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Les enjeux de la numérisation des images et des sons pour les bibliothèques

1992
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    Les enjeux de la numérisation des images et des sons pour les bibliothèques

    Par Philippe Aigrain
    Par Dominique Maillet

    La numérisation des images et des sons

    Des outils qui s'intègrent progressivement à l'informatique quotidienne

    (1) La numérisation consiste à transformer des informations de quelque nature qu'elles soient (sonore, écrite, visuelle), stockées sur tout type de support (objet, papier, microformes, vidéocassettes, photographies, microsillons, bandes audio,...) en une succession d'éléments binaires (bits). Le résultat de cette transformation produit un document électronique, stockable sur tous les supports informatiques existants (CD-ROM, disques optiques numériques, disques durs, K7 DAT...) et donc manipulable par des logiciels fonctionnant sur toutes les gammes d'ordinateurs, des serveurs aux micro-ordinateurs.

    Cette numérisation s'obtient par le biais de matériels adaptés aux informations à traiter. Ainsi, les scanners sont utilisés pour les supports papier, microformes, photographiques, ... Les caméras linéaires haute définition, et caméras noir/blanc ou couleurs TV standard pour des documents iconographiques, objets, ... Les scanners de diapositives, les magnétophones numériques, bancs de montage,... Pour les documents sonores, des cartes de codage, caméras numériques pour les images animées.

    Ces techniques et les concepts d'archivage électronique et de gestion électronique de documents qui lui sont attachés, sont apparus il y a une dizaine d'années. Ils sont nés de la conjonction de plusieurs technologies arrivées à maturité simultanément : scanners, caméras, écrans haute-définition, imprimantes de qualité, disques optiques numériques.

    Les marchés ont dès lors sans cesse évolué. Les structures d'hébergement de ces techniques s'organisaient dans des ateliers de production composés de dispositifs lourds et coûteux, imposant des conditions de fonctionnement strictes et l'industrie fournissait l'essentiel des utilisateurs.

    L'avènement de la micro-informatique, la technicisation sans cesse croissante des composants électroniques liée à une baisse sensible des coûts pour une meilleure performance, une plus grande robustesse des matériels nécessitant des conditions d'utilisation moins draconniennes, le développement des réseaux de communication locaux et publics ont permis de fabriquer un parc de matériels plus légers et manipulables (matériels portables, studios mobiles d'enregistrement... ) s'intégrant dans un environnement de bureaux, plus adapté à des fonctionnements individuels, pilotables par des micro-ordinateurs.

    Les applications se diversifient maintenant à tous les domaines et se généralisent de plus en plus, à l'usage du grand public particulièrement (à travers les différentes versions des disques compacts ou Laservision, les cassettes DAT ou DCC, les composantes multimédias des ordinateurs personnels).

    L'adaptation des outils de manipulation numérique des images et des sons aux archives culturelles de grande taille

    Ces outils informatiques de stockage, de communication et de restitution des images et des sons qui se répandent dans le grand public et dans le contexte de la production des documents (systèmes d'édition et de montage sonore, systèmes professionnels de manipulation d'images) ne sont pas directement utilisables de façon efficace dans le contexte d'archives culturelles de grande taille. Le volume même de ces archives (2) impose un coût de traitement unitaire par document modéré. Les demandes d'accès y sont souvent relativement imprévisibles. Leur intérêt patrimonial et la nature de leurs contenus imposent des niveaux de qualité et une sécurité de la conservation dans le temps qui sont rarement pris en compte comme des objectifs majeurs par les constructeurs de matériels généraux. Cette inadaptation au volume et aux spécificités des archives culturelles explique l'attitude généralement prudente des grands organismes vis-à-vis des outils de numérisation. Notre conviction est que l'état actuel des techniques et surtout de la réflexion et des savoir-faire sur les chaînes de numérisation, de stockage, de distribution et d'accès aux documents permet aujourd'hui d'avancer de façon beaucoup plus résolue vers l'utilisation de la numérisation des images et des sons, notamment dans les bibliothèques.

    Les cas des images fixes et des archives sonores doivent ici être particulièrement soulignés. L'intérêt des outils informatiques pour l'archivage et la consultation des images fixes a été depuis longtemps reconnu. Les applications de la numérisation des documents ont cependant été limitées, en particulier dans les grands départements d'estampes et de photographies. On a réalisé un certain nombre de vidéodisques expérimentaux (3) , des musées ou institutions de conservation ont tenté des expériences limitées de numérisation portant sur quelques milliers d'images seulement. D'une façon générale, on a estimé que les techniques numériques étaient insuffisamment mûres, normalisées (contrairement au vidéodisque Laservision qui apparaissait comme un produit stable) et difficilement applicables à de grandes masses d'images. Cette évaluation réticente est aujourd'hui en train de se modifier. Ainsi, la Mission de la recherche et de la technologie du ministère de la Culture et de la communication a lancé une étude pour la définition d'un système commun de constitution en interne de bases d'images numériques pour les institutions culturelles, système qui serait adapté à des bases allant jusqu'à quelques dizaines de milliers d'images. Le musée du Louvre met en place un système de bases d'images - fondé sur les filières d'acquisition du CD-Photo - susceptible de traiter des volumes d'images importants à haute résolution. L'Etablissement public de la Bibliothèque de France est engagé pour sa part dans la numérisation d'un million d'images fixes dans le cadre d'accords de partenariat avec les institutions détenant les fonds originaux.

    Malgré la diffusion des supports numériques du son dans le grand public et le développement du traitement numérique dans les studios - y compris ceux des phonothèques - les commissions compétentes de l'A.E.S. (4) ont jusqu'à peu adopté une attitude très prudente à l'égard de l'utilisation de la numérisation pour les archives sonores. Ces réserves, qui n'ont pas totalement disparu, s'expliquaient par l'inquiétude devant l'usure dans le temps des supports et surtout l'absence de garantie de longévité des appareils de reproduction et techniques de codage liées. Une évolution sensible est aujourd'hui en cours sur ce point du fait des progrès de la normalisation des différentes techniques de codage, et surtout de la prise de conscience de ce que la numérisation permet une recopie périodique sans dégradation des fonds si elle est associée à des supports de débit de lecture / écriture suffisant. Un regroupement de grandes archives sonores américaines (le plus souvent intégrées à des bibliothèques) a lancé, avec la maîtrise d'oeuvre du Belfer Audio Laboratory and Archive de l'université de Syracuse, le projet D.A.D.S. (5) qui vise la numérisation à terme de l'ensemble de leurs collections (doubles exclus). l'Etablissement public de la Bibliothèque de France a également engagé un programme de numérisation (pour la communication, un double support de conservation analogique et numérique étant encore utilisé dans l'attente d'un consensus international sur ce point) d'une partie des archives sonores de la Phonothèque Nationale. La numérisation de grandes masses d'images et de sons dans les bibliothèques est donc à l'ordre du jour. Elle suppose que soient convenablement résolus un certain nombre de problèmes de méthode, de logistique et de choix techniques. Elle suppose également que soient clairement situés les domaines et les usages pour lesquels elle est justifiée. La numérisation des documents en images animées se situe encore sur un plan plus expérimental, même s'il ne fait pas de doute qu'à terme elle permettra un nouveau type de travail sur les documents cinématographiques et vidéos.

    Un processus complexe à maîtriser dans son ensemble

    Organisation des programmes de numérisation

    En préalable à toute mise en place d'un programme de numérisation, une expertise technique et économique doit être menée, ses objectifs étant de rendre compte des temps nécessaires aux opérations de transfert, des constatations sur l'état du fonds original, des observations sur les difficultés techniques rencontrées, de définir les conditions techniques, financières et humaines d'un traitement de masse de ces opérations.

    Aussi, un échantillon significatif du fonds à numériser est constitué et traité. On observe ainsi, le temps de traitement, les coûts induits et une typologie des documents et des caractéristiques techniques à prendre en compte : choix du ou des équipements adaptés au transfert, choix des résolutions, caractéristiques de manipulation, choix des taux et algorithmes de compression les mieux adaptés et ce en fonction de l'usage final du fonds ainsi constitué : conservation, communication d'une copie de substitution, transmission à distance, consultation et travail sur des stations multimédias... Toutes ces données permettent de préfigurer les chaînes de production à mettre en oeuvre pour obtenir le fonds électronique souhaité.

    Le détenteur du fonds aura alors à choisir entre les deux solutions suivantes :

    • une sous-traitance à des prestataires équipés ou s'équipant des outils ad-hoc ;
    • une création d'atelier au sein de leur structure.

    Pour procéder au choix il devra tenir compte du volume du fonds initial, du flux d'accroissement et de sa capacité à constituer une équipe de techniciens performants.

    Le meilleur compromis observé semble une sous-traitance pour le fonds initial et la constitution d'un atelier de structure légère pour absorber le flux. En effet les techniques de numérisation sont lentes, nécessitent un fort potentiel de main d'oeuvre. Il est donc plus souple de démultiplier le nombre de prestataires pour obtenir la capacité à produire le fonds dans les délais impartis, que de créer une structure lourde à organiser et gérer, opérationnelle pour un temps trop court pour justifier de tels coûts d'investissement et de fonctionnement.

    Le détenteur devra cependant être très vigilant quant aux contraintes qu'il exprimera à ses prestataires afin de garantir, d'une part la qualité du fonds électronique, mais aussi la cohérence des données produites par chacun d'entre eux.

    Il devra de plus mettre en place un système de gestion électronique de documents apte à suivre la chaîne globale de traitement: choix des documents à transférer, identification (notice), transfert sur support intermédiaire de stockage, contrôle qualité et organisation sur le support définitif de stockage.

    Choix de codages et de supports

    Les problèmes de choix de résolutions, de formats, de normes de codages et de supports de stockage ont toujours suscité d'intenses débats, parfois polémiques. Ceci n'en rend que plus intéressante l'amorce de pensée commune qui commence à se faire jour chez de nombreux responsables institutionnels ou techniques. En ce qui concerne les résolutions (spatiale pour les images, temporelle pour le son) et le nombre de bits d'échantillonnage, la situation est assez différente en ce qui concerne les différents médias. Pour les images fixes, c'est une réponse diversifiée qui est nécessaire :

    • il n'existe pas une résolution idéale, qui s'adapterait de façon satisfaisante à tous les types de documents, d'usages et de masse de documents ;
    • les choix de résolution à effectuer dépendent en premier lieu des types d'usages envisagés et des contraintes économiques et logistiques pesant sur le processus de numérisation de grands ensembles de documents et les modalités de consultation, en second lieu des types de documents eux-mêmes ;
    • en ce qui concerne les usages, le paramètre essentiel est l'utilisation ou non de reproductions des images numérisées destinées à des processus d'impression. Si ce type d'usage est essentiel pour une banque d'images, on sera conduit à choisir des résolutions allant au minimum de 1 000 x 1 500 (autorisant seulement des reproductions imprimées de petite taille ou de qualité médiocre), jusqu'à plus typiquement 2 000 x 3 000 (niveau de résolution du CD-Photo) ou même bien plus ;
    • pour des banques d'images numérisées de grande taille, et si l'usage est de pure consultation sur écran, avec uniquement des copies imprimées destinées aux notes de chercheurs (6) , ou bien si les documents présentent un faible niveau de détail et ne comportent pas de textes ou de dessins au trait, le choix d'une résolution correspondant à celles des écrans de consultation paraît s'imposer. Selon l'échéance dans le temps où l'on se situe, et en fonction des contraintes économiques, on choisira alors une résolution allant de 576 x 768 (7) à 768 x 1024 ou 1024 x 1280 voire 1000 x 1500 ou 1150 x 1920 (future TVHD) ;
    • l'impact du choix du niveau de résolution sur les temps de numérisation et la complexité du système de consultation lorsqu'on dépasse la résolution des écrans est très important, même si l'on peut penser que la disponibilité de la filière CD-Photo simplifiera la numérisation à résolution élevée.

    Le choix d'une résolution de numérisation des documents sonores est plus simple, dans la mesure où l'étape de numérisation n'est pas l'étape coûteuse du processus d'acquisition et où les niveaux de résolution les plus élevés (48 khz, avec 16 bits réels par voie, voire 96 khz et 18 bits dans certains projets) paraissent clairement accessibles.

    Le choix des normes de codage peut aujourd'hui être envisagé avec plus de sérénité. D'une part il existe un consensus de nombreux spécialistes pour prôner la conservation des données non comprimées acquises au moment de la numérisation, même si seules des données comprimées sont accessibles en consultation. Ces copies maîtres pourront être réutilisées pour des projets d'édition ou pour régénérer des copies de consultation comprimées. D'autre part, les techniques de compression progressent régulièrement vers la normalisation ce qui facilitera les processus d'échange. Des normes comme CCITT groupe IV et JBIG (8) pour les images binaires, JPEG (9) pour les images fixes en niveaux de gris et en couleurs, la composante audio de la future norme MPEG (10) assureront les niveaux nécessaires de compatibilité entre composantes d'un système et entre systèmes.

    Le choix des supports de stockage fait encore l'objet de nombreuses discussions. Le point essentiel est ici que ce choix doit être envisagé non en tenant compte des propriétés du seul support, mais par rapport aux coûts et à la sécurité de fonctionnement de l'ensemble du système. Un nombre croissant d'acteurs du domaine estiment qu'il est vain d'attendre le support de stockage idéal en terme de durée de conservation, et qu'un support informatique non spécifique d'un média particulier, peu coûteux et à haut débit de lecture/écriture et permettant donc des recopies périodiques constitue le meilleur compromis d'archivage possible (différents types de bandes magnétiques numériques constituant les meilleurs choix actuels). Le choix des différents types de supports constituant un système de consultation prend lui en compte des paramètres de temps d'accès, débit et résistance aux accès multiples qu'il n'est pas possible de traiter dans ces lignes. Notons enfin qu'il est nécessaire, du fait de la dispersion des filières de numérisation, d'utiliser des supports intermédiaires, destinés au stockage au seul moment de l'acquisition. La saisie automatisée dans les serveurs du contenu de ces supports intermédiaires est une composante très importante et encore peu développée des systèmes. Au delà des cassettes DAT ou 8mm utilisées aujourd'hui, différents produits comme les lecteurs CD-Photo à double débit, ou la version lecture rapide du Nagra-DTMde Kudelski SAS) (si son existence est confirmée) présentent un intérêt pour cette étape.

    Pour les documents en images animées les systèmes actuels comme l'utilisation de la compression JPEG pour les images animées, Quicktime d'Apple@, voire le D.V.I. d'Intel@ permettent la réalisation de maquettes expérimentales de consultation, mais sont inadaptés aux archives en vraie grandeur. Seules les systèmes basés sur la future norme MPEG (versions I et II) permettront la constitution de véritables banques de documents en images animées aux formats visiophoniques puis niveau vidéo numérique et à terme TVHD.

    Relations avec le catalogage, les systèmes documentaires et l'ensemble des systèmes informatiques de bibliothèque

    Le lien entre catalogues, systèmes documentaires et programmes de numérisation est un lien vital. C'est évidemment le cas parce que les documents numérisés ne sont accessibles et intelligibles dans des conditions scientifiques qu'à travers catalogues et données documentaires. Mais c'est aussi le cas parce que la conduite même des programmes de numérisation dépend étroitement de la disponibilité des données documentaires permettant de les organiser. L'existence des documents numérisés impose par ailleurs l'acquisition de données spécifiques liées à leur gestion et à leur mise en rapport avec les documents originaux. Enfin l'étape de numérisation est un moment privilégié pour l'acquisition d'un certain nombre de données complémentaires qui sont indispensables pour pouvoir réaliser des interfaces utilisateur de consultation convenables, et qui pour des raisons compréhensibles de simplicité et de coûts sont généralement absentes des systèmes actuels. C'est en particulier le cas pour les documents temporels (sonores ou filmiques). La recherche en matière de traitement d'images et de sons est à même de fournir des outils intéressants pour l'acquisition automatique de données sur la structure temporelle des documents sonores et des documents en images animées au moment de la numérisation (cf bibliographie).

    Le fonds électronique, comme le catalogue, est au coeur du système d'information d'une bibliothèque.

    Traditionnellement la bibliothèque communiquait des documents originaux, à présent elle doit aussi fournir informatiquement des documents sur des stations de travail accessibles à son public, ou sur tout matériel de reproduction. Les fonctions de gestion des demandes de copies électroniques, réservation de stations, demandes de télédéchargement sur une station, réorganisation des données électroniques sur les serveurs, deviennent inhérentes au système d'information de la bibliothèque, sans oublier le système de gestion électronique de documents, qui fait partie intégrante du système informatique et qui complète les fonctions classiques de gestion des magasins .

    Interfaces utilisateur de consultation

    Permettre à des utilisateurs de bibliothèque d'accéder à des documents numérisés n'a de sens que si cette numérisation leur ouvre des possibilités nouvelles de perception, d'analyse et d'utilisation du contenu (voir p.55). Dans le cas des images fixes, on dispose d'une expérience maintenant assez convaincante en matière d'interfaces utilisateur pour la consultation. Basés sur des analogies avec les tables lumineuses (pour le tri et la comparaison d'images) et avec les systèmes de traitement et retouches d'images (pour les traitements visant à faire apparaître des aspects particuliers d'une image), ces systèmes se diffusent progressivement, et une certaine homogénéisation de leurs fonctionnalités favorisera leur appropriation par les utilisateurs.

    La situation reste beaucoup plus délicate pour les documents temporels. Un document sonore ou un film numérisé se présentent du point de vue du système informatique comme un immense paquet d'octets. La possibilité même de naviguer dans le document, c'est à dire de localiser des segments d'intérêt particulier, et de pouvoir y accéder directement, la capacité à demander au système d'effectuer des actions comme le fait de jouer en succession telle ou telle partie d'un document, avec ou sans tel accompagnement ou tel traitement, la possibilité d'indexer ou d'annoter tel passage, tout cela suppose, pour que l'utilisateur s'y retrouve, de représenter le contenu du document visuellement d'une façon précise et intelligible. Dans le cas des documents en images animées, c'est essentiellement un problème d'analyse temporelle : en effet, il existe un niveau de découpage du document (plans et plans-séquence et leurs regroupements) qui semble pertinent pour la plupart des usages, et plusieurs solutions pour représenter chaque unité (par des icônes fabriquées à partir d'images extraites du document, et par différentes formes d'indications de durée). Encore faut-il que le système dispose du découpage temporel du document, ou soit capable de le fabriquer lors de l'interrogation. Divers travaux de recherche en cours permettent d'être assez optimiste sur ce plan. Dans le cas des documents sonores, une difficulté supplémentaire apparaît du fait qu'il est nécessaire de représenter visuellement un contenu qui n'est pas visuel. On pourrait certes envisager de manipuler un document sonore sans passer par une représentation visuelle (11) , mais les habitudes en matière d'interfaces informatiques et en matière de travail sur les contenus sonores (qu'ils soient musicaux ou de parole) conduisent à penser que la représentation visuelle restera le moyen privilégié pour se situer dans un document sonore, en sélectionner une partie, en analyser le contenu. Les représentations de référence (partition pour une oeuvre musicale écrite, transcription pour un document parlé) ne sont malheureusement pas calculables automatiquement, ni adaptées dans le cas de certaines musiques non écrites ou à notations très complexes. Même lorsqu'on dispose de ces documents de référence parce qu'ils sont eux-mêmes numérisés, la mise en correspondance dans le temps entre un texte et un document parlé, par exemple, est un processus difficile. Le mieux que l'on puisse espérer est ici que le système fournisse une assistance à l'utilisateur pour lui faciliter ce travail laborieux. Lorsque ces descriptions de référence ne sont pas disponibles, quelques fonctionnalités très simples (détection des silences, des attaques, systèmes d'aide au découpage en mesures pour la musique) peuvent rendre de grands services.

    Problèmes juridiques et économiques

    Si la constitution d'un fonds électronique pose divers problèmes qu'une organisation bien définie et bien contrôlée permet de lever, son utilisation pose deux types de problèmes qui, s'ils ne sont pas réglés, peuvent dégrader voire interdire tous les usages possibles de ce fonds. Ce sont les aspects juridiques liés à la prise en compte des droits d'auteur et les aspects économiques liés à l'utilisation du fonds.

    En effet, exceptés les fonds électroniques dédiés à la conservation et donc archivés sans fin de communication, qui eux font l'objet de calcul de coûts classiques imputables aux détenteurs des fonds, tous les autres documents transférés pour permettre les consultations sur stations de lecture, les duplications et les transmissions à distance, doivent faire l'objet de programmes de "droits à la communication" en concertation avec les sociétés d'auteur. Car la loi française est très protectrice des intérêts des auteurs même si elle semble très peu respectée.

    Les sociétés d'auteurs, très jalouses de leurs documents et peu enclines à voir démultiplier des copies électroniques sans pouvoir assurer le contrôle de la diffusion, sont très réservées, d'autant que les pratiques des chercheurs sont nouvelles donc mal connues. Seule une observation des usages dans un cadre concret permettrait aux sociétés d'auteurs et aux utilisateurs de mieux mesurer l'impact et donc le préjudice à compenser.

    Certes, des programmes informatiques peuvent superviser, comptabiliser, interdire, réduire toute manipulation de chacun des documents composant un fonds, mais à quel prix ? Est-ce vraiment la solution la moins coûteuse et la plus souple ?

    Des approches globales devraient pouvoir être mises en place, des solutions retenues (par exemple permettre des copies papier de qualité dégradée pour les documents photographiques, interdisant tout usage éditorial ultérieur...) mais il ne faut pas sous-estimer l'ampleur et la difficulté de la tâche.

    La Bibliothèque de France très sensibilisée au droit vu l'ampleur des fonds électroniques qui y seront accessibles, joue un rôle de locomotive et a démarré un vaste programme de concertation qui, il faut l'espérer, permettra de défricher et mettre en place des normes dans ce domaine.

    Quant au coût de consultation du fonds, il doit également faire l'objet d'une étude approfondie, visant à répartir les charges entre le détenteur des fonds et les utilisateurs, particulièrement pour la transmission à distance et l'utilisation des réseaux de communication.

    De nouveaux champs d'usages

    Vers une fin de la segmentation des consultations par types de documents ?

    La relative facilité à produire des fonds électroniques multimédias, a conduit bien évidemment les constructeurs et dévelop-peurs de logiciels à concevoir et réaliser de nouveaux outils et produits. Mais nous ne sommes qu'au début de l'ère du multimédia informatique et nous pouvons donc escompter sur les nombreuses évolutions, tant au niveau des dispositifs techniques, qu'au niveau de l'ergonomie de recherche et de consultation.

    L'évolution logicielle est cependant moins planifiable que l'évolution matérielle et si sur le marché on trouve de nombreux outils comme le CDI, le DVI et le CD-ROM, on trouve peu de logiciels ou couches de logiciels multimédias facilement utilisables pour des travaux de consultation.

    D'autre part l'hypermédia implique l'utilisation d'ordinateurs ayant des capacités de restitution graphique, vidéo et sonore. La puissance de calcul des ordinateurs doit être importante et l'utilisation de co-processeurs graphiques et sonores et de cartes de compression/décompression est souvent nécessaire. De plus les capacités de stockage doivent être élevées afin de permettre le stockage d'un corpus de travaij.

    Ces stations de travail multimédia, si l'on souhaite disposer simultanément de documents sonores, textuels, graphiques et audiovisuels atteignent vite des coûts exorbitants pour un usage de type expérimental, et la notion de station autonome limite très vite les possibilités d'utilisation du fonds.

    De plus, même si l'utilisation de l'hypermédia tend à se généraliser et à être bien acceptée, la pauvreté des applicatifs multimédias distribués par les stations de travail bas de gamme type micro-ordinateurs a conduit naturellement les circuits de distribution vers la vidéo interactive à des fins d'apprentissage et d'informations. Enfin les outils de production de fonds multimédias, sont à ce jour dédiés à des médias particuliers. Il est difficile à ce jour de produire industriellement un document réellement multimédia. C'est une succession de documents textuels, sonores, visuels ou audiovisuels, qui composent un fonds multimédia.

    Toutes ces raisons et l'observation des outils disponibles sur le marché, montrent que les utilisateurs, par souci d'économie et d'efficacité dédient leurs stations de travail à des fonds particuliers, portant sur un, voire deux médias (texte-images, images-sons, texte-sons...).

    On ne peut pas encore réellement parler d'une fin de la segmentation des consultations par type de documents, mais il est évident que la demande d'une utilisation naturelle de l'hypermédia va permettre de développer les outils et produits qui sont en émergence dans les laboratoires.

    Une informatique de travail sur les documents et non plus seulement d'accès aux documents ?

    L'informatique s'est développée dans les bibliothèques en tant qu'outil de recherche documentaire, d'accès aux catalogues informatisés. Même les premières applications en matière de banques d'images ne permettaient que la sélection d'images et leur visualisation (souvent à des résolutions ne permettant qu'une simple vérification de pertinence du document). Le véritable travail du chercheur en bibliothèque ne pouvait s'établir que dans le rapport aux documents originaux, dont tout laisse d'ailleurs à penser qu'ils resteront irremplaçables pour certains types de travaux. On assiste aujourd'hui à l'apparition progressive de postes de consultation dans les bibliothèques qui constituent de véritables postes de travail pour les chercheurs. Le poste de lecture assisté par ordinateur de la Bibliothèque de France est, dans le domaine des textes, un des exemples les plus aboutis de cette tendance. Le développement de postes de travail sur les documents est aujourd'hui à l'ordre du jour en ce qui concerne les images fixes et animées et les sons. Ce développement est rendu possible par le fait que, grâce à la numérisation, les mêmes supports techniques permettent à la fois la pure consultation, et une gamme assez large de traitements. Or l'existence de tels postes est susceptible d'apporter des services considérables aux usagers en rendant possible certains travaux de comparaison, de perception d'aspects particuliers des documents, de mises en rapport entre documents qui étaient extrêmement difficiles ou impossibles à effectuer sur des supports non-informatiques.

    Cette évolution pose cependant des problèmes délicats : où s'arrête le travail en bibliothèque et où commence le travail de laboratoire ? Des critères de bibliothéconomie permettent éventuellement de trancher, de même que les critères fondés sur la délimitation de ce qui ne peut être effectué que dans le cadre de la bibliothèque du fait du besoin d'accès à de nouveaux contenus dans le cours même du travail. Autre problème : qui dit travail sur les documents dit production par le chercheur d'annotations, de résultats de son travail personnel. Or ces notes (le problème des extraits de documents est à considérer sur un autre plan en raison des problèmes juridiques et économiques liés au respect des ayants droit) doivent pouvoir être exportées par lui, réutilisées sur les moyens informatiques personnels qu'il utilise, ce qui suppose donc l'existence sur les postes informatiques de bibliothèques d'outils de transcription aux différents formats informatiques courants.

    1. Philippe Aigrain est ingénieur de recherche du Ministère de la Culture et dirige l'équipe de recherche "Applications Culturelles et Artistiques de l'Informatique" dans l'Institut de Recherche en Informatique de Toulouse. Il est consultant de l'Etablissement public de la Bibliothèque de France pour la conception de ses postes de consultation multimédias numériques expérimentaux. Dominique Maillet est chef du département "Informatique Interne" et chef du projet "Numérisation" au sein du département Informatique et nouvelles techniques de l'Etablissement Public de la Bibliothèque de France. retour au texte

    2. Les archives sonores des grandes institutions culturelles comportent fréquemment plusieurs centaines de milliers de documents - 1 100 000 à la Phonothèque Nationale. Les images fixes se chiffrent souvent par millions. Les documents en images animées par dizaines de milliers. retour au texte

    3. Ainsi en France le vidéodisque "Images de la Révolution Française" co-édité par la Bibliothèque Nationale et Pergamon Press, un certain nombre de vidéodisques à usage de consultation interne à la Bibliothèque Publique d'Information du Centre Georges Pompidou (Beaux-Arts, Civilisation), le vidéodisque Videralp-Bibliothèques dans la région Rhône-Alpes, etc. retour au texte

    4. Audio Engineering Society. retour au texte

    5. Distributed Audio Database System. retour au texte

    6. Ce qui n'exclut bien sûr pas que le système soit couplé à un service de commande de reproductions photographiques. retour au texte

    7. Niveau vidéo, ce qui peut paraître paradoxal puisqu'on ne profite que peu de l'avantage de la numérisation par rapport aux systèmes analogiques, type vidéodisque, mais qui peut se justifier en raison de la rapidité de saisie. retour au texte

    8. Joint Binary Image Group, CCITT et ISO. retour au texte

    9. Joint Photographie Expert Group, CCITT et ISO. retour au texte

    10. Motion Picture Expert Group, ISO. retour au texte

    11. Ce sera notamment nécessaire dans des postes d'accès aux documents sonores destinés aux handicapés visuels ! retour au texte