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Télédocumentation (partiellement) payante et consultation de nos fichiers (quasi) gratuite

1983
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    Télédocumentation (partiellement) payante et consultation de nos fichiers (quasi) gratuite

    Avenir probable de la bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne

    Par J. DEPALLENS

    COMME sa dénomination l'indique, la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne est caractérisée par un double aspect. Elle est à la fois une institution de lecture publique - mentionnons le dépôt légal cantonal, qui alimente la bibliothèque de livres divers édités dans la région, ainsi que la phonothèque fréquentée par un public relativement large - et une bibliothèque universitaire.

    Reconnaissons qu'à Lausanne l'accent est davantage mis sur le développement de la fonction universitaire que sur celui de la mission publique. Le fonds de la B.U. vient par exemple d'être largement mis en libre accès selon une classification C.D.U. simplifiée sur le campus de l'université, alors que le fonds public, situé en ville de Lausanne, est toujours en magasins ; le public cultivé non universitaire doit donc feuilleter le catalogue sur microfiches pour se faire une idée des ressources de la B.C.U., alors que les étudiants peuvent se promener dans les rayonnages pour feuilleter directement les volumes du domaine qui les intéresse.

    Je voudrais traiter du problème de l'information gratuite ou payante par rapport à trois types de services que la B.C.U. est ou sera amenée à rendre au lecteur: la télédocumentation (recherches documentaires informatisées), la consultation de nos fichiers par le lecteur manipulant lui-même un terminal et, enfin, l'appui à la création de bases de données locales, en principe gratuites.

    LE SERVICE DE « RECHERCHES DOCUMENTAIRES INFORMATISÉES»

    La B.C.U. de Lausanne vient d'ouvrir en automne 1982 un service de «Recherches documentaires informatisées» pour interroger en mode dialogué une dizaine de serveurs situés en Suisse, dans d'autres pays d'Europe occidentale ou en Amérique du Nord. Nous ne sommes hélas - aurais-je envie de dire - pas une bibliothèque se rattachant aux traditions des bibliothèques anglo-saxonnes, où il existe un service de référence souvent très développé (recherches bibliographiques de bon niveau pour l'usager, constitution de dossiers documentaires utilisables et mis àjour...). La B.C.U. de Lausanne ne possédait pas un service aussi poussé (pas de formation continue des personnes fonctionnant au guichet des renseignements, peu de recherches bibliographiques complexes menées pour ou avec le lecteur). De fait, notre philosophie était de considérer que l'usager d'une bibliothèque universitaire était assez grand et instruit pour se débrouiller tout seul, quitte à répondre aux questions subsidiaires que le lecteur pourrait être amené à poser (utilisation fine des index et des thésauri, recherches similaires menées sur d'autres documents secondaires...).

    Un tel contexte ne nous a guère permis - pour justifier l'ouverture d'un service de téléréférence - de recourir à l'argument suivant : les bibliothécaires vont gagner un temps fou en travaillant en mode dialogué au terminal au lieu d'effectuer de longues recherches manuelles dans plusieurs éditions successives de «Chemical Abstracts» ou dans les tables de statistiques de « Predicast ».

    Sans vouloir reprendre le vieux débat qui a entouré le transformisme, il est probable que pour nous, c'est l'organe qui est en train de créer la fonction, c'est-à-dire que c'est la décision de nous raccorder à plusieurs centres serveurs qui permet d'envisager le démarrage d'une activité régulière de recherches bibliographiques pour le compte des usagers.

    Les coûts liés à l'existence de ce type de service sont donc nouveaux et correspondent en fait à des prestations que la bibliothèque ne fournissait que très occasionnellement, ce qui est déjà une justification de, la création de ce nouveau département.

    Rappelons que ces coûts, comme il a déjà été relevé dans d'autres interventions, sont divisés en gros en plusieurs éléments :

    • les dépenses d'équipement (terminal, imprimante, modem, téléphone, local, meubles, manuels de base...) ;
    • les dépenses de fonctionnement (salaires du personnel spécialisé, contrats d'entretien du matériel, acquisition régulière de manuels, de thésauri, de guides pratiques, frais de démonstration aux usagers, coûts de formation, matériel de bureau et d'imprimerie pour la promotion, l'information et la comptabilité, divers abonnements...) ;
    • les coûts ponctuels, directement liés à la conduite de recherches pour l'usager (téléphone, frais de télécommunications, service du concentrateur de bases de données, redevances au producteur).

    Pour le financement de ces dépenses, cinq solutions peuvent être envisagées :

    • 1) Gratuité du service (sur le modèle du prêt interbibliothèques des monographies).
    • 2) Encaissement d'une somme fixe symbolique, ne couvrant qu'une infime partie des coûts. Sa raison d'être est essentiellement de décourager la recherche bibliographique insuffisamment motivée ou même purement gratuite - au sens d'un acte gratuit - et de favoriser toutes les autres.
    • 3) Report des coûts ponctuels (télécommunications, redevances...) sur l'utilisateur, soit sous forme d'une somme forfaitaire équivalant à une facture moyenne, soit en comptabilisant minutieusement les frais ponctuels occasionnés par chaque recherche.
    • 4) Facturation des coûts ponctuels et adjonction d'une taxe fixe ou proportionnelle à la durée de l'interrogation pour financer une partie des dépenses de fonctionnement (formation continue, frais de démonstration, achat d'instruments d'aide à la recherche...).
    • 5) Rentabilisation de toutes les dépenses figurant au débit du service.

    (Nous avons bien entendu écarté la possibilité de tirer un profit du service, comme le ferait un courtier en informations.)

    Pour faire un choix judicieux, il faut tenter d'éviter deux écueils :

    • Submersion d'un nouveau service, dont les ressources en personnel et en crédits ne sont pas illimitées, par un gonflement excessif de la demande. C'est peut-être le risque de la solution n° 1, en tous cas en Suisse pour les années 1982-1985. Peut-être le Canada et les Etats-Unis des années 70 pouvaient se permettre cette politique, en grande partie grâce à des fondations privées ou semi-privées.
    • Paralysie ou ankylose du service, du fait du report intégral des coûts sur l'usager. La demande est rare, la formation du personnel se fait lentement et n'est guère renforcée par la pratique. Pour une institution académique, c'est peut-être le danger représenté par la solution n° 5. Il n'est du reste pas envisageable de facturer le travail des bibliothécaires à l'usager!

    A Lausanne, dans un premier temps, nous sommes en train d'adopter une pratique similaire à la solution n° 3 - facturation des coûts d'utilisation ponctuels - avec une réduction de 50% la première année et de 25% la seconde, de façon à ne pas reporter sur l'utilisateur des coûts de formation du personnel.

    Nous nous engageons donc bel et bien sur le versant «sacrilège» du service payant.

    A cela plusieurs raisons :

    • Le danger de grever le budget d'acquisition de la bibliothèque en offrant la quasi-gratuité de ce service, qu'il est difficile de « budgeter», comme un crédit d'achat.
    • Le fait que la bibliothèque ne conserve en principe pas trace des résultats imprimés de la recherche, que l'utilisateur emporte avec lui, sans que le fonds de la bibliothèque en soit accru.
    • Avec les recherches documentaires informatisées, la bibliothèque joue le rôle d'un intermédiaire entre l'utilisateur, à la recherche d'informations allant au-delà des ressources de la bibliothèque, et des organismes documentaires qui font payer leurs services. Même si l'usager ne le perçoit pas ainsi, le service de la bibliothèque continue d'être gratuit. Ce qui change, c'est qu'elle transmet au «client» la facture de centres documentaires qu'elle interroge, au lieu de la payer elle-même. Il y a derrière cela la réalité des grands serveurs étatisés ou semi-étatiques, comme Télésystèmes-Questel en France, qui ont fait le choix du service payant, y compris pour les universités et les grandes écoles. Les B.U., dans leur immense majorité, sont contraintes de ne pas travestir cette option : l'accès aux bases de données n'a pas été conçu par ses promoteurs comme libre et gratuit.
    • En dernier lieu, l'utilisateur des informations bibliographiques informatisées n'est pas en principe un individu isolé, mais une personne qui mène une recherche « ès fonctions (un professeur pour son cours, un assistant pour un séminaire, un chercheur pour mieux fonder son travail).

    Nous sommes donc favorables à ce que ce soient les facultés, les départements, les unités de recherche qui financent les coûts partiels occasionnés par les recherches documentaires informatisées, comme elles financent l'achat d'ouvrages particuliers - tables de valeurs numériques, dictionnaires spécialisés, répertoires, guides de laboratoire ou de voyages d'étude de membres du corps enseignant.

    Et l'étudiant ?

    Il me semble que durant la majeure partie de ses études, il a rarement l'occasion de mener une recherche entièrement personnelle. S'il travaille pour un séminaire, par exemple, ce devrait être au professeur ou au chargé de cours de lui fournir une liste bibliographique consistante, et non à chaque étudiant de l'établir sans concertation ni expérience, à l'aide de moyens onéreux. Quant au candidat à la maîtrise ou au doctorat, je trouverais souhaitable que l'unité d'enseignement dont il relève finance également ses recherches bibliographiques s'il y a lieu. Ce serait certainement tout bénéfice intellectuel pour la faculté dont il dépend de favoriser la production de mémoires ou de thèses amplement documentées.

    Pour que le financement des coûts ponctuels occasionnés par le service de téléréférence soit résolu dans ce sens, il est nécessaire que:

    • les facultés disposent d'un crédit documentaire, qu'elles parviendraient mieux à gérer et à prévoir que la Bibliothèque centrale ;
    • qu'il existe un budget spécial d'aide à la recherche, soit au niveau d'un organisme d'appui à la recherche scientifique, soit à l'échelle de l'université;
    • que la bibliothèque dispose d'un fond particulier pour subventionner en partie les coûts ponctuels au bénéfice d'usagers non rattachés à une institution (autodidactes, indépendants, retraités).

    LA CONSULTATION AU TERMINAL DES FICHIERS DE LA BIBLIOTHÈQUE

    Dans un^premier temps, qui pour la B.C.U. a commencé en 1970 et devrait s'achever en 1984-1985, l'informatique a essentiellement servi à gérer le prêt, le service des acquisitions et le catalogage, offrant à l'usager deux catalogues sur microfiches (auteurs, titres et matières). Les avantages, pour le lecteur, c'est la multiplication par 50 du fichier autrefois unique et l'obtention, auprès du service de renseignements, d'informations inédites (accès par titre, par C.D.U., par collection, par I.S.B.N.). Certains usagers, à la fois privilégiés et bien informés des possibilités du système, peuvent commander des «produits à façon» dans le domaine qui les intéresse (sélections en fonction de critères particuliers, C.D.U., code sujet, code de dépôt, etc.).

    La période qui commencera en 1984 verra l'usager se servir directement d'un des terminaux mis à la disposition du public pour interroger les différents fichiers exploités en réseau par deux des quatre bibliothèques universitaires de Suisse française, soit Genève et Lausanne. (L'Université de Fribourg a opté pour le système SIBIL, mais doit se prononcer pour son rattachement au réseau ou son exploitation indépendante. Neuchâtel est intéressée, mais n'a pas pris de décision pour l'instant.)

    A mon avis, le développement même du système dont nous poursuivons l'exploitation doit inclure l'interrogation gratuite par le lecteur des fichiers du réseau romand des bibliothèques universitaires, avec des prestations égales ou supérieures aux bases de données documentaires (recherche par arbre, présentant au lecteur une succession de choix multiples passant du niveau général à un niveau particulier, opérateurs booléens, opérateurs positionnée... ).

    Dans certaines limites, le lecteur doit pouvoir passer au terminal le temps nécessaire à conduire son interrogation et à produire sur une imprimante la liste des références pertinentes qu'il aura obtenues.

    Pour éviter une surcharge du système - le plus souvent due à une recherche trop vague ou à une équation de recherche mal formulée - une limite de 100 références bibliographiques par lecteur et par jour pourrait par exemple être fixée, avec une taxe ou un blocage pour les dépassements éventuels. Aucune limite n'interviendrait en revanche pour dresser une liste de notices se rapportant à un cours ou à un sujet de séminaire, avec l'aval de l'enseignant concerné pour favoriser une coordination documentaire minimale.

    De telles questions sont en cours de discussion entre les différents partenaires du réseau RÉBUS - Réseau des Bibliothèques Utilisant SIBIL - notamment la question de l'accès prévu pour le public, du type de formation des usagers, du rôle des bibliothécaires pour collaborer à l'exécution de recherches complexes, etc.). A l'occasion de votre journée d'étude et des problèmes importants qu'elle soulève, je me suis permis de vous donner mon sentiment personnel, avec les réserves d'usage pour un projet en gestation avancée, mais qui ne fonctionne pas pour l'instant au doigt et à l'oeil de l'usager pour qui il est conçu.

    LA CRÉATION DE BASES DE DONNÉES RÉGIONALES ET LOCALES

    Contrairement aux grands serveurs qui font payer, parfois chèrement, leurs services documentaires informatisés, une bibliothèque universitaire moderne devrait créer des bases de données d'intérêt local ou régional, ou du moins favoriser leur développement et les mettre gratuitement à la disposition du public. La B.C.U. a déjà mis en machine une base sur Benjamin Constant, constituée de plusieurs milliers de notices bibliographiques et analytiques se référant à des monographies et à des articles de périodiques spécialisés. De même pour un index patronymique du canton de Vaud, dérivé d'une volumineuse encyclopédie du début du siècle, et qui donne des indications biographiques sur plusieurs centaines de personnages vaudois.

    Avec la mise en fonction d'un ou de plusieurs réseaux de communications sur le campus universitaire, la B.C.U. pourra apporter son concours à l'élaboration de bases et de banques de données, pour les questions dont elle a une grande expérience (format, standardisation, description bibliographique, logiciel d'interrogation, protection des données...).

    En conclusion, je crois que nous sommes en présence d'une mutation de la nature des bibliothèque, elle-même liée à l'entrée en jeu de marchandises nouvelles: l'information bibliographique et factuelle accessible à distance grâce à la conjonction des innovations techniques dans le domaine de l'informatique et des télécommunications. Les bibliothèques ne doivent pas, à mon avis, rester en dehors de ce circuit. Imaginons la situation d'une encyclopédie de haut niveau ou d'outils bibliographiques secondaires que leur producteur aurait décidé de ne plus imprimer, au profit de la seule version sur support magnétique ou optique. Les bibliothèques d'étude comme les bibliothèques publiques doivent offrir un accès à ce support d'informations factuelles ou bibliographiques. La gratuité complète ne me paraît pas indiquée pour des informations-marchandises qui sont relativement chères, non prévisibles au budget et dont il est, à l'heure actuelle, important de cerner les besoins. Si un article d'une encyclopédie imprimée n'est jamais lu, ou lu plusieurs dizaines de fois, cela ne change rien aux dépenses de la bibliothèque. Ce n'est pas le cas des marchandises, dont nous avons abondamment parlé aujourd'hui dans la première partie de notre intervention, marchandises que, par ailleurs, la bibliothèque ne conserve même pas, car il s'agit souvent d'un produit finement profilé, utile pour tel usager, incomplet ou non pertinent pour tel autre.

    La première partie de ma conclusion se situe à l'échelle de la gestion de la bibliothèque et milite en faveur du report des coûts ponctuels d'interrogation de serveurs commerciaux sur l'utilisateur, tout en maintenant la gratuité pour nos propres ressources documentaires informatisées.

    La seconde partie de mes remarques finales tente de voir le problème à un autre niveau, celui de la collectivité, qui devrait à mon avis prendre en charge les recherches automatisées menées par des institutions d'études ou de lecture publique. Il suffirait que les grands centres serveurs soient contraints de pratiquer envers elles une tarification forfaitaire annuelle abordable pour le budget des bibliothèques universitaires comme des bibliothèques de lecture publique. Ces dernières s'abonneraient aux services des organismes documentaires comme elles souscrivent aujourd'hui à un périodique. Mais cela demanderait une intervention de l'Etat (institution de tarifs préférentiels, subventionnement) qui devrait modifier les règles du jeu actuellement pratiquées dans le domaine de l'informatique documentaire.