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Intervention de Gérard Auguier, expert en tableaux anciens

1992
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    Intervention de Gérard Auguier, expert en tableaux anciens


    Mon intervention peut paraître atypique, voire anachronique, elle m'est apparue comme telle à la lecture des noms et qualités des intervenants qui m'ont précédé. En effet, quoi de commun entre les conservateurs en chef d'établissements prestigieux, des inspecteurs généraux, des chargées de missions, des professeurs à la Sorbonne et un modeste expert (aux recherches presque toujours fragmentaires, décousues, rarement menées à un terme honorable) ; quoi de commun donc, sinon parfois un lieu : la bibliothèque. Cette différence expliquera les divergences, voire les oppositions.

    Au regard de la liste des participants à cette journée-débat, on peut constater que l'on ne faillit pas à la grande tradition française qui est de se méfier des utilisateurs, ne me sentant moi-même aucunement représentatif des lecteurs-chercheurs qui sont aujourd'hui bien absents.

    C'est cette façon de voir ou du moins de vouloir régler les problèmes qui a fait que lors de l'expansion et de la modernisation du musée du Louvre on a préféré fermer des entrées plutôt que d'en prévoir au moins une par grand département (demande et espoir trop logiques). Préférence étant donnée au japonais de service afin qu'il ne se perde pas et retrouve son parapluie au détriment du quotidien de centaines, voire de milliers d'utilisateurs parisiens, ceux-ci comptant bien peu face au lobby des tours operators.

    Ce que je crains donc, c'est que cette Bibliothèque nationale des Arts ne soit qu'un élément supplémentaire à la politique de l'État-spectacle, un coup médiatique et, à long terme, une centralisation paupérisatrice, une décision prise pour la gloire de l'État plus que pour le service de ses citoyens. Le prestige, l'auréole qu'on ne manquera pas de lui conférer médiatiquement, raviront le plus grand nombre. Les lecteurs, les chercheurs, les utilisateurs, risquent de ne pas y trouver leur compte mais, masse infime, ils seront regardés et même désignés comme d'ingrats réactionnaires.

    Avant de définir ce que l'on veut y mettre, il faut savoir pour qui l'on veut créer cette bibliothèque. Plus elle sera exceptionnelle et plus elle aura besoin pour fonctionner correctement de bibliothèques satellites. Plus l'endroit sera riche et plus il devra être réservé aux chercheurs qualifiés, plus il faudra activer, réactiver, créer des stades intermédiaires de consultation. C'est pourquoi, il faut savoir regrouper certes, mais pas accumuler.

    On ne peut qu'applaudir à l'idée généreuse de la création d'une Bibliothèque nationale des Arts. Celle-ci n'est pas encore créée qu'on se demande déjà comment on a pu vivre sans elle ! C'est oublier que cette création n'en est pas une. Elle semble surtout devoir être une série de déménagements résultant soit d'une dégradation d'établissement (Bibliothèque d'Art et d'Archéologie), soit d'un reniement (Bibliothèque de l'École nationale supérieure des Beaux-Arts), soit la rançon d'un glorieux isolement (Bibliothèque centrale du Louvre et des Musées Nationaux).

    Que la Bibliothèque d'Art et d'Archéologie trouve un nouvel espace, avec des moyens nouveaux, l'expansion et le développement qui pourront faire d'elle ce qu'elle aurait toujours dû être. Bravo ! Et sa juxtaposition au Cabinet des Estampes sera des plus bénéfiques. Que la Bibliothèque centrale du Louvre et des Musées nationaux ne puisse s'épanouir dans un lieu en expansion laisse rêveur. Que les conservateurs aient trouvé cela logique, laisse perplexe, car la richesse et l'unicité des collections méritaient mieux que les frileuses ouvertures accordées au public. Puisse son déménagement bénéficier au plus grand nombre. Que le fonds ancien de la Bibliothèque de l'École nationale supérieure des Beaux-Arts soit démantelé m'attriste et m'inquiète. On touche là à l'histoire des institutions. C'est un démantèlement pervers, c'est une suite dramatique donnée aux événements de mai 1968, c'est la mort d'un lieu où a soufflé l'esprit, c'est une erreur. Je crois qu'on s'en apercevra trop tard. La seule solution est le transfert total des fonds (livres-dessins). Mais où iront les tableaux, les sculptures ? Son maintien et la création d'une bibliothèque d'histoire de l'architecture donneraient satisfaction aux chercheurs qui la demandent.

    L'idéal serait que la Bibliothèque nationale des Arts soit rue de Richelieu composée de l'entité Michelet en expansion, du département des Estampes, de la Bibliothèque centrale des Musées et d'y adjoindre un fonds iconographique type Witt Library et Institut allemand de Florence et un fonds iconologique type Warbour de Londres. (Il faut savoir qu'actuellement, si la documentation du département des peintures du Louvre est généreusement mise à la disposition de tous, celle du département des sculptures, quasi réservée à la conservation, n'est pour rien dans le faible développement des connaissances sur la sculpture en France). Que cette BNA soit en rapport étroit et coopératif avec la Bibliothèque de l'École du Louvre, les Bibliothèques universitaires qu'elle se devrait de rendre moins faméliques, avec la Bibliothèque de l'École de Beaux-Arts qui pourrait pour la peinture, la sculpture et l'architecture faire pendant à la Bibliothèque des Arts Décoratifs.

    C'est par cette vision irrigatrice que l'on pourra, une fois n'est pas coutume, penser à la fois à la nécessaire centralisation parisienne et à un développement dans les bibliothèques universitaires de province, dans les bibliothèques des capitales de région d'un fonds " Art " digne de ce nom et se servir des musées en extension, en revalorisation, pour y adjoindre des bibliothèques publiques d'art, type Beaubourg.

    Qu'elles gèrent leur public en commun, en fonction des demandes et des aspirations de celui-ci qui, de par ses composantes si hétérogènes (étudiants, chercheurs, lecteurs anonymes), ne pourrait être satisfait par un seul type d'établissement. Le mélange des publics étant ce qu'il y a le plus à craindre pour les chercheurs de haut niveau, c'est-à-dire pour ceux qui de nos jours sont les moins défendus. Il faut instituer, suivant les types de recherche, des rapports différents avec les ouvrages et les lieux, de la demande simple à la possibilité de consultation libre sur les rayons.

    La concentration, en un même endroit, de toutes les bibliothèques d'Art conduira à moyen terme à un appauvrissement des collections par des achats groupés d'exemplaires de livres en nombre réduit et nous pouvons faire là confiance à nos énarques compteurs. Ce sera donc un appauvrissement du nombre d'ouvrages disponibles dans le même temps qu'est souhaité une expansion des lecteurs potentiels et que se développent la curiosité et la culture.

    Il n'est pas suffisant d'envisager simplement la création dune Bibliothèque nationale des Arts, c'est la structure même des bibliothèques d'art qui est en jeu. Il faut conserver les petites et les moyennes unités de diffusion, elles ont un rôle culturel et social. C'est d'elles que naîtront les vocations de ceux qui pourront bénéficier d'une façon optimale des bienfaits d'une BNA.

    Une Bibliothèque centrale des Arts doit conserver son rôle et sa fonction élitiste. Elle ne doit pas être un Beaubourg bis, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas un Beaubourg supplémentaire, ou complémentaire.

    En résumé, pour moi qui suis extérieur à vos problèmes et contingences matérielles, j'exprime un souhait trop près de l'irréalisable, à savoir une BNA réservée aux chercheurs, ouverte mais sélective, parce qu'une grande partie des demandes doit pouvoir être- satisfaite par des bibliothèques annexes, nombreuses et couvrant des spécialités diverses, à Paris et en Province, de niveaux différents. Les fonds rares ou uniques pourraient être consultés sur microfilms dont la diffusion dans les autres bibliothèques devraient être systématique afin de permettre partout la consultation de ces fonds précieux, notamment du fonds du Cabinet des Estampes. Il y a si peu de gens qui ont besoin des originaux. A quand enfin, un fichier central des catalogues de ventes sur disque ?

    Vous voyez donc que si je suis, dans le domaine de la recherche, l'équivalent d'un journaliste de quartier, dans celui de l'espoir, j'ai su rester un grand rêveur qui sait, hélas ! que c'est avoir tort que d'avoir raison trop tôt.