Il fallait en effet l'imagination d'un poète pour faire le lien entre deux phénomènes majeurs apparus au XX' siècle : aurait-on sans cela perçu la richesse née de leur rapprochement ? Ce siècle, qui est devenu celui de l'image animée, est aussi celui du formidable développement de la ville, de l'apparition de ce que l'on appelle "les mégapoles". Dès lors, l'image animée n'était-elle pas le meilleur support pour rendre compte du phénomène urbain ?
A partir de 1980, et sous l'impulsion initiale de Pierre Emmanuel, allait ainsi se constituer une "mémoire vivante de Paris" : mémoire visuelle et sonore, qui permet de rendre compte de chacun des aspects de la ville et de ses transformations : architecturales, sociales, politiques, culturelles, économiques,...
Cette mémoire devait être riche, vivante, accessible à tous, de façon systématique au fur et à mesure qu'elle se constituait. Trois activités principales ont donc été définies :
Le fonds d'images de la Vidéothèque de Paris a été entièrement constitué en quelques années. A défaut d'une collection préexistante ou d'un dépôt fondateur, il s'appuie donc sur une démarche très volontariste : il n'est pas un seul document qui n'ait été choisi délibérément, pour la place qu'il occupe dans un ensemble. Des stratégies de recherche sont menées systématiquement : dépouillement de filmographies, détection dans les journaux de programmes, contacts réguliers avec les producteurs et les diffuseurs, recherche des ayants droit et matériels des oeuvres perdues. Nous disposons ainsi d'un "vivier" de titres (cinéma et télévision), à partir duquel se définissent nos acquisitions, en fonction de trois principes :
Malgré cette démarche rationnelle, une réelle subjectivité est de mise, pourvu qu'elle s'exerce dans le sens de la cohérence thématique présente ou à venir. Ce relatif arbitraire, qui permet par exemple de saisir des opportunités d'acquisition ou de préfigurer des évolutions du fonds, est tempéré par un important travail d'équipe des documentalistes, la cohérence étant par ailleurs assurée par la présence quasi-constante du Directeur des archives et de la programmation.
A l'exception des dons (provenant en majorité de l'étranger : Japon, USA notamment) et des dépôts (films publicitaires, bandes annonces), chaque film fait l'objet d'un contrat de cession de droits non commerciaux et non exclusifs pour l'utilisation par la Vidéothèque de Paris, pendant une période déterminée, d'une copie sur le support d'origine (35mm ou 16mm) et des copies vidéographiques de consultation.
Aujourd'hui riche de 4 500 titres (2700 heures de projection environ), ce fonds s'accroit encore chaque année de 400 titres, acquis auprès de l'ensemble des producteurs et ayants droit, en France et à l'étranger.
Lieu public ouvert à tous, la Vidéothèque de Paris se devait de proposer un système facilement utilisable par un public non spécialisé, et cependant capable de répondre à des demandes précises et diverses. Il fallait minimiser, autant que possible, la naturelle réticence du public à l'utilisation des outils informatiques. Il fallait affirmer la vocation "comparative" du fonds, inciter le public à voyager dans les images.
Sous l'impulsion de Catherine Fournial, conceptrice du système documentaire, quelques choix principaux (1) , découlant directement des objectifs de l'Institution, ont été faits :
La base de données de la Vidéothèque de Paris n'est pas un simple catalogue ou dictionnaire du cinéma : elle est conçue comme un moyen d'accès aux documents primaires, comme une multiplicité de points d'entrée vers le visionnage des images.
Grâce à ce système documentaire informatisé et à deux robots manipulateurs, ce fonds peut être proposé à tous en libre accès, inaugurant ainsi un nouveau type de "consommation" de l'audiovisuel : chacun peut composer son propre programme, au gré de ses curiosités, de ses passions.
Les 40 postes de la salle de consultation, baptisée "salle Pierre-Emmanuel", permettent chaque jour à plus de 100 personnes de visionner près de 300 documents. Ce sont donc environ 100 000 visionnages qui sont effectués chaque année.
La demande du public se concentre naturellement sur les 150 à 200 titres les plus connus, essentiellement des long métrages de fiction. Nos plus grands succès sont les grands films de la Nouvelle Vague (Godard, Rohmer), mais aussi les publicités de la Samaritaine ou Le Père Noël est une ordure. L'actualité, notamment cinéphilique, joue un rôle important : le succès commercial d'Un monde sans pitié a placé les courts métrages d'Eric Rochant en tête des consultations. Un reportage sur le tournage des Amants du Pont-Neuf par Léos Carax a été le document le plus demandé dans les mois suivants la sortie du film.
Au delà de ce "hit-parade", la demande se répartit très largement sur l'ensemble du fonds, tous genres confondus. Les qualités du système documentaire se font ici pleinement sentir : la facilité d'interrogation, la richesse des entrées permettent une forte valorisation du fonds. En un an de consultation, ce sont plus de 95% des documents qui sont demandés par le public.
Proposés sur petit écran dans la salle Pierre-Emmanuel, les documents du fonds le sont aussi sur grand écran dans les salles de projection, à raison de quatre séances par jour. Les oeuvres sont ici présentées sur leur support d'origine, cinéma ou vidéo : les salles sont équipées pour pouvoir diffuser tous les supports dans les meilleures conditions techniques : respect des formats, des cadres, des cadences de projection...
Nos programmations régulières sont, à 98%, réalisées à partir de documents du fonds : elles "expriment" véritablement celui-ci. Ce sont donc des programmations thématiques, d'une durée de 6 à 8 semaines, conçues autour d'un aspect, d'une réalité parisienne : Paris la nuit, les écrivains de Paris, les Folles années (années 20 et 30),...
Chaque programmation est composée de 100 à 150 films, groupés en séances elles-mêmes composées d'au moins deux films. Au sein d'une séance, comme au sein d'une programmation, nous cherchons à créer des phénomènes de "résonance" entre ces documents différents, invitant le public à lire des rapports nouveaux entre les images. Dans un programme consacré à l'architecture et à l'urbanisme, nous avons par exemple fait "résonner" le film de Jacques Tati Mon Oncle, opposant la nostalgie d'un habitat pittoresque en voie de disparition à un certain snobisme moderniste, avec un court métrage institutionnel des années-soixante, Paris gris Paris rose, opposant au contraire les images grises d'un Paris insalubre à celles, ensoleillées, des nouvelles cités de la banlieue.
Grâce à ce type de confrontation, et sans que jamais l'intégrité des oeuvres soit mise en cause, la lecture des images se trouve transformée, enrichie, justifiant le projet intellectuel initial de Pierre Emmanuel.
Ces programmations de longue durée sont également l'occasion de recevoir, pour des "cartes blanches", des personnalités liées aux thèmes traités, et qui acceptent de concevoir et d'animer une séance à partir du fonds audiovisuel réuni.
Enfin, d'autres rendez-vous viennent compléter l'animation du lieu : week-ends ("Georges Perec", "Le Temps des rafles : 1941-1942", ...), "Ecrans du jour", débats, colloques, séances régulières d'actualités anciennes,...
Ce travail d'animation est indissociable de la vocation patrimoniale de la Vidéothèque de Paris. Deux effets particulièrement importants ont en effet pu être confirmés par des observations statistiques :
La Vidéothèque de Paris, dont l'une des préoccupations majeures est de mettre en évidence les évolutions sociologiques, architecturales, culturelles ou artistiques grâce à notre patrimoine audiovisuel, n( se contente pas d'acquérir des images l'extérieur.
Elle a choisi de produire des images e sons qui témoignent de la transformatior de Paris : les quartiers en pleine muta tion, les monuments que l'on construit les modes qui passent, les métiers qu changent, les souvenirs de personnage: illustres ou inconnus mais toujours inso lites, les fêtes, l'événementiel traité sou: forme d'actualité.
Plusieurs axes de production ont été défi nis :
Ouverte au public en février 1988, la Vidéothèque de Paris offre aujourd'hui à plus de 200 000 visiteurs annuels, et à ses 2 500 abonnés, quatre séances de projec-tions par jour dans ses salles de 100 et300 places, et 4 500 titres en consultationlibre et immédiate. Elle reçoit dans desconditions exceptionnelles aussi bien lepublic scolaire (20 000 élèves chaqueannée) que les universitaires, les cher-cheurs, ou que tous les autres publics :professionnels de l'audiovisuel, retraités,étudiants, simples curieux,...
Désireuse de mettre ses services à la disposition de plus larges publics encore, la Vidéothèque de Paris étudie actuellement plusieurs projets d'accès à distance.
Dans le courant de cette année 1992, une première antenne locale verra le jour dans le 18earrondissement de Paris, à la Halle Saint-Pierre. Elle permettra de développer en proximité les activités propres aux milieux scolaires et aux milieux associatifs de l'arrondissement.
En 1993, est prévu le lancement sur le réseau câblé parisien d'un "Canal du savoir" qui comportera deux volets : le premier, "Canal Ecole", destiné aux établissements scolaires et programmé par les enseignants eux-mêmes, sera diffusé pendant la journée en "crypté"; le second, "Canal université", prendra la suite après 18 heures et sera accessible à tous les abonnés du câble parisien.
Enfin, en liaison avec France-Télécom et Paris-câble, la Vidéothèque de Paris souhaite expérimenter la consultation à distance au domicile des particuliers. Dans une étape expérimentale, ce seront les abonnés de Paris câble des 12e et 20e arrondissements qui pourront choisir un film et le regarder sur leur écran de télévision, ou se brancher sur le programme sélectionné par leur voisin.
Institution exclusivement consacrée à l'audiovisuel, la Vidéothèque de Paris propose, grâce à ses outils documentaires et robotiques originaux, grâce aussi à la cohérence de ses activités de consultation, de programmation et de production, grâce bientôt à l'accès à distance, un nouveau rapport à l'audiovisuel, qui témoigne sans doute de ce que seront les prochaines décennies : la mémoire audiovisuelle de la ville existe, elle vit, elle est libre et facile à consulter. Les images ne sont plus fugaces, elles ne sont plus imposées par un programmateur : il est possible à chacun, de les choisir, de les confronter, de les décrypter,... de les "lire", enfin.