Mon propos sera très pragmatique : je voudrais juste donner quelques précisions sur le déménagement de la Bibliothèque d'art et d'archéologie à la Bibliothèque nationale dans la perspective du nouvel institut d'art, auquel cette journée est consacrée.
Il ne s'agit pas du premier déménagement de la Bibliothèque d'art et d'archéologie. Celle-ci, vous le savez, vient du mécénat. C'est le couturier Jacques Doucet qui la créée de 1908 à 1914, et qui l'avait installée et ouverte au public dans cinq appartements loués rue Spontini, XVIearrondissement, en face de son hôtel particulier. En 1918, il la donna à l'université de Paris. En 1924, la bibliothèque fut transférée dans l'hôtel de la fondation Salomon de Rothshild, au 11 rue Berryer, dans le VIIIearrondissement avec inauguration par le président Gaston Doumergue. La bibliothèque était au large, et l'hôtel servait aussi à des réceptions officielles, organisées par le gouvernement, l'université ou la direction des Beaux-Arts, pour étrangers de marque. C'était donc une installation au sein d'une structure d'accueil, ici plus de prestige que propre à l'histoire de l'art.
La bibliothèque va y rester dix ans tandis que se structure laborieusement l'Institut d'art. Quand on feuillette les archives on s'aperçoit qu'il n'est pas facile de créer un Institut d'art ! Je résumerai donc à grands traits. En janvier 1920 intervient une donation de la marquise Arconati-Visconti à l'université de Paris pour la construction d'un Institut d'art. Paul Bigot remporte le concours d'architecte. Les travaux de construction commencent en 1925.
Le 10 janvier 1928, un décret fonde l'Institut d'art et d'archéologie en tant que structure administrative et organisation scientifique. L'histoire de l'art détachée de l'histoire devient une discipline autonome, et s'installe tant bien que mal à la Sorbonne, puis dans le nouvel Institut tout flamboyant neuf, enfin construit au 3 rue Michelet, où le premier cours a lieu, lors de la rentrée universitaire de novembre 1930.
Mais chose curieuse, la bibliothèque n'est pas là. Ce n'est que le 12 juin 1933 qu'une lettre du ministre de l'Education nationale ordonne de procéder au transfert de la bibliothèque Doucet à l'Institut d'art et d'archéologie. On exécute à la hâte quelques travaux de consolidation des fondations et d'aménagement intérieur, et le transfert a lieu en 1935, dans des locaux, assez peu fonctionnels.
La bibliothèque reste, bien sûr, ouverte à un public non universitaire selon les termes de la donation Doucet mais cette fois, c'est la formule universitaire qui l'emporte : il y a symbiose enseignement /documentation. Cette formule se révélera longtemps satisfaisante et efficace ; mais, au bout de 50 ans, tous les services s'étant développés, sans qu'il y ait de possibilités matérielles d'extension, il y a eu saturation et menace de paralysie.
C'est cette situation que j'ai trouvée en prenant mes fonctions, à la BAA, il y a 14 ans. Mes collaborateurs et moi-même avons longtemps crié dans le désert, et craint, parfois, que sauver la BAA ne relève de l'acharnement thérapeutique. Dieu merci, nous avons été très épaulés par quelques professeurs actifs, par les associations professionnelles et par la presse. L'histoire de l'art et de l'archéologie est une discipline, certes porteuse sur le plan national (prestige, expositions, tourisme, marché de l'art), mais peu nombreuse et souvent divisée contre elle-même. Petit à petit la situation a été reconnue des sphères scientifiques et gouvernementales. Nous avons reçu beaucoup de visites officielles, on venait toucher nos écrouelles, mais les quelques solutions envisagées avortaient toutes.
Parallèlement, les difficultés de la Bibliothèque nationale, et des autres bibliothèques universitaires, faisaient surface dans les médias et devenaient l'objet d'une prise de conscience et de toutes sortes de rapports officiels. Et leur résultante, la création de la Bibliothèque de France, la " transfiguration " de la Bibliothèque nationale, ont ouvert un véritable espoir : beaucoup ont compris qu'il fallait tenter d'accrocher à cette formidable locomotive le petit wagon de l'histoire de l'art et de l'archéologie.
La décision de créer un Institut d'Art rue de Richelieu a donc été annoncée, le 30 janvier 1990, par le ministre Jack Lang. Et, très vite, il a été décidé en haut lieu, que la BAA serait transférée à la Bibliothèque nationale, avant même le déménagement d'une partie de celle-ci à Tolbiac.
Cela a entraîné des travaux considérables pour la Bibliothèque nationale : aménagement d'une partie des combles pour les collections de la BAA (la première tranche sera finie fin décembre), et entresolement de la salle Mortreuil, pour le personnel de la Bibliothèque nationale actuellement et plus tard, pour la BAA.
Cela a entraîné aussi des séances de travail régulières entre représentants de la Direction du livre et de la lecture, de la Direction pour la programmation et le développement universitaire, de la Bibliothèque nationale, et de la BAA, auxquelles s'ajoutent beaucoup de visites et de séances de travail en plus petit comité.
Je tiens à remercier très vivement l'administration et les services techniques de la Bibliothèque nationale, qui nous ont accueillis avec beaucoup de sportivité, malgré la gêne et le surcroît de travail que nous leur causions. Et, tout particulièrement, Mademoiselle Le Nan et ses collaborateurs car, désormais, c'est eux que nous allons gêner, dans une cohabitation quotidienne.
Cela a entraîné, enfin, à la BAA, une préparation intense des collections. Car nous avons reçu les moyens de faire enfin, toutes proportions gardées, bien sûr, le même travail que la Bibliothèque nationale avant son déménagement vers Tolbiac : nettoyage, recolement, reliure, étiquetage, restauration, conversion rétrospective. C'est un travail assez démentiel, mais combien doux à nos vieux coeurs de bibliothécaires.
Le calendrier de ce qui sera donc notre troisième déménagement est désormais arrêté, en trois phases :
Tout ceci doit se conclure par un quatrième déménagement, sur place, à la Bibliothèque nationale, vers une partie du Département des imprimés, au sein du futur Institut d'art, à partir de 1995.
Je ne cacherai pas, qu'à mon humble avis, ce dispositif présente un point faible : c'est la date de la troisième phase 1993. Il est évident que, pour la Bibliothèque nationale bien sûr, mais aussi pour la BAA, l'idéal aurait été l'adoption d'un autre schéma, repoussant à 1995 la fin de son déménagement à la Bibliothèque nationale, puisqu'après le départ des 2 km de périodiques en 1992, elle aurait assez de place pour fonctionner plusieurs années rue Michelet. C'eût été plus rationnel évitant un double déménagement pour des collections fragiles, un double travail pour un personnel peu nombreux et des difficultés prévisibles sérieuses de fonctionnement à la Bibliothèque nationale de 1993 à 1995 (manque de place dans la Salle des périodiques pour les lecteurs de monographies de la BAA, manque de presqu'un km linéaire pour les collections dans les combles, difficultés de rangement pour les fonds précieux, conditions de travail délicates pour le personnel salle Mortreuil, etc...).
Mais il n'a pas été possible d'éviter cette précipitation un peu risquée, à laquelle les autorités supérieures semblent attachées. Peut-être me direz-vous : " Mais enfin pourquoi déménager idiot " ? La sagesse populaire a plusieurs réponses : " le mouvement se prouve en marchant ", " il faut battre le fer pendant qu'il est chaud ". Notre vieux Bossuet le disait en termes plus nobles : " je crains Dieu qui passe, et qui ne revient pas... ".
Bref, la perspective d'un Institut d'Art rue de Richelieu, paraît assez positive pour la Bibliothèque d'art et d'archéologie, assez porteuse d'espoir sur le plan national, pour justifier quelques sacrifices, temporaires.