La construction de la Bibliothèque de France, telle qu'elle est aujourd'hui définie, laisse sans solution la question de l'avenir de la Bibliothèque nationale et de ses départements spécialisés.
L'ampleur et le prestige des bâtiments disponibles, leur situation en plein coeur de Paris, peuvent susciter bien des convoitises : environ 60 000 m2de planchers dans le quadrilatère Richelieu, 17 000 rue Vivienne et 9 500 rue Louvois. Le projet qui doit leur être offert ne peut souffrir aucune médiocrité : son utilité doit être incontestable, son ambition internationale. Il doit s'harmoniser pleinement avec le développement des départements spécialisés qui y demeurent, et, au-delà, avec la constellation culturelle constituée par le Centre Pompidou, le Musée d'Orsay et le Grand Louvre, au centre de la capitale. Le projet retenu par le Ministre de l'éducation nationale et le Ministre de la culture, d'y situer un ensemble de bibliothèques, un institut international et des centres de recherche sur l'histoire de l'art répond bien à ces exigences. Il utilise dans toute sa puissance " technique " de grande bibliothèque le site de la Bibliothèque nationale. Il offre aux départements spécialisés un sort sans lequel la Bibliothèque de France ne saurait être une pleine réussite. Il redonne à l'histoire de l'art en France le moyen de rivaliser enfin avec celle des pays étrangers et la place qui aurait toujours dû être la sienne.
Tel qu'on peut l'imaginer aujourd'hui, ce projet devrait d'abord permettre de revaloriser un quartier de Paris qui, malgré sa qualité architecturale et urbanistique, souffre d'une marginalisation par rapport aux grands axes culturels et touristiques que sont les Halles et le Marais à l'est, la Seine au sud et l'Opéra à l'ouest. On doit prévoir que la transformation de l'immeuble Vivienne, lequel est aujourd'hui un immeuble de bureaux, en un lieu d'enseignement et de recherche lié aux bibliothèques qui lui font face, va reporter le principal flux du public de la rue de Richelieu vers la rue Vivienne. C'est une chance à saisir : il faut faire du jardin Vivienne, encadré par les architectures du XVIIesiècle, berceaux des collections de la bibliothèque royale, l'entrée principale des bibliothèques.
Les activités qui se dérouleront rue Vivienne donneront au quadrilatère Richelieu une signification et une valorisation immédiates vers la recherche et l'enseignement supérieur et, inversement, l'ensemble formé par les départements spécialisés et des bibliothèques d'art et d'archéologie donnera à ces activités un inestimable environnement. Nulle part au monde on ne rencontrera à ce point liées, des institutions patrimoniales de première grandeur, un ensemble de bibliothèques d'études spécialisées, des établissements d'enseignement supérieur et des centres de recherches qui sont d'ores et déjà attachés aux uns et aux autres. Le bâtiment de Vivienne serait en revanche sur-dimensionné et resterait vide si l'on n'y accueillait que le 3ecycle. Une juste solution qui lui assurerait à la fois vitalité et homogénéité intellectuelle serait d'y accueillir, outre l'École du Patrimoine et le centre d'enseignement des architectes des monuments historiques (actuellement fort mal installé au Palais de Chaillot), les étudiants à partir de leur maîtrise, qui constitue les premiers pas de la recherche. Cette solution rencontre l'assentiment de la grande majorité des enseignants.
Les étudiants n'auront pas à regretter le départ de la bibliothèque interuniversi-taire puisqu'elle ne leur est actuellement pas accessible. Au moins, après son installation rue de Richelieu, tous les étudiants, munis d'une carte de lecteur, pourront-ils en consulter les ouvrages dans la salle Labrouste et travailler confortablement sur l'ensemble des fonds qui y seront réunis. Il reste cependant à souhaiter que, sur le lieu même de leur enseignement, soit constituée une bibliothèque de premier et second cycles qui autorise le prêt, selon le modèle américain. On aura tout intérêt à héberger dans cet ensemble le Répertoire d'art et d'archéologie, les bureaux de la Revue de l'art, du Comité français d'histoire de l'art, de la Société d'histoire de l'art français et de la Société des antiquaires de France, dont la bibliothèque est liée à celle des Musées nationaux.
C'est à cet endroit, face aux bibliothèques de recherche et aux collections patrimoniales, que devrait être installé le nouvel institut international d'histoire de l'art. Non confondu avec elles : il doit être mis en facteur commun à toutes les institutions françaises et étrangères, liées à l'histoire de l'art. Non dépendant d'elles : il doit jouir, par rapport à chacune, d'un statut d'extraterritorialité. Cet outil devrait réunir au moins les trois ministères de l'éducation nationale, de la culture et de la recherche. L'histoire de l'art est, en France, une discipline universitaire récente : elle n'a fait son entrée dans l'enseignement supérieur qu'en 1930 (l'enseignement secondaire reste à conquérir), peu encouragée par rapport à d'autres sciences humaines, mal dotée en regard des équipements et des budgets dont jouissent les institutions patrimoniales. Or, on peut douter que cette discipline connaisse de nouveaux progrès sans développement universitaire, sans s'ouvrir davantage sur les autres universités, françaises et étrangères, sans s'enrichir encore des apports des autres sciences humaines et, particulièrement, l'histoire.
Ils bénéficient sur les espaces disponibles d'une priorité historique et leurs besoins sont considérables, tant en lieux de stockage qu'en bureaux. La plupart des personnels des départements ignore actuellement ce qu'est un bureau et travaille dans les magasins, les salles de lecture, quand ce n'est pas dans les couloirs, les coursives et les paliers.
Le département des cartes et plans pose le problème le plus contraignant car il ne peut s'étendre que dans une seule direction au détriment de celui des estampes, sauf à creuser de nouveaux magasins sous le jardin Vivienne. Il devrait pouvoir s'étendre au 2eet au 1er sous-sol des estampes. Le département des estampes et de la photographie commencerait donc par perdre, au profit des cartes et plans environ 1 000 m2. Or, c'est le département le plus volumineux de tous et le plus en extension dans l'immédiat. Il sera tentant en effet de lui adjoindre la conservation des importantes photothèques des musées nationaux (l'énorme collection Vizzavona toujours en souffrance, par exemple). Il faut permettre au département des estampes et de la photographie d'avoir une politique dynamique d'accroissement et continuer d'y rassembler la plus grande collection patrimoniale de photographies du monde. Il ne serait donc pas excessif d'affecter aux estampes, photographies, affiches et aux photothèques qui pourraient les rejoindre, les trois niveaux supérieurs des magasins des Imprimés, qui communiquent avec sa salle de lecture. Le département des monnaies, médailles et antiques manque aussi de bureaux et d'ateliers, et demande des réaménagements internes qui amélioreraient sa situation. Le problème d'extension du département de la musique au 2 rue Louvois, sera le plus économique. Le bâtiment qu'il occupe est récent, très fonctionnel. Le départ de la phonothèque à Tolbiac résout l'essentiel de ses problèmes.
Le département des arts du spectacle est le plus encombrant de tous. Il occupe déjà de façon éclatée et toujours précaire, entre la rue de Richelieu, l'Arsenal, l'annexe de Versailles, la cartoucherie de Vincennes et la maison Jean Vilar à Avignon environ 15 km de rayonnages, sans disposer d'aucune salle de communication propre. Disons-le d'emblée : quelle que soit l'importance de la place qu'on doit lui réserver dans cet ensemble il n'y sera jamais au large, et, compte tenu du volume et de la diversité de ses collections, il ne fera jamais l'économie d'un dépôt hors de Paris. La nature du département des arts du spectacle, dont la compétence n'est pas définie, comme les autres, par un type de document mais par un thème transversal à tous les autres a fait rechercher, avant même qu'il ne soit créé, des solutions spécifiques. Il faut faire un premier constat : aucune n'a abouti et l'on peut douter qu'une collectivité territoriale, comme l'avait suggéré le rapport Beck, ne se décide un jour à créer le grand centre des arts du spectacle dont on pourrait rêver.
Par un heureux revirement, le projet des bibliothèques d'art, associées à l'avenir des départements spécialisés, légitime à nouveau l'inclusion de ce département dans un tel ensemble. On ne comprendrait donc plus que ce département n'y trouve pas une place de choix. Le problème qu'il pose n'est donc plus de principe mais simplement technique. Par la quantité, la diversité et l'irrégularité de ses collections, le département des arts du spectacle est à la fois un musée, une bibliothèque, un dépôt d'archives et un centre de documentation. L'accroissement de ses collections devancera toujours les possibilités de leur traitement et, inévitablement, une partie d'entre elles ne sera pas aisément communicable au public. Une telle institution, si elle ne veut pas s'étouffer elle-même, doit disposer de deux sites : un dépôt vaste, équipé pour la réception, la désinfection, le tri, le traitement des archives et des documents volumineux, distinct d'un lieu de consultation et de magasins où ne sont conservées que les collections dûment traitées, classées et cataloguées, aisément consultables. Ce dernier lieu doit être la Bibliothèque nationale.
Le département des manuscrits pourrait s'étendre sur le reste des locaux laissés vacants par les périodiques. Les manuscrits orientaux pourraient s'étendre sur l'ensemble du bâtiment de la rue Colbert et trouver au rez-de-chaussée une nouvelle salle de lecture. La vocation du département des manuscrits s'inscrit bien dans le cadre des départements spécialisés d'une bibliothèque nationale. Elle est en revanche moins homogène avec un ensemble consacré à l'art. La pure logique aurait voulu que les textes manuscrits suivissent à Tolbiac leurs versions imprimées. Il faut donc, par principe, soulever le problème de leur déménagement, même si l'on conçoit bien qu'il serait aujourd'hui difficile à organiser, dangereux, coûteux et ne répondrait pas à une nécessité pressante.
Sa persistance sur le site de Richelieu doit s'admettre. D'une part, les manuscrits enluminés sont à part entière du domaine de l'histoire de l'art. D'autre part, pourquoi exclure la littérature du domaine de l'art ? Mais on est alors renvoyé à un paradoxe inverse : celui de faire des livres imprimés de littérature un nouveau département spécialisé, une sous-section des bibliothèques d'art ! Sans aller jusqu'à cette extrémité, l'étude des manuscrits nous entraîne, qu'on le veuille ou non, dans cette direction. En effet, deux laboratoires importants du CNRS, l'Institut des textes et manuscrits modernes et l'Institut de recherche et d'histoire des textes, très liés au département des manuscrits, revendiquent une installation auprès de lui dans le nouveau site. Il faut y ajouter une association de droit privé, l'Institut Mémoire de l'édition contemporaine, financée par le Centre national des lettres et gérée par des éditeurs, dont la vocation est de recueillir les archives des maisons d'édition. Certains fonds (Albert Camus, Céline) rivalisent avec ceux du département des manuscrits et les chercheurs trouveraient sans doute heureuse, l'idée d'en permettre la consultation au même endroit. L'histoire littéraire (et non l'histoire du livre) pourrait donc être prise en compte dans le projet.
Les espaces du quadrilatère Richelieu ne permettront pas d'y regrouper l'intégralité des institutions ci-dessus citées, en particulier l'IMEC, qui, plus encore que le département des arts du spectacle, est d'abord un dépôt d'archives. Or, le quadrilatère Richelieu n'est pas extensible et l'on risque de faire chavirer le bateau à trop vouloir le charger. Cette hypothèse renforce la demande de conserver l'affectation des magasins de Versailles où les accroissements " archivistiques " de l'IMEC ainsi que ceux du département des Arts du spectacle, pourraient trouver place. Il serait alors intéressant de conserver, auprès de cet ensemble, le rattachement actuel de la bibliothèque de l'Arsenal à la Bibliothèque nationale. La bibliothèque de l'Arsenal, une fois allégée des collections des arts du spectacle, y retrouverait sa vocation de bibliothèque nationale de la littérature française et constituerait un département spécialisé comme les autres. L'entassement des collections ne permet pas d'y gagner de larges espaces mais au moins de permettre un redéploiement des collections et une restauration que la qualité du bâtiment et son mauvais entretien demandent impérieusement.
Le redéploiement des départements spécialisés laisse intacts deux blocs centraux : la salle des périodiques et ses magasins les plus proches d'un côté, de l'autre, la salle Labrouste et les cinq premiers niveaux de magasins qui la desservent.
Il faut y installer la bibliothèque interuniversitaire d'art et d'archéologie, la bibliothèque centrale des Musées nationaux et le fonds ancien de la bibliothèque de l'École nationale supérieure des Beaux-Arts. Elles sont de même nature : bibliothèques de recherche, leur salle de lecture doit être accessible sur présentation d'une carte de lecteur et leurs magasins accessibles aux personnes accréditées. Leurs collections sont complémentaires : celle des Musées nationaux a cultivé l'archéologie, domaine que l'autre a dû négliger depuis longtemps. La bibliothèque universitaire est attributaire d'un exemplaire du dépôt légal des livres français sur l'art, alors que la bibliothèque des Musées a porté son effort sur les ouvrages étrangers spécialisés (85 % de ses acquisitions sont en langue étrangère contre 58 % à la bibliothèque d'art et d'archéologie). L'une souscrit 1 382 abonnements, l'autre 1 329 mais seulement 331 titres leur sont communs. Ainsi, mises côte à côte, elles offriront une double collection qui, avec 800 000 volumes et 3 000 abonnements (si l'on ajoute ceux des départements spécialisés), ne fera pas mauvaise figure vis-à-vis des instituts étrangers. Il faut donc que leur accès soit jumelé, partageant une même salle de lecture, dans des magasins voisins. La salle Labrouste pourrait être cette salle, tandis que le rez-de chaussée des magasins pourrait être aménagé " à l'américaine " avec des carrels utilisables par les personnes (conservateurs et professeurs), accréditées à travailler dans les magasins même. Chacune de ces deux bibliothèques occuperait deux niveaux de magasins soit 2 500 m2au lieu des 1 020 m2 et des 1 600 m2qu'elles occupent respectivement au Louvre et rue Michelet.
Le cinquième niveau de magasins pourrait accueillir la collection ancienne de l'École Nationale supérieure des Beaux-Arts et permettre d'éventuels développements sur l'architecture. L'implantation du fonds ancien de la bibliothèque de l'École nationale supérieure des beaux-arts, on l'a vu, ne pose aucun problème en elle-même, mais va rouvrir un ancien débat : celui de l'absence en France d'une bonne bibliothèque d'histoire de l'architecture. Les chercheurs concernés se sont déjà mobilisés pour en réclamer la création. Ils s'adressent à la fois au ministère de la culture, comme l'ont fait les autres historiens de l'art, mais aussi au ministère de l'équipement qui a la responsabilité des enseignements et de l'Institut français d'architecture. Un problème intéressant va donc se présenter : saisit-on l'opportunité du déménagement du fonds ancien le plus prestigieux sur l'architecture pour en faire le noyau d'une collection nouvelle ? La possibilité technique de l'accueillir rue de Richelieu existe. Elle y aurait sa place. Un rapprochement des ministères de la culture, de l'éducation nationale et de l'équipement sur ce sujet serait opportun.
Tous souhaiteront disposer, à côté de la salle Labrouste, étroitement surveillée, d'une salle plus accessible où l'on trouverait les derniers numéros des principales revues, les plus récents catalogues d'exposition et les catalogues de vente. On pourrait leur consacrer la salle des périodiques où seraient réservés des plots d'information entretenus par les grandes institutions culturelles régionales, nationales ou étrangères, qui formeraient un centre permanent d'information sur l'histoire de l'art. La disposition de la salle s'y prête. Elle serait, de plus, directement accessible du jardin Vivienne qui, rappelons-le, deviendrait l'entrée principale du carré Richelieu. Ces propositions n'ont pas l'ambition d'être un programme d'aménagement. Elles montrent simplement que les lieux semblent, à la première approche, bien dimensionnés, bien disposés et relativement bien équipés (sous réserve de construction d'un grand nombre de bureaux et de modification de circulations) pour le projet retenu.
Le chercheur doit bénéficier de ce regroupement. C'est l'occasion d'organiser des services communs qui pourront, dans un premier temps, préfigurer ce regroupement et, par la suite, l'étendre au-delà de ses murs. L'idée de fusionner les collections viendra nécessairement à l'esprit de certains chercheurs. Outre qu'elle est impossible juridiquement et administrativement il faut affirmer que, sur le plan technique, une telle opération serait monstrueuse (les classifications ne concordent pas) et, sur le plan scientifique, presque inutile du moment que leurs catalogues seront fusionnés et leur accès possible dans les mêmes conditions, dans la même salle de lecture.
Le premier de ces services, c'est donc un catalogue collectif des bibliothèques d'art. Son étude est déjà à l'ordre du jour de la section des bibliothèques d'art de l'Association des bibliothécaires français. Il faut en hâter la mise en oeuvre. Le moment est plutôt bien choisi. Seule la bibliothèque d'art et d'archéologie est informatisée. Elle a déjà entrepris la conversion rétrospective de ses fichiers. Son appartenance au réseau OCLC des bibliothèques universitaires s'inscrit, à travers le Pancatalogue, dans les conditions qui satisfont aux exigences du projet de catalogue collectif national. Les questions spécialisées de l'art et de l'archéologie, devront y être traitées en profondeur. Nous pouvons signaler celles qui paraissent primordiales :
Une politique partagée des acquisitions entre bibliothèques de spécialités voisines doit être mise en oeuvre. Comme le catalogue collectif, c'est un programme indépendant du déménagement et qui peut être entrepris dès 1991. La cohabitation des fonds fera mieux apparaître sa nécessité. Là encore seule l'union peut remettre à niveau les collections françaises d'histoire de l'art dont on a souvent souligné le retard par rapport aux collections étrangères de la Fondation Getty (1 million de volumes), de l'Institut Courtauld, de la Hertziana de Rome ou du Zentral Institut fur Kunstgeschichte de Munich.
Il est difficile d'évaluer sans une étude minutieuse des différentes disciplines concernées l'exhaustivité éditoriale de l'histoire de l'art : les statistiques données peuvent varier énormément selon qu'on y inclut tel ou tel secteur (l'archéologie, l'architecture, le cinéma, ...) ou tel type de document (les catalogues de vente par exemple qui comptent pour le tiers des acquisitions de la bibliothèque d'art et d'archéologie : 1 755 catalogues de vente pour 5 129 titres acquis en 1989). Les instituts étrangers les plus riches dépassent les 10 000 titres acquis dans l'année et ce seuil apparaît comme un seuil de crédibilité pour une bibliothèque de niveau international. Avec 3 659 acquisitions au Louvre et 3 600 à la bibliothèque d'art et d'archéologie, nous sommes loin du compte. Il reste donc à mesurer pour les ouvrages, comme nous l'avons fait pour les périodiques, le taux de recouvrement des deux collections et d'en minimiser l'étendue par une politique partagée d'acquisitions. A budget égal, on devrait ainsi dépasser le seuil des 7 000 titres acquis dans l'année. Un plan d'acquisition partagé est depuis longtemps en vigueur dans les bibliothèques allemandes (et en particulier les sept grandes bibliothèques qui se répartissent les domaines de l'art et de l'archéologie), et de plus en plus fréquent aux États-Unis. La méthode " conspectus " qui permet d'évaluer l'excellence d'une collection par sujets est maintenant bien connue des bibliothécaires quoique peu pratiquée en France. Elle doit inspirer dès aujourd'hui la démarche à suivre pour coordonner les politiques des bibliothèques d'art.
Il est clair que nous sommes dans une logique communautaire. La construction qui en résulte en a la fragilité. Nous y sommes contraints : au moins trois ministères, peut-être un quatrième, de nombreuses associations privées, d'autres organismes sans doute y travailleront ensemble. Au lieu de craindre cette diversité, mieux vaut la cultiver : non pas par nécessité, mais bien parce que la réussite d'un tel projet ne peut plus aujourd'hui se concevoir comme l'oeuvre d'un seul organisme.
Réunis à l'occasion du congrès de 1990 du College Art Association, les directeurs des grandes bibliothèques d'art ont débattu du concept même de bibliothèque nationale d'art. Les représentants américains ont rejeté cette formule pour les États-Unis, non que l'appellation ne soit flatteuse, fort utile et douée d'un pouvoir fédérateur certain. Mais la conclusion unanime était que seule une constellation de bibliothèques diverses pouvaient prétendre à remplir les missions d'intérêt national de ce qui est, en fait, un ensemble de disciplines spécialisées. Si étendu que soit le complexe de bibliothèques réunies rue de Richelieu, on voit déjà qu'elles ne couvrent totalement ni la préhistoire et la protohistoire, ni l'extrême-orient, ni l'ethnologie, ni les arts et traditions populaires, ni le cinéma et la télévision, ni l'illustration et la bande dessinée, ni l'art contemporain, ni peut-être même l'architecture. Les musées nationaux contrôlent vingt-trois bibliothèques. Une seule, la plus importante, sera installée rue de Richelieu. Il est évident que seul un réseau cohérent, comme il en existe en Allemagne ou aux États-Unis, peut se partager les fonctions d'une bibliothèque thématique nationale. Ceci est vrai de toutes les spécialités : le réseau français des bibliothèques de mathématiques, qui est un modèle, repose sur l'union d'une vingtaine d'institutions et la collaboration d'une trentaine d'autres. Mais ceci est encore plus vrai de l'art que des mathématiques, tant ses limites en demeurent inconnues et sa définition changeante. Or, il s'agit bien de pourvoir l'histoire de l'art d'un outil moderne de recherche qui la fertilise. On ne peut le concevoir comme un organe unitaire ni comme un ensemble clos. L'avantage de cette diversité c'est qu'elle admet d'emblée des développements et des prolongements.
Pour toutes ces raisons, nous sommes amenés à penser que le montage à réaliser rue de Richelieu n'est pas une simple contrainte juridique mais la condition scientifique de la réussite du projet, et, plutôt qu'un handicap à surmonter, une chance à saisir.