La première galerie de prêt d'oeuvres d'art française, reprenant des modèles scandinaves et allemands, a été créée au début des années 60, dans le cadre de la seconde maison de la culture, celle du Havre, mise en place juste après celle de Reims : dès que le pouvoir politique manifeste sa volonté de donner à la culture une véritable reconnaissance (premier Ministère des affaires culturelles en 1959) et d'étendre sa diffusion auprès du public le plus large (c'est une période de large développement pour les bibliothèques), le concept d'artothèque est présent, même si, au début des années 60, le projet n'avait pas atteint une maturité suffisante pour permettre un fonctionnement satisfaisant. Cette première artothèque était en effet constituée de toiles, déposées par les peintres auprès d'un organisme qui n'avait ni les moyens ni les compétences nécessaires pour gérer la circulation des oeuvres : bien des artistes refusaient de confier ainsi leurs peintures ; le transport vers les collectivités qui sollicitaient le prêt a causé des dommages, d'autant plus irrémédiables qu'il s'agissait d'oeuvres uniques impossibles à remplacer. L'expérience a donc tourné court très vite, mais a été reprise en 1968 par la maison de la culture de Grenoble.
C'est cette même ville qui, en 1975, a créé la première artothèque dans une bibliothèque, celle de la médiathèque Grand'Place : c'est là que s'est élaboré le modèle dont le développement à l'échelon national a été proposé, à partir de 1983, par le Ministère de la culture. Le principe retenu est celui d'oeuvres originales multiples contemporaines, estampes et photographies, achetées aux artistes, éditeurs ou galeries afin d'être louées aux particuliers et aux collectivités pour une somme modique (le prix d'une place de cinéma), identique quelque soit la taille et la valeur de l'oeuvre, et pour une durée limitée (d'un à trois mois). On a renoncé aux oeuvres uniques (toiles et dessins) et aux sculptures pour des raisons de coût, de format et de dégradation éventuelle : toute oeuvre est prêtée protégée par un cadre en verre ou en plexiglas (ce qui rendrait une toile trop lourde, intransportable) et, si elle est abîmée, elle doit pouvoir être immédiatement remplacée. Les premières directives concernant les artothèques prévoyaient un système de dépôt-vente d'oeuvres uniques pour certains artistes (particulièrement ceux de la région), mais cette hypothèse est irréalisable dans le cadre des bibliothèques municipales, puisque ces organismes n'ont pas de vocation à la commercialisation et gèrent un patrimoine inaliénable. Certaines artothèques ont toutefois étendu leurs achats et leurs prêts aux "travaux sur papier", incluant ainsi les dessins.
Les oeuvres concernées sont donc essentiellement des estampes et des photographies, c'est à dire des créations originales, signées, authentifiées par l'artiste qui les a lui-même exécutées sur un support (pierre lithographique, cadre de soie séri-graphique, morceau de bois ou plaque de cuivre) permettant l'impression ou le transfert sur papier à un nombre multiple d'exemplaires. La déontologie de l'estampe contemporaine prévoit que le nombre d'épreuves mises en circulation, fixé au départ par l'éditeur, figure sur tous les exemplaires : c'est la mention de tirage portée en bas de la feuille de papier imprimée en même temps que la signature de l'artiste. L'utilisation ultérieure du support est rendue impossible en rayant la plaque gravée ou en effaçant la pierre lithographique.
Par ailleurs, l'emploi de procédés photomécaniques dans le cadre de l'estampe considérée comme originale, n'est toléré que lorsqu'il répond à des nécessités artistiques (peintres utilisant la photographie comme base de leur travail) et non pour faciliter la reproduction d'oeuvres effectuées sur d'autres supports. Une bonne connaissance de l'édition originale contemporaine est nécessaire pour faire des acquisitions judicieuses en évitant au maximum les pièges du marché : certains scandales (Dali) ont en effet fait porter sur l'ensemble de la production en matière d'estampes une suspicion, justifiée dans un nombre de cas limités, mais qu'il faut savoir repérer. La sélection idéale ne comporte que des oeuvres ayant représenté pour l'artiste une création originale, qu'il a effectué lui-même et dont il a suivi et contrôlé les étapes purement techniques à l'atelier : certains de ces artistes sont uniquement graveurs, d'autres, qui sont aussi peintres, font des estampes par souci d'une diffusion plus large mais aussi pour faire alterner des périodes solitaires consacrées à la peinture avec des moments de rencontres avec des artisans et une technique différente chez le taille-doucier ou le lithographe. Des idées nouvelles surgissent alors dont s'enrichit le travail pictural.
Le choix de limiter les collections des artothèques à des oeuvres contemporaines est lié à des problèmes de coût, mais aussi de connaissance du marché - les critères de sélection d'une estampe "valable" antérieure au XXe siècle, à l'époque où les tirages n'étaient ni limités ni signés, et les retirages fréquents sont affaire d'autres spécialistes. Mais ce choix est surtout motivé par la volonté explicite de favoriser la création contemporaine et sa diffusion auprès d'un public qui ignore trop souvent les artistes de son époque, élaborant une oeuvre à partir d'un environnement et de préoccupations générales proches des siennes. L'idée que les artothèques ne concernent que des initiés est totalement fausse : même parmi la part dite "cultivée" de la population qui les fréquente, bien rares sont ceux qui ont une véritable connaissance du XXe siècle, le grand oublié des programmes scolaires et universitaires. Les reproductions sont bannies des artothèques : leur but est de faire sentir, par le contact quotidien, dans l'environnement même de l'usager, la différence entre une oeuvre originale et un poster fut-il d'excellente qualité. Le caractère totalement artisanal de l'exécution des estampes permet des nuances, une qualité particulière du trait et même des effets de matière tout à fait spécifiques. Les noirs ont un velouté lié au mélange des encres et à leur répartition par essuyage dans les creux de la plaque gravée. On obtient, par le jeu sur le grain de l'aquatinte et l'étalement de l'acide au pinceau, des effets de transparence colorés très particuliers. L'oeuvre est bien sûr réalisée au format puisqu'elle est conçue directement pour le support choisi (alors que la reproduction est, la plupart du temps, trompeuse sur ce point). L'estampe préserve donc l'aura indispensable à la perception directe et sensible d'une oeuvre d'art même si elle est reproductible dans un cadre bien précis, et en tout cas multiple. Du fait de son support - le papier - et de l'utilisation de procédés d'impression, elle a été intégrée dès l'origine aux fonds de certaines bibliothèques (cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, de la bibliothèque municipale de Mulhouse). Par ailleurs, le principe du prêt est beaucoup plus naturellement accepté dans les bibliothèques qui le pratiquent pour les livres, que dans les musées.
A partir de 1983, donc, le Ministère de la culture a proposé à tous les organismes le souhaitant - centres culturels, associations, écoles des Beaux-Arts - mais surtout bibliothèques municipales (1/3 des créations, les statuts des autres structures d'accueil étant multiples) de signer une convention au terme de laquelle une subvention de 200 000 F. était versée pour la constitution du fonds et son encadrement, à charge pour l'organisme cosignataire d'ouvrir un lieu, de nommer un responsable et de consacrer un budget annuel de 60 000 F. par an pour l'accroissement du fonds. En cas de non-respect de ces modalités, "les oeuvres acquises grâce aux subventions du C.N.A.P. sont la propriété du C.N.A.P.", le responsable des artothèques au Ministère restant l'interlocuteur privilégié avec le conseiller aux arts plastiques de la direction régionale concernée. Cette implantation pilotée par les "arts plastiques" dans des structures dépendant du "livre", tant au niveau national que régional, constituait une innovation à l'intérieur de la pyramide administrative française, peu habituée à des jeux d'ouvertures latérales. Par ailleurs, le monde des bibliothèques a vu d'un oeil parfois très interrogateur, la création de services dont les oeuvres, encadrées, sont destinées à être exposées en permanence pour être emportées, répertoriées sur un fichier qui pour être efficace doit être photographique, vitrines d'un art trop souvent considéré comme inhabituel et dont les responsables sont, aux termes de la convention, voués "à proposer au public des expositions, une documentation ou toute autre forme de sensibilisation à l'art contemporain" : ils possèdent, de ce fait, un profil très atypique dans le monde des bibliothèques et sont amenés à de fréquents déplacements sur le terrain même de la création. Pendant le laps de temps (1983-1985) laissé par le Ministère pour les négociations, douze bibliothèques municipales ont signé la convention et créé effectivement des artothèques dont les responsables ont cherché à donner une personnalité à leur lieu. Les possibilités offertes par les artothèques sont en effet très diverses : les oeuvres d'art y sont, contrairement aux musées, facilement manipulables et se prêtent à des animations variées à l'intérieur et à l'extérieur du lieu. Possibilité y est offerte à chacun de choisir selon ses goûts et ses besoins, s'il s'agit d'une collectivité, parmi un grand nombre d'oeuvres, toutes techniques, tous styles contemporains confondus. L'organisation d'expositions d'estampes, une fois réglé le problème de l'encadrement par un personnel attentif, pose beaucoup moins de problèmes (coût d'assurance et de transport) que les manifestations comportant des peintures : des grands noms (Bram Van Velde, Michaux) peuvent ainsi être présentés de manière très libre. Des éditions d'estampes - incitation indispensable à la création - ont été également réalisées sous l'égide, dans un premier temps, de l'association des responsables de galerie de prêt.
En 1986, la "mission aux artothèques" qui rassemblait au Ministère les besoins à la fois similaires et très variés de services disséminés aux quatre coins de la France, appartenant aux bibliothèques mais aussi à des centres d'art, à des C.A.C. ou à des associations loi 1901, a été supprimée : il était recommandé à chacun, dans le cadre de la décentralisation, de se rapprocher de son organisme de tutelle régional, départemental ou municipal. L'association librement créée par les responsables a maintenu pendant quelques temps un lien entre les différentes structures puis a été dissoute, faute de moyens pour une politique commune.
Pendant le même temps, le marché de l'art connaissait la folle hausse des prix que l'ont sait : début 1980, 40 000 F. permettaient d'acheter cents estampes ; en 1985, avec la même somme, on en acquérait environ trente ; en 1991, on pouvait, pour le même prix, acheter à peine vingt pièces et encore, en évitant les "vedettes" du marché. Cette période a vu la progressive puis très importante diminution du budget - d'acquisition comme de fonctionnement - des bibliothèques et des compressions de personnel. Les artothèques, considérées comme en marge de par la nature de leurs activités, ont subi plus que d'autres peut-être, la récession : restrictions des frais de mission (indispensables pour se tenir au courant du marché et préparer les expositions), diminution du budget d'acquisitions (réduit parfois au cinquième de la somme initiale : une seule artothèque implantée en bibliothèque a encore bénéficié, en 1991, de 130 000 F. pour ses achats). Par ailleurs, d'autres tâches, le plus souvent auprès du département lecture publique adultes, ont été impartis à certains responsables considérés désormais comme polyvalents : plus personne au Ministère n'était là pour veiller au respect des termes de la convention.
Parallèlement, les seules artothèques publiques créées l'ont été dans le cadre de musées : l'acquisition d'oeuvres d'art fait partie de leur mission "naturelle" et par ailleurs, poussés par la nécessité de développer leurs relations extérieures, ils ont découvert le rôle essentiel des artothèques en la matière. Le concept d'artothèque, décidément porteur, a également été récupéré par un certain nombre d'organismes privés, cachant parfois ainsi des buts uniquement commerciaux, certaines initiatives ayant au contraire une vocation authentique de développement de l'art contemporain par le biais de l'estampe. En février 1991, un dossier d'une petite revue parisienne consacré aux "artothèques", s'est fait essentiellement le porte-parole de galeries tentant de se dissimuler sous le terme d'artothèques, les structures publiques considérées à tort comme trop connues, restant dans l'ombre : le terme d'artothèque et ce qu'il recouvre est considéré comme un argument publicitaire et commercial suffisant pour faire l'objet d'une récupération par le secteur privé.
Cet intérêt n'est d'ailleurs pas sans faire actuellement bouger à nouveau les choses autour des artothèques qui, au-delà des difficultés actuelles dont la solution urgente s'impose, pressentent, à partir du bilan de leurs activités après sept ou huit ans d'existence et dans l'analyse de l'évolution actuelle, des éléments de réflexion porteurs d'avenir :
Au-delà des problèmes spécifiques de chaque responsable (statut, formation, disponibilité, budget), une réflexion nationale sur les artothèques s'impose à ce tournant de leur histoire :
Au-delà des principes de base et des modèles d'action déjà établis par leur activité, les artothèques implantées dans les bibliothèques municipales attendent d'une concertation nationale, un véritable débat sur leur spécificité et leur collaboration active avec les autres structures vouées au prêt, à la constitution d'un patrimoine contemporain et à des activités visant à mieux faire connaître l'art de notre temps.
Nota bene : n'ayant eu que trois jours pour rédiger cet article, je n'ai pu l'accompagner d'une véritable enquête auprès de mes collègues. Je me suis donc essentiellement servie de mon expérience et je n'ai illustré aucun exemple d'un nom de lieu pour limiter au maximum erreurs et oublis. Mes propos et suggestions n'engagent évidemment que moi.