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    Par Jean Claude Utard, Bibliothèque Saint-Biaise
    Elisabeth PARINET

    La Libraire Flammarion

    1875-1914

    IMEC Editions, 1992. - Prix : 300 F (Les éditions de l'IMEC sont distribuées par Distique).

    Ernest Flammarion demeure aujourd'hui connu comme fondateur d'une maison d'édition encore heureusement bien vivante, mais nous ne pouvons associer son nom à quelque auteur qu'il aurait fait découvrir ou à quelque mouvement littéraire auquel sa maison aurait été liée. Le seul souvenir auquel nous pourrions le rattacher est l'édition de cette Astronomie populaire, oeuvre de vulgarisation, de son frère, Camille.

    Ces rapides notations illustrent bien, en fait, ce que fut la carrière d'Ernest Flammarion. Né en 1846, jeune homme pauvre entré dans la vie active dès l'âge de 1 3 ans, il n'a que 2 000 francs en poche quand il s'associe avec un libraire des arcades de l'Odéon, Charles Marpon. Lentement mais sûrement la réussite va alors suivre. Et le livre, précis, fort documenté, d'Elisabeth Parinet s'attache à suivre ce parcours sans faute d'une ascension sociale, cette incarnation de l'esprit d'entreprise du 19ème siècle. Le libraire Flammarion multiplie ses succursales, puis entre dans l'édition, dans un premier temps par le rachat de fonds de libraires-éditeurs, et enfin, très vite, développe une activité autonome d'éditeur, marquée entre autres par une politique de diversification des fonds et des risques. L'édition littéraire est ainsi compensée par celle de livres aux ventes plus stables : livres pratiques, de vulgarisation, livres pour enfants, collections populaires, collections de classiques, d'ouvrages historiques...

    Editeur prudent quant à ses choix, mais homme d'affaire avisé, sachant en ce domaine prendre des risques et avoir une politique d'investissement ambitieuse, Ernest Flammarion fut traité de "Boucicaut du livre". De Boucicaut il a en effet de nombreux traits. Car si Ernest Flammarion est un bourgeois assez anodin et conformiste dans sa vie privée, comme Boucicaut il se révèle commerçant novateur et participe de la grande mutation du commerce du 19 ème siècle. Ainsi Flammarion veut faire de ses librairies de grands magasins du livre : il met les livres à la libre disposition des clients, favorise le libre-accès, essaie d'offrir le plus grand choix possible, tout en réduisant sa marge pour proposer ces ouvrages à bas prix, et en surveillant attentivement la rotation de ses stocks.

    Ces principes sinon inventés, sont du moins appliqués de manière systématique, et font figurer Ernest Flammarion dans les pionniers du commerce moderne. Un seul échec vient ternir cette carrière commerciale : il ne réussit pas à concurrencer Hachette dans la gestion des bibliothèques de gare. La bataille pour contrôler celles-ci est fort bien détaillée dans l'ouvrage, et cet échec de Flammarion nous permet de comprendre tout le jeu des luttes d'influence d'alors, luttes d'ailleurs fort éloignées des règles normales, honnêtes, de la concurrence.

    Heureusement, cet insuccès est largement compensé par la réussite éditoriale. Réussite d'autant plus remarquable qu'elle survient dans un climat de morosité éditoriale marqué par quelques retentissantes faillites. Ce succès est assez complexe à expliquer, mais il reprend certaines des données qui lui ont si bien profité dans le commerce du livre. Ainsi Ernest Flammarion vise-t-il d'abord le public petit-bourgeois, lequel constitue une clientèle en expansion qui a suffisamment de temps et d'argent pour acheter du livre à la condition que la lecture n'en soit point trop compliquée, ni le prix d'achat trop élevé. A cette clientèle il fournit des collections populaires ou même des collections illustrées à bon marché : les auteurs, les sujets et les prix sont calculés selon les goûts et les moyens de ce public. Dans le même temps il lui offre une vulgarisation de qualité, des livres pour enfants, des livres pratiques aux ventes plus stables que celles des ouvrages littéraires. La diversification du fonds limite ainsi les risques de l'éditeur tout en attirant au livre une clientèle en grande partie nouvelle, et en collant au besoin de connaissances et de savoir de celle-ci. Enfin, Ernest Flammarion sait utiliser la presse et particulièrement la presse populaire. Il investit en publicité pour ses titres dans les journaux populaires, il s'inspire des recettes de ceux-ci pour choisir auteurs et sujets, il se sert de cette presse comme d'un observatoire des modes.

    Quand il se retire, en 1914, Ernest Flammarion peut être fier de son oeuvre il a un capital personnel de 3 millions, et tous ses fils sont établis, chacun possédant une part du capital de ses entreprises...

    Cette réussite, au delà des anecdotes biographiques, est aussi celle d'une certaine forme d'édition. Cette dernière n'est peut-être pas la plus prestigieuse, elle n'est point celle, par exemple, d'une politique des auteurs. Elle est cependant honnêtement vulgarisatrice, bien adaptée aux goûts et besoins du public des classes moyennes. Elle suit le mouvement de scolarisation, accompagne l'élévation sociale et intellectuelle de toute une classe de lecteurs. Par ce biais, elle évite la crise éditoriale du tournant du siècle, et nous renseigne fort utilement sur les enthousiasmes et goûts d'une époque et d'un public.

    Le travail d'Elisabeth Parinet vient fort à point rappeler que l'édition est très diverse et que chaque maison a sa propre originalité. Il permettra, comparé à d'autres travaux récents, d'engager un bien utile débat, en ces temps où une autre crise menace l'édition française.