues sur fiches dans les fonds spécialisés en font état, plus souvent que de l'adresse bibliographique proprement dite.

    Isabelle Duquenne conclut avec mesure et optimisme en assurant que les travaux en cours n'aboutiront à un catalogue collectif international des livrets, où la part de la Bibliothèque nationale de France ne sera pas petite, surtout si l'on n'oublie pas les collections propres de la Bibliothèque de l'Arsenal (livrets du comte d'Artois, don Cordier, fonds G. Douay, Taylor) que l'auteur, ébloui par le Département des arts du spectacle contigu, a renoncé à analyser.

    • & La deuxième étude, due à Frédérique Savona, présente, pour la première fois peut-être, les catalogues de la célèbre bibliothèque-musée de la Comédie française dans une analyse subtile et pertinente.

    Pour ce qui est des livres, Fréderique Savona débat de la classification possible d'un fonds spécialisé plus particulier que tout autre ; elle écarte les langages d'indexation encyclopédique, évoque l'ingéniosité de l'incontournable Ranganathan et discute savamment les principes avancés par G. Van Slype, pour conclure que l'élaboration d'un lourd thesaurus ne donnerait pas satisfaction. Quant aux non-livres (la bibliothèque gère aussi le musée), au-delà des cas simples que sont les tableaux, les bustes, les costumes et les maquettes, Frédérique Savona se penche particulièrement sur les photographies pour estimer que les normes d'analyse de l'image fixes ne seraient pas adéquates en l'occurrence (serait-ce, nous demanderons-nous, parce que la photographie d'une scène de théâtre ou de cinéma exprime la vérité théâtrale transposée à travers des décors composés, des costumes et des accessoires créés pour la scène ?). Même si ce sont des objets réels, il ne s'agit pas de la réalité spontanée de la vie brute : il y a un double mouvement de composition et d'interprétation, la conception du metteur en scène puis le regard du photographe. L'analyse de l'image se réduirait à un inventaire de trucs. Au demeurant, « la perplexité des personnes qui ont eu successivement à s'occuper de ce fonds, écrit Frédérique Savona, renvoie à un doute permanent sur l'intérêt et la validité des notices créés ». « Finalement, un catalogue où les images sont présentées sous forme de diapositives et inventoriées supplante d'éventuelles notices plus traditionnelles ». L'important est d'indexer ces images (cette remarque est aussi valable, croyons-nous, pour l'objet d'art en général). Rappelons à Frédérique Savona, à la vue de ses intertitres, que la bibliothèque de l'Arsenal ne se confond pas avec le Département des arts du spectacle de la BNF, qui en a été distrait en 1996 ; c'est ce département qui est le creuset de la normalisation française en la matière.

    Loin de prôner une information systématique qui dépasserait les possibilités de réalisation, et plus encore les besoins des utilisateurs, Frédérique Savona suggère, après une discussion fouillée, de créer deux bases de données des spectacles : d'un côté une base de références bibliographiques et de l'autre une banque d'images et de textes numérisés (dossiers de presse des spectacles et dossiers sur chaque comédien). Elle rappelle à juste titre que la notion de spectacle, cette notice qui constitue le fondement de l'articulation des fonds dans les bibliothèques théâtrales, ne peut reléguer à une place secondaire la notion de comédien, dans la maison qu'anime depuis trois siècles la Société des comédiens français.

    À ce propos, souhaitons avec l'auteur que soit mieux affirmée la notion de collectivité, qui est le propre d'une compagnie théâtrale, en dépit des difficultés d'une existence plus mouvante aujourd'hui que jamais, ce qui complique la réalisation d'un fichier d'autorités. La Comédie française est bien entendu l'exception qui confirme la règle mais « Unus et singulis », l'essence du théâtre ce sont les comédiens, d'où l'importance des dossiers individuels, dont les entrées doivent être privilégiées.

    • & Particulièrement riche, apparaît l'étude qui suit du fonds ancien de la bibliothèque de l'Institut de France. Sous le titre « Défense et illustration du patrimoine scientifique », Aude Le Dividich donne un état de la question qui fera référence, car elle embrasse la situation française dans le contexte européen. C'est dire que de tenter de retracer les grandes lignes de son exposé en trahit la richesse. mais on doit absolument ici attirer l'attention des bibliothécaires du secteur patrimonial.

    Traditionnellement, l'opinion publique tient respectueusement à l'écart la culture scientifique, mais depuis les enquêtes d'opinion en 1972, les signes d'une remontée se font sentir : les bonnes revues de vulgarisation ont leur public, l'histoire des sciences se fait une place dans l'enseignement universitaire et les journées de Roanne des 5 et 6 octobre 1993 ont montré que les bibliothèques ont leur rôle à jouer en cette matière.

    Étudiant la composition de la bibliothèque de l'Institut de France, Aude Le Dividich rappelle qu'après avoir obtenu du Directoire la bibliothèque de la ville de Paris, fondée par Morian, au lieu rappelons-le, de la bibliothèque de l'Arsenal un moment envisagée, l'Institut avait recouvré au Muséum l'importante collection de l'Académie royale de sciences, fondée en 1666 et supprimée en 1793, riche de 1 200 titres (seulement ?), touchant surtout l'astronomie et la médecine, où les livres en français et en latin sont majoritaires, où le XVIIIe est plus largement représenté que les siècles antérieurs. Au XlXesiècle, la bibliothèque de l'Institut s'enrichit avant tout par les legs et les dons, mais aussi par des achats en ventes publiques. Le goût statistique de l'auteur ne va-t-il pas trop loin en donnant les rigoureux pourcentages (et fromages graphiques à l'appui) par siècle ou par langues d'un legs (Sénarmont) de moins de 100 volumes ?

    Dans une seconde partie, Aude Le Dividich s'essaie à faire le « conspectus » (terme qu'elle n'utilise pas, reconnaissons-le) des 1 499 titres du fonds ancien tel qu'il se présente actuellement dans le catalogue (matériellement, les ouvrages in 8° ont été transférés, on le sait, à la Médiathèque de la Villette. « Il est difficile d'exploiter ces statistiques avoue-t-elle, du fait de l'absence d'études quantitatives globales de la production scientifique européenne depuis le XVIe siècle ». Elle se rapporte alors à quatre bibliographies de l'histoire des sciences (celles de Talon, Russo, Gillepsie et Poggendorff), donc de différents pays, mais pour notre part, nous nous appuierons plus volontiers sur les catalogues de bibliothèques à vocation internationale où la valeur scientifique des ouvrages n'apparaît pas certes, mais qui dans leur recensement neutre offrent un reflet moins partiel de la production imprimée, au moins pour le monde occidental. Malheureusement, le seul catalogue de la Bibliothèque du Congrès, à notre connaissance, s'est prêté commodément aux opérations de conspectus menées en France depuis 10 ans.

    Le catalogue de l'exposition (Réserve de la BN en 1991) Les algébristes français du xve siècle a donné à Aude Le Dividich l'occasion d'un coup de sonde : sur les 85 ouvrages cités, les 14 qu'elle retrouve à l'Institut lui confirment qu'en dépit des dons reçus (postérieurement) cette période n'est pas représentée en force : pour des raisons historiques, c'est le XVIIIesiècle qui est le plus cohérent ; toutefois, la production étrangère du XIXesiècle fait figure honorable.

    Évoquant la valorisation du patrimoine scientifique, Aude Le Dividich, sans s'attarder sur les expositions essentiellement à usage interne, à l'Institut comme à l'École des mines, insiste sur le rôle que va jouer l'informatisation des catalogues, comme le prônait B. Rozet au CNAM dès 1983 : la toile d'Internet propose déjà le catalogue de l'École polytechnique, laquelle a aussi ouvert une base de données de sa collection d'instruments scientifiques, à l'instar des « expositions virtuelles » de la Linda Hall Library de Kansas City. Les quatre grands établissements parisiens d'enseignement scientifique ont réalisé ensemble le cédérom « Thalès », comportant une base biobibliographique de tous les professeurs. C'est un projet plus vaste encore qu'a conçu Armida Batori à la bibliothèque universitaire de Pavie : « Clavis scientiarum », lancé en 1977, doit comprendre non seulement le catalogue des livres anciens de physique et de mathématiques, mais aussi les documents manuscrits et les instruments scientifiques du Muséum de l'université.

    L'informatisation du catalogue des imprimés a amené une augmentation sensible des communications à la bibliothèque de Polytechnique, alors que d'ordinaire, ce sont les archives et les manuscrits qui attirent les chercheurs dans les bibliothèques scientifiques (on peut d'une façon générale espérer que la multiplication des catalogues informatisés consultables à distance entraînera une répartition plus équilibrée, souhaitable à tous points de vue, des flux de lecteurs dans les grandes bibliothèques parisiennes).

    Si la mise en valeur des fonds scientifiques fait appel, somme toute, aux méthodes courantes (catalogues, expositions, rééditions d'ouvrages illustrés méconnus), Aude Le Dividich attire, à juste titre, l'attention sur la formation bibliographique que les bibliothécaires peuvent dispenser à la jeune génération d'historiens des sciences, recrutés dans leur discipline scientifique propre, mais non formés aux méthodes de la recherche historique.

    Il y a un manque d'instruments de recherche et, « de même qu'il existe un Guide de la science en France, la publication d'un guide des fonds scientifiques est envisageable» propose Aude Le Dividich que nous ne pouvons qu'approuver pleinement. Le guide des sources que représente l'Histoire et mémoire de l'Académie des sciences, paru en 1997 sous la direction de Christiane Demeulenaere-Douyère, va dans ce sens, surtout pour ce qui est de la bibliographie des savants, en présentant non seulement les sources d'archives conservées à l'Académie, mais aussi dans les autres institutions, tel le Département des manuscrits de la BNF. Le projet « Alidade », détaillé par Aude Le Dividich, a été lancé en 1995 pour offrir un guide des sources de l'histoire de l'astronomie et de la physique à l'Observatoire et dans plus de cinq autres établissements parisiens ; il est souhaitable, ajoute judicieusement A. Le Dividich, au moins de signaler ce qui existe dans les bibliothèques universitaires et municipales de toute la France.

    Cela va bien au-delà des Éléments de bibliographie publiés par F. Russo en 1969 avec trop de vagues indications, et élargit le champ défriché par R. Brun dans le BBF en 1956 : quittant le concept « internaliste » qui prenait seulement en considération les grands progrès de la science et leurs racines méconnues, l'historien des sciences en est venu à examiner le contexte de l'époque, le mouvement des idées à travers les ouvrages mineurs des théories abandonnées par la suite.

    Il faut articuler les approches analytiques (Alidade) et synthétique (Guide du patrimoine des bibliothèques...), telle est la conclusion de A. Le Dividich citant Valérie Tesnière (dans le BBF de 1995) « la valeur et l'intérêt de la collection ne résident pas forcément dans chaque livre pris séparément, mais dans leur organisation et dans l'ensemble qu'ils dessinent ».

    Le patrimoine scientifique est encore mal connu, mais, étant donné le goût du public pour l'histoire, il reste à éveiller sa curiosité scientifique, et les expositions de la BNF à Tolbiac à l'automne 1998 devraient y contribuer.

    • & L'achat des papiers du relieur René Kieffer en 1998 témoigne de l'intérêt porté à la reliure contemporaine par la réserve des livres rares de la BNF, innovation remontant à Jacques Guignard, alors conservateur, lorsque dans les années 50 il passa des commandes de reliure de création. René Kieffer (1875-1963), issu de la première promotion de l'École Estienne, exerça son activité pendant 60 ans, d'abord sous l'influence du style floral lancé par Marius Michel, puis évoluant vers le genre emblématique et géométrique. Il imaginait et réalisait lui-même ses reliures selon la conception moderne voulant que la reliure n'illustre pas directement un livre, mais qu'elle l'évoque. Marie de Laubier explique ainsi avec précision comment elle a conçu les modalités d'un inventaire ; elle relate la réflexion préalable au choix de la méthode et donne avec spécimens à l'appui, les solutions qu'elle a dégagées pour affiner le classement sommaire effectué d'abord par Jean Toulet.

    Dans le secteur de la documentation graphique, Marie de Laubier a choisi finalement de faire un inventaire (très) sommaire des documents préparatoires (esquisses, croquis), mais de réaliser l'inventaire détaillé des maquettes originales.

    Après un examen du fonds qui lui a paru ne pas permettre l'adoption d'une organisation définitive, c'est un traitement de texte qu'elle a préféré aune base de données, à la structure trop rigide pour permettre des repentirs. Les chercheurs disposeront en fin de compte du tirage papier de l'inventaire dans lequel la fonction « recherche » permettra d'autre part d'appeler tous les noms propres : auteur (ou titre), illustrateur, commanditaire, possesseur. Plutôt que l'indexation Rameau (adoptée par le cabinet des Estampes de la BNF) a été retenue une description propre aux maquettes de reliure, comme les catalogues de ventes en offrent de bons exemples : styles, description du décor (d'une manière aussi simple que possible), annotations portées par Kieffer sur les documents (pas sur tous) d'ordre bibliographique ou bibliophilique, identification de la réalisation si elle a lieu, de la maquette. Mais une sur dix seulement, a pu être formellement identifiée avec un exemplaire repéré : à son grand dam, Marie de Laubier reconnaît que la grande lacune réside bien évidemment dans la localisation actuelle des reliures. L'auteur n'oublie pas de traiter de la conservation. L'aspect des maquettes de Kieffer est sain, il n'y a pas de microbes, mais les papiers sont jaunis et plus encore les cartons. Le papier Canson, et dans une moindre mesure, le papier Kraft (tout acide que soit celui-ci) ont bien résisté au temps. Les photographies sont décolorées, mais les aquarelles et les gouaches sont bien conservées : toutefois, le fixatif, largement employé naguère, a porté atteinte à l'aquarelle comme au crayon.

    Le dépoussiérage a été la première mesure prise, par nettoyage humide ou à sec. Il a fallu défroisser les feuillets, redresser les pliures, réparer les déchirures. Le conditionnement s'est fait en des pochettes milar, rangées dans des boîtes de grand format, quitte à juxtaposer plusieurs documents dans une même pochette. Des classeurs-boîtes sont disponibles dans le commerce, dans lesquels les pochettes sont perforées et attachées : la consultation est facilitée sans risque de déranger l'ordre.

    En conclusion, Marie de Laubier insiste sur le respect des fonds, notion fondamentale pas seulement chez les archivistes, et toutes les interventions ont été menées dans un souci de réversibilité. Le fonds Kieffer sera communicable quand l'ensemble des opérations sera achevé. Les spécimens de notices et d'index achèvent de donner à l'étude de Marie de Laubier une valeur didactique pratique que nous avons jugé utile de décrire tout au long.

    Ces quatre études de cas témoignent d'une heureuse orientation des mémoires de stage demandés aux élèves de l'ENSSIB. Si les sujets sont variés, la rigueur et la pertinence de tous les exposés font de cette publication des mises au point solides sur les questions abordées, mais aussi des modèles applicables à la mise en oeuvre des fonds particuliers de nos bibliothèques.