Index des revues

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    Immobilisme ou action : faut-il gérer la pénurie ?

    Par Marie-Hélène Bournat

    Entre 1971 et 1975 la Bibliothèque Interuniversitaire d'Aix-Marseille a vu son public s'accroître de 6,49 %, alors que dans le même temps ses recettes diminuaient de 10,16% en francs constants. Elle a donc porté ses efforts sur la recherche et la mise en application de solutions propres à assurer le maintien de la mission de service public qui lui incombe.

    Afin que les résultats obtenus puissent être comparés, les données quantitatives portent uniquement sur les budgets de fonctionnement et sont exprimés en francs constants (sur la base du franc 1971) de façon à éliminer le paramètre de l'inflation et d'évaluer ainsi les résultats en termes de pouvoir d'achat.

    Devant cette situation, deux solutions étaient possibles :

    • 1) Une solution optimiste et rassurante pour le gestionnaire : attendre, soit que les recettes s'accroissent, c'est-à-dire, que la subvention de l'État (80 %) et les droits d'étudiants (17%) augmentent, soit que le nombre d'étudiants diminue. Or la politique actuelle de l'État n'est pas d'augmenter nos recettes, les droits d'étudiants ne sont pas indexés ; quant aux effectifs des étudiants, si l'État n'accroît pas nos recettes quand leur nombre s'accroît, a fortiori, l'État n'augmentera pas nos recettes si leur nombre diminue. Sans parler, des droits d'étudiants qui diminueront de facto.
    • 2) Une solution pessimiste et inconfortable pour le gestionnaire : si la solution ne vient pas de l'extérieur, c'est au gestionnaire d'agir pour trouver des remèdes ou des palliatifs. « Sur quelle base notre politique doit-elle reposer ? Sur notre force ». Il en découle la question suivante : Est-ce que j'utilise au mieux les crédits dont je dispose ?

    Question inconfortable, s'il en est, car après y avoir répondu, on peut s'apercevoir qu'on pourrait les utiliser mieux. Encore doit-on formuler une deuxième question : si je peux et si je veux utiliser au mieux les crédits que j'ai, c'est pour en faire quoi ?

    Nous avons choisi la deuxième solution : le changement était possible et nous devions avoir pour but de diminuer au maximum les dépenses non spécifiques pour accroître d'autant les dépenses spécifiques. En effet, que ce serait-il passé si nous n'avions rien changé à la situation de 1971 ?

    En 1971 nos recettes étaient de 48,73 F par étudiant et sans rien changer à nos dépenses nous n'aurions plus eu en 1975 que 41,11 F par étudiant, soit 15,64% de moins. En 1971 nos dépenses spécifiques étaient de 26,08 F par étudiant ce qui en 1975, avec 15,64 % de moins, aurait donné F 22,00 par étudiant. Il fallait donc agir et la gestion, ce n'est qu'une réflexion suivie d'une action sur les moyens à mettre en oeuvre pour appliquer une politique. Il s'agissait donc de passer d'un enregistrement passif des événements à une gestion responsable.

    Passer de l'immobilité à l'action implique le respect de certaines règles contraignantes : observer ce que l'on fait, analyser ce que l'on fait et pourquoi on le fait. Enfin et seulement constater que ce que l'on fait peut ou non être changé et si cela peut être changé, trouver les moyens. La méthode peut schématiquement être résumée ainsi : Observation + Analyse = Diagnostic + Action.

    Quels ont été les résultats ? Entre 1971 et 1975, alors que les recettes diminuaient de 10,16%.

    • - les dépenses totales diminuaient de 4,59 % ;
    • - les dépenses non spécifiques diminuaient de 18,73% ;
    • - les dépenses spécifiques augmentaient de 7,95 % et représentent actuellement près de 60 % des dépenses.

    Pour aboutir à ce résultat, trois principes ont été posés et appliqués, non pas successivement, mais simultanément : le contrôle, l'uniformisation, la remise en cause.

    En effet, il faut contrôler l'évolution des dépenses, de façon à éviter les surprises désagréables en fin d'exercice, et pour que chaque gestionnaire de section soit conscient de sa responsabilité. Il faut se grouper, pour être un client plus fort vis-à-vis du fournisseur, ce qui implique d'uniformiser non seulement les besoins, mais aussi les fournisseurs pour avoir un plus gros volume d'affaires avec chacun d'eux. Il faut remettre en cause, c'est-à-dire critiquer ce qui est fait traditionnellement, non pas pour le plaisir, mais pour savoir pourquoi on le fait.

    Nous sommes arrivés à un résultat certain. Mais comment ? Plutôt qu'un catalogue exhaustif et fastidieux des changements intervenus, je me bornerai à ne vous donner que quelques exemples.

    LE CONTROLE

    Il s'effectue à deux niveaux puisque la gestion s'effectue à deux niveaux : l'ordonnateur légal se situe au niveau de la B.I.U., mais en pratique chaque chef de section gère. Il y a donc à chacun de ces deux niveaux contrôle de la dépense. D'abord contrôle des engagements de dépenses par la tenue d'une comptabilité d'engagements et de mandatements, de façon à connaître à chaque opération comptable la situation des dépenses commandées et non facturées, et des dépenses commandées et mandatées.

    Pour renforcer ce contrôle, les Sections n'ont gardé l'entière liberté de dépenses que pour les achats de documents. En pratique elles envoient tous leurs bons de commande au Directeur qui peut arrêter la commande s'il constate qu'au bon de commande ne correspond pas de crédits. De plus chaque mois, la Direction adresse aux Sections un contrôle budgétaire mensuel qui donne l'état du budget de chaque section et donc alerte sur les dépassements en cours d'exercice, et évite les surprises de fin d'année.

    Autre exemple, mais d'une autre nature : les dépenses de chauffage. En 1971 elles absorbaient plus de 9% des dépenses et en 1975 elles ne représentent plus que 8%. Ce grignotage, effectué dans une période où le prix du fuel augmentait, a été obtenu en localisant la ou les sections où les dépenses de chauffage croissaient dans des proportions inquiétantes et en intervenant auprès de l'Université qui effectuait la facturation. Car la tentation est grande en période de pénurie généralisée ! Dernier exemple, enfin : le téléphone. Certes les P.T.T. augmentent leurs tarifs et pourtant, dans une section, en changeant de standardiste, les factures de téléphone ont brusquement baissé d'un tiers !

    L'UNIFORMISATION

    Je n'en donnerai que deux exemples :

    1) La papeterie : les dépenses de papeterie étaient jusqu'en 1973 mêlées dans un article fourre-tout intitulé « Fournitures diverses » qui voyait côtoyer les timbres, le téléphone, l'essence... et la papeterie. Or en 1973 un article du plan comptable a été créé pour la papeterie et les fournitures de bureau. Nous nous sommes alors aperçus que nos dépenses étaient élevées et que pour les mêmes besoins nous n'utilisions ni les mêmes fournisseurs, ni les mêmes articles : chacun avait son modèle d'enveloppes, sa marque de crayons à bille, un papier de tel grammage, etc... De plus chacun avait son modèle d'imprimé pour le prêt, son modèle d'imprimé pour le prêt-inter, son modèle de réclamation... L'Uniformisation s'est donc faite :

    • - sur les imprimés. Nous nous sommes mis d'accord sur les mêmes modèles et l'atelier offset de la Direction tire désormais en grand nombre les imprimés.
    • - sur le choix du fournisseur. Nous nous sommes groupés pour n'avoir qu'un seul fournisseur, après avoir, bien sûr, établi une liste commune d'articles de papeterie.

    Le résultat a été que nos dépenses ont diminué de 45 % en trois ans. Ceci est un exemple de groupement dont l'effet est spectaculaire, mais limité, car il ne met pas en jeu de grosses sommes.

    2) Il en est tout autrement de la rationalisation des abonnements, gros poste de dépense qui représente le 1/3 de nos dépenses totales. Une première opération à chaud, a été faite en 1973 par les sections scientifiques, qui ont dû sabrer dans leurs abonnements, comme un bon nombre de B.U. en France l'on fait à la même époque.

    Une deuxième opération plus agréable pour un bibliothécaire a consisté à choisir un fournisseur après appel d'offres national de façon à faire jouer la concurrence et à lui confier l'ensemble des abonnements. Les clauses du marché permettent de vérifier à chaque facturation le taux de change appliqué et le montant de la commission afin que nous puissions contrôler le prix à payer. La clause essentielle était de nous accorder sur tout règlement payé d'avance (avant le 31 décembre) une remise intéressante puisqu'elle porte sur une grosse somme.

    Nous avons réussi à dégager sur notre budget de fonctionnement les sommes nécessaires pour payer en deux ans non seulement les abonnements de l'exercice en cours, mais aussi ceux de l'exercice suivant, en utilisant notamment avec l'autorisation de l'agent comptable, notre fonds de garantie.

    LA REMISE EN CAUSE

    Ces quelques exemples contiennent en filigramme le troisième principe : tous sont basés en effet sur la remise en cause. Remise en cause du réseau de fournisseurs afin d'obtenir un meilleur prix pour un service au moins comparable. Remise en cause des choix budgétaires effectués par le gestionnaire. Pourquoi payer le contrat d'entretien d'un monte charge si l'on peut s'en passer ? Est-il préférable d'acheter des livres neufs ou de faire relier des livres abîmés ? Nous avons choisi de sacrifier la conservation pour maintenir un volume suffisant d'achats. Remise en cause de la nature des documents achetés. Vaut-il mieux acheter des livres qui serviront au plus grand nombre ou des ouvrages très spécialisés et coûteux qui serviront à une minorité ? Doit-on pour le même prix acheter quarante usuels pour les étudiants ou une revue qui ne servira qu'à un seul chercheur ? Chacun d'entre nous a la liberté de sa politique d'achats, mais ce qui est important, c'est qu'avant d'acheter il se pose un problème de choix.

    La politique menée depuis bientôt six ans, ne s'est pas faite sans difficultés, sans malentendus, sans erreurs et sans heurts. Toute contrainte est pesante, tout contrôle fait naître des craintes, toute uniformisation fait redouter l'uniformité, toute remise en cause suscite l'inquiétude. Et puis, il faut bien le dire, n'ayant pas reçu au départ de formation à la gestion des fonds publics, nous sommes devant la gestion comme le copiste devant la machine de Gutenberg.

    Néanmoins, au travers des aléas, un bilan positif est apparu : 60 % des dépenses sont faites pour les acquisitions.

    Mais attention, ce n'est pas un bilan victorieux. Certes nos dépenses ont diminué, certes nos achats de documents ont augmenté, mais deux chiffres résument la situation : en 1971 nous achetions pour F 26,08 de documents par étudiant. En 1975, le chiffre est de F 26,44. Nous avons donc réussi à sauvegarder notre pouvoir d'achat, à arrêter une chute, mais pas à remonter une pente.

    Faut-il continuer ? Je pense que oui car si nous savons gérer la pénurie, ce n'est pas pour encourager l'État à nous donner régulièrement 2 % de moins par an, mais c'est parce qu'après être passés par cette rude école, nous serons d'autant plus aptes à bien gérer l'abondance...