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Quelques résultats de l'influence des politiques tarifaires sur le fonctionnement des services municipaux de lecture publique

1999
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    Quelques résultats de l'influence des politiques tarifaires sur le fonctionnement des services municipaux de lecture publique

    Par Jean-Loup Lerebours, Vice-président, directeur Bibliothèques publiques de l'ABF, médiathèque d'Arles

    mm Les choix d'une politique « tarifaire, décidée par les élus municipaux ou par les décideurs de la collectivité de tutelle, sont constitutifs d'une volonté déterminée de politique culturelle ou documentaire. Et pourtant ils peuvent être diamétralement opposés. » (In : programme du pré-séminaire de Limoges.)

    Entre les diamétralement opposés, les noirs et les blancs, il y a bien entendu toute la gamme des gris, comme l'ont relevé différentes études faites sur les politiques tarifaires des bibliothèques municipales.

    Je renvoie, par exemple, à celle conduite par Gilles Gudin de Vallerin, directeur du service de lecture publique de Montpellier, et Sylvie Robert, dont les résultats ont été publiés par le Bulletin des bibliothèques de France n° 6 de 1994.

    Elle constate, entre autreschoses, que sur les trente-troisvilles de plus de 100 000 habitants qui faisaient l'objet de cette enquête, seules deux (Limoges et Nice) pratiquaient alors l'inscription gratuite pour tous les supports et que, entre 1992 et 1994, au moins quatre villes (Amiens, Caen, Le Havre, Saint-Étienne) ont abandonné la gratuité totale. Depuis les dernières élections municipales de 1995, une de ces trente-trois villes au moins (Nîmes) a fait le chemin inverse, le retour à la gratuité totale, avec un gain de plusieurs milliers d'inscriptions.

    Quand je parlais des gris entre les blancs et les noirs, nous en avons une illustration dans cette même enquête par le fait que vingt-cinq sur trente-trois pratiquent la gratuité pour les jeunes : seize pour les moins de 18 ans, quatre pour les moins de 16 ans, une pour les moins de 25 ans, etc.

    Il m'a semblé qu'à l'occasion du congrès 1999 de l'ABF une nouvelle enquête de ce type aurait été d'un intérêt très relatif à cause de sa redondance.

    Pour ma part, j'ai préféré m'intéresser à l'étude de relations éventuelles entre les politiques tarifaires et certaines caractéristiques des services municipaux de lecture publique auxquels elles s'appliquent.

    En effet, peut-on se satisfaire de deux éléments de la conclusion de l'enquête sur les tarifications dans les bibliothèques des villes de plus de 100 000 habitants ?

    Je cite: Certes, pour être reconnue, une activité doit être payante et une cotisation, même symbolique, responsabilise l'usager. »

    Qu'est-ce qui prouve une telle assertion ? Est-ce à dire, pour ne prendre qu'un exemple, que toutes les actions gratuites gérées par des bénévoles déresponsabilisent leurs usagers ? Je ne le crois pas, je crois même le contraire, mais ceci reste aussi à prouver. La citation se continue par: Cependant, le coût et la complexité de la tarification ne doivent pas entraîner une baisse des abonnements. »

    Ce dernier aspect des choses me paraît en effet important. Et nous ne sommes pas, là non plus, en terrain vierge. Compte tenu du peu de temps et d'espace dont je dispose ici, je me limite à vous renvoyer au Bulletin des bibliothèques de France tome 31 n° 5 de 1986, et plus particulièrement à l'article de John C. Beard intitulé Service non compris, le problème du paiement dans les bibliothèques publiques ».

    Sur le point précis qui nous intéresse, je tiens cependant à citer cet auteur : « Les informations dont on dispose montrent que la tarification des services de bibliothèque produit les effets suivants : leur utilisation connaît une baisse sensible lorsqu'ils sont facturés. Inversement, l'expérience montre que l'on peut escompter un fort accroissement de la demande en cas d'abandon de la facturation.

    Ainsi, aux Pays-Bas, les statistiques d'inscription des enfants ont gonflé de façon spectaculaire dès la suppression des droits d'inscription, à partir de 1975...

    D'autres indications, communiquées par l'Irlande dans un autre contexte, font apparaître un déclin sensible des prêts depuis qu'ils ont été soumis à redevance, il y a quelques années. »

    Et qu'en est-il en France en 1 999 ?

    Voici ce que donne l'enquête que je viens de mener. Au passage, je tiens à remercier l'ABF qui m'a permis de l'effectuer, François Raynaud de la Direction des systèmes d'information et de télécommunication de la ville d'Arles qui m'a aidé à l'exploiter, et les 562 responsables de bibliothèque municipale en France qui ont pris le temps de répondre au questionnaire dans un délai très court, montrant ainsi tout l'intérêt qu'ils portaient à ces questions.

    Comme vous le savez, la rigueur scientifique en phase expérimentale veut qu'un phénomène ne soit examiné qu'à partir d'une variable et d'une seule à la fois. Conformément à ce principe, j'ai pris l'option d'isoler la variable « gratuité des inscriptions", c'est-à-dire que j'ai divisé l'ensemble des réponses reçues en deux sous-ensembles : celui des bibliothèques ayant répondu zéro pour le montant des droits d'inscription en 1998, que j'appellerai pour la commodité « bibliothèques gratuites » ; et celui des bibliothèques ayant perçu des droits d'inscription, que j'appellerai « bibliothèques payantes

    Nous voyons combien ce choix est radical, car il n'échappera à aucun de vous que les bibliothèques à inscription gratuite pour les habitants de la commune et payante uniquement pour les non-résidents, ainsi que les bibliothèques dont l'inscription reste gratuite pour une part non négligeable de leurs usagers, se retrouvent, avec le choix que j'ai fait, dans le groupe des « bibliothèques payantes

    Eh bien, malgré cela, le résultat est net. Le taux d'inscrits par rapport à la population est de 21,48 % pour les bibliothèques gratuites, contre 19,16 % pour les bibliothèques payantes, soit un écart de 2,32 %.

    Est-ce que cette influence de la gratuité sur le taux d'inscription est corroborée par un autre résultat ?

    Je viens de souligner que, dans le paysage actuel des services municipaux de lecture publique en France, même quand ils sont payants, beaucoup restent gratuits pour les enfants. Autrement dit, logiquement, par rapport au total des inscrits, le pourcentage des inscrits adultes (ceux qui doivent payer leur inscription) devrait être inférieur dans les bibliothèques payantes.

    Là encore, le résultat est probant. Le pourcentage d'inscrits adultes dans les bibliothèques payantes n'est que de 61,98 %, alors qu'il est de 65,06 % dans les bibliothèques gratuites, soit un écart de 3,08 %.

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    Pourcentage de prêts dans les bibliothèques payantes et dans les bibliothèques gratuites

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    Les dépenses

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    Principaux chiffres de l'enquête 1999 de l'ABF sur les politiques tarifaires des bibliothèques municipales

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    Réponses au questionnaire envoyé aux bibliothèques municipales

    J'ai le sentiment que ces résultats sont pertinents dans la mesure où ils portent sur un grand nombre de réponses. Cela dit, il ne s'agit que de résultats bruts.

    Ils seraient sans doute beaucoup plus signifiants encore s'ils pouvaient être complétés par d'autres recherches sur la composition socio-professionnelle des inscrits, pour étudier les catégories les plus touchées par le renoncement à l'inscription dès lors qu'elle est payante. Il serait aussi intéressant d'étudier s'il y a un rapport entre richesse et pauvreté des villes et décision ou non de celles-ci de pratiquer la gratuité ou le paiement de l'inscription, en n'oubliant pas que les familles de cadres s'inscrivent beaucoup plus facilement que celles d'employés ou d'ouvriers, etc.

    Il n'y a que les organismes de recherche patentés, dotés de moyens sans commune mesure avec les miens ou ceux de l'ABF, qui puissent mener ce genre d'études.

    Souhaitons à nouveau qu'ils en comprennent tout l'intérêt, qu'ils passent à l'acte.

    Si nous abandonnons maintenant cet aspect social des conséquences d'une inscription payante, que révèle ou confirme cette enquête par ailleurs ?

    Tout d'abord, elle semble confirmer que les bibliothèques sont d'autant plus fréquemment à inscription payante qu'elles correspondent à des services qui se sont ouverts à de nouveaux supports nécessitant plus de personnels, de moyens matériels et financiers. C'est ainsi que, si nous comparons les prêts par type de document par habitant, ils sont systématiquement supérieurs pour le groupe des bibliothèques payantes.

    Mais il y a un autre résultat, à mes yeux très important car il représente un argument de poids pour conforter les tenants de la gratuité : celui du coût unitaire d'un inscrit.

    En effet, si nous comparons le déficit direct par inscrit tel que cette enquête permet de le calculer, c'est-à-dire la somme des recettes pour inscriptions et des autres recettes moins la somme des dépenses de personnel et des dépenses d'acquisitions, le tout divisé par le nombre d'inscrits, voici le résultat.

    Pour le groupe des bibliothèques gratuites, un inscrit revient à 494,13 F, alors que le chiffre correspondant pour les bibliothèques payantes est de 578,05 F.