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    Intervention

    Par Alain Rodet, député-maire

    Ie tiens tout d'abord à remercier j Mme Belayche et toute son équipe pour avoir choisi Limoges comme site d'accueil d'un des deux pré-séminaires du congrès national de l'Association des bibliothécaires français.

    Certains de vos collègues ont préféré se rendre à Poitiers avant de rallier La Rochelle, et je me réjouis de vous voir si nombreux dans notre ville. Ce choix de Limoges est judicieux à un double titre.

    Tout d'abord parce qu'il vous permettra de découvrir notre médiathèque, inaugurée il y a moins d'un an, les échanges d'expérience entre professionnels étant toujours fructueux. À vrai dire, nous nous trouvons au coeur d'un réseau de bibliothèques, dont certaines sont situées dans des secteurs dits sensibles, que nous modernisons et complétons peu à peu.

    Pour cette bibliothèque centrale, nous avons accumulé le maximum de contraintes imaginables. En effet, nous nous trouvons sur le site du forum de la ville gallo-romaine d'Augustoritum, qui était l'une des plus vastes cités de la Gaule ; site sur lequel, au milieu d'une friche, se dressaient des bâtiments classés du xvnesiècle, sans parler de quelques transformateurs au pyralène...

    Nous avons bien évidemment bénéficié de la loi de 1992, que j'ai eu le plaisir de voter, et qui avait précisément été conçue pour financer une dizaine d'équipements du type de celui-ci. D'ailleurs, certains la nommaient la loi Orléans-Poitiers-Limoges., », puisque ces trois villes étaient les premières inscrites sur la liste.

    S'agissant du choix de l'architecte, notre souci n'était pas d'avoir un signe architectural fort. Le jury que je présidais s'est déterminé à la quasi-unanimité en faveur du projet présenté par Pierre Riboulet, parce qu'il s'était intéressé avant toute chose au fonctionnement d'une bibliothèque, à la vie d'un tel établissement.

    Et, comme elle est au coeur d'une ZAC qui d'ici quelques années comprendra des établissements universitaires, des immeubles de bureaux, des logements, des commerces, on peut même considérer que cette bibliothèque constitue la locomotive de l'aménagement global d'un nouveau quartier. a Ensuite parce que Limoges, seule ville de plus de 100 000 habitants où l'inscription et les prêts dans les bibliothèques municipales demeurent entièrement gratuits, et ce quels que soient l'origine géographique et les revenus des usagers, est le cadre idéal pour un débat sur la tarification. Avec 30 millions de frais de fonctionnement par an, supportés par le seul budget municipal, les contribuables de Limoges n'admettent peut-être pas toujours bien ce principe et considèrent qu'en matière de charges de centralité, c'est-à-dire les dépenses assurées par les villes-centres pour des équipements ou services profitant à toute l'agglomération, nous allons sans doute un peu loin.

    Il n'y a pourtant ni laxisme ni générosité excessive de notre part. Notre choix ne s'appuie pas sur des études approfondies, dont nous ne disposions pas lors des réflexions préliminaires à l'ouverture de la BFM. Il s'agit presque d'un choix instinctif. Nous avons considéré que, dans un monde régi par l'économie de marché, où tout est perçu comme une marchandise, il était nécessaire de permettre à tout citoyen d'accéder librement à la culture. Je sais bien qu'aujourd'hui la mode est à la participation même pour certaines structures très sociales. Ainsi, très récemment, la ville a contribué à l'aménagement d'un restaurant pour personnes sans domicile fixe, « la Bonne Assiette ", et même à ces gens-là nous demandons 5 F par repas. Aujourd'hui, tout le monde est client, la notion d'usager tend à disparaître, et pourtant nous avons considéré que nous devions permettre l'accès à cette bibliothèque à des gens qui n'avaient été servis ni par la richesse ni par la naissance. Nous n'avons pas ouvert cet équipement, nous n'organisons pas des animations autour de la lecture publique pour ces " cultureux qu'on trouve en nombre plus ou moins important dans toutes les grandes villes lors des vernissages, et à côté desquels le discours des travailleurs sociaux paraîtrait presque limpide !

    J'ajoute que ce n'est pas au travers des arts plastiques ou des spectacles vivants - pour lesquels des efforts financiers sont consentis, d'ailleurs à juste titre - que l'on amènera les gens à la culture. C'est par le livre. Nous le savons bien à Limoges, où nous avons un théâtre lyrique municipal. Nous montons trois ou quatre opéras par an, chacun nous coûte 1,5 à 2 MF pour deux séances et, même si nous offrons des places de l'ordre de 100 F pour les moins chères, nous n'attirons jamais que quelques milliers de personnes compte tenu de la capacité de la salle.

    Par ailleurs, vous le savez bien, il existe quelques rigidités dans notre pays, des cloisonnements entre les différents types de bibliothèques.

    Enfin, avec la gratuité, nous demandons une coresponsabilité de cet équipement. S'il y a de la « fauche ou des dégradations, les usagers doivent comprendre que, au-delà de la collectivité, ce sont les utilisateurs qui en pâtiront. Aujourd'hui, c'est la règle du chacun pour soi qui prévaut. Notre choix politique a été de considérer qu'il convenait d'enclencher la démarche inverse. Nous voulons croire que ce message peut être compris.

    Si l'on raisonne d'ailleurs en termes strictement économiques, quel peut être l'intérêt d'une tarification ? À moins de faire supporter aux seuls usagers le coût des services publics, ce qui serait bien trop discriminatoire pour être concevable, le produit des droits de prêt ou d'inscription n'est pas considérable.

    Il serait sans doute hasardeux de quantifier l'impact de ce choix de la municipalité de Limoges sur la fréquentation de nos bibliothèques, mais les 470 000 passages enregistrés depuis l'ouverture de la BFM en septembre dernier sont plutôt de nature à nous conforter.

    Nous n'avons pas la prétention de donner des leçons, nous menons une expérience, et à vrai dire peut-être ne tiendrai-je pas le même discours d'ici deux ou trois ans.

    En faisant figure d'exception culturelle dans un paysage de la lecture publique caractérisé par une généralisation du prêt payant, il était naturel que nous ouvrions nos portes à des professionnels soucieux de faire progresser la réflexion.

    La façon dont la tarification est vécue en fonction des différents milieux sociaux, l'évaluation de son caractère discriminant et, bien évidemment, l'intérêt économique qu'elle peut présenter pour les villes qui la pratiquent nous intéressent tout particulièrement.

    Notre expérience peut sans doute aussi enrichir le débat ouvert par une partie des éditeurs français sur le droit de prêt. Prétendre que les bibliothèques font concurrence à l'édition française relève à mon avis d'une méconnaissance préoccupante des réalités.

    Les collectivités territoriales, dont je rappelle qu'elles participent pour 75 % à l'investissement public dans notre pays, sont en première ligne s'agissant de la lecture publique. Il est évident que leur effort financier a un double effet favorable sur l'économie du livre, au profit des éditeurs et des auteurs :

    • un effet direct, par l'acquisition d'ouvrages dont certains ne seraient sans doute pas édités sans la commande publique en dépit de leur qualité (je signale que la ville aura acheté cette année pour plus de 2,5 millions de francs de livres auprès des libraires) ;
    • un effet indirect, en développant le goût pour la lecture.

    D'ailleurs les libraires, qui me semblent être le premier relais du monde de l'édition, ne s'y trompent pas. À Limoges, Mme Boulestin, conseillère municipale déléguée à la lecture publique, également responsable de notre « Fête du livre ", pourra vous le confirmer, ils ont été les premiers à se réjouir de l'ouverture de notre médiathèque. Vos collègues peuvent d'ailleurs constater un va-et-vient permanent des usagers entre les librairies de la ville et la bibliothèque. N'est-ce pas la meilleure preuve d'un enrichissement mutuel ?

    Pour autant, les auteurs ont droit à une juste rémunération, la qualité et la diversité de la production éditoriale étant le plus sûr garant de l'équilibre culturel de notre pays. Mais les mécanismes liant livres et bibliothèques suscitent des interrogations trop complexes et trop multiples pour faire l'économie d'une réflexion que je vous remercie d'avoir engagée. Les préconisations du rapport Borzeix ne nous séduisent pas beaucoup, car il ne nous paraît guère raisonnable de mettre à contribution les bibliothèques publiques pour régler la question de la rémunération des auteurs.

    Je vous prie de m'excuser d'avoir été un peu long et d'avoir évoqué sans apprêt notre expérience, une expérience que nous souhaitons prolonger le plus longtemps possible sans chercher à donner de leçons à qui que ce soit.