Index des revues

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    Par Jean-Claude Annezer , BIU de Toulouse
    Daniel Renoult, sous la direc- tion de

    Les Bibliothèques dans l'Université

    Paris : Éditions du Cercle de la librairie, 1994. - 358 p. (Collection Biblio- thèques). - ISBN : 2 7654 0548 4. - Prix : 270 F

    En octobre 1984, le Monde de l'Éducation présente un dossier alarmant : « Université : la misère des bibliothèques ». Il souligne et dénonce, comme cause du retard scientifique français, l'ab- sence d'une politique documentaire des universités. Et de rap- porter les propos d'un conservateur de province : « Les choses nous crèvent les yeux, mais on ne peut rien faire ».

    Cette exaspération résignée trouve un autre ton dans le jour- nal Libération du 22 novembre 1988 : « Parent pauvre. De la misère en bibliothèques universitaires. Suit un entretien avec André Miquel, porte-parole d'une mission d'enquête pour Lionel Jospin : « Si l'université est une zone douloureuse de l'ensemble français, ses bibliothèques représentent une zone sinistrée. Il faut bien réaliser que si rien n'est fait, la France sera en 1993 le parent pauvre de l'Europe, et pas seulement de l'Europe du Nord, car l'Europe du Sud fait en ce moment de gros efforts pour ses bibliothèques ».

    En février 1989 la « mission Miquel » publie son rapport. Il est l'amorce de la rénovation en cours des bibliothèques universi- taires françaises. L'analyse de situation est sans pitié. La compa- raison avec les pays voisins souligne que la France est en des- sous du minimum tolérable ! Les objectifs de redressement sont clairs : augmenter les moyens, donner cohérence à la politique documentaire des universités, réorganiser les structures... Le 24 mars 1989, le ministre de l'Éducation nationale propose aux universités « d'élaborer un plan cohérent d'organisation et de développement de la documentation dans le cadre d'un statut de service commun (circulaire nO29-079).

    Le 25 août 1989, dans son allocution de clôture du 55e congrès de l'IFLA tenu à Paris, il rappelle les priorités les plus vives et les plus urgentes du rapport Miquel : améliorer les services rendus aux usagers en développant l'accueil (ré- novation des locaux, signalisation efficace, information et for- mation des utilisateurs), faire de la bibliothèque « le cœur scientifique de l'Université développer les collections (complétude dans tous les champs de l'enseignement et de la recherche), favoriser la coopération au plan régional, national, international. On assiste à l'émergence d'une nou- velle logique pour les bibliothèques universitaires. Entre-temps, Daniel Renoult a été chargé de la sous-direction des Bibliothèques à la direction de la Programmation et du Développement des Universités (DPDU). Membre de la commission Miquel, il va s'efforcer de faire jouer pleinement leur rôle aux bibliothèques dans la politique d'enseignement et de recherche des universités : augmentation des moyens, évolution des structures, travail en réseau, constructions et aménagements des locaux... Il a eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'analyser comment la dynamique amorcée en 1989 suivait son cours (en particulier dans le BBF, 1990, nO2 et dans Le Débat, mai-août 1992).

    En octobre 1992, paraît le tome IV de l'Histoire des biblio- thèques françaises, aux éditions Promodis/Cercle de la librai- rie : Les bibliothèques au xxe siècle, 1914-1990 Deux contributions intéressent notre sujet. Celle de D. Pailler qui s'interroge sur la période 1945-1975 au cours de laquelle nais- sent « des politiques publiques » concernant les biblio- thèques : « Bibliothèques universitaires : l'expansion ? » Et celle d'A. Gleyze qui analyse pour la période 1975-1990 « Les années de crise des bibliothèques universitaires ».

    En décembre 1992, le n° 2714 de la collection Que Sais-Je .?» est consacré aux Bibliothèques universitaires. J.-P. Casseyre et C. Gaillard inscrivent leur présentation synthétique » dans la logique des développements en cours « intégration plus évidente à la communauté universitaire », rôle fédérateur dans la politique documentaire de l'Université...

    J'ai évoqué ces étapes de la réflexion pour signifier que même si les universités françaises restent encore malades de leurs bibliothèques, une évolution significative se dessine. Il man- quait un ouvrage de référence pour présenter un panorama de la situation actuelle : la contractualisation entre l'État et les universités, l'accroissement de la population étudiante, le partenariat avec les collectivités territoriales, l'articulation BU/BUFR, le travail en réseau, l'informatisation, les usages des bibliothèques par les étudiants et les enseignants..., au- tant de caractéristiques qui méritent d'être analysées et re- placées dans leur contexte institutionnel et humain !

    Certes, si le retard français sur les situations allemande, hol- landaise ou britannique reste évident, il y a des avancées réconfortantes. Les analyses proposées par cet ouvrage per- mettent d'entrevoir l'avenir en élargissant le champ de vision de nos interrogations. Elles doivent être lues non seulement comme une synthèse bien documentée de la situation pré- sente mais aussi comme une prospective et un plaidoyer pour l'avenir. L'architecture conceptuelle et « pédagogique de l'ouvrage permet de mettre en perspective nos propres re- présentations et nos propres pratiques (parfois généreuses, parfois résignées).

    D. Pallier analyse l'histoire récente des bibliothèques univer- sitaires de la IIIe République à 1986. P. Carbone présente, dans un exposé dense de 61 pages, la situation « institution- nelle des bibliothèques (BU, BUFR, antennes, bibliothèques de recherche) dans les universités. Ses réflexions sur le mode d'organisation en sections laissent entrevoir une nouvelle lo- gique de service commun. D. Renoult et M. Pézeril proposent une réflexion nourrie sur les publics (communauté universi- taire et public non universitaire), soulignant l'importance des études sociologiques en cours sur les usages et les attitudes vis-à-vis du livre et des bibliothèques.

    La quatrième partie présente certains aspects de l'organisation technique et des méthodes de gestion des collections : les spécificités de la documentation scientifique (M.-F. Such), la fonction patrimoniale (D. Pallier), classements, classifications et modes d'accès (J.-P. Casseyre), les bâtiments des biblio- thèques universitaires (M.-F. Bisbrouck, toujours aussi claire, précise et lucide), bilan succinct de l'informatisation (N. Bel- lier), brève présentation des différentes catégories de per- sonnel exerçant en bibliothèque universitaire (A. Gleyze). La cinquième partie, plus technique mais non moins impor- tante pour les perspectives de la politique documentaire des universités, propose une analyse des réseaux d'acquisition au service de la recherche (B. Van Dooren) : CADIST et ré- seaux documentaires thématiques, le signalement des collec- tions et la fourniture des documents, le projet de schéma directeur et enfin une réflexion prospective (D. Renoult). La dernière partie présente trois regards comparatifs sur l'Europe » : les bibliothèques universitaires allemandes (G. Gabel), les bibliothèques universitaires du Royaume-Uni (D. Law), l'expérience des Pays-Bas (L. Costers).

    L'ouvrage se termine par des pistes de réflexion pour demain (D. Renoult) : « Une bibliothèque n'est pas un simple instru- ment: elle résulte d'abord du projet d'une collectivité, et à cet égard l'avenir des bibliothèques est lié d'abord à celui des universités, et à ce qu'en feront les universitaires. (p. 321). «L..] A leur manière, les bibliothèques posent la question de la volonté et du pouvoir dans les universités. Au-delà d'ailleurs de l'autorité administrative, c'est l'existence d'une autorité morale et scientifique durable qui conditionne l'avenir d'une bibliothèque. " (p. 323)

    « Enfin, dans un contexte marqué par une conception commerciale de l'information et par la recherche de res- sources budgétaires nouvelles, il ne faudra pas minimiser la fonction socio-économique des bibliothèques : celle de lever les freins qui font obstacle à la lecture et à l'accès à l'infor- mation. 324)

    Les dernières 34 pages proposent d'abord un signalement des sources (statistiques, publications et rapports officiels, principaux textes législatifs et réglementaires, principales re- vues qui font une large place à l'enseignement supérieur), puis une bibliographie sélective (études et essais récents sur l'Université, histoire des universités et des bibliothèques, les bibliothèques dans l'université, les publics, organisation et méthodes, fonctionnement en réseau, regards sur l'Europe), enfin une table des 70 documents et cartes qui illustrent les textes, une table des sigles et un index de mots-matières. Riche, solide, précis, lucide et stimulant, cet ouvrage a aussi ses lacunes (une certaine raideur dans le ton parfois..., mais à chaque lecteur d'en juger, puisque les rédacteurs se sont préoccupés de ceux qui connaissent peu l'Université et ses bibliothèques). A bien des égards les analyses proposées correspondent aux pratiques, aux expériences et aux aspira- tions de tous ceux qui exercent en bibliothèques universi- taires, même si persiste toujours une faille entre dire et faire. Ce qu'il faut saluer c'est la tentative d'une pensée globale des bibliothèques et de la documentation dans l'Université française d'aujourd'hui et l'invitation à poursuivre la réflexion sur le terrain.