M. Richter, dans son rapport, a indiqué qu'un certain nombre d'établissements ont proposé « qu'un organisme central assure le prêt (?) et la redistribution des très nombreux documents rejetés par les bibliothèques et les services de documentation scientifiques et techniques. Doté d'un équipement informatique, ce service pourrait traiter de façon efficace les listes de doubles et les listes de lacunes diffusées par les bibliothèques participant au système ».
Il y a longtemps que je pense, moi aussi, qu'il faut un organisme central pour gérer rationnellement les éliminations des bibliothèques. Mais j'ajoute : je pense aussi depuis longtemps que cet organisme central peut très utilement et dans l'intérêt de tous être le Centre national de prêt.
Je voudrais préciser ici pourquoi et comment.
Les raisons qui militent en faveur d'un organisme central sont, je crois, évidentes. Dans la situation actuelle, chaque établissement qui a un stock important d'éliminables doit d'abord leur réserver delà place, en établir la liste, assurer la diffusion de celle-ci et faire les envois de ce qui lui est demandé. Ces opérations sont donc répétées dans tous les coins de France, alors que, il faut bien le dire, les collections proposées sont presque toujours très fragmentaires, les mêmes titres se répètent d'une liste à l'autre, la diffusion reste restreinte, et les résultats... relatifs. Pratiqué à une plus grande échelle par un organisme central, la liste serait naturellement beaucoup plus étoffée, la diffusion plus grande et les résultats définitifs. Les bibliothèques de base n'auraient alors qu'à faire un simple relevé de leurs disponibilités, ou même si le nombre des volumes était modeste qu'à les transmettre au Centre. Bien plus, si cet organisme pouvait, comme nous le préciserons tout à l'heure, disposer d'un fichier général de lacunes, les listes d'offres pourraient être réduites à un certain nombre de collections plus importantes, les numéros isolés étant envoyés spontanément aux établissements intéressés.
Sans m'étendre davantage pour l'instant sur ces divers points, je voudrais dire maintenant pourquoi cet organisme central pourrait très utilement être le Centre national de prêt.
Ce n'est pas simplement, ce qui serait d'ailleurs une raison suffisante, parce qu'il disposera normalement de moyens d'action (place et personnel) importants. C'est parce qu'il bénéficie et continuera longtemps de bénéficier de dons très nombreux, et qu'il se trouve de ce fait confronté quotidiennement avec ce problème de doubles à éliminer dont il souhaite à son tour faire bénéficier les autres de la façon la plus rationnelle. Celui qui reçoit beaucoup a beaucoup à redonner. Le C.N.P. sans cesse enrichi par les apports les plus divers, voudrait aussi enrichir ses correspondants. Sa place au centre d'un système quasi national d'échange de doubles devrait paraître on ne peut plus légitime.
Je voudrais donc montrer d'abord l'importance des dons dans le dévoleppement actuel et futur du C.N.P.
Le C.N.P., qui vient d'être officiellement créé, devra avoir, il va de soi, les moyens de remplir les tâches qui lui seront fixées. Nul doute qu'il aura besoin de crédits importants pour ses acquisitions d'ouvrages et de périodiques étrangers dans les domaines où il aura pour mission d'élargir le champ de la documentation des chercheurs français. Pour la production française, il sera souhaitable qu'il puisse bénéficier d'un exemplaire de dépôt légal ou reçoive à défaut une dotation correspondante. Tous ces crédits passeront essentiellement dans l'achat de la production courante.
Le C.N.P. ne pourra cependant pas négliger la production passée. Disposant, du moins nous l'espérons, de vastes locaux propres à abriter d'importantes collections, le C.N.P. devra également rassembler, dans le domaine français comme dans le domaine étranger, le maximum de ce qui pourra être utile à ses correspondants. Or il apparaît, le Service central des prêts ancêtre du C.N.P. en a fait véritablement la preuve, que cet enrichissement rétrospectif peut être pour l'essentiel le fruit d'une politique de dons, de dépôts ou d'échange. Sans nier la nécessité de procéder à quelques achats de collections intéressantes, de commander systématiquement en vue des besoins du prêt des reproductions de périodiques les moins répandus, tels ceux dont s'occupe l'A.C.R.P.P., on est obligé de reconnaître que les dons ont déjà représenté pour nous et ne peuvent pas ne pas continuer de représenter un apport irremplaçable et de qualité. Que de collections reconstituées de façon presque complète à partir de 3 ou 4 cadeaux d'origine diverse, venant même parfois de particuliers. Dirai-je même que pour les périodes où le Dépôt légal a mal fonctionné, le C.N.P. a pu se trouver, relativement, plus riche que la Bibliothèque nationale. Ce qui est sûr, c'est qu'il nous est arrivé plusieurs fois de recevoir une demande de prêt portant sur un ouvrage reçu en don la veille.
Ce qui est ainsi le bienvenu pour le C.N.P. correspond en gros aux éliminations que sont amenés à faire la plupart des établissements, et qui sont presque toujours- l'enquête ne dit rien sur ce point- des documents déjà anciens. Certes le C.N.P. n'est pas intéressé par les ouvrages matériellement hors d'usage, ni par la production de pure consommation, mais il l'est par presque tout le reste : ouvrages anciens, même périmés, dont il est bon qu'un exemplaire reste disponible pour le prêt : romans de toutes époques, sinon de toute nature, qui peuvent faire l'objet d'études întéressantes ; périodiques de toute discipline dont on peut reconstituer un ensemble valable à partir d'éléments reçus de-çi delà : tomes dépareillés rejoignant, le cas s'est vu, un autre tome antérieurement reçu. Le C.N.P., ouvert à toutes disciplines, ne saurait trop voir large.
Certes, la plus grande partie de ces éliminations sont, pour la bibliothèque qui les cède, des doubles, et on pourrait se demander s'il est nécessaire que le C.N.P. s'enrichisse de ces ouvrages ou périodiques dont un exemplaire reste disponible dans la bibliothèque. De fait il y a sans doute des domaines où le C.N.P. n'a pas besoin de doubler les établissements. Mais il faut aussi admettre que le C.N.P. a vocation pour constituer des fonds aussi complets que possible en vue de répondre lui-même à ses correspondants, en libérant au maximum les bibliothèques de la charge du prêt.
A titre de dépôt, les apports peuvent être encore plus considérables et certainement plus cohérents. Une bibliothèque peut en effet céder certaines collections qui lui prennent beaucoup de place alors qu'elles sont peu, sinon pas, consultées chez elle. Leur conservation par un organisme national au profit de tous s'avère une excellente solution. Disons à titre d'exemple que le C.N.P. a conclu avec la Maison des sciences de l'homme une convention déjà largement appliquée qui prévoit le dépôt au C.N.P. d'une partie importante de ses collections vivantes (environ 2 000 périodiques étrangers) qui restent à la disposition immédiate du déposant tout en pouvant ainsi être mieux utiles à tous nos correspondants.
Je pense que tout le monde sera d'accord pour reconnaître qu'en se débarrassant de collections inutiles qui viennent enrichir le Centre national, les établissements font une opération à double intérêt : ils gagnent une place souvent fort précieuse ; ils contribuent à faire du C.N.P. un organisme d'autant plus valable que ses collections sont plus étendues.
Le C.N.P. ne voudrait pas en rester là. Il souhaiterait contribuer également à l'enrichissement de toutes les bibliothèques intéressées.
Le C.N.P. se trouve en effet lui-même à la tête d'un fonds de doubles d'autant plus important que les dons qui lui sont adressés sont plus nombreux, et qu'il n'a pas l'intention de conserver dans ses collections, sauf cas particuliers, plus d'un exemplaire, de chaque ouvrage ou périodiques retenus. Il est normal qu'il cherche, sous peine d'étouffement, à placer ces doubles, et il souhaite le faire le plus rationnellement possible.
Des essais ont été déjà tentés en ce domaine. Certains d'entre nous se rappellent peut-être que le C.N.P. avait proposé à plusieurs reprises, comme beaucoup d'autres, dans ses « lettres occasionnelles », quelques collections de revues, et une autre fois demandé à ses correspondants de lui indiquer leurs lacunes ou leur desiderata en ce qui concerne les différentes séries du Bulletin signalétique du C.N.R.S. Les réponses reçues ont permis d'établir un embryon de fichier de lacunes. Chaque fois qu'il nous arrive de nouveaux doubles de ces revues, nous nous y référons et les numéros qui manquent à telle bibliothèque lui sont spontanément adressés. Pour le Bulletin signalétique, dont nous recevons régulièrement, de sources différentes, trois collections presque complètes, nous avons établi grâce aux réponses reçues une liste des numéros anciens recherchés et également des séries que les bibliothèques, faute de pouvoir s'abonner à tout ce qui les intéresse, souhaitent régulièrement recevoir. Certes, dans ce dernier cas, qui reflète hélas la misère des bibliothèques, il s'écoule un délai plus ou moins long entre le moment de parution d'un numéro et celui où il arrive entre nos mains et où nous pouvons le transmettre. Je pense que nos correspondants y trouvent néanmoins un intérêt. Par ailleurs, plusieurs conservateurs ont eu l'occasion de venir puiser eux-mêmes dans nos doubles, et je crois qu'ils ne sont pas repartis les mains vides.
Pour rendre efficace ce service de redistribution de doubles, on pourrait envisager les modalités suivantes :
1) Le C.N.P. devrait être prêt à recevoir en dons, mais par petits apports, les collections dont voudraient sans plus attendre se débarrasser les établissements.
- Pour l'envoi, un regroupement par grandes catégories, livres, périodiques, français ou étrangers, serait souhaitable.
2) Les établissements qui pourraient garder un certain temps leurs doubles disponibles se contenteraient d'en établir des fiches succinctes qui seraient traitées par le C.N.P. C'est ce que fait, à grande échelle, la B.L.L.D., qui a plus de 1 000 correspondants répartis non seulement en Grande-Bretagne mais même en Europe.
3) Le Centre constituerait des fonds distincts des doubles reçus : monographies, classées par grandes disciplines ; périodiques, de langue étrangère de l'autre, classés par ordre alphabétique des titres. L'accès direct à ces collections disponibles pourrait facilement être envisagé.
4) Les établissements pourraient envoyer au Centre, pour les revues qui leur paraissent les plus importantes, des fiches de lacunes. Ce serait l'équivalent de ce que font déjà certaines bibliothèques qui adressent à leurs correspondants des listes de lacunes.
5) A la réception de dons ou de propositions de doubles, le Centre consulterait ses propres fichiers puis le fichier de lacunes des bibliothèques, attribuerait ou ferait attribuer les numéros manquant, et placerait éventuellement le surplus dans ses fonds de doubles, après avoir éliminé définitivement ce qui ne lui paraîtrait d'aucun intérêt pour personne.
6) Le Centre proposerait, sur liste, les périodiques dont il aurait pu constituer une collection suffisamment homogène. Les demandes des bibliothèques qui ne seraient pas satisfaites immédiatement seraient notées sur fiches pour être, dans la mesure du possible, satisfaits ultérieurement.
7) On ne parlera pas ici des dépôts si ce n'est pour dire qu'ils devraient donner lieu à l'établissement de bordereaux précis, que les Catalogues collectifs devraient être avertis, et qu'en cas de dépôts semblables, la seconde collection pourrait être attribuée, après accord du déposant, à une autre bibliothèque.
Mais un tel système aurait naturellement ses limites. Précisons-les :
1) Nous n'entendons pas bouleverser l'état des collections françaises; ii appartient à tout donateur de s'assurer de l'accord des autorités de tutelle pour toute cession ou dépôt importants.
2) L'entremise du Centre ne saurait être obligatoire, pas plus qu'elle ne le sera jamais pour le prêt proprement dit. Tout établissement garde le droit de faire bénéficier de ses doubles qui il veut et de maintenir des échanges privilégiés avec le correspondant de son choix.
3) Le système préconisé, s'il a reçu un début de réalisation et s'il semble s'imposer, comme nous l'avons dit, par le développement même du Centre, doit encore recevoir l'épreuve du feu, et prouver qu'il est réalisable à une grande échelle, comme il paraît l'être à titre expérimental. Il serait possible peut-être, comme le suggère le rapport, de faire appel un jour à l'informatique.
4) On se trouvera nécessairement au bout de quelques années devant le problème de la saturation : plus d'exemplaires que de preneurs. Le système préconisé qui constitue une sorte de péréquation pour les collections un peu anciennes est l'équivalent des projets de répartition rationnelle des acquisitions. Mais il ne peut absolument pas résoudre tous les problèmes notamment pour les ouvrages anciens. Nous pensons seulement qu'il peut porter de bons fruits pour une tranche assez récente et toujours utilisée de la production courante d'hier.