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Premier recensement des métiers des bibliothèques

1995
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    Par Jean Goasguen, Inspecteur général honoraire
    Anne Kupiec, réd

    Premier recensement des métiers des bibliothèques

    Rapport

    Paris, Université de Paris X - Médiadix, 1995. - 208 p. ; 30 cm.

    Comme son titre façon INSEE le laisse un peu entrevoir, ce livre n'est pas de ceux qui se lisent. Il s'agit d'un ouvrage de référence, donc de consultation, un ouvrage presque sans texte (quatorze pages sur 208). Répertoire, inventaire, recueil de données, l'une ou l'autre de ces définitions peuvent s'appliquer à ce » rapport qui répond à une demande officielle. En 1994, en effet, souhaitant disposer d'une étude sur les métiers des bibliothèques, la Direction de l'information scientifique et technique et des bibliothèques (bureau de la formation) en a confié la responsabilité à Anne Kupiec, maître de conférences associée à l'IUT Métiers du livre de Paris-X, auteur bien connu d'un récent ouvrage sur Bibliothèques et évaluation ».

    À l'origine de cette commande il y a, comme l'expliquait Anne Kupiec dans le Bulletin des bibliothèques de France (n° 4, 1994, p. 99), le constat des transformations du cadre d'action des personnels des bibliothèques, qu'il s'agisse du cadre le plus général (renouveau du service public, contractualisation...), des mutations technologiques, de l'évolution des publics, de la confusion statutaire... D'où la nécessité d'une redéfinition de l'identité professionnelle des personnels Tournant le dos à toute démarche idéologique ou doctrinale, le choix retenu, beaucoup plus humble et austère, est celui d'un recensement, c'est-à-dire d'une photographie, d'un état des lieux, sur la base de la réalité des établissements et des tâches. L'objectif poursuivi est double : mieux apprécier les évolutions en cours, constituer un outil directement utilisable en matière d'offre de formation. Rappelons ici que la présentation de cette enquête a constitué l'épine dorsale de la journée Bibliothèques et métiers » organisée à Paris-X le 19 juin 1995 : y ont été exposés les objectifs de la mission, la problématique dans laquelle elle s'inscrit, l'utilisation que l'administration centrale compte en faire, et y ont été discutées les attentes des bibliothécaires et des formateurs, les effets et les prolongements... Mais tous les lecteurs de notre revue n'étaient pas à Médiadix ce jour-là (je renvoie néanmoins, bien entendu, aux comptes rendus de cette assemblée, ainsi qu'au fascicule de juillet 1995 de Liaison bibliothèques, entièrement consacré au sujet).

    Outre la motivation technique, ou la précédant, on peut imaginer que la sous-direction des bibliothèques, en prenant cette initiative, avait une motivation « politique » : par delà la répartition administrative actuelle des responsabilités, se donner la garantie que ce domaine de compétence partagée (le personnel, la ressource humaine) ne soit pas bloqué par l'immobilisme, qu'une possibilité d'action prévisionnelle y soit maintenue. Cette obligation d'un état des lieux, conçu comme démarche préalable à toute redéfinition identitaire, ne correspond pas seulement à une demande officielle. L'enquête répondait aussi à une des attentes de la profession, exprimée quelque temps après son démarrage par divers intervenants au congrès de Vichy-Clermont-Ferrand (Dominique Lahary lui a consacré une notice fictive dans le n° 164 du présent périodique, p. 75), ainsi que par un éditorial du Bulletin des bibliothèques de France: « La récente réforme statutaire française a pour une part laissé dans l'ombre la question de la définition des métiers des bibliothèques, etc. » (1994, n° 4, p. 7). Enfin, comme l'avaient souligné Jean-Louis Pastor, Dominique Lahary et d'autres au congrès susdit (ainsi qu'Anne Kupiec dans son introduction), la démarche s'inscrit dans un mouvement général qui voit se multiplier les répertoires de métiers et les « référentiels de compétences » (CNFPT, EDF, etc.).

    Pour effectuer sa mission, Anne Kupiec a dû démontrer qu'elle était capable, selon la fiche de compétences coordination » (p. 162) de « coordonner plusieurs personnes aux activités hétérogènes appartenant à des établissements différents sur un objectif global, à moyen terme et aux conséquences multiples ». Il lui a fallu, en effet, mettre en musique et en pages les données recueillies par 250 personnes, enquêtant sur 75 sites (relevant de 56 établissements) et réparties en 16 groupes de travail (chacun de ceux-ci travaillant dans quatre ou cinq sites, et sur un à quatre métiers).

    Cet impressionnant chantier était conduit au sommet par un comité de pilotage interministériel (les directions concernées, l'inspection générale, le conseil supérieur des bibliothèques...), par une équipe de projet (le rapporteur et trois membres du bureau formation de la DISTB) et par un groupe de repérage des métiers (15 représentants des bibliothèques et des organismes de formation). Une méthode rigoureuse a été mise en oeuvre, déclinant cahier des charges, choix des acteurs et des sites, repérage initial, analyse sur site, validation de chaque étape, homogénéisation des données, synthèse, le tout ne devant laisser, on le voit, aucune place à l'amateurisme ou à l'improvisation.

    Le résultat de ce vaste labeur collectif, auquel ont collaboré bon nombre de nos meilleurs formateurs, directeurs, penseurs, ingénieurs en bibliothéconomie (mais pas tous)... est un produit composé de deux " outils articulés l'un sur l'autre : le répertoire des métiers, le répertoire des compétences.

    Le répertoire des métiers aligne 31 fiches-métiers analytiques, réparties en quatre groupes : métiers liés aux collections (13 fiches) ; métiers liés au public (9 fiches) ; métiers liés à la formation, à l'étude et à la recherche (5 fiches) ; métiers liés à la conduite de projet et de service (3 fiches). L'idée fondamentale est d'élaborer des définitions de métiers ne tenant aucun compte des cadres statutaires ou autres, ni des catégories d'établissements, mais se référant exclusivement aux activités réellement exercées et aux savoir-faire mis en oeuvre. D'où des intitulés tels que : acquéreur de documents, catalogueur, gestionnaire du public, etc., qui peuvent effectivement correspondre à des emplois tenus par des personnels de grades différents dans des établissements très variés.

    Dès l'origine, cependant, la contradiction éclate entre le principe affiché et les limites administratives de la mission. Revêtu d'une ambition scientifique, généraliste, ce répertoire doit se contenter officiellement a) de recenser les activités des seuls personnels d'État relevant du ministère de l'Enseignement supérieur, soit environ cinq mille agents : à peine plus du quart du total du secteur public (et sans compter, donc, le secteur privé et les volontaires) ; b) de limiter, de ce fait, son champ d'action aux établissements relevant de ce ministère, c'est-à-dire essentiellement à une catégorie de bibliothèques, la moins nombreuse et de loin. Du moins si on s'en était tenu là (voir ci-dessous).

    Deuxième limitation bien gênante : les métiers des bibliothèques ". Alors que, d'une part toute la réflexion actuelle, tous les efforts de redéfinition, s'efforcent de transcender la séparation largement artificielle (et, dit-on, spécifiquement française) entre les métiers des bibliothèques et ceux de la documentation ; et que, d'autre part, des formations communes aux « métiers du livre existent de longue date.

    En fait, j'ai forcé le trait sur l'une et l'autre contradiction, mais j'atténue maintenant mon propos. Car les établissements et personnels relevant du ministère de l'Enseignement supérieur ont été, en réalité, pris dans une acception très large : la présence de la DLL au comité de pilotage s'est accompagnée non seulement de la sélection incontournable de la Bibliothèque nationale de France dans les sites étudiés, mais aussi de celle de la BPI et de sept bibliothèques municipales classées, dont les directeurs ont fait partie des groupes de travail. Ainsi élargi, l'éventail des activités et compétences doit permettre à ce répertoire d'intéresser bien au-delà du cercle étroit des bibliothèques d'universités et de grands établissements, au-delà même des bibliothèques d'étude et de recherche ».

    Quant aux activités et compétences des documentalistes, on en retrouve une bonne partie (mais pas toutes) dans les fiches acquéreur, catalogueur, indexeur, biblio-orienteur, organisateur des accès documentaires, etc.

    Chacune des 31 fiches-métiers comprend toutes ou certaines des huit rubriques suivantes : définition (mentionnant éventuellement des spécificités et des spécialisations : champ disciplinaire ou type de documents par exemple) ; activités (par exemple : rédaction de notices catalographiques) ; principales relations professionnelles ; compétences (« être capable de » : par exemple identifier des documents imprimés, français, etc.) distribuées selon quatre niveaux de complexité ; connaissances requises ; outils nécessaires ; facteurs d'évolution ; conditions d'exercice. Au total, 422 activités spécifiques et 357 éléments de compétence ont été identifiés (un peu moins, en fait, certains de ces éléments étant communs à plusieurs métiers).

    Le répertoire des compétences est un document synthétique issu de l'exploitation du dépouillement des fiches-métiers. Trente-deux compétences fortes ont été dégagées, et regroupées en deux sous-familles : treize compétences spécifiques aux bibliothèques (deux fondamentales et onze complémentaires) et onze compétences générales, qui ne sont pas propres aux bibliothèques (deux générales et dix-sept complémentaires).

    Certaines compétences coïncident avec le métier du même nom : catalogueur-catalogage, indexeur-indexation... mais ces cas de recouvrement sont minoritaires (sept métiers sur 31). En revanche, les éléments de compétence dispersés dans les fichesmétiers se trouvent ici regroupés, et cela dans l'ordre des quatre niveaux retenus : 1. Compétences d'application (niveau de base). 2. Compétences d'adaptation. 3. Compétences de conception. 4. Compétences d'expertise. À l'intérieur de chacun de ces niveaux, on entre vraiment dans le détail : identifier des documents X, Y..., utiliser les fichiers Z...

    De brefs textes introductifs et de liaison permettent de passer aisément d'un répertoire à l'autre, et le texte final Éléments de commentaire souligne avec clarté une dizaine de grandes questions générales révélées par ce recensement : la notion de polyvalence, la question de la mobilité fonctionnelle, celle de la spécialisation disciplinaire, la question identitaire, etc. L'ensemble est ainsi bien structuré et très rationnellement conduit.

    Souscrivant à l'essentiel des analyses et des conclusions, j'ai eu du mal à accepter certaines constatations pourtant évidentes, par exemple celle-ci : 11 métiers (plus d'un sur trois) n'exigent pas d'avoir la moindre compétence en « communication » et 12 peuvent s'exercer sans la compétence animation-négociation ». Ce constat n'est pas gai. D'autre part, j'ai éprouvé quelque perplexité en découvrant, par exemple, que les métiers de directeur de bibliothèque et de responsable d'unité documentaire étaient apparemment dispensés de toute connaissance des publics ainsi que de celle du domaine spécifique de l'établissement et, selon l'index récapitulatif, de toute compétence en pédagogie (à la différence des fiches-métiers correspondantes, qui les tiennent pour capables d'« organiser la formation.). Ce ne sont là, à vrai dire, avec quelques autres, que réajustements éventuels pour une nouvelle édition.

    Un intérêt important de ce travail est, d'une part d'avoir mis en lumière les « facteurs de complexité » dans chacune des compétences et les « facteurs d'évolution dans chacun des métiers, d'autre part d'avoir identifié les métiers en émergence: courtier en information, concepteur de la politique d'accueil du public, organisateur des accès documentaires, organisateur d'activités de valorisation, chargé de recherche en bibliothèque, chargé d'étude et de contrôle, chargé de projet en ingénierie bibliothéconomique..., et les métiers appelés à disparaître probablement : catalogueur et indexeur.

    Une lecture en diagonale peut donner l'impression d'une entreprise tendant à conforter et souligner les morcellements et fractionnements internes à la profession et, pourquoi pas, à faire exploser « le » métier de bibliothécaire. Il n'en est rien : le texte de synthèse insiste au contraire sur les proximités entre ces métiers, et avance l'hypothèse que c'est précisément la variété des activités, s'élaborant sur un socle commun, qui soude les métiers des bibliothèques ». Une des questions posées au congrès de Vichy (celle du « socle commun ») trouve donc un début de réponse dans cette opération d'inventaire, de même que le souhait de voir se dessiner des « chaînes de compétences » (Jean-Claude Annezer).

    De nombreuses autres questions, touchant par exemple aux incidences de ce recensement sur les formations, les recrutements, pourraient être soulevées ici : je me contenterai à nouveau de renvoyer aux exposés de la journée de Médiadix (notamment ceux de Denis Pallier et Claude Jolly) et à un article récent d'A. Gleyze dans la revue professionnelle déjà citée deux fois.

    Certes, peut-on dire enfin, ce recensement appelle au moins deux prolongements. L'un, suggéré modestement par Anne Kupiec, serait un document d'analyse prospective des métiers, débouchant sur plusieurs scénarios. L'autre serait évidemment un complément d'enquête appliquant la même méthode analytique à l'ensemble des bibliothèques publiques. À première vue, environ un quart, peut-être un tiers des activités et compétences propres à celles-ci restent à identifier : c'est pourquoi plus d'un bibliothécaire territorial ne reconnaîtra pas ici ses petits.

    En attendant, on n'en dispose pas moins pour la première fois d'un outil de travail et de réflexion utilisable par les créateurs, organisateurs ou réorganisateurs d'établissements, de services, d'équipes de travail, par leurs décideurs, par les formateurs et organismes de formation. Au-delà de ces catégories (de ces situations plutôt où chacun est appelé à être placé tôt ou tard), toute personne préoccupée par la formation et l'évolution professionnelle devrait y trouver matière à méditation et à discussion (ou à protestation !). À moins qu'il ne soit trop tard, et que ces métiers, à peine identifiés et authentifiés, ne disparaissent tous à moyen terme... D'où l'obligation pour la profession, comme le recommandait Denis Pallier, de maintenir non seulement une veille technique, mais encore plus une veille stratégique.