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Les "solutions" anglaises aux problèmes de conservation et d'élimination

1978

    Les "solutions" anglaises aux problèmes de conservation et d'élimination

    Par Graham K. Barnett

    QUELQUES RÉFLEXIONS GÉNÉRALES

    Avant de vous parler aujourd'hui des tentatives britanniques pour trouver des solutions aux problèmes de conservation et d'élimination, je me permets quelques réflexions d'ordre général sur les différences entre les bibliothèques britanniques et françaises qui influent particulièrement sur ces questions que nous discutons ensemble ici. Et vous m'excuserez, je l'espère, si je mets en valeur la situation des bibliothèques publiques, car c'est le domaine que je connais personnellement le mieux.

    1. LA COOPÉRATION INTER-BIBLIOTHÈQUES

    Tout d'abord il y a la question de coopération inter-bibliothèques, qui intéresse, bien sûr, toutes les bibliothèques. J'ai l'impression que les bibliothécaires britanniques et les autorités responsables des services (que ce soit des collectivités locales, des autorités universitaires ou même les organisations qui contrôlent les bibliothèques spécialisées qui desservent les grandes sociétés industrielles ou les grandes administrations), j'ai l'impression qu'ils acceptent et promeuvent des systèmes de coopération plus volontiers en Grande-Bretagne qu'en France. Depuis de longues années les bibliothécaires anglais se sont rendus compte du fait qu'aucune bibliothèque, ni même la bibliothèque du British Museum, n'est capable de pourvoir à toutes les demandes de renseignements et de documents que peuvent formuler ses utilisateurs. Nos ressources en argent, en personnel, en locaux, en collections sont limitées. Il faut donc parvenir à des accords de sorte que les richesses et l'expérience de chacun soient mises à la disposition de tous. Dans cet esprit une multiplicité de schémas de coopération a été conçue, les uns concernant les bibliothèques d'un seul type, les autres liant des bibliothèques et des centres de documentation très divers. C'est ainsi qu'un bibliothécaire anglais ne se sent jamais isolé - il y a toujours des collègues assez proches à qui il peut faire appel, des réseaux qu'il peut utiliser pour répondre aux besoins de ses clients. Et, réciproquement, ce bibliothécaire sera prêt à venir en aide à ses collègues dans la mesure du possible.

    2. L'ÉVOLUTION DES BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES ANGLAISES ET FRANÇAISES

    En ce qui concerne plus particulièrement les bibliothèques publiques, il faut réfléchir un instant sur l'évolution très différente des bibliothèques publiques françaises et anglaises. On a assez écrit sur les conséquences, pour les bibliothèques françaises, des confiscations révolutionnaires et sur l'esprit et la tradition plutôt conservateurs qui ont marqué le caractère des bibliothèques pendant le XIXe et les premières décennies du XXe siècle, sans que j'y insiste aujourd'hui. Les bibliothèques publiques britanniques, par contre, n'ont pas hérité de telles collections, et se sont développées à partir du milieu du XIXe siècle pour répondre aux besoins peut-être plus urgents, plus pratiques, de tous les citoyens, et elles ont plutôt mis l'accent sur l'actualité que sur la conservation des collections. Les réticences des bibliothécaires municipaux français à procéder à des éliminations par suite d'incertitudes et de confusions qui résultent du décret de 1897 sont inconnues en Angleterre où l'Etat n'a mis aucun contrôle sur les collections. Les bibliothécaires anglais s'occupent moins de manuscrits, livres rares et fonds anciens et pratiquent plus volontiers l'élimination et la mise au pilon que nos collègues français. Et dans cette recherche d'actualité, dans ce but de présenter au public des collections à jour il faut reconnaître que nous disposons de ressources financières assez importantes (bien que nous nous plaignions, bien sûr, et surtout pendant ces dernières années de crise économique, que ces ressources soient très insuffisantes). En 1976-77 les bibliothèques publiques en Grande-Bretagne ont dépensé £ 32 millions, soit près de 300 millions de francs, pour l'achat de livres (£ 0,57, soit 5 F, par tête d'habitant). Avec ces ressources relativement importantes les bibliothèques publiques anglaises peuvent procéder à des éliminations régulières, remplacer des livres dont l'usure matérielle les rend peu agréables, substituer des éditions récentes pour des éditions dépassées, éliminer ou mettre en magasin des livres sur des sujets dont la demande est très faible, voire nulle, et par contre mettre à la portée des lecteurs une documentation sur les sujets dont tout lemonde parle. Ici on pourrait dire que, heureusement, l'édition britannique répond assez bien aux besoins de nos bibliothèques publiques. L'importance du fonds de livres dans les bibliothèques publiques en Grande-Bretagne entre en jeu aussi. Une des choses qui frappe un visiteur anglais qui entre dans les bibliothèques françaises, c'est en général le peu de livres mis à la disposition du public. Récemment j'ai eu le plaisir de visiter plusieurs bibliothèques publiques françaises au cours d'un voyage d'étude. J'ai pu admirer de très beaux locaux, mais j'ai souvent remarqué le manque de livres ou la présence sur les rayons d'ouvrages périmés, dépassés ou peu attrayants. Un bibliothécaire anglais, pourtant, pourrait généralement procéder à des éliminations rigoureuses sans qu'il se produire des vicies sur les rayons.

    Il y a aussi le facteur de la longue tradition de libre accès dans les bibliothèques anglaises, qui veut que le stock qu'on propose aux lecteurs soit en bon état, suive l'actualité et réponde à ses besoins d'étude, d'information, de culture et de loisirs. Ceci impose une discipline aux bibliothécaires qui doivent être assez rigoureux dans la politique d'élimination des livres. C'est également valable pour les services de référence, c'est-à-dire le service de renseignements sur n'importe quel sujet (législation récente, adresses de médecins, listes de sociétés locales, horaires des trains, prospectus de collèges...) où il faut absolument disposer des publications récemment parues et éliminer toute documentation qui n'est pas à jour.

    3. LA RÉFORME DES COLLECTIVITÉS BRITANNIQUES

    Je voudrais rester, pour l'instant, avec les bibliothèques publiques et attirer votre attention sur le bouleversement dans la structure administrative des collectivités locales qui est intervenu en 1974 car cette réorganisation fondamentale a eu des conséquences très importantes pour les bibliothèques.

    Jusqu'en 1974 il y avait en Angleterre et au Pays de Galles environ 380 réseaux indépendants de bibliothèques, gérés par une grande variété de collectivités (des bourgs-comtés, des comtés, des bourgs non-comtés, des districts urbains, etc...) et ces réseaux desservaient des populations très inégales, allant de moins de 40 000 habitants jusqu'à plus d'un million d'habitants. Quelques uns étaient trop petits pour rendre des services vraiment efficaces, et ici et là on a assisté à des tentatives de coopération pour pallier à ces insuffisances. C'est ainsi que le comté de Westmore-land et la ville de Kendal dans le nord-est de l'Angleterre se sont mis d'accord pour établir un service de bibliothèque en commun. C'est dans le même esprit que dix bibliothèques indépendantes dans le Yorkshire ont coordonné leurs politiques d'acquisitions pour offrir à leurs lecteurs un échantillon plus large de publications ; de même neuf bibliothèques dans le nord du Pays de Galles. Ces schémas traduisaient le désir des bibliothécaires d'une restructuration dans l'administration des bibliothèques et dans l'administration locale elle-même.

    A la suite de la réforme de 1974, le nombre de réseaux de bibliothèques s'est vu réduit à 115 (actuellement 119) dont 33 desservent des populations supérieures à 500 000 habitants, et sont donc des regroupements importants qui permettent d'établir une politique d'acquisitions, de conservation et d'éliminations sur une large échelle. En ce qui concerne celles-ci, il est désormais possible de créer de grandes réserves centralisées sur le plan local, qui libèrent le bibliothécaire individuel de la nécessité de garder dans sa propre bibliothèque une grande quantité de livres peu consultés. Pour vous donner un exemple concret, dans le comté de Kent, avant 1974, il y avait seize réseaux de bibliothèques : les bibliothèques du comté (qui correspondraient en France, plus ou moins, à une BCP avec plusieurs annexes) et les bibliothèques de quinze villes indépendantes (Douvres, Maidstone, Gillingham, Tunbridge Wells, etc...). Chaque unité a maintenant la possibilité de réduire le nombre de documents conservés dans ses propres magasins, de les proposer à la réserve centrale du comté qui peut les accepter ou les refuser dans le cas des livres qui feraient double emploi avec des exemplaires déjà stockés. (Il n'est pas question, bien sûr, d'éliminer les livres du fonds local que conserveront sur place les bibliothèques locales). J'ai volontairement insisté sur le fait que les bibliothécaires ont maintenant la possibilité de procéder à des éliminations plus rigoureuses - il y aura toujours quelques petites réserves que l'on voudra garder sur place, mais il y a certaines réticences à se débarrasser des livres, même si l'on a toujours la facilité de les emprunter rapidement à la réserve centrale pour ses propres lecteurs. Dans quelques comtés, les nouveaux réseaux de bibliothèques, issus dé la réforme des collectivités locales et donc de la fusion de différents réseaux de bibliothèques précédemment indépendants se sont trouvés face à des collections dont les doubles étaient beaucoup trop nombreux. Ces nouveaux réseaux ont donc éliminé des quantités de livres qu'ils ont vendus au public au profit de leurs caisses d'achat de livres.

    Mais un autre avantage important de la réorganisation est la possibilité d'établir une politique d'achat de livres plus rationnelle : le regroupement permet de rassembler un fonds de livres plus riches et plus complet et d'éviter en même temps l'acquisition de doubles inutiles.et ainsi d'éviter un gaspillage de crédits. Ces unités plus grandes permettent aussi de créer des postes spécialisés de « bibliographer » ou « bibliographical services officer », c'est-à-dire des bibliothécaires qui ont une responsabilité particulière pour le fonds de livres : acquisitions, reliure, recyclage d'ouvrages, emmagasinage, éliminations, etc... Dans ces grands réseaux il est possible que les livres éliminés d'une bibliothèque puissent être transférés dans une autre où ils seraient appréciés par de nouveaux lecteurs. J'ai insisté sur les résultats de la réforme des collectivités de 1974, mais je devrais préciser qu'en 1965, c'était le grand Londres qui a été réorganisé et d'une centaine de collectivités locales se sont créés les 33 bourgs actuels, avec des possibilités de rationalisation et de coordination semblables.

    LES SCHÉMAS DE COOPÉRATION AU PLAN LOCAL

    1. LES SCHÉMAS INTÉRESSANT PLUSIEURS TYPES DE BIBLIOTHÈQUE

    Pour rester un instant au plan local je crois qu'il convient d'évoquer ici les schémas de coopération qui ont été mis en place au fil des années par les bibliothèques publiques, les bibliothèques académiques et celles du secteur privé, schémas de coopération qui permettent une coordination d'achats, une meilleure répartition des collections et la mise en commun de l'expérience de chacun pour répondre aux demandes d'information technique, scientifique et commerciale. Ces schémas peuvent envisager également le stockage coopératif de certains documents, en particulier les périodiques. La participation d'une bibliothèque dans un tel schéma peut influer, bien sûr, sur sa propre politique de conservation et d'élimination.

    Parmi ces systèmes un des plus connus, et le plus ancien, est le Sheffield Interchange Organization (SINTO), créé en 1933 avec une douzaine de participants, et basé sur le département de commerce, science et technologie de la Bibliothèque Centrale de Sheffield. Actuellement il y a plus de 60 adhérents, et il faut mentionner l'existence d'un catalogue collectif qui, non seulement indique les localisations pour les livres et les périodiques, mais permet aussi de contrôler les éliminations et d'assurer la conservation d'ouvrages jugés importants. La bibliothèque publique de Sheffield accepte d'emmagasiner et de conserver les séries de périodiques éliminées par les autres participants.

    Le CICRIS (service coopératif de référence et d'information industrielle et commerciale) est une organisation, créée en 1951, qui vise à desservir l'industrie et le commerce dans l'ouest de Londres. Actuellement une centaine de bibliothèques et de centres de documentation y participent : bibliothèques publiques, universitaires, de collèges, de polytechniques ainsi que quatre-vingt firmes. Comme à Sheffield les bibliothèques participantes ont la possibilité de verser les périodiques qu'elles ne veulent plus conserver dans une des bibliothèques publiques les plus importantes.

    On pourrait citer bien d'autres schémas de coopération à l'échelon local, pour la plupart centrés sur des bibliothèques publiques et portant des noms un peu bizarres : B-Link et Weslink à Birmingham, HULTIS à Hull, BRASTACS à Bradford, CADIG à Coventry, LADSIRLAC à Liverpool, NANTIS à Nottingham, etc..., et tous, comme je vous l'ai dit, peuvent et devraient influer sur les politiques d'acquisition et de conservation de chaque bibliothèque. On pourrait ajouter que, vu le développement de la division de prêt de la Bibliothèque Britannique (BLLD), dont je vous parlerai plus tard, les objectifs de ces schémas de coopération pourraient éventuellement être modifiés : peut-être dans l'avenir s'agira-t-il plutôt de mettre à la disposition des membres l'information scientifique, technique et commerciale que d'organiser sur le plan local le prêt de documents, ce que peut faire plus efficacement, prétend-on, le centre national de prêt. Une autre fonction des schémas locaux que ne peut remplacer la BLLD c'est la provision sur place de séries de périodiques et d'autres documents qui permettent aux spécialistes de faire des recherches sur place.

    En ce qui concerne plus particulièrement les circuits d'élimination, je voudrais signaler en passant qu'il existe au plan local des circuits pour les documents éliminés par les bibliothèques publiques vers le secteur socio-culturel (bibliothèques d'hôpitaux, foyers pour personnes âgées) et vers les bibliothèques du tiers monde.

    2. LES BIBLIOTHÈQUES UNIVERSITAIRES

    Toujours au plan local, mais dans un contexte universitaire, on trouve des accords entre les bibliothèques des facultés d'une même université pour l'acquisition et la conservation des collections : c'est le cas à l'université de Londres, par exemple, dans le domaine du droit où l'institut des études supérieures de droit, la bibliothèque britannique des sciences politiques et économiques, la bibliothèque du collège universitaire, l'institut de recherche historique, l'école des études orientales et africaines et la bibliothèque de l'Université de Londres coordonnent leurs politiques d'achat et de conservation. Toujours à Londres, on trouve un accord entre plusieurs bibliothèques spécialisées en médecine, et en effet il existe une trentaine de commissions qui représentent des domaines très différents et qui s'occupent de la politique générale d'achats et de conservation dans leur domaines particuliers. Il mérite d'être signalé que des représentants d'autres bibliothèques (publiques, de sociétés savantes, etc.) se joignent souvent aux réunions de ces commissions. A Oxford et à Cambridge il y a divers exemples de coopération dans le même sens.

    C'est au sein de l'Université de Londres que l'on trouve un exemple intéressant de stockage en commun. Il faudrait préciser peut-être que l'Université de Londres est une sorte de fédération d'instituts, de collèges, d'écoles, etc. et comporte soixante-cinq bibliothèques indépendantes, disséminées d'un bout à l'autre de la capitale. Un dépôt a été ouvert en 1961 à Egham, dans le Surrey, à 35 km de Londres, construit sur un terrain qui appartient au Royal Holloway College, une des facultés de l'Université, et offrait au début une capacité de 250 000 volumes. Des agrandissements ultérieurs ont porté la capacité à 750 000 volumes et avec d'autres extensions, il est possible d'envisager le stockage éventuel de 2 millions de volumes. Les facultés de l'Université peuvent envoyer les documents éliminés de leurs bibliothèques centrales soit en dépôt commun (c'est-à-dire que les documents sont rangés dans un fonds commun, sont recensés dans un catalogue collectif et peuvent être communiqués à n'importe quelle bibliothèque), soit en dépôt privé (c'est-à-dire que les documents sont conservés dans une partie du dépôt réservée à l'usage d'une bibliothèque individuelle; ils ne figurent pas dans le catalogue collectif du dépôt, et sont communiqués uniquement à la bibliothèque qui les y a déposés). Après une enquête récente on a commencé à éliminer des doubles stockés en dépôt commun pour gagner de la place, et à les offrir soit à d'autres bibliothèques au sein de l'Université, soit à la division de prêt de la bibliothèque britannique. On a envie de procéder également à la mise au point d'un catalogue automatisé pour les futures acquisitions au fonds commun, qui serait diffusé parmi les bibliothèques de l'Université afin de provoquer une meilleure utilisation du fonds. En même temps la British Library aurait fait microfilmer le catalogue collectif actuel, et ce microfilm serait mis à la disposition des bibliothèques universitaires de Londres et d'autres bibliothèques, et en échange du microfilmage la BLLD pourrait puiser dans le fonds du dépôt pour satisfaire les demandes de documents qui ne sont pas disponibles à Boston Spa. On a estimé en effet qu'environ 20 % des documents stockés à Egham pourrait ne pas figurer dans les collections de la BLLD.

    On pourrait se demander pourquoi, en Angleterre, on ne trouve pas d'autres exemples de ce genre de stockage en commun, qui est assez répandu aux Etats-Unis. Je crois que la réponse réside dans le fait que jusqu'à ces dernières années, les bibliothèques universitaires britanniques n'avaient pas tellement de problèmes de place : leurs collections étaient en général assez restreintes, surtout par rapport aux bibliothèques universitaires américaines qui ont des fonds beaucoup plus importants, et pendant longtemps les bibliothécaires universitaires en Grande-Bretagne pouvaient trouver d'autres solutions, mise en place de rayonnages amovibles, construction de magasins supplémentaires, agrandissement de locaux, etc.

    LE CONCEPT DE LA « SELF-RENEWING LIBRARY »

    Je suppose que nous bibliothécaires sommes tous au fond conservateurs : nous n'aimons pas éliminer, mettre au pilon... et peut-être les bibliothécaires universitaires sont-ils les plus conservateurs de tous, du moins en Angleterre. Un bibliothécaire universitaire anglais a remarqué qu'on accepte très volontiers le don de centaines de volumes, voire de milliers de documents d'utilité parfois discutable, on les rajoute aux arriérés de catalogage et l'on est très fier de constater dans les rapports annuels l'accroissement des collections par « X » mille volumes. Mais peu d'entre nous sommes contents de proclamer l'élimination de livres, de nous vanter de réductions dans le fonds, cela semble presqu'une trahison du métier. Et pourtant l'épuration de livres périmés ou mal adaptés aux besoins de nos lecteurs peut rendre de plus grands services que le stockage d'une quantité illimitée d'ouvrages.

    Cependant la University Grants Commission, qui en Angleterre est responsable de la répartition des crédits votés par le gouvernement à l'intention des universités, face à plusieurs demandes de nouvelles constructions et se trouvant dans la nécessité, à cause de la crise économique, de réduire les crédits mis à la disposition des Universités, a réagi contre la politique traditionnelle de laisser agrandir indéfiniment les bibliothèques d'université (une politique qui encourageait les B.U. à développer leurs collections pour devenir, dans la mesure du possible, autosuffisantes). Un groupe de travail, dit le « Atkinson Working Party », a été créé pour examiner ces problèmes, et a présenté son rapport en avril 1976, qui propose le concept de la « self-renewing library », que je traduis en français par la phrase « la bibliothèque auto-renouvelante ». Et que signifie exactement cela? Selon le rapport les collections de chaque bibliothèque ne devraient pas dépasser une limite fixe (limite calculée essentiellement sur le nombre d'étudiants et de chercheurs), et une fois cette limite atteinte le taux des éliminations devrait correspondre à peu près au taux des acquisitions et donc permettre un équilibre entre achats et éliminations. Le rapport propose que le bibliothécaire épure les rayons et mette au magasin les livres et autres documents qui ne sortent pas souvent. Ceux-ci seraient conservés pendant cinq ans sur le campus, près de la bibliothèque de sorte que toute demande de communication puisse être satisfaite dans un délai de 24 heures. Si l'on demande souvent la communication d'un ouvrage du dépôt provisoire, ce livre serait réintégré dans le fonds général, mais si, par contre, au bout de cinq ans personne ne le demande, alors le livre serait éliminé définitivement de la bibliothèque et transféré à un dépôt national, de préférence la division de prêt de la Bibliothèque Britannique à Boston Spa.

    Une telle politique aurait pour conséquence la possibilité de limiter les agrandissements des B.U. et d'économiser ainsi sur le coût des constructions. Cependant il faudrait prévoir des dépôts sur place pour abriter les collections mises en magasin pendant la période intérimaire de cinq ans.

    Devant de telles propositions, vous pouvez imaginer, sans doute, la réaction des bibliothécaires universitaires, qui pour la plupart ont protesté vigoureusement contre cette politique et qui ont montré les difficultés très sérieuses qui s'opposent à son application. (Le groupe de travail lui-même en a prévu quelques-unes dans le rapport). Tout d'abord, il faut reconnaître que plusieurs B.U. ont certaines responsabilités d'acquérir ou de conserver des documents, qui résultent de leur participation dans des schémas de coopération locale, régionale ou nationale ; ensuite certaines B.U. possèdent des collections spécialisées qui ont été données ou léguées à l'Université sous condition d'être mises à la disposition des étudiants et des chercheurs sur place ou sous condition que l'Université respecte l'intégrité du fonds, (ici, le rapport Atkinson précise que dans l'avenir aucun don de plus de 5 000 volumes ne devrait être accepté sans l'accord préalable de la University Grants Commission). Plusieurs bibliothécaires ont aussi mis en question les économies prétendues. Le rapport reconnaît les dépenses auxquelles devrait faire face une B.U. qui suivrait ces recommandations : frais du processus de sélection de documents à mettre en dépôt, des corrections de catalogues, de la communication de documents demandés à des dépôts parfois éloignés ; mais ces dépenses devraient être compensées par des économies sur la construction de nouveaux locaux et sur l'éclairage, le chauffage et l'entretien de locaux plus grands. Sans pouvoir entrer ici dans les détails, je vous signale que des bibliothécaires universitaires ont mis en question ces calculs, surtout étant donné le coût de plus en plus cher du prêt inter-bibliothèques. On a aussi mis en question le fait de s'appuyer uniquement sur la B.L.L.D. pour le stockage de livres et périodiques, l'existence d'un seul dépôt national entraînant certains risques, et des suggestions ont été faites pour l'établissement d'un certain nombre de dépôts régionaux. On se demande également si la B.L.L.D. a en effet la capacité d'accueillir les milliers de volumes qui y afflueraient si l'on adoptait les propositions du groupe de travail.

    Ensuite il y a le problème primordial du choix des documents à éliminer, après tout, il est plus facile de décider d'acquérir un ouvrage que de l'éliminer, n'est-ce pas? Il paraît qu'on n'a pu arriver à établir des règles d'ordre général en dépit des nombreuses recherches et contributions apportées au sujet, surtout pas nos collègues américains (date de publication du document en question, nombre de prêts effectués pendant une période déterminée, date d'acquisition, etc...), d'où la nécessité que chacun formule ses propres critères de sélection. Il faut remarquer aussi que les documents perdent leur actualité et leur valeur à un rythme différent selon leur sujet.

    Les bibliothécaires ont vivement critiqué la politique d'« auto-renouvellement » car cela réduit la possibilité pour les lecteurs et les chercheurs de bouquiner en flânant parmi les rayons, de trouver, tout par hasard, un texte ou des renseignements qui aiguisent l'esprit, qui donne l'inspiration..., ce qui est particulièrement important dans le domaine des sciences humaines. Il faut vous dire que tout le monde n'admet pas cette critique. Peut-être le bouquinage, et la rencontre par hasard, étaient-ils plus importants à une époque où le nombre de bibliographies étaient beaucoup plus restreint qu'il ne l'est aujourd'hui, mais dépendre de tels moyens pour avancer une recherche peut sembler un moyen assez peu sûr et très limité : les chercheurs devraient s'intéresser davantage à découvrir ce qui a été publié sur un sujet donné plutôt qu'à voir ce qu'a pu rassembler par hasard une bibliothèque sur cette discipline, ou pire compter seulement sur ce qu'ils rencontrent par hasard sur les rayons.

    Le rapport Atkinson a au moins eu le mérite de provoquer beaucoup de débats et même, ce qui est très bien, des recherches sur les problèmes des éliminations, le contrôle des fonds, l'équilibre entre les collections en libre accès et celles qui ne le sont pas, etc.

    LES SCHÉMAS RÉGIONAUX D'ACHAT COOPÉRATIF

    Vous avez sans doute remarqué qu'en parlant des éliminations, de la conservation et de l'organisation du stockage en commun, la question des acquisitions est souvent soulevée, et en effet une politique cohérente de conservation implique nécessairement un plan d'acquisitions, et sur le plan régional en Grande-Bretagne il y a eu diverses tentatives qui méritent d'être signalées.

    Il est bien évident qu'aucune bibliothèque, ni même une bibliothèque nationale, ne peut prétendre acquérir tous les documents qui paraissent, dont le nombre ne cesse d'augmenter. En Angleterre, au fil des années, on a assisté à la mise au point de plusieurs schémas de coopération à l'échelon régional, grâce auxquels les bibliothèques d'une région ont partagé la responsabilité d'acheter la presque totalité de la production littéraire britannique et de pourvoir à la conservation d'un exemplaire de chaque document.

    Pour vous expliquer un peu l'arrière-plan historique, c'était déjà avant la Seconde Guerre Mondiale que les bibliothèques, surtout les bibliothèques publiques, se sont groupées en régions, et entre 1929 et 1936 neuf régions se sont établies, le plus souvent basées sur une grande bibliothèque publique (par exemple la région des Midlands de l'ouest est centrée sur Birmingham, le sud-ouest sur Bristol, le nord-ouest sur Manchester, etc...). Grâce à l'appui financier du Carnegie United Kingdom Trust, des catalogues collectifs ont été constitués, dont le premier, réalisé entre 1930 et 1934, recense les ressources des bibliothèques publiques de Londres (le London Union Catalogue). Les doubles de ces catalogues collectifs régionaux ont constitué à la National Central Library (bibliothèque centrale nationale), dont je vous parlerai bientôt, un catalogue collectif national. L'existence de ces catalogues a permis le développement assez rapide du prêt inter-bibliothèques, mais cela ne voulait pas dire que tout était pour le mieux dans le monde de la coopération inter-bibliothèques. Il fallait suppléer ce moyen passif de coopération par la mise au point d'un plan d'acquisitions coordonnées afin d'aller au devant des demandes des lecteurs et d'assurer une meilleure disponibilité des publications.

    C'est ainsi qu'après la guerre des pourparlers ont eu lieu à Londres, en 1946, sur l'établissement d'un tel plan et en 1948 un schéma coopératif a été inauguré. Les 28 bibliothèques publiques de la capitale (ou plutôt les 28 réseaux de bibliothèques) ont divisé la classification Dewey en 55 sections, et chaque bibliothèque se charge d'acheter les nouveautés qui paraissent dans le ou les domaine(s) qui lui est ou sont confié(s), ainsi que de veiller à la conservation de ces collections et d'accepter en dépôt les livres éliminés par les autres bibliothèques dans sa ou ses spécialité(s). Il est même question de stocker des livres étrangers. Peu à peu des collections spécialisées se sont constituées, par exemple les 40 000 bibliographies à Kensington, un fonds de livre d'art très important à Westminster, une bibliothèque médicale à Marylebone, une collection de livres de droit à Hammersmith. En plus, les bibliothèques londoniennes ont accepté de modifier leur politique d'achat de périodiques en fonction de leurs responsabilités particulières. A partir de 1950, date du commencement de la British National Bibliography, la bibliographie nationale britannique qui est classée par Dewey, la tâche de collectionner de manière exhaustive dans son domaine particulier devient plus simple. Ce schéma a continué presque sans changement jusqu'en 1976, où une réorganisation de responsabilités a été décidée.

    Après Londres c'était le tour de la région du sud-est de l'Angleterre, où en 1950 les 83 bibliothèques de la région ont accepté d'acquérir et de conserver en commun la production littéraire du pays. Les responsabilités ont été partagées selon les ressources financières de chaque bibliothèque.

    Ensuite dans le nord et dans les Midlands de l'ouest, des plans d'acquisitions en coopération ont été introduits, tandis que dans le Yorkshire une formule originale a été adoptée, les quatre grandes bibliothèques de la région (Leeds, Sheffield, Bradford et Hull) acceptant la responsabilité d'acheter la plupart des livres qui paraissent. Déjà en 1948, les bibliothèques des Midlands de l'est avaient mis au point un plan visant à l'acquisition de livres étrangers, le comté de Norfolk, par exemple, se spécialise en espagnol, Lincoln en hollandais, etc.) et en 1953 des accords sont intervenus au pays de Galles et dans le Monmouthshire. L'année suivante les bibliothèques du nord-ouest ont divisé la classification Dewey et assurent l'achat et la conservation de tous les livres qui sont édités en Grande-Bretagne. Elles acceptent aussi d'acquérir, dans la mesure du possible, des documents rétrospectifs et de stocker les livres éliminés par des bibliothèques voisines. Le dernier de ces schémas de spécialisation a été inaugiré dans le sud-ouest en 1959.

    Tous ces schémas concernent les documentaires, la non-fiction; mais en même temps on n'a pas oublié les romans. En 1946 la Metropolitan Joint Fiction Reserve a été créée, quand les bibliothèques publiques de Londres se sont mises d'accord pour diviser l'alphabet et répartir les tranches alphabétiques entre elles de sorte que l'ancien bourg de Deptford, par exemple, s'est vu attribué les lettres CHE-COL et achète tous les romans écrits par les auteurs dont les noms sont compris dans cette série (Agatha Christie, Winston Churchill, Norman Collins, etc...). Quand un bibliothécaire élimine des romans, il peut les proposer à la bibliothèque appropriée, qui les accepte et les conserve ou les rejette s'ils sont déjà stockés. C'est en effet un moyen efficace de se débarrasser, par exemple, de dons qu'on ne veut pas garder dans sa propre bibliothèque, et permet au bibliothécaire de procéder à des éliminations tout en étant assuré qu'une bibliothèque dans la région conserve un ou deux exemplaires de chaque roman qui sont susceptibles d'être prêtés si un de ses lecteurs le lui demande. A Londres les mêmes divisions alphabétiques servent à un schéma coopératif qui concerne les jeux de pièces de théâtre.

    En 1951 dans la région du nord, un schéma plus limité à été inauguré, avec la participation de l'Université de Durham, qui assure la conservation des romans antérieurs à 1870. C'est principalement par le recyclage de dons et de livres éliminés que fonctionne ce schéma. En Ecosse il existe la Scottish Fiction Reserve qui vise à la conservation de romans écrits par les Ecossais : les bibliothèques publiques écossaises collectionnent systématiquement les romans par les écrivains qui sont nés dans leur région.

    Pour vous donner enfin deux autres exemples de coopération en matière d'achat et de conservation au niveau régional, je vous cite l'accord entre les bibliothèques de Londres sur les collections de littérature en langues étrangères par lequel Kensington est spécialisé dans les littératures danoise et polonaise, Tower Hamlets dans l'hébreu et le portugais, etc... ; et, toujours à Londres, le Greater London Audio Specialisation Scheme qui concerne les disques, les bibliothèques ayant réparti les compositeurs de musique classique et les artistes de jazz, chaque bibliothèque accepte d'acheter les nouveautés dans sa spécialité, de les conserver, de prendre les disques éliminés ailleurs, et de les communiquer sur demande.

    AU NIVEAU NATIONAL

    Jusqu'ici nous avons parlé de ce qui se passe au niveau local et au niveau régional en ce qui concerne les acquisitions, les éliminations et la conservation, mais il me reste à vous parler des organisations au plan national qui complètent l'ensemble.

    1. LES BIBLIOTHÈQUES UNIVERSITAIRES

    Et tout d'abord, pour changer un peu des bibliothèques publiques parlons des bibliothèques universitaires. A ce propos il faut mentionner les recommandations de la commission Parry, établie pour étudier les moyens les plus efficaces et économiques à adopter pour faire face aux demandes des universités et d'autres instituts d'enseignement supérieur dans le domaine des livres et des périodiques. Ces recommandations publiées en 1967, envisagent la coordination et la coopération étroites entre les bibliothèques dans le but d'offrir au public universitaire une bonne sélection de documents. Ce sont des conclusions peu extraordinaires, mais je crois qu'elles soulignent le souci en Grande-Bretagne de trouver des solutions aux problèmes que nous affrontons grâce à une politique de coopération.

    C'est la Standing Conference of National and University Libraries (SCONUL) qui représente en Grande-Bretagne les intérêts des bibliothèques universitaires et nationales, et depuis longtemps avant même la création de la commission Parry, la SCONUL s'occupe de l'acquisition et de la conservation en coopération, et, dans une certaine mesure, du stockage de documents peu consultés. (En fait, la question de l'établissement de dépôts a été inscrite à l'ordre du jour du premier congrès de la SCONUL). Cette organisation s'occupe en particulier de l'acquisition de matériaux étrangers, surtout la littérature de l'Afrique, de l'Europe de l'est, de l'Asie et de l'Amérique du Sud, et des sous-commissions permanentes ont été créées pour s'occuper de ces diverses régions du monde. En ce qui concerne la littérature d'Asie, par exemple, la SCONUL a étudié les besoins des chercheurs en collaboration étroite avec la British Association of Orientalists et l'on s'est mis d'accord pour qu'une des facultés de l'Université de Londres, c'est-à-dire l'école des études orientales et africaines, établisse un catalogue collectif qui recense les collections dans ce domaine de plusieurs bibliothèques universitaires en Grande-Bretagne, et joue le rôle de centre de renseignements bibliographiques pour la littérature de cette partie du monde Des comités ont été établis qui coordonnent les politiques d'acquisitions dans le domaine de la littérature du Japon, du Moyen-Orient, de la Chine et de l'Indochine. Une sous-commission de la SCONUL s'occupe de l'Amérique latine et plusieurs bibliothèques universitaires ont participé à l'établissement d'un catalogue collectif d'ouvrages, à l'édition d'une liste collective de périodiques, etc...

    Pour l'acquisition des documents en provenance de l'Afrique en particulier il y a une organisation spéciale, la Standing Conference on Library Materials on Africa (SCOLMA), créée en 1962, qui a mis au point un plan d'acquisition, organisé sur une répartition par pays et par discipline. C'est ainsi que l'Université de Durham a la responsabilité de collectionner la littérature du Soudan et de la Lybie, l'Université de Leeds se spécialise en géologie, etc.. Récemment des études ont été entreprises par la SCOLMA sur les possibilités d'acquisition et de stockage en coopération des microformes.

    Chez les bibliothécaires des instituts d'enseignement, rattachés aux universités, on trouve le même souci de coopération, avec la création de catalogues collectifs, le prêt inter-bibliothèques, et une liste collective de périodiques. Celle-ci est devenue la base d'un accord pour le stockage coopératif de périodiques, chaque bibliothèques s'engageant à en conserver indéfiniment un certain nombre. Il existe aussi un système de stockage coopératif de manuels périmés (des manuels qui peuvent servir aux chercheurs sur l'histoire de l'enseignement). Les bibliothèques des instituts d'enseignement participent également à un autre schéma de coopération, avec les bibliothèques universitaires. Il s'agit de l'acquisition et de la conservation permanente de livres anciens, édités avant 1800 : c'est le Background Materials Scheme. Des tranches chronologiques ont été décidées et réparties entre les bibliothèques qui y participent, dont aussi un certain nombre d'importantes bibliothèques publiques.

    2. LES BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES

    Et pour revenir aux bibliothèques publiques, cette fois au plan national, il faut mentionner la National Joint Fiction Reserve et l'Inter-Regional Coverage Scheme. Celle-ci date de 1962 et assure la conservation de romans par la répartition de tranches alphabétiques parmi les régions, à l'exception de Londres et du Sud-est de l'Angleterre. C'est ainsi que les lettres A-C sont sous la responsabilité de la région'du Nord-ouest, D-F, incombent à la région du nord, etc...

    Je vous ai déjà parlé des schémas qu'ont établis les divers groupements régionaux de bibliothèques, dont le plus complet est celui qui fonctionne à Londres. Pour suppléer à ces plans et af'in d'assurer une meilleure disponibilité et une conservation plus sûre de la production imprimée nationale, un plan national, l'Inter-Regional Coverage Scheme, a été élaboré et fonctionnait très efficacement pendant la période 1959-1973. Il s'agissait toujours d'une répartition de responsabilités partranches de Dewey et le plan était basé sur la bibliographie nationale. Chaque région était responsable d'une section de la classification - les 200 pour le sud-ouest, les 400 pour les Midlands de l'est, etc... de sorte que la totalité de la classification Dewey était couverte. La manière de répartir les responsabilités entre les bibliothèques à l'intérieur d'une région différait de région en région. Ce schéma permettait aux organisations nationales, que nous allons examiner bientôt, de concentrer leurs efforts et leurs ressources sur les publications étrangères et sur les acquisitions rétrospectives.

    3. LA BRITISH LIBRARY

    Eh bien, si ce plan marchait bien, pourquoi l'abandonner en 1973 ? La réponse réside dans le développement remarquable d'une organisation qui influe de plus en plus sur la vie des bibliothèques en Angleterre- la British Library, créée en 1973 par le regroupement de la bibliothèque du British Museum, de la National Central Library (bibliothèque centrale nationale), de la National Lending Library for Science and Technology (bibliothèque nationale de prêt pour les sciences et la technologie), de la National Reference Library for Science and Invention (bibliothèque nationale de référence pour les sciences et l'invention), la British National Bibliography (bibliographie britannique nationale) et l'Office of Scientific and Technical Information (bureau de renseignements et de recherche scientifiques et techniques). Tous ces éléments, précédemment indépendants les uns des autres, ont fusionné pour devenir la British Library.

    En ce qui concerne la section de la British Library dite Reference Division (c'est-à-dire l'ancienne bibliothèque du British Museum et l'ancienne bibliothèque nationale de référence pour les sciences et l'invention) je n'ai pas grand chose à vous dire. Elle joue, bien sûr, comme la Bibliothèque Nationale en France, le rôle de bibliothèque de conservation et de recherche la plus importante du pays. Elle souffre des mêmes problèmes que votre BN, que nous a décrite M. Pierrot ce matin, mais l'annonce récente de la construction d'immenses locaux tout neufs à Londres est très encourageante. Elle reçoit, en théorie, la totalité de la production littéraire de Grande-Bretagne par voie du dépôt légal : en réalité, nous le savons bien, un nombre important de publications échappent à son contrôle. Ses collections sont disponibles uniquement pour la consultation sur place : il est défendu par la loi de les prêter à l'extérieur, même les doubles, contrairement à votre Bibliothèque Nationale. Peut-être devrais-je préciser aussi que cinq autres bibliothèques jouissent du dépôt légal : les bibliothèques universitaires d'Oxford et de Cambridge, les bibliothèques nationales d'Ecosse et du Pays de Galles, ainsi que, par un caprice de l'histoire, le collège de la Trinité à Dublin dans l'Irlande du Sud. Donc nous avons dans le Royaume-Uni, et j'exclus ici, bien sûr, Dublin, cinq grandes collections nationales, vouées à la conservation.

    Ensuite examinons la section de la British Library qui s'occupe du prêt, la British Library Lending Division (B.L.L.D.) qui rend des services très importants. Elle a été constituée en partie par l'ancienne National Central Library (N.C.L.) Celle-ci, créée en 1931, succède à la Central Library for Students (Bibliothèque centrale pour les étudiants), établie en 1916 pour prêter des livres aux étudiants, aux cours d'adultes le soir et aux bibliothèques.

    La National Central Library à établi des collections assez importantes, qui dénombrait plus de 170 000 volumes en 1941, date à laquelle un bombardement a réduit les collections à 100 000 volumes. Pendant les années 30, la N.C.L. est devenue le centre du système de prêt interbibliothèques, et comme nous l'avons vu, abritait le catalogue collectif national. Celui-ci a connu beaucoup de problèmes d'arriérés pendant la guerre. Après la guerre, le nombre de demandes de prêt de livres a beaucoup augmenté, demandes auxquelles ne pouvait pas toujours répondre la N.C.L. faute de crédits suffisants. A la suite d'un rapport préparé par M. Vollans en 1951, on a décidé que les régions elles-mêmes devraient pourvoir à la couverture de la production littéraire de Grande-Bretagne, (d'où l'Inter-Regional Coverage Scheme), et que la N.C.L. devrait acquérir, conserver et prêter des documents britanniques non courants ainsi que les documents étrangers. Des collections importantes de publications gouvernementales, de thèses, de périodiques et de publications de sociétés savantes ont été constituées - pour la plupart dans le domaine des sciences humaines. Des appels ont été lancés pour le don de livres et d'autres matériaux, de préférence de livres en langues étrangères et de livres anciens, auxquels ont répondu beaucoup de bibliothèques. Comme résultat, la bibliothèque centrale nationale a du établir un dépôt à Woolwich pour accueillir ces dons.

    Un département en particulier de la N.C.L. mérite notre attention aujourd'hui, car il s'agit du recyclage de livres éliminés par les bibliothèques, de dons et d'échanges. A partir de 1937 la N.C.L. commence à redistribuer des livres et en 1947 le British National Book Centre (B.N.B.C.) a été créé. Depuis 1949, des listes de documents disponibles sont préparées et diffusées dans les bibliothèques en Grande-Bretagne et dans le Commonwealth. Pendant longtemps les bibliothèques qui voulaient se débarrasser de doubles, de dons ou de documents éliminés de ses collections, pouvaient les proposer, par moyen de fiches de catalogue, au B.N.B.C. qui les inscrivait sur ces listes mensuelles. Les livres figuraient sur une série de listes par ordre de Dewey, les périodiques par ordre alphabétique de titres sur une autre série. En attendant la diffusion des listes, les livres et périodiques restaient sur place. Les bibliothèques qui s'adonnaient au service, recevaient les listes d'offres, cochaient les numéros qui les intéressaient, et renvoyaient les listes au B.N.B.C. Celui-ci demandait aux bibliothèques où les livres et périodiques restaient disponibles, d'envoyer des numéros précis aux bibliothèques demandeuses. Des listes étaient envoyées aux pays du Commonwealth, ensuite on offrait ce qui restait aux bibliothèques des autres pays. C'est par cette voie d'échange et de redistribution que beaucoup de bibliothèques, y compris la N.C.L. elle-même et la bibliothèque du British Museum, ont pu combler des lacunes dans leurs collections. Le B.N.B.C. se trouvant absorbé, avec la N.C.L., dans la nouvelle British Library, ce service d'échanges est désormais assuré par la Gift and Exchange Section de la B.L.L.D. L'organisation du service a subi quelques modifications : par exemple on reçoit les listes maintenant à titre gratuit (autrefois il fallait s'abonner) : mais ce qui est plus intéressant, c'est que de plus en plus la B.L.L.D. accepte les livres et périodiques dont on veut se débarrasser, sans qu'on doive les garder jusqu'au moment où l'ont connait leur destination définitive, d'où un gain de place et une administration moins onéreuse. Dans l'année 1975-1976,4 500 mètres de documents ont été acceptés pa la B.L.L.D. de cette façon et en plus 30 000 volumes ont été redistribués selon l'ancienne formule.

    Nous avons parlé de la National Central Library qui, avant la création de la British Library, jouait le rôle de centre national de prêt dans le domaine des sciences humaines, mais en même temps on ne négligeait pas les besoins des sciences et de la technologie. Pendant longtemps on demandait la création d'une bibliothèque centrale de prêt scientifique ; c'est le voeu, par exemple, d'un congrès très important qui a eu lieu en 1948 - la Royal Society Scientific Information Conference. La bibliothèque du musée des sciences a en effet essayé de combler cette lacune bien que son rôle principal était de desservir le musée et les chercheurs du collège impérial des sciences et de la technologie. Enfin en 1956, une unité a été créée sous les auspices du Département of Scientific and Industrial Research (département de la recherche scientifique et industrielle), qui avait pour tâche la création d'un centre national de prêt pour les sciences et la technologie. Ce service, présidé par le Dr. Urquhart, a connu un essor remarquable. Des collections ont été constituées d'après une politique d'acquisition très précise, basée sur des enquêtes concernant l'utilisation de la littérature scientifique et sur une connaissance exacte des lacunes qui existaient à l'époque, par exemple dans le domaine de la documentation en provenance de l'Europe de l'est. Le service, dit National Lending Library for Science and Technology (N.L.L.), a été organisé par ce non-bibliothécaire qui adoptait des méthodes et des systèmes non-traditionnels - pas de catalogues par exemple - ce qui a donné lieu à de nombreuses critiques au sein de la profession. Ce qui mérite d'être signalé tout particulièrement, c'est que dès le début le Dr. Urquhart a mis l'accent sur la nécessité d'établir une collection centrale de documents, même si les documents dans la bibliothèque centrale faisaient double emploi avec ceux répartis dans d'autres bibliothèques du pays. Il prétendait qu'on pouvait offrir un service plus efficace par ce moyen que par un système de catalogues collectifs qui recenseraient les collections dans une multiplicité de bibliothèques. Cette politique contraste nettement avec l'ancienne formule selon laquelle, étant donné que presque tous les livres demandés existent déjà quelque part, il faut seulement connaître les localisations, par voie de catalogues collectifs, pour trouver les documents dont on a besoin. Cependant à cause des difficultés de gestion et de continuité, les catalogues collectifs traditionnels commencent à perdre leur intérêt.

    En 1962, les collections de la N.L.L. ont été transférées à Boston Spa, dans le Yorkshire, à un endroit assez isolé où les terrains à construire ne coûtent pas très cher. L'acquisition de livres et de périodiques était, bien sûr, très importante, mais on collectionnait systématiquement les thèses, les rapports techniques, les comptes rendus de congrès et d'autres documents dits « difficiles ». Des appels ont été lancés pour le dépôt et le don de livres et périodiques auxquels ont répondu de nombreux bibliothécaires, qui désormais peuvent éliminer des documents de leurs propres bibliothèques et les envoyer à la N.L.L., dans l'assurance que celle-ci les conservera et les communiquera rapidement s'ils sont demandés, grâce à son service de prêt très efficace.

    Pendant les années 60, la portée des collections de la N.L.L. à été élargie pour embrasser les sciences médicales et, à partir de 1966, les sciences sociales aussi. Entre 1962 et 1970, le nombre de demandes de prêt auxquelles a fait face la N.L.L. a augmenté de 118 000 à un million. En 1972, la N.L.L. a commencé à acheter des périodiques dans le domaine des sciences humaines, et en 1973, avec la création de la British Library, les collections de la N.L.L. ont été transportées à Boston Spa, où la nouvelle B.L.L.D. dispose d'une collection de 2 millions de volumes et plus de 40 000 périodiques. Actuellement, la B.L.L.D. acquiert toutes les publications de valeur en langue anglaise et une bonne partie de ce qui est publié à l'étranger. Pour renforcer son action, des accords ont été pris avec les grandes bibliothèques qui jouissent du dépôt légal et avec d'autres bibliothèques spécialisées, accords par lesquels ces bibliothèques prêtent des documents qui sont introuvables ailleurs. La B.L.L.D. dispose enfin des catalogues collectifs régionaux qui sont tous maintenant automatisés et qui recensent les livres par I.S.B.N. Il y a donc à Boston Spa un appareil très impressionnant, de quoi répondre aux demandes formulées par les bibliothèques du pays.

    L'influence de la British Library se fait sentir de plus en plus. La division de référence comporte plus de dix millions de volumes qui sont conservés pour la recherche, tandis que, la division de prêt, avec 1 680 000 monographies, 130 000 périodiques, 160 000 rapports, 270 000 thèses et bien d'autres documents, reçoit actuellement plus de 2 500 000 demandes de prêts par an, soit dix mille par jour dont 83 % peuvent être satisfaites part la B.L.L.D. elle-même. En plus 5,8 % sont satisfaites grâce aux localisations trouvées dans les catalogues régionaux, 4,4 % sont satisfaites par les bibliothèques de dépôt légal et les autres grandes bibliothèques spécialisées et 0,7 % par des bibliothèques étrangères. Restent 6,18 % de demandes auxquelles on ne peut répondre. C'est à cause du développement de la B.L.L.D. qu'on a abandonné l'Inter-Régional Coverage Scheme à la fin de 1973, et comme nous l'avons vu, c'est la B.L.L.D. qui devrait suppléer aux collections des bibliothèques universitaires si l'on mettait en application les recommandations du rapport Atkinson. De plus en plus, les bibliothécaires décident des éliminations, les proposent souvent à la B.L.L.D. et sont assez contents de dépendre de celle-ci pour la communication de ces documents si cela s'avère nécessaire. Dans l'année 1975-1976 la B.L.L.D. a reçu en don d'autres bibliothèques 50 000 monographies et 48 000 mètres de périodiques.

    Devant ces développements, et par suite de la réforme des collectivités locales de 1974, un certain nombre de schémas régionaux de spécialisation ont été abandonnés, mais les régions du sud-est de l'Angleterre ont décidé de maintenir leurs plans d'acquisitions. Et la plupart des régions ont accepté de continuer de participer à la National Fiction Reserve.

    LES MICROFORMES

    Je crois vous avoir donné l'essentiel des « solutions » britanniques aux problèmes de conservation et d'élimination, mais avant de terminer, il faudrait peut-être dire un mot sur les microformes qui peuvent, bien sûr, être un moyen de conservation et permettre de gagner de la place. Plusieurs bibliothèques ont fait microfilmer des documents dont l'état matériel pose des problèmes. C'est le cas plus particulièrement des quotidiens, et plusieurs bibliothèques publiques possèdent dans leurs fonds locaux, par exemple, des séries de microfilms de journaux de la région. (Peut-être devrais-je ajouter en parenthèse le rôle important de conservation que jouent ces bibliothèques en ce qui concerne la documentation locale et régionale). « The Times » étant disponible sur microfilm, beaucoup de bibliothèques l'achètent soit pour sauvegarder les volumes originaux soit pour remplacer de grands volumes in-folio de maniement peu commode. (C'est ce que l'on a fait à la bibliothèque publique de Kensington qui a vendu sa collection du « Times » sur papier pour la remplacer par une collection sur microfilms).

    Mais de manière générale, les avantages économiques du microfilm sont assez discutés dans la profession. Des calculs très précis ont été faits par la B.L.L.D., d'où il ressort qu'il est plus économique de garder les volumes originaux que de les faire microfilmer - surtout si les documents sont stockés sur des terrains peu coûteux, comme c'est le cas à Boston Spa. Le rapport Atkinson, dans une annexe, discute les possibilités du microfilm pour remplacer l'exemplaire papier dans les bibliothèques universitaires, mais admet les difficultés à calculer d'une façon générale les avantages ou inconvénients économiques. Cependant le rapport constate que, sauf dans des endroits où le coût des terrains et de la construction est très élevé, le microfilmage n'est pas une solution très intéressante. Si l'on possède beaucoup de documents sur microfilms ou microfiches, il faut pourvoir à un matériel important pour les faire consulter par les lecteurs, et il se peut qu'on doive augmenter le nombre de places dans la bibliothèque car plus de lecteurs auront à travailler sur place (à moins que l'on ne dispose de nombreuses machines portatives qu'on prête aux lecteurs). Il faudrait aussi mettre à la disposition du public des « lecteurs-reproducteurs », et la question très importante des réticences auprès des lecteurs devant les microfilms est à étudier.

    Sans doute peut-il y avoir d'autres raisons pour le microfilmage que des considérations purement économiques : l'acquisition de documents dont la version originale est épuisée, ou de documents uniques comme des manuscrits. Le microfilmage peut être très utile aussi comme moyen de conservation pour protéger des originaux d'usure matérielle, et a un certain rôle à jouer dans le domaine du prêt inter-bibliothèques.

    CONCLUSIONS

    Voilà donc pour la Grande-Bretagne des « solutions » très variées, adaptées aux traditions et aux structures de nos bibliothèques. Peut-être pourrait-on les considérer comme une sorte de pyramide.

    - A la base, les bibliothèques locales, qui dans le cas des bibliothèques publiques, desservent souvent des populations très importantes et qui disposent de ressources et d'une organisation permettant une coordination positive en matière d'acquisitions, de conservation et d'élimination, avec des schémas de coopération entre bibliothèques de différents types.

    - Ensuite des structures régionales qui regroupent les bibliothèques locales et jouent toujours un rôle important dans le domaine du prêt inter-bibliothèques et du fonctionnement de schémas de spécialisation.

    - Puis, à l'échelon national, des plans de coopération pour l'acquisition et la conservation de documents qui peuvent relier soit des bibliothèques d'un seul type soit des bibliothèques de différents secteurs.

    - Enfin, pour coiffer l'ensemble, on trouve la British Library avec ses divisions vouées d'un côté à la conservation, et de l'autre au prêt, au stockage de documents peu consultés dans les bibliothèques individuelles et à l'échange et la redistribution de livres et périodiques.

    L'influence et l'importance de la British Library s'accroît de jour en jour. On a déjà vu un changement de politique très marqué qui favorise actuellement l'établissement de collections nationales ou centrales pour suppléer à, sinon remplacer, des systèmes de coopération aux niveaux inférieurs. Le développement de la British Library met en cause beaucoup de pratiques et de traditions qu'on accepte depuis longtemps. C'est un apport très puissant aux bibliothèques de Grande-Bretagne qui nous fait réfléchir sur les moyens les plus efficaces et les plus économiques de satisfaire les demandes de plus en plus variées de nos lecteurs de plus en plus nombreux.

    L'auteur tient à remercier M.P. Le Loarer qui a bien voulu accepter de relire et de corriger la version française et de proposer quelques modifications au texte.