Il s'agit de présenter ici une illustration de ce que peut être un tableau de bord tel qu'il a été défini par Daniel Renoult dans son introduction au carrefour puis dans sa communication. Avant toutefois d'entrer dans le vif du sujet, il me semble indispensable de donner quelques précisions sur la Médiathèque de la Cité des Sciences et de l'Industrie qui est une institution toute jeune et toute neuve. A ce titre, elle autorise beaucoup d'espérance et me paraît devoir constituer un terrain d'expériences particulièrement intéressant et enrichissant pour notre profession.
Je préciserai tout d'abord d'une manière succincte l'organigramme de la Médiathèque :
Les magasiniers de la Médiathèque sont placés sous sa responsabilité.
Cet organigramme est récent puisqu'il est entré en vigueur au début de l'année 1986. Il consacre le passage de la phase projet de la Médiathèque (de 1982 à 1985) à la phase de fonctionnement, c'est-à-dire à la période d'ouverture des services au public. Il fait donc état d'une organisation très différente de la Médiathèque par rapport à la phase projet au cours de laquelle l'organisation qui avait prévalu s'articulait autour de chacun des grands supports de constitution des collections : livres, périodiques, audiovisuels, chacun de ces grands supports étant placé sous la responsabilité d'un conservateur.
Dans le même temps, quatre responsables "horizontaux" intervenaient dans les grands domaines de la connaissance scientifique, technique et du monde industriel pour constituer les premières collections.
A ce double système (supports/domaines) s'est donc substituée en janvier 1986, une seule organisation par grands domaines des connaissances.
Le département Bibliothéconomie est donc actuellement constitué d'une dizaine d'équipes dont cinq couvrent un champ scientifique, technique ou industriel particulier : un constitue le secteur de référence, sorte de microcosme de ce qui existe dans les cinq domaines précédents ; trois sont spécifiques : la Médiathèque des enfants, la Médiathèque spécialisée dans le domaine de l'histoire des sciences, de la didactique et de la muséologie, la didacthèque ; un dernier secteur est "horizontal" par rapport aux neuf autres, la cellule audiovisuelle qui assure le suivi juridique et technique des collections audiovisuelles de la Médiathèque.
Chacune des neuf premières équipes est constituée d'un chef de service, de bibliothécaires et de magasiniers. Elles déterminent leur fonds documentaire propre en liaison avec les autres équipes : sélection, acquisition, réception des documents, catalogage, gestion des crédits, équipement pour le prêt, passage en reliure, mise à disposition des documents pour le public. Elles assurent le service public du domaine dont elles sont responsables ainsi que la mise en valeur de leur fonds par le biais d'expositions, de conférences, etc. Il apparaît ainsi qu'à l'inverse de certaines autres grandes bibliothèques, la Médiathèque ne dispose pas d'un service spécifique d'acquisition, d'un service de réception, d'un service de catalogage qui seraient communs à l'ensemble des domaines couverts. Chacune des équipes du département Bibliothéconomie doit assurer la chaîne complète de traitement de son propre fonds et assumer l'entière responsabilité du temps passé à .telle ou telle activité spécifique.
A ces précisions sur l'organisation de la Médiathèque, je souhaite ajouter quelques éléments d'informations qui me paraissent utiles pour comprendre comment nous avons pu procéder petit à petit dans la mise au point d'un tableau de bord.
Tout d'abord, quelques précisions concernant l'évolution de l'effectif du personnel :
On peut donc constater la mise en place d'une équipe jeune (pas forcément par l'âge mais par la date d'arrivée dans l'établissement) : la grande majorité du personnel a actuellement juste un an d'ancienneté.
Sur les 85 bibliothécaires dont 80 travaillent au sein du département Bibliothéconomie et constituent ainsi l'essentiel de ses forces, 35 ont de 20 à 30 ans, 37 de 31 à 40 ans, ce qui donne un assez bon équilibre dans la pyramide des âges. Les magasiniers sont très jeunes : au nombre de 27, ils ont tous moins de 30 ans. Une autre caractéristique importante, outre la jeunesse des équipes de la Médiathèque dont je viens de parler, me paraît être le fait que le personnel bibliothécaire et les chefs de service viennent de tous les horizons de formation professionnelle : CAFB (mais seulement 57 sur 85), DUT de documentation (19), Institut Catholique, pour la formation moyenne DSB, INTD (11), diplômes supérieurs en Sciences de l'information et de la communication, pour la formation supérieure (18).
Il apparaît que nous disposons là d'une grande richesse du point de vue des ressources humaines à laquelle vient s'ajouter la non moins grande diversité des expériences professionnelles acquises antérieurement par une partie de ce personnel.
Une autre spécificité non négligeable provient également du statut particulier du personnel de la Cité des Sciences et de l'Industrie : établissement public à caractère industriel et commercial, fonctionnant comme une entreprise privée.
Tout le personnel est recruté sur contrat privé. Les fonctionnaires de l'Etat ou des collectivités territoriales, en nombre très faible à la Médiathèque (à peine 1/4 de l'effectif, toutes catégories de personnel confondues, sur les 160 actuellement en poste), sont tous en position de disponibilité ou de détachement.
Cette situation d'entreprise privée se retrouve dans le discours très volontariste que développent les instances dirigeantes de la Cité dans plusieurs domaines qui touchent au personnel :
Il me semble que ce cadre général était important à préciser pour comprendre celui dans lequel se sont mis en place certains instruments de gestion et d'évaluation.
Comment avons-nous procédé à la Médiathèque ?
Le premier souci de François Reiner a été de mettre au point avec ses premiers collaborateurs et dès la création de la Médiathèque, quelques outils statistiques indispensables pour assurer la connaissance quantitative du fonds en cours de constitution.
Ainsi, dès janvier 1983, date du début de la constitution du fonds documentaire de la Médiathèque, il avait obtenu de notre service informatique tous les produits de base liés à la gestion des acquisitions et au catalogage des documents reçus. Je rappelle à ce sujet que l'ensemble de la gestion de la Médiathèque est informatisée : suggestions d'acquisition par les bibliothécaires, accord ou refus de suggestion par les chefs de service, édition des bons de commande pour les fournisseurs, gestion budgétaire pour chacun des services de la Médiathèque car nous disposons d'une comptabilité analytique au sein de la Cité. Sont informatisés également le catalogage, l'interrogation des fichiers par les lecteurs, et lorsque cela fonctionnera, la gestion du prêt. Les premières données statistiques du début 1983 étaient évidemment très modestes. Elles portaient sur le nombre d'acquisitions effectuées mensuellement, le pourcentage de catalogage du fonds, etc., et permettaient de suivre la progression de ce fonds par rapport aux objectifs fixés pour l'ouverture de la Médiathèque : 150.000 volumes (portés ensuite à 300.000), 5500 abonnements de périodiques, des audiovisuels transférés sur vidéodisques, des logiciels, etc.
Des données plus complètes, toujours d'ordre statistique, concernant le fonds, les fournisseurs (par exemple, taux de non-service rendu par tel ou tel fournisseur permettant d'éliminer le fournisseur non efficace, etc.), le taux de consommation des crédits dont nous disposions (par exemple, lorsqu'on s'aperçoit que seulement 15 % des crédits de l'année sont engagés sur six mois, il faut procéder à des commandes accélérées, ou l'inverse...) ont été obtenues à partir de juin 1984, c'est à dire 18 mois après la première mise en place d'outils d'appréciation. A partir de novembre 1984 a été introduit un nouvel outil de connaissance de ce qui était produit par les bibliothécaires et l'encadrement avec une première équipe bien rodée d'environ 30 personnes . Il s'agissait de la mise au point d'une grille d'emploi du temps du personnel devant permettre d'apprécier les temps relatifs consacrés:
La mise au point de cette grille a demandé du temps car elle devait à la fois être simple pour être bien utilisée, et complexe pour être efficace. Il a fallu ensuite la faire accepter par le personnel. Un important travail d'explication quant au pourquoi de la mise en place de ce type d'instrument d'évaluation a été particulièrement indispensable car certains y voyaient un instrument de "flicage", de contrôle du temps de travail du personnel. Il a fallu dépenser une certaine énergie pour "vendre" ce produit, le faire accepter comme un instrument de connaissance du travail fait, du temps passé à effectuer telle ou telle tâche, de ce que cette connaissance pouvait impliquer ensuite comme modification dans la façon de travailler d'un individu, éventuellement comme formation complémentaire à recevoir pour améliorer certains résultats, etc.
La publication de documents d'évaluation fournissant chaque mois des résultats globaux pour la Médiathèque permettait ensuite à chacun de prendre connaissance de l'avancement de l'ensemble du projet et de mesurer aussi les modifications d'objectifs à entreprendre le cas échéant.
A cette première grille, non présentée ici, ont été apportées d'importantes modifications en février 1986 pour tenir compte de deux facteurs nouveaux :
Cette nouvelle grille est établie pour, l'encadrement, hors directeur et chef de départements, les bibliothécaires et les techniciens audiovisuels (en tout une centaine de personnes).
Une autre grille existe par ailleurs pour les relieurs, les employés de bibliothèque et les magasiniers (environ 35 personnes). Une autre devrait être mise en place prochainement pour l'ensemble du personnel administratif couvrant ainsi la quasi totalité des ressources humaines de la Médiathèque.
Ces grilles sont naturellement assorties de commentaires établis ligne par ligne afin de permettre un remplissage correct des différentes rubriques. Elles ont pour but:
Cet aspect, essentiel à mes yeux, me paraît toutefois relever davantage du voeu que de la réalité. Il y a certainement là une sensibilisation nouvelle du personnel à réaliser.
Ces grilles sont remplies chaque quinzaine par le personnel et cumulées chaque mois. Un document d'évaluation est établi mensuellement à partir de leur exploitation et par croisement avec d'autres données purement comptables. Des graphiques et des courbes sont réalisés indiquant les variations enregistrées dans tel ou tel domaine particulier.
Des cumuls de données sont également réalisés pour plusieurs mois, de manière à percevoir l'évolution positive ou négative de certains domaines.
Jusqu'en janvier 1987, l'analyse de ces feuilles d'emploi du temps était faite globalement pour toute la Médiathèque. Depuis février 1987, nous disposons désormais non seulement d'une analyse générale de ces feuilles d'emploi du temps quant à l'évaluation de la Médiathèque, mais d'une analyse pour chacun des services du département Bibliothéconomie.
Cela permet à chaque chef de service et à chacun de situer l'évolution de l'équipe par rapport aux équipes voisines, de comparer les temps respectifs passés à acquérir, à cataloguer les documents, les temps passés en service public, en formation, à la mise en valeur des fonds de la Médiathèque par le biais d'expositions, etc.
Cela permet aussi de pondérer les informations brutes recueillies en fonction de certaines données propres à l'équipe (nombre de personnes, importance des collections à gérer, notamment de périodiques, absence sensible de personnel à un moment donné, charge particulière de travail dûe à une exposition, etc.)
Depuis mars 1987, un traitement particulier de certaines données a été introduit : il s'agit de la séparation des données concernant l'encadrement (chefs de service du département Bibliothéconomie) de celles concernant les techniciens et les bibliothécaires.
On obtient donc désormais :
En septembre 1987 sera introduite dans les graphiques, la part spécifique du chef de service dans telle ou telle activité, dans tel ou tel domaine par rapport à l'ensemble des activités de son service: par exemple, dans la grille d'emploi du temps, la rubrique 5 "organisation-gestion" est utilisée par le chef de service comme par les bibliothécaires, mais de manière très inégale par les uns et les autres, la plus forte part individuelle étant celle du chef de service (environ 50 % pour lui et 10 % en moyenne par bibliothécaire).
Deux ou trois graphiques complémentaires permettront d'apprécier, par chef de service, le pourcentage du temps consacré à une activité donnée (établie en donnée brutes pour le mois et en moyenne mobile sur les trois ou quatre derniers mois afin d'éviter les trop fortes variations conjoncturelles).
Un autre graphique, de type histogramme, permettra aux chefs de service de comparer entre eux leurs parts respectives de temps consacré à telle ou telle activité.
D'autres améliorations seront encore bien nécessaires à l'avenir. Elles devront nous permettre de cerner de mieux en mieux l'activité des différentes équipes, celle de chaque catégorie de personnel à l'intérieur d'une équipe et pour la Médiathèque tout entière. Il ne pourra, me semble-t-il, que s'ensuivre des modifications dans l'organisation des services pour éviter les travaux redondants, pour mieux gérer son temps personnel de travail, pour mesurer les incidences relatives du cadre de travail (environnement plus ou moins stressant, implantation de bureaux paysagers très denses, climatisation plus ou moins efficace, etc.)
En conclusion, je dirai que s'il est important de construire ce type d'instrument de connaissance pour toutes les raisons que j'ai développées précédemment, il est peut-être encore plus fondamental d'expliquer au personnel à quoi tout cela sert, en un mot, de lui faire "passer le message", d'emporter son adhésion intellectuelle ; en effet, rien ne sert d'essayer d'obtenir coûte que coûte des informations si elles sont sujettes à caution simplement parce que le personnel remplit sa grille, une seule fois par semaine ou par quinzaine au lieu de le faire au quotidien (il est évident que les informations sur le temps consacré à telle ou telle activité seront très relatives et donc très faussées dans le premier cas). Il importe donc de faire comprendre l'intérêt de la qualité et de la fiabilité des informations recueillies si l'on veut pouvoir en tirer un enseignement véritable, des aides à la décision et améliorer ainsi réellement le fonctionnement de l'établissement. Il s'agit d'un travail de longue haleine mais qui ne peut qu'être bénéfique à la collectivité tout entière en habituant petit à petit l'ensemble du personnel à porter un regard critique aigu, donc constructif, sur son travail.