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Le Musée et la Bibliothèque, vrais parents ou faux amis ?.

1998
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    Par Robert Tranchida

    Le Musée et la Bibliothèque, vrais parents ou faux amis ?.

    Bibliothèque publique d'information, 1997. 243 p. - Études et recherche - ISBN 2-84246-016-2. - 130 F

    Les études comparatives ou «d'histoires croisées entre les deux institutions culturelles que sont le musée et la bibliothèque sont encore trop peu nombreuses pour que l'on puisse passer sous silence cette publication d'un cycle de conférences organisé par le service des Études de la recherche de la BPI entre novembre 1994 et juin 1995. À cette question titre, les diverses approches de cet ouvrage (historique, politique, philosophique, sociologique et pratique) tentent de répondre en mesurant le degré de parenté qui existe entre ces deux mondes institutionnels, en faisant la part de ce qui les rapproche ou de ce qui les éloigne. Il est difficile ici de rendre compte de toute la richesse des contributions « expertes » qui le composent, entre autres celles de Jean-Louis Déotte, Martine Blanc-Montmayeur, Emmanuel Wallon, Annie Pissard, Jean Hébrard, François de Singly, Denis Pallier, Anne Kupiec, Vivianne Cabannes, Germain Viatte, etc. Leurs interventions étaient programmées en 8 séances selon 3 axes de questionnement successifs : les bases identitaires de l'objet musée et de l'objet bibliothèque à travers l'histoire des politiques culturelles ; leurs rôles social, éducatif, civique ; leurs missions et leurs usages publics. Nous relèverons seulement quelques idées forces.

    En premier lieu, les deux espaces bibliothécaire et muséal, dont le « studiolo » renaissant et le « cabinet de curiosités» furent les formes primitives, peuvent être considérés d'un même mouvement contre les espaces constitutifs de la subjectivité moderne et d'un nouveau type de société. La mise en relation d'oeuvres et de documents stockés y a permis le commentaire, le jugement critique, le savoir partagé, mouvement ayant conduit à la notion même de public. Du XVIIe siècle à nos jours, l'histoire des politiques culturelles permet d'éclairer les bases identitaires de l'institution municipale culturelle moderne : du type architectural du XIXesiècle liant le musée des beaux-arts et la bibliothèque au modèle du centre culturel regroupant la médiathèque et le musée d'art contemporain, on aperçoit clairement une continuité dans le souci de construire une image urbaine et d'afficher un effort de démonstration autant que de démocratisation culturelles dans le cadre d'un service public, habitacle commun d'équipements culturels différenciés. Suivant l'évolution de la demande publique et de l'offre de politique culturelle, le rapprochement des deux catégories d'établissement redevient d'actualité : les bibliothèques sont de plus en plus enclines à organiser des espaces d'opposition et à adopter des logiques de promotion culturelle, tandis que les musées sont de plus en plus nombreux à se doter de moyens documentaires et de salles de lecture. Cette tendance, désormais affirmée, aboutira-t-elle au nouveau concept « d'omni-thèques » à travers lequel se chercheraient de nouveaux repères par rapport aux domaines traditionnels de l'éducation, de l'apprentissage, du loisir, de la formation ou de la recherche et s'élaboreraient de nouveaux modes d'appropriation du savoir ?

    Comme le révèlent les études détaillées, la proximité des fonctions, des missions et des usages respectifs demeure certes problématique et la tendance au rapprochement des deux types institutionnels se heurte à des logiques professionnelles, des modes de médiation et de légitimation opposés, à des statuts de collections spécifiques, à des traditions différentes établies de longue date. Par exemple, au niveau de certains réflexes, il n'est pas toujours aisé de définir auprès du monde des musées le service public que peut rendre une bibliothèque à proximité d'un musée, au-delà d'une évidente ressource de documentation à usage interne ou en complément de la délectation des oeuvres. La bibliothèque peut être ressentie par le musée comme une perte d'espace où se fabrique aussi du savoir. Dès la Révolution, musée et bibliothèque avaient été conçus comme des instruments pour conserver et inventorier des valeurs patrimoniales dans le but de former les individus citoyens en complément de leur instruction publique, élémentaire comme supérieure. De fait, c'est un autre point commun aux deux institutions : depuis déjà de nombreuses décennies, les services éducatifs de musée comme les activités pédagogiques des bibliothèques répondent à cette mission de découverte, essentiellement en ayant recours à l'image, et de plus en plus aux technologies interactives. Sur ce terrain, le musée et la bibliothèque peuvent trouver des moyens de développement commun en tant qu'espace public de socialisation, de discussion, de rencontre.

    Sur le plan des collections et de leur constitution, le statut d'une oeuvre muséale ou d'un fonds de livres, amplement analysé en détail, diffère selon qu'il s'agit d'une fonction patrimoniale ou de diffusion. Cependant, ces fonctions ne sont pas systématiquement contradictoires ni recouvrables par les seules notions « d'unicité » et de « multiplicité » des éléments de collections. Par ailleurs, le souci du public qu'il s'agit d'amener à fréquenter des musées, l'imaginaire communicationnel, la généralisation de l'exposition temporaire priment désormais dans les justifications à constituer des collections ou à les enrichir. Et cette approche muséologique tend à rejoindre davantage qu'hier les traditionnelles missions de diffusion, de circulation de l'information et la notion de service rendu propres aux bibliothèques. Si l'on s'accorde désormais à vouloir dépasser les clivages entre le « musée-temple », « sanctuaire de reliques » à usage purement patrimonial ou réservé à un cercle savant, et le « musée-forum », « réseau » ou centre culturel pour public élargi, il est souhaitable qu'à l'avenir le public soit un véritable partenaire dans la conception du musée ou de l'exposition. Il serait nécessaire de remettre en cause certains « codes » d'accès (parcours, confort, langages, message, scénographie...) en vue d'ouvrir les espaces aux non « pratiquants » ou aux publics « empêchés ». De même, l'animation ne doit pas être conçue comme pure pratique ornementale, activité seconde de la bibliothèque, mais comme son identité, son action en profondeur.

    Les dernières contributions se devaient d'être consacrées à l'expérience de terrain par excellence que constitue le centre Georges-Pompidou. Elles font rebondir sur le plan pratique l'ensemble des propos historiques ou théoriques antérieurs. Le Centre, qui a très tôt affirmé sa vocation expérimentale, a bien évidemment inspiré d'autres réalisations nationales et des pratiques du même type. L'histoire, complexe, problématique, de la conception du Centre, entité plurielle où coexistent des équipements différents, y est retracée par le menu : les étapes administratives, les épisodes institutionnels, les contraintes de développement, les contextes culturels, la définition des missions respectives du musée et de la bibliothèque, les points de « coopération », les usages publics, les expériences, leur succès, les évolutions à venir. Le propos qui peut servir de conclusion à l'ensemble de l'ouvrage revient à M. Blanc-Montmayeur, directrice de la BPI, qui souligne la volonté de poursuivre la « cohabitation » entre le musée et la bibliothèque afin de résister à la tendance très actuelle à la spécialisation et aux équipements « dédiés », que l'on veut justifier au nom de plus de performance. Par un tour paradoxal heureux, elle définit l'urgence d'affirmer « comme une spécialité le fait d'être généraliste ». Ce qui pourrait être un élément de réponse à la question initiale : bibliothèque et musée peuvent se penser comme de « vrais amis » institutionnels au sein d'une parenté de fonction et de mission diversifiées.