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    Le catalogue européen de microformes mères

    European register of microform masters (EROMM)

    Par Jean-Marie Arnoult, Directeur technique Bibliothèque Nationale

    Historique du projet

    JL JL On estime aujourd'hui qu'environ 15% des documents conservés dans les bibliothèques européennes nécessitent des mesures urgentes de sauvegarde.

    Préoccupées de diffuser largement les informations qu'elles collectent et qu'elles doivent conserver, les bibliothèques ont cherché les techniques les mieux adaptées pour conjuguer les impératifs de la conservation et de la diffusion. Actuellement, la reproduction photographique répond le mieux à ces besoins : outre qu'elle permet des consultations multiples, sur place et à distance, tout en évitant la manipulation des documents originaux, elle constitue un support de substitution d'une qualité éprouvée et durable. Au cours de la dernière décennie, plusieurs dizaines de milliers de documents ont ainsi été préservés dans les bibliothèques européennes, et les programmes de reproduction se poursuivent.

    M L'élaboration du projet

    Le nombre croissant de microformes a très vite rendu nécessaire la fabrication de catalogues spécifiques, locaux et nationaux. L'existence de quelques-uns de ces catalogues nationaux de microformes a alors incité la Commission des communautés européennes (DG XIII/B) à promouvoir leur mise en commun dans un seul catalogue à l'échelon de l'Europe.

    En 1989, celle-ci commanda une étude de faisabilité qui conclut à l'opportunité d'un tel projet et à sa viabilité dans des conditions précisées de manière formelle et académique lors d'une réunion des représentants de bibliothèques des états membres qui se tint à Luxembourg le 7 décembre 1989.

    Ainsi naquit le projet de catalogue européen de microformes mères (European Register of Microform Masters : EROMM), avec une ambiguïté dans la traduction du terme "register" : registre ou catalogue ? Un registre n'a pas d'acception reconnue ni de réalité acceptée en bibliothéconomie de langue française. La traduction de "register" par catalogue, pour rapide qu'elle puisse être, est donc fautive et se trouve être à l'origine de deux conceptions divergentes d'EROMM

    Le projet, comme tout dossier européen, fut conçu en deux phases dont la première seulement fut subventionnée partiellement par la Commission des communautés européennes : une phase préparatoire et une phase de fonctionnement "normal".

    La phase préparatoire

    L'objectif de la première phase (ou phase préparatoire) est de tester et d'expérimenter les options retenues lors de la réunion du 7 décembre 1989. Il est aussi de préfigurer la seconde phase du projet par la recherche des partenaires commerciaux susceptibles d'assurer la viabilité à long terme du catalogue et de contribuer à son développement.

    Quatre pays membres de la Communauté européenne dont des bibliothèques sont engagées dans des politiques de reproduction de leurs collections et de fabrication de catalogue de microformes, ont accepté de constituer le groupe initial de la phase préparatoire :

    • la France (Bibliothèque Nationale) ;
    • la Grande-Bretagne (British Library) ;
    • le Portugal (Biblioteca Nacional) ;
    • la République Fédérale d'Allemagne (Herzog-August-Bibliothek de Wolfenbüttel, Universitâtsbibliothek de Frankfurt, Staats - und Universitâts-bibliothek de Gottingen).

    La Bibliothèque Nationale de Paris a accepté pour sa part d'assurer le pilotage de la phase préparatoire dont la durée, initialement de treize mois, a débuté en février 1991.

    M Approche technique d'EROMM

    L'objectif technique d'EROMM est de rassembler dans une base bibliographique commune les notices de documents reproduits sur microformes en provenance des différents partenaires et d'en permettre l'accès.

    Les documents reproduits sont les monographies, les publications en série et les périodiques, sans restriction d'âge, de langue et d'origine.

    Les notices sont, en principe, abrégées pour permettre l'identification des documents sans pour autant doubler les notices bibliographiques traditionnelles. Rédigées et saisies dans des formats différents (UKMARC, UNIMARC, INTER-MARC, MAB), elles sont converties en format UNIMARC et entrées dans une sous-base d'OPALINE de la Bibliothèque Nationale.

    Au terme de la phase préparatoire, environ 50 000 notices sont disponibles sous forme de catalogue sur microfiches ou sur papier. L'interrogation de la base est prévue au cours de la seconde phase.

    M Le fonctionnement d'EROMM

    EROMM est un projet de la Commission des communautés européennes (LIBACT 1/EROMM) qui lui a consenti une subvention représentant 60% du coût total.

    La "Commission on Preservation and Access" a pour sa part accepté de prendre en charge le reste des coûts de la phase préparatoire.

    Dans sa phase actuelle, EROMM est géré par un Comité de gestion composé d'un représentant des quatre partenaires ; il est présidé par le représentant de la Bibliothèque Nationale.

    Vers la seconde phase d'EROMM

    La seconde phase aura pour objectif d'élargir le champ d'EROMM par l'introduction des notices de toutes les bibliothèques, européennes ou non, acceptant les conditions requises, définies au cours de la phase préparatoire pour une exploitation commune des données recueillies. L'augmentation progressive du nombre de notices disponibles dans la base, leur diffusion dans une aire géographique élargie pour accroître la coopération entre les bibliothèques, nécessiteront le concours financier et logistique d'éditeurs à vocation internationale et d'institutions et organismes désireux de soutenir l'entreprise.

    M Le bilan d'un projet européen

    A la suite de retards divers et de difficultés de fonctionnement, la phase préparatoire d'EROMM a été étendue jusqu'en décembre 1992. Quels enseignements partiels peut-on tirer actuellement de ce projet européen ? Entre les objectifs affichés et les résultats, quelles différences constatées, quels obstacles franchis, quelles expériences à retenir pour d'autres projets similaires ?

    Sans anticiper sur les conclusions officielles, on soulignera les divers aspects qui auront marqué le déroulement du projet : l'un subjectif sans doute mais d'une importance considérable (de la conception et du bon usage de la coopération), d'autres plus objectifs (du rôle des administrations en particulier, etc).

    La coopération a ses règles et ses conventions : certaines peuvent s'écrire, d'autres restent et resteront tacites. Le code de bonne conduite entre des partenaires reposera, pour longtemps encore, sur la bonne volonté et le désir de parvenir à un résultat positif. Est-ce dire qu'un EROMM ne répond pas à ces principes ? La réponse aura été trop souvent formelle ; le souhait de coopération a été subordonné, quoi qu'on ait pu faire , à des intérêts particuliers qui se sont très vite révélés être les principaux artisans du travail en commun.

    Une autre réponse apportée par EROMM aura été de montrer l'importance d'un partenaire généralement méconnu voire sous-estimé, l'administration dans ses formes nationales et européennes. Un projet européen est sans aucun doute un dossier technique, c'est son aspect le plus facilement compréhensible ; mais c'est d'abord un dossier qui permet à des administrations de confronter leurs modes de fonctionnement : cet aspect est le plus stimulant et oserions-nous l'affirmer, le plus novateur pour l'Europe des bibliothèques à venir. C'est aussi l'aspect le moins séduisant a priori et par conséquent le plus négligé des dossiers européens.

    EROMM n'a pas échappé à cette ornière. Les difficultés d'ordre administratif ont été initialement sous-estimées, soit par oubli, soit par optimisme, considérant que la coopération et la simple bonne volonté des partenaires apporteraient les réponses attendues aux difficultés rencontrées. Or, lorsqu'il s'agit de régler des problèmes d'ordre financier, la bonne volonté ne suffit pas car les intérêts de chaque partenaire ne peuvent s'accommoder d'arrangements sommaires.

    Sur le plan technique, EROMM aura démontré - était-ce bien nécessaire ? - que la création d'une base bibliographique n'est pas une opération complexe ; en revanche, EROMM n'aura sans doute pas apporté toutes les réponses espérées : démontrer l'utilité de créer une base bibliographique de notices de documents reproduits sur micro-formes,avec des modalités de fonctionnement répondant à des préoccupations communes. Pour plusieurs raisons notamment :

    • une base bibliographique doit avoir un public ; or le public EROMM n'a pas été défini : l'étude de faisabilité s'est contentée de le considérer comme étant implicite, c'est-à-dire de croire que ce serait le public des bibliothèques d'Europe. Or un public a des besoins précis, et ces besoins n'ont pas été analysés ;
    • une base bibliographique est un instrument de travail qui impose des principes simples de fonctionnement ; la gestion minimum commune des autorités est un de ces principes. Mais, pour des raisons simplificatrices, EROMM a rejeté cette gestion. EROMM sera donc une juxtaposition de catalogues nationaux, sans liaison entre eux ;
    • la mise au point d'une notice bibliographique "courte" était à considérer comme un préalable pour la viabilité de la base ; or les préoccupations d'un partenaire liées à un contexte bibliographique propre, ont entraîné - outre des pertes de temps - la préconisation d'une notice "lourde" peu compatible avec la conception initiale d'EROMM

    Est-ce à dire qu'EROMM n'est pas viable ? L'expérience qui a été menée aura été enrichissante à plus d'un titre et elle aura contribué sans nul doute à renforcer les liens entre les bibliothèques d'Europe.

    Mais, en conclusion, on soulignera avec forces quelques points essentiels à l'attention des candidats à un projet européen :

    • un dossier est composé de deux parties : une partie technique qui trouve toujours une solution ; une partie "administrative", au sens large, qui doit requérir toute l'attention car du bon fonctionnement du dossier dépend sa réussite technique ; il ne faut pas négliger enfin les spécificités nationales, ni celles de la Commission des communautés européennes ;
    • la durée d'un projet européen ne doit pas être inférieure à deux ans, durée minimum pour que les articulations administratives des différents partenaires, y compris la CEE, puissent s'adapter aux besoins de la coopération européenne ;
    • il ne faut pas redouter la lourdeur et la complexité de la gestion administrative des projets ; mais il ne faut pas la minimiser : elle requiert d'autant plus de temps, de patience et d'abnégation pour l'institution-pilote que l'aide de la Commission des communautés européennes est symbolique.