Index des revues

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    Par Anne Curt, Bibliothèque Sainte-Geneviève
    Jean-Paul Oddos, sous la dir. de

    La conservation

    Principes et réalités

    Paris : Éditions du Cercle de la librairie, 1995. - 405 p. - (Collection Bibliothèques). ISBN 2-7654-0592-1. Prix : 250 F.

    Longtemps reléguée à la Bibliothèque nationale, la conservation semblait un sujet tabou pour les autres bibliothèques et ne sortait un peu de sa réserve que lors d'éminentes conférences internationales. Les journées patrimoniales d'Arc-et-Senans en 1987 avaient fait rêver les bibliothèques... mais rien n'en était réellement sorti de positif. La décentralisation et la coopération, les nouvelles technologies laissaient, par moment, un espoir de voir la conservation se structurer, mais en vain. La DLL, cependant, publiait d'excellentes fiches techniques sur les problèmes de conservation qu'elle tient encore régulièrement à jour. En 1992, elle édite un petit livre sur « La Restauration des livres manuscrits et imprimés ». Il faut attendre encore trois ans pour que sorte aux éditions du Cercle de la librairie notre synthèse sur la conservation. Ce livre présente l'état de l'art de la politique et des applications françaises en 1995. Onze auteurs, éminents scientifiques, spécialistes de l'histoire du livre et de la conservation des documents en bibliothèques, se partagent la rédaction des chapitres. L'expérience des professionnels de la BNF est impressionnante, mais ont collaboré aussi des représentants des bibliothèques publiques dont les collections anciennes sont prestigieuses, de villes telles que Toulouse, Paris, Nantes... Interviennent aussi les représentants des administrations centrales qui ont la tutelle des bibliothèques comme la Direction du livre et de la lecture ou le ministère de l'Éducation nationale, leurs échelons déconcentrés comme les DRAC (directions régionales de l'action culturelle), mais aussi des ingénieurs de recherche du CNRS et des représentants de l'ENSSIB (École nationale supérieure en sciences de l'information et des bibliothèques). Jean-Pierre Oddos, un de nos grands spécialistes français de la conservation, orchestre le tout avec brio. Le livre se compose de deux parties : le domaine de la conservation, puis la mise en oeuvre de celle-ci.

    Une volonté politique : que conserver, pourquoi et comment ? Histoire, planification, méthodologie de la conservation.

    On ne peut aborder ce domaine sans parler de l'histoire du livre et des techniques qui lui sont liées, indissociables de l'histoire des bibliothèques. Un rapide survol introduit la conservation d'un point de vue historique avec les confiscations révolutionnaires, puis décrit, au XXe siècle, l'implication des associations professionnelles dans ce domaine, intérêt qui ne fera que croître avec les années, jusqu'aux journées d'étude des années soixante-dix. Dominique Varry, avec raison, souligne combien la conservation s'applique à l'ensemble des fonds et dépend d'une politique culturelle et patrimoniale nationale structurée qui, pour le moment, existe surtout en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

    Agnès Marcetteau-Paul enchaîne sur l'importance d'établir une carte documentaire des fonds patrimoniaux des bibliothèques françaises. Elle insiste sur les responsabilités de collecte et de conservation partagées (conspectus français ?), sur l'importance des tris et éliminations pour une meilleure conservation et sur la mise en place de structures partagées (Centre technique du livre à Marne-la-Vallée par exemple).

    Toutes les méthodologies et techniques de gestion susceptibles de servir la conservation et la préservation sont abordées ensuite. Depuis les analyses, les choix économiques, les programmes, en passant par les méthodologies d'exécution, les cartes de santé du document, les mesures de première urgence, le calendrier, le chiffrage, pour aboutir à la mise en place d'une économie de la conservation, par la cohérence et la rentabilité des choix de conservation et de préservation, par l'évaluation des résultats... sans oublier les innovations technologiques, le partenariat avec les entreprises privées, les mesures de prévention, la normalisation (papier permanent par exemple), le conditionnement/protection sur mesure, la reliure, le microfilmage, la désacidification... Couronnent ces techniques de gestion la politique des administrations de tutelle des bibliothèques, le rôle du Conseil national scientifique du patrimoine des bibliothèques publiques, et de l'Inspection générale des bibliothèques dont l'importance a été réaffirmée en 1993... La conservation existe ! mesures préventives dès l'acquisition, traitement de masse et mesures curatives... des exemples réels d'application.

    La partie technique est moins structurée que la première. Elle décrit les applications françaises, in situ, à la BNF ou dans les municipales, les musées et à la ville de Paris. Les techniques y sont abordées depuis le traitement initial jusqu'aux techniques de préservation ou de sauvetage. Si elles se répètent quelquefois, c'est plutôt leur superficialité qui nous laisse sur notre faim. Les traitements de masse, la désacidification avec les avantages, les coûts et les dangers des procédés WeiT'o, Batelle, et AKZO..., le renforcement, l'encapsulation ou le thermocollage, sont rapidement décrits et comparés sur le plan économique et par rapport aux choix politiques des pays qui les utilisent.

    La restauration permet de sauver les documents précieux lors-qu'ils sont endommagés. Quant aux programmes d'urgence, en situation de crise, ils envisagent les catastrophes qu'il faut minutieusement prévoir afin de mieux les affronter (vols, vandalisme, effondrements, inondations, infestations, incendies...).

    Analogique ou numérique : choix technique ou politique ? Les documents photographiques et audiovisuels ont, pour une fois, droit de cité au royaume de la conservation. Les méthodes de transfert et de restauration du son et de l'image y sont couramment traitées, les techniques numériques à peine évoquées restant très embryonnaires.

    La numérisation figure dans la partie applicative et technique, bien comprise et bien développée par Bernard Fagès et Philippe Vallas. On peut regretter qu'elle soit absente de la partie politique qui se contente de suggérer le microfilmage pour réaliser des documents de substitution. La numérisation, en effet, n'est qu'une des techniques de transfert. Cependant, étant donné son actualité au temps des réseaux, elle mériterait un développement du point de vue politique et économique, ainsi que du point de vue du gestionnaire. Les documents de substitution numérisés - documents la plupart du temps libres de droits d'auteurs - ne devraient-ils pas, prioritairement figurer dans les cyberbiblio-thèques dont la naissance devrait être imminente en France ? Nombre de pays étrangers semblent l'avoir déjà compris. Jusqu'à présent, la conservation des documents en bibliothèque n'avait été traitée que fort succinctement dans le Métier de bibliothécaire de l'ABF (qui en est à sa dixième édition). C'est pourquoi il faut espérer que la conservation ne restera pas au stade d'une première et qu'elle sera suivie de nombreux documents techniques pour aider efficacement les bibliothécaires. La conservation ne s'appuie pas seulement sur une politique intelligente mais aussi sur des techniques spécifiques, adaptées à chaque problème particulier. Ce dernier aspect de la question mérite beaucoup de recherches et de publications régulièrement revues et mises à jour. Les formations à la gestion et aux techniques de la conservation sont à peine évoquées car il en existe trop peu. De plus, elles sont fonction du développement de la recherche et des publications sur la préservation et la conservation en tant que science. La conservation en est encore au stade des balbutiements et mérite une information approfondie, régulière et de qualité.