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Les formes de tarification dans les bibliothèques allemandes

1999
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    Les formes de tarification dans les bibliothèques allemandes

    Par Peter Borchardt, Zentral und LandesbibliothekBerlin

    Pour mieux comprendre la situation actuelle de tarification dans les bibliothèques allemandes, permettez-moi une toute petite excursion dans l'histoire de la RFA.

    Jusqu'au début des années 1960, l'accès payant était normal dans la plupart des bibliothèques, aussi bien dans les bibliothèques publiques que dans les bibliothèques de recherche. Les choses ont entièrement changé au début des années 1960 quand, aux États-Unis comme en Allemagne de l'Ouest (et en France, je suppose), on a subi le « choc Spoutnik ", le retard européen et américain dans les sciences et dans l'ingénierie.

    Chez nous, plus spécialement, on a connu la « Bildungskatastrophe », la catastrophe de l'éducation nationale. On a constaté (ce qui n'était pas un secret) que seule une petite élite avait accès à la formation supérieure, ce qui était vraiment une catastrophe pour un pays comme l'Allemagne qui vivait de plus en plus du savoir professionnel de ses ingénieurs et techniciens. Depuis de longues années il n'y avait plus de prix Nobel allemand, et la réputation du système allemand ou plutôt prussien d'éducation nationale, qui avait trouvé tant d'admirateurs, et d'imitateurs même, aux États-Unis et au Japon, avait vécu.

    Les conséquences furent considérables, il en résulta la création d'une vingtaine de nouvelles universités et ses effets se firent sentir aussi dans d'autres domaines tels que la lecture publique.

    Les droits d'inscriptions dans les bibliothèques de lecture publique ont été presque complètement supprimés à partir de 1965. Le rôle des bibliothèques publiques a changé, elles ont été de plus en plus des « centres d'information au lieu de « bibliothèques traditionnelles de prêt », et la gratuité de l'accès à l'information est devenue un principe de la politique culturelle en Allemagne. Cela a été renforcé par la politique social-démocrate du "citoyen émancipé (mündiger Bürger) qui devait participer activement à la construction de la société moderne, ce qui, bien sûr, n'était possible que par un accès libre à toute forme d'information.

    Toute une génération à laquelle j'appartiens a profité de cette politique. L'accès au savoir n'était plus réservé à une minorité, et l'accès au savoir était devenu complètement gratuit - au lycée, à l'université et dans la lecture publique.

    Tout cela a changé de nouveau au début des années 1980, d'abord au niveau des communes. La crise économique, avec ses chiffres de chômage effrayants, a eu des conséquences directes sur les budgets des communes : les dépenses d'aide sociale ont augmenté de telle manière qu'il ne restait plus grand-chose pour les autres services locaux.

    C'est ainsi qu'ont été introduits des droits d'inscription, d'abord dans les bibliothèques (municipales) de lecture publique. Au début, la profession a protesté contre cette nouvelle politique défavorable à la formation du « citoyen émancipé ». On a essayé de montrer aux élus que les frais étaient peu efficaces, car les coûts en personnel chargés d'encaisser l'argent étaient plus élevés que les sommes encaissées. De plus, on s'attendait à une énorme réduction des inscriptions.

    Toutes ces prédictions sont devenues réalité, mais les élus n'ont pas été impressionnés. « Il faut payer pour aller à la piscine, alors pourquoi pas pour aller à la bibliothèque ? » était leur argument principal.

    On peut constater aujourd'hui que ce sujet n'est plus discuté, ni dans la profession ni dans le public.

    Les inscriptions dans les bibliothèques augmentent de nouveau depuis des années. Il est devenu normal de payer, la statistique nationale des bibliothèques de lecture publique pour 1998 montre par exemple, pour les 100 bibliothèques municipales des villes allemandes de plus de 100 000 habitants, qu'il y a des droits d'inscription dans au moins 84 bibliothèques.

    Je vous propose de regarder d'un peu plus près ce qui existe aujourd'hui comme systèmes de tarification dans les bibliothèques allemandes.

    Il faut mentionner ici que l'accès et le prêt sont toujours gratuits dans les bibliothèques universitaires (qui sont, en principe, ouvertes à tous chez nous) et dans la plupart de nos grandes bibliothèques nationales et régionales - avec une exception remarquable, la Staatsbibliothek de Berlin. Là, on a introduit l'année dernière des tarifs d'accès qui sont destinés exclusivement au financement des travaux de conservation du patrimoine, dépenses énormes que la bibliothèque ne pouvait pas financer elle-même. Les droits sont pourtant modestes : 30 DM pour une carte annuelle, 5 DM par semaine ou 1 DM pour une carte journalière. C'est effectivement modeste comparé aux tarifs de la Bibliothèque nationale de France (200 F pour la carte annuelle, 20 F pour la journée), mais cher comparé à la British Library et aux autres bibliothèques régionales et nationales en Allemagne, où l'accès est gratuit.

    Il faut souligner que, dans les bibliothèques de lecture publique, l'accès à l'information est normalement gratuit. Au moins là, on reste un peu fidèle aux exigences du récent manifeste de l'UNESCO sur les bibliothèques publiques, qui déclare que « les services de la bibliothèque publique sont en principe gratuits (1) ». Mais il y a, naturellement, une exception : pour entrer à la bibliothèque municipale de Cologne, il faut présenter une carte de lecteur (35 DM par an pour les adultes, gratuité pour les personnes de moins de 20 ans).

    Il y a des variantes innombrables en ce qui concerne les tarifs des bibliothèques municipales. Le tarif moyen d'une carte de lecteur pour les adultes est de 20 à 30 DM par an, avec un maximum de 60 DM à Hambourg (2) . Puis il y a normalement des tarifs réduits pour les étudiants, les lycéens, les appelés, et l'inscription est (encore) presque partout gratuite pour les enfants et les bénéficiaires de l'aide sociale. Une autre source financière importante est l'amende pour un retard, qui varie selon la commune : très souvent il s'agit de 0,50 DM par document et par jour de retard.

    À l'origine, la tarification a été introduite non pas afin de créer des crédits supplémentaires pour les bibliothèques elles-mêmes, mais afin d'augmenter les recettes et les moyens liquides des autorités locales. Très souvent, le budget de la bibliothèque était diminué de la somme que la bibliothèque devait gagner par ses propres moyens, somme qui était fixée selon les inscriptions des années précédentes. Vous pouvez imaginer que cela pose régulièrement des problèmes. Aujourd'hui, à peu près 4 à 5 % du budget total provient des tarifs différents (3) , dans les bibliothèques de lecture publique plus que dans les bibliothèques de recherche. Je crois que, là, il n'y a pas de grandes différences entre les bibliothèques allemandes et les françaises.

    Mais, comme l'administration publique en Allemagne (dont les bibliothèques municipales forment une partie) se soumet depuis à peu près dix ans à une réforme fondamentale qui, entre autres, a vu l'introduction de la comptabilité en partie double dans nombre de collectivités locales (au lieu de la comptabilité publique simple traditionnelle, qui est très rigide), de la comptabilité analytique et de la définition des types et centres de coûts, on est maintenant beaucoup plus attentif à toutes les questions financières. Il devient de plus en plus attrayant d'encaisser de l'argent, car la nouvelle flexibilité de gestion financière permet aux bibliothèques de garder le surplus de revenus et de l'utiliser pour la création ou l'amélioration des services. C'est surtout le cas avec les tarifs pour les services spéciaux. Pour citer quelques exemples : la bibliothèque municipale de Düsseldorf prend 2 DM pour trois jours de prêt de vidéocassettes, et cet argent sert à acheter d'autres cassettes ; d'autres bibliothèques municipales, par exemple à Mônchengladbach, Gütersloh, Krefeld et Neuss, demandent des paiements supplémentaires pour le prêt des best-sellers (5 DM par prêt) afin de financer l'achat de nouveaux best-sellers.

    Grâce à Internet, on peut maintenant consulter les différentes tarifications des bibliothèques allemandes de manière très confortable (4) , et on peut constater qu'il n'y a guère d'éléments de service qui ne soient pas tarifés. Pour prendre l'exemple de ma propre bibliothèque, qui ne se distingue pas des autres grandes bibliothèques publiques : la liste des tarifs comprend l'établissement d'une carte de lecteur (20 DM par an), les frais de réservation et de prolongement d'un prêt (1 DM par avis écrit), l'indemnité de retard (0,50 DM par document et par jour), les frais de traitement en cas de perte ou de réparation d'un document (30 DM), le prêt d'un document dans le prêt inter-bibliothèques (2 DM), la production d'une photocopie par la bibliothèque (0,50 DM par page A4) ; il y a en plus des tarifs spéciaux pour les travaux de photographie, les autorisations de reproduction des documents à des fins commerciales et les permissions de tournage (15 à 500 DM), etc. Là aussi, peu de différences entre les situations en France et en Allemagne.

    Pourtant, je voudrais vous présenter à la fin de mon intervention deux exemples un peu hors du commun, qui se sont développés dans les bibliothèques municipales de deux villes sans doute peu connues en France, Bergkamen (53 000 habitants) en Westphalie et Weil am Rhein (28 000 habitants), qui se trouve près de la frontière suisse à quelques kilomètres de Bâle.

    Les deux villes ont institué une coopération avec la Einkaufszentrale fur Bibliotheken (ekz) à Reutlingen, qui est une centrale d'achats pour tout ce qui est nécessaire à une bibliothèque : livres, documents sonores, vidéocassettes, cédéroms, matériel, meubles, etc. À Bergkamen, on suit depuis 1996 le modèle suivant : la ekz fournit chaque année 500 CD de musique pop qui sont ensuite la propriété de la bibliothèque. Les CD sont empruntés à un tarif spécial, et c'est avec ces seuls revenus qu'on refinance l'achat des CD. Cela comporte un certain risque, car on ne sait jamais si ces revenus seront vraiment suffisants pour payer les CD, mais ce risque est pris totalement par la ekz. Par contre, quand il y a un surplus, il revient exclusivement à la bibliothèque.

    Le succès de ce modèle de coopération a incité la bibliothèque municipale de Weil am Rhein à établir un autre projet de coopération avec la ekz pour les cédéroms. Il a été convenu que l'ekz fournirait en quatre ans 300 cédéroms qui seront ensuite refinancés par des paiements particuliers. La coopération a commencé en juillet 1997. À la différence de ce qui se passe à Bergkamen, le risque est partagé pour moitié. On a calculé un tarif de 4 DM par cédérom pour quatorze jours, et ce tarif varie selon les revenus. Au bout d'un an, le tarif spécial a été accepté par les clients de la bibliothèque, même après l'introduction d'une carte de lecteur payante (20 DM pour les adultes par an) en janvier 1998. La demande est grande, pourtant le chiffre de prêts n'est pas encore celui que prévoyaient les calculs.

    Les deux modèles que j'ai décrits brièvement ici ont suscité l'intérêt d'autres bibliothèques de lecture publique, et je suis sûr qu'on verra bientôt d'autres modèles de coopération basés sur le refinancement des documents par des tarifs spéciaux. On peut imaginer beaucoup d'autres champs d'activité, et je suis convaincu que cela n'est qu'un début...

    Pour terminer, je voudrais vous présenter le système de tarification d'un nouveau service commun des bibliothèques allemandes : Subito (5) . Subito est un service de livraison de documents dans les bibliothèques allemandes qui offre la commande et la livraison électroniques de reproductions d'articles. La base de recherche est la Zeitschriftendatenbank, le Catalogue collectif des périodiques dans les bibliothèques (de recherche) allemandes, qui contient actuellement plus de 1 million de titres de périodiques. Le service est développé et géré principalement par le Deutsches Bibliotheksinstitut (DBI (6) ), Institut allemand de bibliothéconomie. Toute bibliothèque accessible au grand public peut participer à la fourniture de documents dès lors que ses fonds de périodiques sont catalogués dans la Zeitschriftendatenbank. L'accès à la recherche et la commande ellemême sont gratuits.

    Il existe un « service normal et un « service rapide Dans le service normal, on garantit un traitement de la commande dans les trois jours ouvrables (7) . Le service rapide garantit un délai d'un jour ouvrable (sauf le samedi). La fourniture du document peut se faire par courrier électronique, par FTP, par télécopie ou par courrier normal.

    La tarification distingue deux groupes d'utilisateurs :

    • Groupe 1 :
      • étudiants, lycéens, personnes en formation, membres de l'université ;
      • particuliers ;
      • personnes qui sont employées dans les établissements de recherche financés par l'État, personnes juridiques de droit public, églises, établissements d'utilité publique.
    • Groupe 2
      • tous ceux qui n'appartiennent pas au groupe 1, avant tout les utilisateurs « commerciaux », mais aussi tous les clients à l'étranger (puisque Subito est subventionné par des fonds publics).

    Pour le groupe 1, les tarifs sont les suivants :

    Vignette de l'image.Illustration
    tarifs du groupe 1

    Pour le groupe 2, les tarifs sont fixés par la bibliothèque qui fournit le document.

    1. Cf. Abdelaziz Abid et Thierry Giappiconi : « La révision du Manifeste de l'UNESCO sur les bibliothèques publiques », Bulletin des bibliothèques de France n° 40 (1995), 4, p. 8-14. En Allemagne, il n'y a pas de législation spécifique pour les bibliothèques qui, comme en Angleterre, oblige les bibliothèques à fournir un service fondamental gratuit - le prêt des livres. retour au texte

    2. Et, à partir de juin 1999, 70 DM pour les adultes et 5 DM pour les enfants. Il est bien possible que cette nouvelle orientation (tarifs pour les enfants) ne soit qu'un début. retour au texte

    3. Selon Günter Beyersdorff : « Woher kommt das Geld und wo flieBt es hin ? Ressourcen in Ôffentlichen Bibliotheken Deutschiands. Auswertung einer Zusatzerhebung der Deutschen Bibliotheksstatistik », Bibliotheksdienst n° 33 (1999), p. 600-607. retour au texte

    4. Une liste des URL des bibliothèques allemandes qui est toujours très actuelle est établie par le Hochschulbibliothekszentrum (HBZ) à Cologne : http ://www. hbz-nrw. de/hbz/germlst/Welcome. html retour au texte

    5. Les détails sont décrits sur http ://www. subito-doc. de retour au texte

    6. http ://www. dbi-berlin. de retour au texte

    7. La période de traitement est le temps qui s'écoule entre l'entrée de la commande dans la bibliothèque et le début de la livraison. retour au texte