Index des revues

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    Introduction

    Par Marc Chauveinc

    Le sujet de notre débat aujourd'hui est défini dans le programme par le titre : Conserver, éliminer? Éléments pour une gestion rationnelle des fonds.

    Mais c'est un mauvais titre. Le mot éliminer fait toujours frémir les conservateurs, a mauvaise presse dans le public et ce n'est pas d'élimination qu'il s'agit.

    Si j'ai bien compris, il s'agit au contraire de conservation ou plus exactement il s'agit d'étudier comment nous pouvons, nous conservateurs, bibliothécaires, documentalistes, techniciens de l'information, nous les gardiens du temple et du patrimoine, assurer, par tous les moyens, qu'un document ayant existé puisse dans les années futures être communiqué à un lecteur. Il s'agit d'assurer l'accès universel et permanent (voire éternel !) aux documents.

    Il s'agit d'assurer la communication future de tout document. L'accès immédiat et actuel, nous en sommes assez conscients, puisque nous essayons de procurer aux lecteurs les documents avant même qu'ils ne paraissent. Le développement des pré-prints en est un exemple.

    Beaucoup de collègues des Bibliothèques publiques comme des Centres de documentation (les deux extrêmes) favorisent cet aspect des bibliothèques.

    Mais l'accès futur?

    Faire que dans 1 an, 10 ans, 100 ans des lecteurs puissent utiliser tous les documents actuellement existants. Ne pas faire comme nos ancêtres qui brûlaient. Pour moi, le débat s'est éclairé tout à coup à partir d'une réflexion d'un de nos collègues lors d'une réunion de préparation du Congrès : Ah ! si nous avions les éliminés du XVIe siècle ! A quoi on peut ajouter : et si nous avions la Bibliothèque d'Alexandrie et celle de Pergame, et la totalité du manuscrit de Lille... Récemment aussi quelqu'un recherchait pour un très sérieux travail historique les tracts communistes diffusés pendant la guerre 39-45 et les journaux clandestins, etc... On peut multiplier les exemples.

    C'est donc bien de cela qu'il s'agit : la conservation à perpétuité.

    Ou plutôt la communication à perpétuité. Voilà le but qui nous est assigné, à nous bibliothécaires ! Voilà notre mission. Mais comment?

    Toute notre réflexion va porter sur ce comment, sur le biais qu'il faut trouver pour sortir de l'impasse et surmonter les difficultés que ce comment soulève.

    Première difficulté :

    Il faut d'abord se procurer les documents. Les plus grosses bibliothèques ne dépassent pas 10 à 12 millions de volumes. Or on estime la production mondiale totale à 100 millions de volumes. On est loin du compte et on ne peut pas dire que nos Bibliothèques nationales soient complètes. Même les grosses Bibliothèques universitaires américaines qui possèdent 7 à 8 millions de volumes sont obligées d'emprunter, alors que dire de nos Bibliothèques universitaires françaises qui, sauf à Paris, ne dépassent pas 7 à 800 000 volumes !

    Il y a donc un déficit de base qui fait que certains documents ne seront plus jamais disponibles.

    C'est le problème des acquisitions, donc des crédits (ô combien douloureux ! ) mais aussi des plans d'achats, de la répartition des charges, des échanges.

    Deuxième difficulté : il faut choisir.

    Nous ne pouvons tout acheter. La production mondiale est trop importante, trop fluctuante, trop dispersée pour qu'il soit possible d'envisager seulement de l'acquérir. Or comment choisir ? Qui nous dira quel livre sera lu dans 20 ans? Quelle petite revue locale a publié un poème d'un écrivain inconnu qui deviendra célèbre ? Quels critères pouvons-nous employer pour juger de la pérennité d'un livre ? Il n'est pas possible de prévoir l'usage futur ; même les plus gros organismes, comme la British Library Lending Division, pourtant spécialement chargée de cette mission, avouent ne pas pouvoir choisir, ne pas pouvoir prévoir maintenant ce qui sera utile dans 10 ans.

    Comment sortir de ce nouveau dilemme? C'est pourtant là-dessus que nous serons jugés.

    Troisième difficulté : le stockage.

    La solution simple et évidente pour résoudre notre problème : c'est de conserver. Conserver jalousement, mettre en quelque sorte en coffre-fort, refuser l'accès.

    Mais ce n'est pas si simple, car, malgré notre insuffisance criante de fonds nous n'avons pas assez de place pour conserver convenablement ce que nous avons. Depuis le petit Centre de documentation jusqu'à la Bibliothèque nationale en passant par le Centre de documentation du CNRS tous les bâtiments sont trop petits pour les collections de livres. Il faut éliminer, se débarrasser, élaguer disent les Canadiens. Certains lefont ouvertement, d'autres honteusement. Notre discussion va porter sur ce point : comment éliminer rationnellement?

    Quatrième difficulté : le présent.

    Mais ce souci de conserver ne doit pas nous faire oublier le présent. Nous ne pouvons pas ne pas prêter. C'est le principe de base. Il y a là un conflit majeur : trop conserver gêne le prêt immédiat, trop prêter empêche la conservation.

    Comment concilier la communication d'aujourd'hui et la communication de demain? Ceci est un premier point. Mais nos bibliothèques doivent être vivantes, actuelles, utiles. Elles doivent correspondre aux besoins de nos lecteurs d'aujourd'hui. Donc mettre en rayon les livres d'actualité et ne pas encombrer les rayons de livres non utilisés.

    Pour donner à la bibliothèque cet aspect vivant il faut pouvoir calculer le degré d'utilisation des livres, leur rentabilité.

    Les Etats-Unis nous apporteront peut-être une solution par la voix de Monsieur Gardner avec le concept de « self-reniewing library » qui fait circuler les livres, mettant en première ligne les livres demandés et en réserve les non demandés. Il peut même y avoir plusieurs niveaux de réserve !

    Ce conflit entre deux bibliothèques a aussi un aspect économique. Car conserver des livres coûte cher, plus ou moins cher selon le type de stockage. Est-il rentable de stocker dans une salle de lecture en accès libre le vieux manuel de physique de 1930 ? Comment adapter le stockage à l'usage et diminuer le prix de celui-là lorsque celui-ci tend vers zéro?

    Comment donc organiser cette conservation en fonction des différents critères définis :

    • - l'usage des livres,
    • - le coût du stockage,
    • - la sécurité de celui-ci,
    • - la rapidité de communication ?

    Cela évoque immédiatement les calculs de gestion des stocks, la coopération entre bibliothèques, le stockage et l'élimination en cascade du centre privé à la Bibliothèque universitaire, de la Bibliothèque universitaire à la Bibliothèque régionale, de celle-ci au Centre national, etc...

    Voilà la perspective dans laquelle va se situer notre débat.

    J'ai joué l'ouverture, place maintenant aux ténors.