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    Fonctions publiques

    Encore un effort pour être vraiment européen !

    Par Dominique Lahary, Conservateur Bibliothèque départementale du Val d'Oise
    Par Jean-Pierre Zanetti, Collab

    ul n'est censé ignorer la loi. NNul ne devrait ignorer non plus que sans décret d'application, la plupart des dispositions législatives ne sont qu'un chiffon de papier.

    Sur le papier, depuis le 26 janvier 1991, tout citoyen d'un autre pays de la Communauté européenne peut devenir fonctionnaire "français". Dans la réalité, il n'en est encore (presque) rien. Rien, en tout cas, dans le domaine des bibliothèques.

    Le traité de Rome du 23 mars 1957 avait consacré, en son article 48, le principe de la libre circulation des travailleurs a l'intérieur de la Communauté. Mais le paragraphe 4 faisait une exception pour "les emplois de l'administration publique".

    On a longtemps interprété cette restriction comme devant s'appliquer à l'ensemble des fonctions publiques nationales et locales, et mêmes aux entreprises publiques. Mais à partir de 1974, une série d'arrêts de la Cour de justice des communautés européennes, confirmée par une note de la Commission européenne du 18 mars 1988, a donné une lecture restrictive de cette restriction : ne devraient être exclus du principe de libre circulation à l'intérieur de la Communauté que les emplois "comportant une participation directe ou indirecte à l'exercice de la puissance publique" et ceux "qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat et des autres collectivités publiques". Ce point de vue l'a finalement emporté auprès du législateur français.

    La loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (d'Etat, territoriaux et hospitaliers) réservait, en son article 5, l'accès aux fonctions publiques aux citoyens français. Cette disposition est considérée comme une application de l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui, cité dans le préambule de la constitution, revêt une valeur constitutionnelle reconnue par la jurisprudence : "tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics; selon leurs capacités et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents". Tous les citoyens, c'est-à-dire tous les citoyens... français.

    Mais une disposition de la loi "fourretout" n°91-715 du 26 juillet 1991, portant diverses dispositions d'ordre social, a finalement modifié la loi du 13 juillet 1983 par adjonction d'un article 5bis. Désormais, tout citoyen d'un pays membre de la Communauté européenne peut avoir "accès, dans les conditions prévues au statut général, aux corps, cadres d'emplois et emplois dont les attributions sont soit séparables de l'exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou indirecte à l'exercice des prérogatives de la puissance publique de l'Etat ou des autres collectivités."

    C'est alors que les choses se compliquent. Le texte de loi prévoyait des décrets en Conseil d'Etat. Or quatre décrets ont fini par paraître. Ils consistent en l'énumération de corps et emplois accessibles aux citoyens d'autres pays de la Communauté, dans trois secteurs bien particulier : l'Education nationale (1) , les postes et télécommunication (2) et la Fonction publique hospitalière (3) .

    On en conclut que pour qu'un corps soit accessible, il faut qu'il soit nommément désigné dans un décret en Conseil d'Etat, lequel accepte alors de le considérer comme suffisamment futile pour ne comporter aucune participation à l'exercice de prérogatives de la puissance publique.

    Mais cette condition n'est pas suffisante. Il faut encore que nos collègues remplissent les autres conditions d'accès aux corps.

    S'ils veulent se présenter à un concours externe, il leur faudra satisfaire aux conditions de diplôme. Cette question est résolue simplement en ce qui concerne l'Education nationale. Dans l'enseignement supérieur, où les postes de maître de conférence et de professeur sont accessibles à tout étranger, et non seulement aux européens, c'est la CNU (commission nationale universitaire) qui statue au cas par cas. Dans l'enseignement second degré, les "titres et diplômes sanctionnant un cycle d'études post-secondaires d'au moins trois (ou quatre) années délivrés par un Etat membre de la CEE autre que la France" sont admise (4) (4)

    Justement, le Ministère de l'Intérieur vient d'élaborer un projet de décret (5) ouvrant l'accès aux cadres d'emplois territoriaux aux titulaires de diplômes délivrés dans la Communauté européenne. Ce texte prévoit la mise en place d'une commission placée auprès du Président du CNFPT. Présidée par un membre du Conseil d'Etat, elle devrait comprendre deux représentants de l'enseignement supérieur et deux représentants de l'Education nationale. Elle se prononcera au cas par cas sur la recevabilité des diplômes européens. L'avis de la commission sera valable trois ans, cette procédure n'étant reconnue qu'après un délai de six mois après la parution de l'arrêté.

    La voie semblerait donc libre du côté territorial. Il n'en est rien. Ce texte, quand il sera paru et appliqué, ne pourra 'concerner, en l'état actuel des choses, que les titulaires de diplômes "européens"... qui sont eux-mêmes de nationalité française. La liste des cadres d'emplois accessibles aux autres citoyens de la Communauté devra être publiée par arrêté. Celui-ci ne semble pas en préparation actuellement.

    Quant aux corps de bibliothèque relevant de la fonction publique d'Etat, ils ne font encore l'objet d'aucun texte, ni sur le principe de leur accessibilité, ni sur la procédure de validation des diplômes étrangers.

    Enfin, pour que l'accès soit véritablement égal entre tous les citoyens de la Communauté, on est en droit d'imaginer que soient prises en compte trois autres voies d'accès aux corps et cadres d'emplois : le concours interne, la promotion sur liste d'aptitude et le détachement, ce dernier pouvant seul convenir aux collègues chevronnés qu'on verrait difficilement recommencer une carrière à zéro. Mais ces éventualités soulèvent de délicats points de droit et relèvent encore de l'utopie.

    En attendant, et jusqu'à nouvel ordre, la seule solution reste le contrat. C'est sous ce régime que quelques collègues ont été recrutés à la BN, à la BPI ou dans de rares collectivités territoriales. Mais nous sommes ramenés là au cas général des ressortissants étrangers, et le recours au contrat est en principe strictement limité par la loi.

    Il reste donc encore beaucoup à faire pour que notre profession, dans sa composante fonctionnaire qui est très majoritaire, soit ouverte dans d'autres conditions que celles de la précarité. Ouverte, sinon au monde, du moins à l'Europe. Sinon à toute l'Europe, du moins à celle de la Communauté. Constatons pour nous rassurer que les choses, à pas comptés, semblent avancer.

    1. Décrets n'92-1246 du 30/11/92 (JO du 2/12/92) et 9360 du 13/01/93 (JO du 19/01/93) : professeurs des écoles, certifiés, agrégés, d'éducation physique, de lycée professionnel, conseillers d'éducation, d'orientation, psychologues, directeurs de centres d'information et d'orientation, et enfin professeurs , professeurs techniques adjoints et chefs de travaux pratiques de l'ENSAM. retour au texte

    2. Décret n'92-1309 du 16/12/92 (JO du 17/12/92): il exclut implicitement les ingénieurs . retour au texte

    3. Décret n'93-101 du 19/01/93 (JO du 26/01/93) retour au texte

    4. Bulletin officiel de l'Education nationale,numéro spécial n°5 du 3 septembre 1992. retour au texte

    5. Projet de décret approuvé le 10 février 1992 par le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Non publié au moment où nous imprimons. retour au texte