Index des revues

  • Index des revues

Le département de l'audiovisuel de la Bibliothèque de France

1992
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Le département de l'audiovisuel de la Bibliothèque de France

    Par Marie-Christine Wellhoff, Responsable du Département de l'audiovisuel

    Un jour un moine cessa de lire à voix haute, scandalisant ses .... pairs et le bon Saint Augustin qui y vit la marque de Lucifer, la naissance, peut-être, de la lecture critique. Autant que l'invention de l'imprimerie, l'introduction de la lecture muette a révolutionné l'usage de la bibliothèque qui cesse d'être le temple bruissant de la prière pour devenir le lieu silencieux de l'étude. La bibliothèque n'est plus seulement un coffre pour les livres mais un espace vivant où se créent de nouveaux livres, de nouveaux savoirs. Si le concept de "thèque" évolue, celui de biblion aussi. Le biblion est un support sur lequel s'inscrivent les mots, le papier, la bande magnétique, les supports optiques en sont d'autres. Les pratiques comptent donc tout autant que les lieux, les contenus autant, ou plus, que les supports.

    Il pourrait suffire dès lors, en s'appuyant ainsi sur l'autorité des pères de l'Eglise, de paraphraser le "voilà pourquoi votre fille est muette" en proclamant "et voilà pourquoi notre Bibliothèque aura aussi des images et des sons", parce que telle est la tradition qui veut que la Bibliothèque accumule de plus en plus de documents et s'ouvre à des pratiques de plus en plus nouvelles. Nous essayerons cependant de dépasser les proclamations et d'expliquer ce qui a conduit à intégrer l'audiovisuel au projet de la Bibliothèque de France, et quel est à l'heure actuelle le contenu de ce projet.

    Les raisons d'une intégration

    Pourquoi intégrer l'audiovisuel au projet de la Bibliothèque de France ? La réponse est double : parce qu'il l'était déjà au sein de la Bibliothèque nationale, parce qu'il ne l'était pas assez.

    Il l'était déjà, puisque le département de la Phonothèque nationale et de l'audiovisuel est un des départements spécialisés de la Bibliothèque nationale. Rattachement récent (1977) d'un organisme qui depuis le début du siècle est le dépositaire de l'ensemble du patrimoine sonore enrichi, depuis 15 ans, de l'image animée, sur support vidéo ou cinématographique. La Phonothèque nationale créée par décret en 1938 prenait la suite des Archives de la Parole puis du Musée de la Parole et du Geste qui avaient collecté et conservé les premiers enregistrements de personnalités célèbres : poètes, écrivains, philosophes, ou des documents à caractères ethnographiques collectés dans le monde entier. Comptant aujourd'hui plus d'un million de documents, de nature, de contenu et de supports divers, le département de la Phonothèque gère un patrimoine d'une richesse exceptionnelle, provenant à la fois de fonds collectés, de donations et du dépôt légal.

    Il ne l'était pas assez car, sans doute plus en raison de son rattachement tardif que de sa séparation physique d'avec la Bibliothèque nationale, le département de la Phonothèque n'est pas intégré aussi solidement qu'il devrait l'être au reste de la Bibliothèque nationale. Catalogage, conditions de conservation, d'accès et de consultation, autant de pratiques différentes de part et d'autre de la rue de Richelieu. Cette intégration tardive et inachevée explique également le manque de moyens, en personnel et en espace, dont souffre la Phonothèque qui doit faire face dans des conditions difficiles à ses missions.

    La décision d'intégrer la Phonothèque nationale au projet Bibliothèque de France représente donc une chance historique pour les collections de ce département comme pour la nouvelle Bibliothèque. Elle permet à la fois de dégager des moyens financiers nouveaux pour faire face aux différentes tâches qu'assure la Phonothèque et d'asseoir la dimension audiovisuelle du projet Bibliothèque de France en en faisant un lieu de travail ouvert sur des pratiques et des savoirs nouveaux.

    La Phonothèque, département déménageur au même titre que les Imprimés, bénéficie d'une enveloppe financière au titre des opérations communes BN/BdF lui permettant de mettre en oeuvre d'ici 1995 le récolement de l'ensemble de ses collections, le catalogage de ses fonds (mais, à la différence des Imprimés, le catalogue informatique ne sera pas exhaustif à l'ouverture de la Bibliothèque de France), et surtout de transférer une partie de ses collections sur de nouveaux supports destinés à en assurer une meilleure conservation et à en permettre la communication.

    A cette fin des studios ont été équipés rue Vivienne pour, dans un premier temps, effectuer des tests et dans un deuxième, mettre en oeuvre la politique de transfert de support. Ces tests, réalisés sur un échantillon de l'ensemble des documents sonores, depuis le cylindre jusqu'au CD en passant par les disques à gravure directe, ont permis de déterminer les procédures et les temps de traitement pour restaurer et transférer les documents. Il s'agit là d'un chantier essentiel, compte tenu du volume de la collection, de son ancienneté, de sa valeur patrimoniale et de son état physique. Certaines hypothèses ont avancé le chiffre d'un millier d'années de travail/homme pour transférer la totalité des collections. Prévision sans doute excessive si l'on tient compte de nombreux doubles et de possibilités d'amélioration de rendement liées à la production en masse, mais prévision qui impose de hiérarchiser les priorités. Ainsi la Phonothèque et le département de l'audiovisuel de la Bibliothèque de France ont défini d'un commun accord un programme de travail portant sur les documents les plus rares, précieux et fragiles qui seraient transférés dans les studios aménagés rue Vivienne et sur une partie des microsillons qui seraient transférés dans le cadre d'une filière industrielle extérieure. Cette opération, qui permettra dès l'ouverture de la Bibliothèque de France de mettre en consultation plusieurs dizaines de milliers d'heures d'enregistrement, sonores numérisés, devrait commencer dès cette année. La décision d'intégrer la Phonothèque au sein du projet Bibliothèque de France s'inscrit dans le cadre d'une réflexion globale sur le rôle et la place des documents audiovisuels dans la Bibliothèque. Dès l'origine la dimension audiovisuelle est une des composantes essentielles du projet. Réduite sans doute par rapport aux objectifs énoncés dans le rapport Cahart-Melot, cette dimension reste importante et donne au transfert de la Phonothèque une portée sans commune mesure avec le rattachement de 1970. En effet, il ne s'agit pas d'un rajout tardif mais d'une intégration au sein d'un projet cohérent dans lequel les images et les sons seront présents à côté et au même titre que les livres. Au même titre, c'est-à-dire en tant que documents au service de l'étude et de la recherche. Films, émissions de radio et de télévision, enregistrements sonores, photographies, autant de sources d'accroissement de l'offre documentaire de la Bibliothèque de France. A côté, c'est-à-dire dans une perspective d'intégration la plus complète possible des différents types de documents. Cette complémentarité écrit-image-son devra prendre en compte le rôle spécifique de ces médias dans les différents champs de la connaissance. L'apport de l'audiovisuel dans les sciences du visible telles la géographie, l'anthropologie, l'archéologie où le savoir se constitue à partir de l'image est différent de ce qu'il peut être dans les disciplines plus conceptuelles ou dans les oeuvres de création où images et sons complètent l'oeuvre en la prolongeant ou en l'illustrant.

    A l'heure actuelle, à de rares, notables et courageuses exceptions près, les chercheurs utilisent peu les documents audiovisuels. Peu ou mal répertoriés, difficilement accessibles, ces documents représentent des gisements documentaires considérables dont la communication devrait entraîner un développement de la recherche dans de nombreux secteurs.

    Le contenu du projet

    Le projet audiovisuel de la Bibliothèque de France reprend les missions traditionnelles de la Bibliothèque nationale : collecter, conserver, communiquer, en les amplifiant.

    La collecte

    Elle devrait être réorganisée dans le cadre du projet de loi réformant le dépôt légal. Aux termes de celui-ci, l'obligation de dépôt est étendue aux émissions de radio et de télévision déposés auprès de l'Institut national de l'audiovisuel. La Bibliothèque nationale jusqu'ici unique attributaire du dépôt légal pour l'ensemble des documents, écrits et audiovisuels, devra désormais partager cette responsabilité avec l'INA et le Centre national de la cinématographie. Il y a là, à n'en pas douter, une garantie de sérieux et d'efficacité dans la collecte et la conservation de ces documents. Pour éviter les éventuels risques d'incohérence, le législateur a prévu qu'un Conseil Scientifique du dépôt légal veille à la coordination de l'activité des trois organismes. Il importe en effet que les conditions de traitement documentaire et de consultation des documents déposés au titre du dépôt légal soient identiques quels que soient les statuts des organismes affectataires. La Bibliothèque de France participe activement au chantier d'harmonisation du traitement documentaire. Quant au rapprochement des conditions de consultation, l'INA et la Bibliothèque de France y travaillent ensemble dans la perspective de mettre en oeuvre la consultation du dépôt légal de la radio et de la télévision sous la responsabilité de l'INA mais dans l'enceinte de la Bibliothèque de France.

    Parallèlement, la Bibliothèque de France a engagé une ambitieuse politique d'acquisitions portant essentiellement sur des documents non soumis au dépôt légal, oeuvres antérieures aux textes réglementaires ou oeuvres étrangères. Cette politique d'acquisition prolonge d'ailleurs celle menée par la Phonothèque nationale (archives de la parole, ethnomusicologie etc...). Les acquisitions de documents audiovisuels effectuées par la Bibliothèque de France devraient correspondre à l'ensemble des champs disciplinaires couverts par la Bibliothèque. Il ne saurait cependant être question d'exhaustivité dans des domaines où le dépôt légal étant à la fois récent et partiel, le rattrapage à effectuer est considérable. Il a semblé dès lors nécessaire de ne pas se réfugier derrière le mythe de l'exhaustivité impossible et de passer de l'encyclopédisme par destination à la sélection par obligation.

    Toute bibliothèque nationale, et la Bibliothèque de France en est une, est, par vocation et par nature, encyclopédique. Mais la mise en oeuvre de cette vocation encyclopédique se heurte aux contraintes du réel et les choix s'imposent, choix d'opportunité ou choix délibérés. La Bibliothèque de France a choisi de choisir, affichant un certain nombre d'axes forts qui orienteront les acquisitions. Ces axes prennent en compte à la fois les collections héritées de la Bibliothèque nationale, le paysage institutionnel de l'image et du son, la politique documentaire qui préside à la collecte des publications imprimées. Seront ainsi plus particulièrement développées les acquisitions portant sur la littérature, l'interprétation musicale, l'histoire des médias et celle de la société française, l'image de presse, le documentaire et les archives de la parole.

    Les collections audiovisuelles de la Bibliothèque de France devraient représenter, à l'ouverture :

    • million de documents sonores
    • 2 millions d'images fixes
    • 15 000 heures d'images animées
    • 15 000 documents multimédias.

    A cet ensemble devraient s'ajouter quelques dizaines de milliers d'heures d'émissions de radio et de télévision collectées par l'INA.

    La conservation.

    Elle est rendue particulièrement délicate par la grande variété des documents détenus dont l'usure dépend du temps, de l'usage, de la qualité initiale des supports. Délicat également le choix des supports de conservation surtout dans le domaine de la vidéo où ne sont pas encore stabilisés les normes et les standards. La responsabilité patrimoniale de la Bibliothèque de France impose une extrême vigilance en matière de transfert. Ainsi, les documents de la Phonothèque feront l'objet à la fois d'une copie droite, c'est-à-dire identique à l'original et d'une copie numérique ayant subi une compression dont le taux a été choisi au terme de nombreuses séances d'écoutes comparatives avec des spécialistes, chercheurs et musicologues.

    La communication

    C'est là un des grands défis de la Bibliothèque de France et une nouveauté importante par rapport à la situation actuelle de la Bibliothèque nationale,. Trois objectifs sont poursuivis : communiquer l'information, communiquer le document, communiquer avec d'autres institutions.

    « Communiquer l'information : c'est la fonction du catalogue qui, à la Bibliothèque de France sera multimédia, garantissant ainsi l'intégration des documents, écrits ou audiovisuels. Un délicat travail d'harmonisation documentaire est nécessaire, pour consolider les règles de catalogage des documents audiovisuels et aménager le format Intermarc de description bibliographique de telle sorte qu'il prenne en compte des spécificités des différents types de documents audiovisuels et qu'il soit totalement compatible avec le futur format Intermarc intégré. Ce travail s'élabore respectivement dans le cadre de la Commission de catalogage de l'AFNOR et dans celui du centre de coordination bibliographique et technique de la Bibliothèque nationale.

    « Communiquer le document : la communication est conçue différemment selon qu'elle s'adresse aux chercheurs ou au public admis sans critère d'accès. Les chercheurs bénéficieront d'un département spécifique situé dans le petit côté Est du niveau rez-de-jardin de la Bibliothèque. Sur environ 2000 m2 seront répartis 200 postes de consultation individuelle, 110 places de lecture et 54 places en salles de groupes. Seront consultables dans ce département de l'Image et du Son, l'ensemble des fonds audiovisuels de la Bibliothèque, sur support de reproduction ou d'origine (selon des modalités particulières). Ce département est plus particulièrement destiné aux chercheurs qui travaillent avant tout sur le document audiovisuel. Pour les autres, pour tous ceux qui trouvent ou peuvent trouver dans l'audiovisuel une manière de prolonger, développer, enrichir une recherche, des postes de consultation installés dans les salles de lecture des quatre départements thématiques permettront d'accéder aux documents disponibles sur support de reproduction.

    Au niveau supérieur, dit niveau "tous publics" le choix a été fait de ne pas isoler un espace spécifique affecté à l'audiovisuel mais au contraire de jouer à plein l'intégration et la complémentarité des médias, écrits et audiovisuels, en répartissant les postes de consultation dans les salles de lecture.

    a Communiquer: c'est enfin établir des liens avec des organismes à vocation similaires ou complémentaires. Cette politique de réseau devrait inclure en premier lieu les bibliothèques publiques, disposant déjà du fonds audiovisuel constitué par la Direction du Livre et de la Lecture, des vidéothèques régionales ou thématiques, la future Bibliothèque nationale des arts, la future médiathèque du Palais de Tokyo etc... C'est essentiellement à travers le catalogue collectif de France que devraient pouvoir être signalées les ressources documentaires de ces différents organismes et organisés une plus grande transparence et un meilleur accès à leurs collections.

    Il reste trois ans pour concrétiser ce programme, un délai extrêmement court compte tenu des ambitions quantitatives et qualitatives du projet. Beaucoup a été déjà accompli : les dispositifs juridique, technique et humain sont en place. Le programme architectural et technique du département est défini, les premières conventions avec des organismes publics (INA, Documentation Française, ministère de l'Agriculture, CNCP, CNRS, ...) ou des partenaires privés sont signées ou en voie de l'être, l'équipe des acquéreurs-documentalistes sera opérationnelle dès cet été et les premiers transferts de supports vont également être mis en oeuvre cet été.

    Beaucoup reste encore à faire, mais le plus important, c'est-à-dire la volonté politique, le consensus sur une base de travail commune avec la Bibliothèque nationale, l'affectation de moyens humains et financiers, est acquis. Tel ou tel aspect du projet pourra encore évoluer, de même que le rythme de réalisation des objectifs quantitatifs mais l'essentiel ne sera pas remis en cause faisant de la Bibliothèque de France un bibliothèque ouverte réellement à toutes les formes de connaissance, à toutes les pratiques de recherche.