Index des revues

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    Rapport final

    Par Noë Richter

    L'A.B.F. nous a invités cette année à réfléchir ensemble à une gestion rationnelle des fonds. Cette réflexion dépasse singulièrement la réflexion bibliothéconomique quotidienne et nous ne pouvions l'entreprendre qu'en nous plaçant au niveau de l'ensemble de la collectivité natioonale et, au-delà, de la collectivité internationale. Le problème qui nous est posé n'est pas celui de la gestion d'une bibliothèque isolée, mais de l'ensemble du potentiel bibliographique et documentaire représenté par la juxtaposition et la superposition des collections locales et des collections nationales. Gestion rationnelle des fonds, cela veut dire que nous sommes invités à rechercher ensemble comment organiser nos collections pour qu'elles rendent aux usagers le maximum de services avec le minimum de moyens. Or nous savons aujourd'hui qu'aucune bibliothèque, aussi richement dotée soit-elle, ne peut réaliser seule les conditions optimales de l'organisation de ses collections, qu'elle ne peut seule mettre en oeuvre les procédés et les techniques d'une organisation efficace. La gestion rationnelle des collections ne peut être pensée que dans le cadre d'un système de bibliothèques et d'abord dans un système national.

    Gérer rationnellement les collections, cela suppose un préalable, c'est que ces collections existent. Et le congrès a restitué sa pleine valeur à la conservation conçue à la fois sous son aspect dynamique et dans un esprit de service, comme un devoir fondamental à l'égard du public, de tous les publics, réels et potentiels, actuels et à venir. Nous devons conserver pour pouvoir communiquer à tous, pour assurer, comme l'a dit notre président à l'ouverture du congrès, « L'accès universel et permanent » aux collections dont nous sommes gérants.

    Cette gestion rationnelle des collections rencontre des obstacles multiples :

    • 1. La dispersion des collections et l'absence d'une information globale sur les ressources des bibliothèques.
    • 2. L'accroissement rapide de la demande et l'importance de la communication qui met en danger l'existence matérielle des collections.
    • 3. L'explosion documentaire et l'abondance de la production littéraire, au sens large du terme, qui oblige toutes les bibliothèques à pratiquer dans la production une sélection de plus en plus difficile et de plus en plus arbitraire, en ce sens que nous sommes de moins en moins assurés de connaître la valeur et l'utilisation présentes et à venir des documents.
    • 4. Les difficultés de stockage créés par cette abondance, qui incitent un nombre croissant de bibliothèques à pratiquer des éliminations sauvages, souvent clandestines, toujours incontrôlées au niveau collectif et soumises également à une sélection tout aussi difficile et tout aussi arbitraire que celle qui préside aux acquisitions.

    Contrainte de dépasser les simples nécessités locales et de s'inscrire dans le cadre d la coopération inter-bibliothèques, l'activité quotidienne du bibliothécaire d'aujourd'hui est donc affrontée à toute une série de problèmes contradictoires dont les solutions ne sont pas compatibles, et qui sont parfois impossibles à mettre en oeuvre localement : conserver au sens absolu du terme, stocker, informer, orienter, communiquer, prêter. Ce sont là les questions essentielles qui ont surgi comme un leitmotiv tout au long des réunions de l'équipe qui a préparé le congrès et pendant les deux premières journées de celui-ci. Il nous faut les reprendre dans le débat de fond qui va s'ouvrir maintenant.

    Il ne m'appartient pas, au seuil de ce débat, d'apporter des réponses qui, en l'état actuel des bibliothèques françaises, avec toutes les distorsions que nous leur connaissons dans leurs moyens financiers et techniques, dans leurs effectifs, dans leurs vocations et leurs situations au sein des collectivités et des communautés qu'elles desservent, dans leurs niveaux de responsabilités, ne peuvent être que des réponses diverses, divergentes, sinon contradictoires. Mon rôle est simplement de rassembler et d'apporter ici quelques-unes des idées-forces qui se sont dégagées de l'enquête préliminaire, des exposés introductifs et des interventions, de façon à orienter et à charpenter la discussion.

    La première évidence, fondamentale, est le désir général d'une intégration des bibliothèques locales dans des circuits et dans des systèmes qui les déchargeront d'un certain nombre de responsabilités qu'elles savent ne plus pouvoir assurer aujourd'hui. Or cette intégration est bien loin d'être réalisée. La situation sur un point aussi essentiel mériterait un ample développement.

    Nous ne pouvons pas risquer ici une telle analyse, et je mécontenterai d'illustrer mon propos en évoquant une catégorie de bibliothèques qui ont un statut national et qui restent presque toutes, sinon toutes, en marge de l'activité des services de coopération dans le domaine de la gestion des collections. J'ai nommé les bibliothèques centrales de prêt. Quelles sont les B.C.P. qui sont intégrées aux circuits du prêt inter-bibliothèques ? Quelles sont les B.C.P. qui ont été touchées par les propositions d'échanges et de distribution de doubles faites par le CNP ? Or, contrairement à une image reçue, les B.C.P. ne sont pas - ne sont plus - des bibliothèques de pure consommation ni de simples bibliothèques de lecture publique. La lecture publique rurale est une réalité dépassée, complètement en porte-à-faux par rapport aux réalités culturelles et sociales d'aujourd'hui, et les B.C.P. développent des collections d'étude et de documentation, des fonds régionaux et locaux, des collections de disques, des fonds iconographiques (diapositives, photographies, cartes postales) qui leur posent et qui nous posent les mêmes problèmes que dans les bibliothèques municipales. Interrogeons-nous sur le degré d'intégration aux circuits nationaux des petites bibliothèques municipales que les communes créent à un rythme de plus en plus rapide. Et que dire de l'intégration des bibliothèques privées, bibliothèques d'entreprises, bibliothèques d'association et services de documentation divers, dont certains gèrent des collections importantes ?

    Une fois admise la réalité de cet ensemble de bibliothèques intégrées ou intégrables, nous constatons l'existence en France d'un certain nombre de systèmes, d'institutions, de circuits dans lesquels il est peut-être permis de voir l'embryon des systèmes et des circuits institutionnels qui pourraient être créés pour une gestion rationnelle des collections :

    - Le Centre National de Prêt, qui intervient comme « relais d'exploitation » des collections de la Bibliothèque nationale, au moins en ce qui concerne les ouvrages français, et qui intervient aussi dans les circuits d'élimination en assurant le dépôt des collections encombrantes des organismes qui ne disposent pas d'une place suffisante (Maison des sciences de l'homme, C.N.R.S.) et en redistribuant les doubles donnés ou échangés par d'autres bibliothèques.

    - Les circuits spécialisés d'échanges, de dépôts et de dons qui existent entre les bibliothèques d'étude et de recherche.

    - L'existence de réseaux télex entre certaines bibliothèques universitaires spécialisées, qui a brisé l'isolement de ces bibliothèques, favorisé l'accès au document et multiplié les demandes de prêt. L'expérience des bibliothèques universitaires de pharmacie de la région de Paris a été utilement rappelée à ce sujet. Mademoiselle Guéniot nous a montré que les bibliothèques prêteuses dotées de cet équipement se sont hissées au niveau de bibliothèques nationales spécialisées.

    - La possibilité toujours pour les bibliothèques spécialisées, d'interroger, grâce à l'installation de terminaux des bases et des banques de données bibliographiques au niveau international. On a cité le réseau Euronet de la C.E.E.

    - L'existence de catalogues collectifs nationaux et régionaux.

    Partant de cet ensemble de réalités, il nous faut essayer de définir et de proposer des solutions efficaces pour assurer à la fois l'accroissement, la conservation et la communication la plus large du capital bibliographique, tout en permettant aux services qui sont directement'en contact avec l'usager moyen d'actualiser leurs collections de façon permanente en créant les conditions d'une élimination qui maintiendra cependant la totalité des documents à la disposition des usagers. Ces solutions sont de deux ordres, bibliothéconomique et technique, administratif et institutionnel.

    L'explosion documentaire nous a fait prendre conscience de l'impossibilité pour nos grands conservatoires nationaux d'acquérir et de conserver la totalité de la production nationale. Il est devenu nécessaire d'une part défaire éclater les locaux de conservation et de répartir d'autre part la charge de conserver entre plusieurs institutions. L'éclatement des locaux de conservation trouve son prolongement dans la formule des bibliothèques de stockage en coopération dont M. Gardner nous a montré le fonctionnement aux Etats-Unis. Monsieur Barnett nous a expliqué comment les Britanniques ont traduit dans les faits, sous une forme très séduisante par sa simplicité et par son empirisme, le problème de la répartition des responsabilités de la conservation. Nous aurions plutôt tendance, en France, à rechercher une solution dans la création d'institutions nationales spécialisées pour les documents qui intéressent surtout la recherche et dans la création d'institutions régionales qui assureraient la conservation de la littérature courante et surtout celle des très nombreuses publications mineures (ephemera) d'intérêt régional et local et déchargeraient ainsi les bibliothèques de leurs circonscriptions des documents vieillis et inutilisés. L'idée de l'échelon régional a ressurgi dans nos débats sous plusieurs formes : missions de conservation réglementairement confiées à des B.U., des B.M. et des B.C.P. volontaires pour les assurer, création et construction par les établissements publics régionaux de bibliothèques régionales de stockage. Ce projet, cher à beaucoup d'entre nous, pourrait être proposé dans toutes les régions et les circonstances y paraissent aujourd'hui plus favorables. Il semble possible maintenant de sensibiliser les pouvoirs publics régionaux au problème de la conservation du patrimoine imprimé grâce aux directeurs régionaux du ministère de la Culture nouvellement institués et qui peuvent être les structures d'un dialogue très efficace entre les bibliothèques et les régions.

    Les problèmes posés par la demande accrue et par la communication excessive des collections nationales appellent des solutions d'ordre technique complémentaires les unes des autres. La redistribution des exemplaires du dépôt légal proposée par MM. Pierrot et Nortier permettrait de disjoindre la fonction de conservation de celle de communication assurées l'une et l'autre par la Bibliothèque nationale et replacerait celle-ci dans son rôle fondamental de conservatoire de la production nationale tout en l'aidant à assurer, avec le relais du CNP, une communication beaucoup plus importante des collections qui permettrait à la France de tenir sa place dans l'accès international aux publications. Les perspectives ouvertes par le développement des entreprises de réimpression des ouvrages de référence anciens et surtout par les progrès rapides de la reprographie sous toutes ses formes (photocopie et microcopie) dans nos bibliothèques vont dans le même sens ; plus économique, plus souple que la réimpression, la reprographie nous permet déjà de réduire les handicaps sévères subis par les chercheurs de province et les difficultés que rencontrent les jeunes bibliothèques universitaires de province dans la recherche des documents.

    L'institution d'échelons régionaux et nationaux devra favoriser le développement et l'automatisation de tous les catalogues collectifs qui apparaissent comme des objectifs prioritaires, parce qu'ils nous aideront à résoudre efficacement le problème essentiel de l'information des usagers et des chercheurs. Cette entreprise de confection des catalogues collectifs ne devrait pas se limiter aux seuls imprimés mais inclure les matrices des microformes et tous les autres documents graphiques, sonores ou audio-visuels soumis au dépôt légal.

    Voici, mes chers collègues, le résumé que j'ai essayé de faire le plus fidèle possible des propos qui ont été tenus ici. Si j'ai été imprécis, si j'ai omis des aspects du problème qui vous paraissent essentiels, si j'ai pu, involontairement, déformer des propositions que j'aurai mal comprises, vous voudrez bien m'en excuser et réparer par vos interventions dans le débat les insuffisances d'une synthèse provisoire qui manque évidemment de recul et qui est nécessairement sommaire.