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Les bibliothèques allemandes en l'an 3 de l'unification

1993
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    Les bibliothèques allemandes en l'an 3 de l'unification

    Par Peter Borchardt, Deutsches Bibliotheksinstitut

    L'unification de l'Allemagne a L signifié beaucoup de changements dans tous les secteurs de la société, surtout pour l'ex-RDA. D'un jour à l'autre, tout un système administratif et économique s'est vu remplacé par un autre, événement qui a eu aussi d'énormes conséquences pour les bibliothèques dans les Nouveaux Lânder (neue Bundeslânder) comme nous appelons aujourd'hui le territoire de l'ex-RDA maintenant.

    La RDA était un état centralisé où tous les pouvoirs politiques étaient concentrés dans la capitale. Les bibliothèques étaient organisées hiérarchiquement : pour les bibliothèques de recherche, le ministère responsable était le Ministère des universités et des écoles spécialisées (Ministerium für Hoch und Fachschulwesen) (et/ou son homologue au comité central du parti socialiste). Sous la tutelle de ce ministère se trouvait un organisme national appelé Centre méthodique pour les bibliothèques de recherche (Methodisches Zentrum fur wissenschaftliche Bibliotheken) dont le rôle était : instruction, conseil, directives, planification, contrôle, coordination, gestion des devises étrangères pour les achats, etc. Le même système centralisé se retrouvait sous la tutelle du Ministère de la Culture (Ministerium fur Kultur). Un Institut central de bibliothéconomie (Zentralinstitut für Bibliothekswesen) avait les mêmes fonctions pour les bibliothèques de lecture publique : instructions, conseils, directives, etc. Puis, dans la hiérarchie, se trouvaient les 12 bibliothèques de district (Bezirksbibliotheken), correspondant à la structure administrative de la RDA (la RDA était divisée en 12 districts). Dans chacune de ces bibliothèques, il y avait un département de planification, instruction et contrôle (Planung, Anleitung, Kontrolle) qui était contrôlé par le Zentralinstitut et contrôlait lui-même les bibliothèques d'arrondissement (Kreisbibliotheken) du district, ces dernières contrôlaient les bibliothèques dans l'arrondissement, etc.

    Ce système n'était pas unique à la RDA, mais se trouvait dans tous les pays socialistes.

    Cependant, il n'y avait pas que des bibliothèques de recherche et de lecture publique en RDA. Il existait aussi des bibliothèques (de lecture publique) dans les entreprises, gérées par le syndicat FDGB (Gewerkschaftsbibliotheken), des bibliothèques spécialisées de recherche auprès de l'Académie des Sciences (Bibliotheken der Akademie der Wissenschaften des DDR) et d'autres encore.

    Tout ce système administratif, de recherche et de lecture publique, n'était pas compatible avec les structures de l'Allemagne de l'Ouest, ceci était évident dès le début de la préparation de l'unification. Ainsi se sont constitués déjà avant l'unification, des groupes de travail allemands-allemands (Deutsch-deutsche Expertengruppe Bibliothekswesen), composés par de représentants du gouvernement fédéral, du gouvernement de la RDA, des gouvernements des Lânder et des associations professionnelles des bibliothécaires. Comme l'unification signifiait, au niveau administratif, avant tout l'application des lois, des procédures et des structures administratives de la RFA aux cinq nouveaux Lânder (juridiquement l'unification était une adhésion de la RDA à la RFA), ces groupes de travail ont eu de nombreux problèmes à régler. L'article 35 du Traité de l'unification prévoyait que la substance culturelle ne devait pas subir de dommage (Die kulturelle Substanz [...] darf keinen Schaden nehmen), mais il devenait évident que presque tout était à refaire. Les groupes de travail traitèrent par exemple de l'équivalence et de la reconnaissance des diplômes des bibliothécaires de la RDA, de la participation des bibliothécaires de la RDA au prêt entre bibliothèques et surtout ils préparèrent plusieurs programmes de soutien aux bibliothèques de la RDA. Ainsi, le travail ne fut pas achevé au 3 octobre 1990, le jour de l'unification, et les groupes de travail continuèrent sous un autre nom : la RDA n'existant plus, il n'y avait plus de groupes allemands-allemands, ils s'appelaient dorénavant Bund-Lânder-Arbeitgruppen Bibliothekswesen (à peu près : Comité fédéral-régional pour les bibliothèques) et ce n'est qu'aujourd'hui, à la fin de l'année 1992, qu'ils ont cessé leur travail.

    On peut dire aujourd'hui que l'avenir est beaucoup plus heureux pour les bibliothèques, de recherche (notamment les bibliothèques universitaires) que pour les bibliothèques de lecture publique. Bien que la situation physique des bâtiments des bibliothèques universitaires était (et est encore) catastrophique (la plupart des bâtiments et des meubles datent d'avant la guerre et n'étaient pas bien maintenus), celles-ci furent les gagnantes de l'unification. Un premier programme de soutien accordait une somme de 15 millions de Marks en vue d'établir des collections de littérature occidentales dans ces bibliothèques-là, un autre programme, du même montant, visait à y installer les nouvelles technologies, ordinateurs et logiciels, nécessaires pour commencer l'automatisation. Les bibliothèques universitaires peuvent maintenant profiter des programmes de soutien de la Deutsche Forschungsgemeinschaft et du programme national pour l'avancement de la construction des bâtiments universitaires (Hoschschulbau fur der Ungesgesetz). De plus, avec la création des cinq nouveaux Lânder (Mecklenburg-Vorpommern, Brandenburg, Sachsen-Anhalt, Sachsen et Thüringen), on a aussi créé de nouvelles universités (par exemple à Postdam et à Frankfurt/Oder) et d'autres sont en projet. Il faut noter que les universités en Allemagne ainsi que les bibliothèques universitaires sont sous la tutelle des Lânder : certains nouveaux Lânder comme le Brandenburg, n'ayant pas d'université auparavant, il semble assez clair que le gouvernement est prêt à en créer au moins une par Land.

    Pour quelques bibliothèques ainsi que pour le Deutsches Bibliotheksinstitut, l'unification signifiait une vraie unification : la Deutsche Bibliothek à Francfort et la Deutsche Bücherei à Leipzig ont fusionné, ainsi qu'à Berlin la Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz et la Deutsche Staatsbibliothek (le nouveau nom des deux bibliothèques réunies est Staatsbibliothek zu Berlin). Le Deutsches Bibliotheksinstitut a obtenu au début de l'année 1992 environ 50 nouveaux postes (dont 35 permanents), afin avant tout de trouver une affectation à un grand nombre de collègues des deux institutions centrales de la RDA déjà mentionnées au début de l'article, le Zentralinstitut fur Bibliothekswesen et le Methodisches Zentrum.

    Beaucoup moins favorisé par le sort fut le grand organisme privilégié de recherche de la RDA, l'Académie des Sciences où, avant l'unification, travaillaient plus de 200 000 personnes. Cette forme de recherche était très répandue dans les pays de l'Est, mais beaucoup moins en Allemagne de l'Ouest (où il y a certes des académies des sciences, mais celle-ci jouent un rôle beaucoup moins important). Aujourd'hui, l'Académie des Sciences est en liquidation (Abwiklung, mot très redouté actuellement), quelques instituts sont rattachés aux universités, d'autres continuent sous une autre forme juridique, et près de la moitié n'existe plus.

    On peut dire la même chose des bibliothèques dans les entreprises (nationalisées) qui étaient gérées par le syndicat et qui existaient à côté des bibliothèques municipales. Le syndicat FDGB n'existe plus, et avec l'effondrement de l'industrie en ex-RDA, ces bibliothèques n'existent plus non plus. Leurs collections ont été parfois réparties dans les bibliothèques publiques, parfois vendues, parfois jetées et les bibliothécaires se trouvent au chômage.

    L'évolution a été aussi défavorable pour les bibliothèques de lecture publique. La RDA était fière de pouvoir présenter un réseau étendu de lecture publique, maintenant il y a de grands trous dans ce réseau. Bien qu'il soit clair que la qualité d'un réseau ne s'exprime pas seulement par la quantité des établissements, il faut dire que la réduction est considérable : en 1990, nous comptions encore 2 963 bibliothèques publiques en ex-RDA (pour 15 millions d'habitants), en 1991, elles n'étaient plus que 1 972. Le tableau suivant montre le développement entre 1990 et 1991 :

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    Nombre de bibliothèque par habitant

    Pourquoi ces chiffres ? Ils montrent qu'il y avait en 1990 proportionnellement plus de bibliothèques en RDA pour 15 millions d'habitants qu'en RFA pour 65 millions d'habitants, bien que ce chiffre dissimule le fait que la plupart des bibliothèques en RDA étaient situées dans les petites villes et villages. Les bibliothèques publiques en Allemagne étant financées exclusivement par la ville ou par le village, et la situation économique ne permettant pas toujours aux villes et aux villages de se payer une bibliothèque, les conséquences deviennent visibles. Un autre aspect est que le nombre de personnel dans les bibliothèques de la RDA était beaucoup plus généreux qu'en RFA (à peu près 30% de plus). Même si nos collègues dans les bibliothèques de l'Est ne gagnent que 70% de nos salaires, la somme des salaires est beaucoup trop importante pour maintes villes. Il est à redouter que cette évolution négative continue...

    La capacité financière des communes restant restreinte, et les bibliothèques de lecture publique n'ayant pas pu profiter des programmes de soutien aux institutions de recherche, le gouvernement fédéral était prêt à accorder des sommes considérables pour la reconstitution des collections des bibliothèques publiques.

    Cet argent provenait du grand programme Aufschwung Ost (Essor Est), et parmi les centaines de milliards de Marks prévus dans cette enveloppe, plusieurs millions sont réservés aux bibliothèques publiques. La somme et la durée ne sont pas fixées, la décision à Bonn est prise d'une année à l'autre, mais pour 1993, l'argent semble assuré. Ce programme prévoit également le financementde 30 bibliobus (de fabrication danoise) pour les régions rurales des nouveaux Lânder.

    Ces moyens Aufschwung Ost ont considérablement contribué à rendre la situation pas trop insupportable. Si l'on compare la situation des bibliothèques publiques à l'Est et à l'Ouest de l'Allemagne de 1991, le tableau suivant donne ces chiffres :

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    Chiffres par habitants

    Mais l'avenir des bibliothèques reste incertain, surtout face à situation économique de l'Allemagne. La situation décrite est celle de fin décembre 1992. Cette description ne peut cependant présenter qu'une petite tranche de la réalité et ne prend pas en considération tout ce qui est lié au climat quotidien dans les bibliothèques, au sort de quelques responsables qui ont été relevés de leurs fonctions pour des raisons politiques (soit qu'ils étaient trop liés à la sécurité nationale Stasi, soit qu'ils étaient devenus insupportables pour avoir humilié ou chicané leurs employés), aux difficultés de maîtriser la vie professionnelle dans ces circonstances nouvelles (manque d'argent, manque de familiarité avec le marché du livre et les structures administratives ouest-allemandes, incertitude et peur d'être licencié pour des raisons économiques, etc). face à ces aspect de la réalité, je suis moi-même plutôt un observateur extérieur, moins directement concerné : il reviendra à nos collègues est-allemands d'écrire à ce sujet.

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    Deutsche Bibliotheksstatistik 1991