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La bibliothèque de l'Ecole nationale des Beaux-Arts

1992
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    La bibliothèque de l'Ecole nationale des Beaux-Arts

    Par Annie Jacques, Conservateur du Patrimoine Bibliothèque et Collections de l'École nationale supérieure des Beaux-Arts

    L'École des Beaux-Arts est un organisme complexe : c'est un établissement d'enseignement mais c'est aussi un monument historique, une bibliothèque, et des collections muséales.

    Historique

    Les origines de l'École sont liées au système d'enseignement des arts mis en place en France à la fin du XVIIe siècle. Les deux Académies royales, celles de peinture et de sculpture et celle d'architecture, créées sous le règne de Louis XIV, étaient à la fois des sociétés savantes et des écoles chargées de transmettre les principes de l'art classique. En outre, l'Académie d'architecture était un organisme de conseil pour la Surintendance des Bâtiments du Roi. Très vite ces diverses fonctions amènent les deux institutions à rassembler des collections à la fois historiques et pédagogiques : peintures, sculptures, dessins, moulages maquettes, livres, archives. Pendant tout le XVIIIe siècle elles fonctionneront dans le Palais du Louvre, où étaient traditionnellement logés des artistes, des sociétés savantes, et divers ayant-droits, protégés par le Roi.

    La Révolution française balaye les institutions d'Ancien Régime. En août 93, le gouvernement de la Convention, sous l'influence du peintre David, met fin officiellement à l'existence des Académies. Pendant cette époque troublée, beaucoup d'artistes viendront reprendre dans les collections des deux compagnies leurs morceaux de réception : dessins, peintures, ou estampes qu'ils considèrent comme leur bien propre. Les écoles cependant, avaient été maintenues provisoirement. Le système des concours mensuels d'émulation continue à fonctionner modestement pendant quelques années, grâce à l'action de personnalités comme Antoine Vaudoyer ou Julien David-Leroy.

    Le Directoire et l'Empire mettent en place de nouvelles institutions dont les attributions correspondent plus ou moins aux anciennes fonctions exercées par les Académies : l'Institut, qui reprend le rôle de société savante, le Conseil des bâtiments civils, qui correspond à celui d'organisme-conseil pour la Surintendance des Bâtiments du Roi, et enfin l'École des Beaux-Arts qui regroupe les deux anciennes sections d'enseignement. Au début de l'Empire comme c'était le cas au XVIIIe siècle, le vieux Louvre sert toujours de cadre d'accueil aux nouvelles institutions. Mais, la volonté gouvernementale d'agrandir le Museum national (Musée du Louvre) dans le palais du Louvre oblige ces divers organismes à déménager. En 1807, contraintes et forcées, les deux écoles sont installées, en même temps que l'Institut, de l'autre coté de la Seine, dans l'ancien Collège des Quatre nations. Les restes des collections rescapées après la Révolution, moulages, peintures, dessins, estampes, manuscrits, livres sont installés, tant bien que mal, à coté des ateliers établis dans les bâtiments de la Rue Mazarine, dans ce lieu que Balzac dans La Rabouilleuse qualifiait de " plus sinistre de Paris "... Entre 1807 et 1816, nombreux sont les projets d'installation pour une nouvelle Ecole des Beaux-Arts (Cf. les projets de A. Vaudoyer exposés actuellement au Musée d'Orsay, dans l'exposition consacrée à la dynastie des Vaudoyer). C'est finalement l'emplacement du couvent des Petits-Augustins, transformé en Musée de sculpture française, le Musée des Monuments français, par Alexandre Lenoir pendant la Révolution, puis fermé en 1816, qui est affecté à l'École des Beaux-Arts. Les bâtiments conçus par Debret, puis Duban ne comprennent pas encore de Bibliothèque. Le Palais des études est un ensemble de salles uniquement consacré à l'exposition des collections pédagogiques : moulages, maquettes, peintures, sculptures. Les quelques centaines de livres, d'estampes, d'archives, de dessins et de manuscrits, provenant de l'Académie de peinture et de sculpture sont installées au second étage du Palais des études. En ce qui concerne l'Académie d'architecture,, seuls les dessins sont transférés à l'École des Beaux-Arts, les archives, sans logique apparente, restent à l'Institut, où elles sont actuellement toujours conservées. Le programme architectural de l'École est simple : le Palais des études, musée pour les modèles et copies, le Bâtiment des loges, lieu pour le déroulement des épreuves des concours, et quelques amphithéâtres pour les cours généraux. Tous les ateliers, dans toutes les disciplines, sont libres et sont situés à l'extérieur de l'enceinte de l'École.

    Au début des années 1860, l'enseignement subit de profonds changements : pour la première fois des ateliers officiels sont implantés à l'intérieur de l'École. C'est également à la même période que l'on ressent le besoin de créer une bibliothèque au sens moderne du terme. Duban, transforme donc la galerie d'exposition du 1er étage du Palais des études en une salle de consultation équipée de rayonnages, de pupitres pour les in-folio, et de tables de lecture. Le 1er janvier 1864, la bibliothèque est ouverte aux étudiants, et éventuellement aux érudits et amateurs qui en font la demande. Le fonds comprend bien évidemment tous les anciens documents provenant des Académies royales. Basé très largement sur l'iconographie, les fondements de la pédagogie de l'époque étant toujours la copie du modèle, il s'enrichit très rapidement de livres, de collections de périodiques, d'estampes, de dessins, de photographies, de manuscrits, grâce aux achats et aux donations diverses. Les collections muséales s'accroissent également très rapidement à partir du dépôt régulier des oeuvres primées des élèves dans les différents concours, le prestigieux prix de Rome ou les concours mensuels et annuels en peinture, sculpture, architecture. On considérait à l'époque que ces oeuvres scolaires devaient également servir de modèle aux étudiants. Les collections des Envois de Rome d'architecture, qui étaient jusqu'en 1864, conservées à la Bibliothèque de l'Institut sont à cette occasion transférées rue Bonaparte pour être plus facilement accessibles aux élèves. Jusqu'à la guerre de 1914 le développement de la bibliothèque est considérable. Le domaine de l'architecture est particulièrement riche. En effet, cette section est numériquement aussi importante que toutes les autres réunies, peinture, sculpture, gravure. Elle connaît un prestige international, attirant des élèves de toutes les nationalités, notamment un grand nombre d'américains, qui propageront ensuite le style " Bozarts " aux États-Unis, jusqu'à la guerre de 14. Cette époque est, en France, une sorte d'âge d'or pour la profession d'architecte, pour l'enseignement de l'architecture et, par conséquent, pour la bibliothèque de l'École qui bénéficie des largesses d'une profession en plein essor.

    Cependant, la destinée de la bibliothèque et des collections est étroitement liée à l'évolution de l'enseignement. Or, on peut dire schématiquement que la pédagogie de l'École des Beaux-Arts a, en quelque sorte, manqué deux tournants essentiels. En premier lieu, en ce qui concerne le domaine de la peinture, dans la seconde moitié du XIXesiècle la naissance de l'impressionnisme, comme toute la gestation de l'art contemporain se passent pratiquement en dehors d'elle. Ensuite, après la guerre de 14-18, la naissance de l'architecture moderne se produit également ailleurs. Raidi dans un système traditionnel, l'enseignement ne semble plus capable d'assimiler et de transmettre les nouveaux besoins de l'architecture contemporaine, symbolisés par de nouveaux programmes, de nouveaux matériaux, un nouvel urbanisme.

    La Bibliothèque comme les collections sont le reflet de cette évolution et de cet appauvrissement de l'enseignement. Après 1920, on voit progressivement le personnel et les crédits diminuer, l'activité se ralentir. Les collections autrefois exposées en permanence sont remises dans des cartons et entassées dans des salles annexes ou des greniers, les collections scolaires d'oeuvres académiques tombent en discrédit et sont remisées dans les caves ou l'attique ; la fréquentation se fige dans une recherche de motifs toujours répétitifs, motifs que viennent chercher les étudiants en architecture pour satisfaire aux épreuves de relevés d'archéologie (à cette époque, il est cependant intéressant de noter que, malgré le déclin de la bibliothèque, les élèves représentent toujours de façon constante 80 % des lecteurs).

    Les événements de mai 1968 secouent vivement l'École des Beaux-Arts. Ils font éclater ce système d'enseignement en place depuis deux siècles et demi. Le concours du Prix de Rome disparaît dès 1969 et, en 1975 l'enseignement de l'architecture est dissocié définitivement de l'enseignement des arts plastiques.

    Bilan et perspectives

    Les conséquences de l'éclatement de l'institution sur le sort et sur l'évolution de la bibliothèque et des collections de l'ancienne Ecole des Beaux-Arts ont été considérables depuis une quinzaine d'années. On peut ici les résumer succinctement.

    Dans les années 1970 les autorités de tutelle prennent la mesure de l'intérêt de l'ensemble des fonds, conservés à l'École des Beaux-Arts, particulièrement en matière d'histoire de l'architecture. Pendant cette décennie l'art dit " pompier " et l'architecture du XIXesiècle sont encore en France un sujet de polémiques. C'est l'époque de la démolition des Halles qui fait scandale dans le milieu des historiens, du classement de la gare d'Orsay et de sa transformation en Musée. C'est l'époque où les historiens de l'architecture américains arrivent en force pour retrouver l'histoire de leur XIXesiècle. En 1974, le Musée d'art moderne de New-York organise une grande exposition consacrée aux dessins d'architecture de l'École des Beaux-Arts... Celle-ci devient un monument historique classé. L'architecture du XIXe siècle est devenue progressivement un objet d'études et non plus de polémiques. La vie de la bibliothèque (composée à 60 % d'architecture) en est complètement perturbée, les livres et documents autrefois destinés à servir de modèles aux étudiants sont transformés en documents pour les chercheurs ou des documents à caractère précieux.

    Progressivement ce sont donc les historiens de l'architecture qui deviennent les principaux lecteurs de la bibliothèque où ils trouvent livres et périodiques, qui sont souvent difficiles ou impossibles à trouver ailleurs. A l'heure actuelle, historiens de l'architecture et historiens de l'art représentent 80 % des lecteurs, tandis que les élèves de l'École ne représentent plus que 20 %.

    Un autre facteur permet de mesurer à quel point depuis quelques années la bibliothèque s'est éloignée de la vie quotidienne des étudiants. En 1980 avait été créée une salle d'actualité, basée sur le principe du libre accès. Les étudiants trouvent mieux là ce qui correspond à leurs besoins. Il suffit de comparer le nombre annuel d' entrées, 9 000 pour la Salle d'actualité et 3 500 pour la bibliothèque. La salle d'actualité a fourni un modèle de ce qui était nécessaire aux élèves de l'école. Quant aux étudiants en architecture, ils trouvent généralement dans les centres de documentation des nouvelles écoles implantées à Paris ou en banlieue, les documents de niveau 1 er ou 2ecycle dont ils ont besoin.

    Enfin, après plus d'un demi-siècle de déclin un bilan matériel de l'état de la bibliothèque s'impose. Il est désastreux. Les seules réalisations récentes sont la chambre forte achevée en 1975, essentiellement pour les collections muséales de dessins, et un dépôt de livres. Tous les locaux de conservation sont surchargés, une partie du fonds a été mis en cave. L'état général des locaux est dramatiquement vétuste, sans aucun équipement de climatisation, de protection contre le vol ou l'incendie. Les souhaits d'agrandissements exprimés depuis des années par le personnel responsable de la bibliothèque, se heurtent aux contraintes du bâtiment qui n'a pas été conçu pour supporter des charges supérieures à 400 Kg au m2. Tout aménagement permettant d'ajouter des rayonnages de livres rend indispensable un renforcement de la structure même de la construction. On peut aussi penser à une solution en sous-sol, mais la proximité immédiate du lit de la Seine, impose certainement des limites à ne pas dépasser en profondeur, comme c'est la cas pour la Bibliothèque de France sur le site de Tolbiac.

    Le projet de Bibliothèque nationale des arts annoncé en septembre 1989 a été immédiatement perçu comme une solution économique aux problèmes de place. Les deux kilomètres de livres de l'École ne pourraient-ils pas être facilement installés dans les quelques dizaines de kilomètres qui allaient se libérer rue de Richelieu ?

    Mais, plus important encore, c'était l'occasion d'une véritable réflexion sur les missions de la Bibliothèque de l'École des Beaux-Arts, réflexion, qui n'avait jamais été menée depuis la disparition de l'ancienne école. Jusqu'ici la bibliothèque était de fait une bibliothèque pour les étudiants, une bibliothèque de documentation pour les amateurs et une bibliothèque de conservation pour les chercheurs. Cette triple mission est à l'heure actuelle difficile à assumer. Étudiants des Beaux-Arts, amateurs et chercheurs n'ont pas les mêmes besoins.

    La création de la Bibliothèque nationale des Arts, doit être l'occasion d'une véritable réflexion sur la demande des différents utilisateurs, pour permettre de définir les objectifs et les moyens à mettre en oeuvre pour mieux servir les différents publics. Cette redéfinition des missions de la Bibliothèque de l'ENSBA, ne peut aller sans heurts et sans déchirements, après plus d'un siècle d'habitudes. On peut noter que le débat qui existe au sein de l'institution à cette occasion est proche de celui qui a eu lieu il y a 20 ans quand l'École, comme la plupart des grands établissements, avait été tenue de verser ses archives aux Archives nationales, archives alors entassées dans des " cagibis " ou des placards, tout à fait inaccessibles au public. " C'est impensable, c'est un démantèlement du patrimoine, c'est une atteinte à un ensemble historique... " disaient certains responsables. Depuis le versement, ces archives ont été triées, inventoriées, publiées, microfilmées par le personnel des Archives nationales. Elles sont accessibles à tous et elles constituent l'outil indispensable à une meilleure connaissance de l'histoire. Il est évident que l'École des Beaux-Arts n'avait plus les moyens de remplir les missions d'un service d'archives, et que cette fonction pouvait être remplie de façon plus économique et plus efficace ailleurs.

    A l'heure actuelle la Bibliothèque située rue Bonaparte, doit être avant tout une bibliothèque de " consommation " pour les étudiants, toujours renouvelée et mise à jour. Les anciennes fonctions de conservation, ou de documentation pour un plus grand public, devraient être transférées rue de Richelieu. Le fonds de l'École est exceptionnel dans le domaine de l'histoire de l'architecture, il serait souhaitable qu'il trouve sa place au sein de la Bibliothèque nationale des arts afin d'être mieux mis à la disposition de la communauté scientifique des historiens et chercheurs qui sont ses premiers utilisateurs.