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Dictionnaire des écrivains français pour la jeunesse 1914/1991

1994
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    Par Anne Marinet, , Bibliothèque municipale de Toulouse
    Nic Diament

    Dictionnaire des écrivains français pour la jeunesse 1914/1991

    École des loisirs, 1993. - 784 p. - Prix : 780 F

    Qui, parmi les bibliothécaires s'intéressant à la littérature de jeunesse, n'a jamais cherché à savoir si un titre, récemment paru, n'avait pas déjà été publié, dans une autre collection, peut-être sous un autre titre ? Qui ne s'est jamais demandé quels personnages se cachaient derrière « Michel Grimaud « Saint-Marcoux ou Lieutenant X » ? Qui n'a jamais souhaité en savoir plus sur des romanciers dont les noms hantent les rayons de nos bibliothèques, comme L. Bourliaguet, J. Séve- rin, O. Weurlesse et autres M. Albrand ou J. Coué ? Qui, au moment d'inviter un auteur, n'a jamais essayé de rassembler les éléments épars de sa bibliographie ou de renouer les fils de sa carrière, le plus souvent dispersés dans les catalogues d'éditeurs ou dans les revues ?

    A ces attentes, à cette curiosité, à ces interrogations répond fort opportunément le Dictionnaire des écrivains français pour la jeunesse de Nic Diament, tout au moins en ce qui concerne le domaine français de la littérature écrite pour les jeunes tout au long de ce siècle : c'est dire qu'il vient de combler, sinon un vide, du moins de fortes zones lacunaires, en rassemblant dans un ouvrage de référence, de manipula- tion aisée, des données bio-bibliographiques très utiles à l'exercice de notre métier.

    Depuis le Guide de littérature pour la jeunesse de Marc So- riano, paru il y a presque vingt ans (Flammarion, 1975) qui donnait, entre autres, de précieuses monographies sur les principaux écrivains français publiant jusqu'au début des an- nées 1970, on n'avait guère eu, pour des auteurs plus récents, en dehors des études générales ou des guides de lectures recommandées par des spécialistes (1) , que le Guide des auteurs du livre de jeunesse français publié en 1989 par le Salon du livre de jeunesse de Montreuil : il tentait de brosser un pa- norama de la littérature vivante, sous forme d'un guide si- gnalétique et attrayant, en présentant par ordre alphabétique 270 auteurs ayant publié à la fin des années 1980, « des textes inédits de fiction, en langue française, chez un éditeur fran- çais choisis par des journalistes et critiques, à travers de très succincts éléments de biographie et une liste limitée des œuvres publiées.

    Le propos de Nic Diament est évidemment autre et plus am- bitieux, puisqu'il s'agit de rien moins que de rassembler, sous la forme d'un dictionnaire, des écrivains constituant « un en- semble représentatif des écoles, des idéologies, des modes d'écriture qui ont traversé la littérature pour la jeunesse du XXesiècle (2) ». Par référence à d'autres dictionnaires du même type, anglo-saxons ou allemands, les notices sont bâties selon une structure identique, donnant successivement un aperçu de la vie et de la carrière de chaque auteur, une analyse de l'œuvre éclairée de témoignages, avec parfois une biblio- graphie critique, et enfin, la liste exhaustive des livres publiés pour la jeunesse, dans l'ordre chronologique de leur parution. Au-delà du travail d'érudition et de synthèse que suppose un tel ouvrage, pour collecter les données, confronter les sources et (re)lire les textes, on est bien en présence d'une œuvre per- sonnelle, en ce qu'elle affirme ses ambitions, et revendique sa part de subjectivité, aussi bien pour la sélection des quelque 350 auteurs retenus, que dans la vision de l'œuvre analysée. C'est tout l'intérêt et la richesse de ce livre - avec les limites et les contraintes du genre - par l'effort de cohérence des choix, fondés sur des critères définis à l'avance, et par l'unité de ton que confère un rédacteur unique.

    Dans son introduction, Nic Diament précise sa démarche. La période choisie (1914-1991) couvre une très large part de la production française du XXesiècle, de 1914, qui marque, ou- tre la fin véritable du XIXesiècle, celle aussi d'un âge d'or de la littérature de jeunesse (Hachette rachète le fonds Het- zel) jusqu'à la fin des années 1980, date de la rédaction de l'ouvrage.

    Les écrivains retenus sont ceux dont « l'ambition est de faire une œuvre littéraire »... Sont donc écartés les auteurs exclusifs d'albums, de documentaires ou de bandes dessinées, ainsi que les auteurs illustrateurs (Brunhoff, Ungerer, Pef...) au pro- fit d'écrivains de fiction - romanciers ou conteurs - dont le souci essentiel est le texte ». Il s'agit d'auteurs de langue française publiés en France, donc français pour la plupart, mais aussi quelques Belges ou Suisses.

    Le choix s'est porté sur ceux dont l'œuvre a fait l'objet de « prescriptions » : soit qu'elle ait été couronnée par un prix littéraire, soit qu'elle figure parmi les lectures recommandées par divers spécialistes, depuis les titres scrupuleusement sé- lectionnés par les bibliothécaires de l'Heure joyeuse (1937, 1re édition de Beaux livres, belles histoires), jusqu'aux prin- cipaux livres sur la littérature de jeunesse ou guides de lec- tures, tel celui de Natha Caputo (1968) parus jusqu'en 1985 (3) . Ces ouvrages ont en commun de proposer une liste des « meilleurs » auteurs de livres pour la jeunesse. Bon nombre d'entre eux sont ainsi plébiscités par la plupart des critiques. A leur côté, on trouve également les noms d'écrivains ayant marqué l'édition jeunesse par leur fécondité exceptionnelle, ou des tirages massifs, qui font d'eux des phénomènes édi- toriaux (G. Bayard, G. Chaulet, Lieutenant X) ou encore des écrivains représentatifs de courants idéologiques marqués : auteurs catholiques ou communistes, écrivains scouts, ainsi que les critiques qui ont aussi publié pour les enfants (N. Caputo, I. Jan, M. Soriano, M. Leriche...).

    Pour la collecte des données biographiques, Nic Diament a puisé essentiellement dans les dossiers du Centre de docu- mentation de la Joie par les livres, complétés par ceux de la Bibliothèque internationale de Munich, et de la bibliothèque spécialisée de la Chaux-de-Fonds (Suisse) ainsi que dans les dictionnaires biographiques existants. Articles de presse, monographies diverses, archives d'éditeurs ont été des sources complémentaires.

    Pourtant, sur les 450 auteurs initialement retenus, une cen- taine ont dû être abandonnés faute de renseignements sur leur vie ou leur carrière. Ce sont, pour la plupart, des écri- vains de la première moitié du siècle, qui semblent être voués à un oubli définitif, car les archives des éditeurs pour la jeu- nesse, tout au moins jusqu'aux années 1950, sont quasi inexi- stantes - négligées, détruites, disparues. Cela met en évi- dence non seulement la difficulté de collecter des données dans ce secteur de l'édition, mais aussi la place médiocre généralement réservée à l'écrivain pour la jeunesse, comme le rappelle Geneviève Patte à juste titre, dans sa préface.

    C'est sur une maquette et dans une typographie éloignées de toute fantaisie que se présente le dictionnaire, avec des textes disposés sur deux colonnes, ponctués de quelques re- productions d'illustrations ou de couvertures (pas de couleurs hormis l'illustration de la jaquette). Chaque notice est intro- duite par un bandeau noir faisant apparaître en réserve le nom de plume de l'auteur, avec immédiatement en dessous, ses date(s) et lieu(x) de naissance (et de mort). Le seul élé- ment qui tranche sur la sobriété ambiante est le portrait de l'écrivain inscrit dans un carré, au-dessus de son nom. Malgré la qualité inégale de ces photographies, on a plaisir à dé- couvrir ou à retrouver un visage derrière un nom, et à se laisser guider par ce qu'il laisse entrevoir de chaque person- nalité.

    Puis se déroulent, toujours dans le même ordre, les diffé- rentes séquences qui structurent les articles.

    « Vie personnelle » et « Vie professionnelle » rassemblent les principaux aspects de la biographie de l'auteur, qui permet- tent de mieux le situer : ses origines familiales, son ancrage social, ses études, sa carrière professionnelle, ses débuts ou sa vocation d'écrivain pour la jeunesse.

    Sous la rubrique « L'œuvre -, Nic Diament nous introduit dans l'univers de l'auteur, en faisant ressortir les lignes de force de son œuvre, exemples à l'appui. La thématique principale, les personnages, la conception du héros, le cadre, les genres les plus représentatifs, sont mis en lumière avec pertinence, assortis de notations sur le style et l'écriture. C'est sans doute l'apport le plus personnel de Nic Diament, qui propose là sa lecture et son appréciation d'une œuvre, n'hésitant pas à livrer son point de vue sur sa valeur littéraire. La portée de l'œuvre est mesurée aussi par des indications sur les tirages, les rééditions, les traductions de certains titres, ainsi que sur la façon dont elle est perçue par le public et saluée par la critique.

    Replacée dans une perspective plus large, l'œuvre prend dès lors un relief particulier et les notices, juxtaposées par les hasards de l'ordre alphabétique, n'en esquissent pas moins les contours de tout un pan de l'histoire de la littérature de jeunesse, dans son évolution, ses ruptures, ses partis pris, sa richesse et sa diversité.

    Mais l'intérêt, l'originalité de l'approche de Nic Diament tient à la fraîcheur des informations de première main qu'elle a pu recueillir auprès des écrivains eux-mêmes, ou de leurs descendants, et dont ce dictionnaire se fait l'écho, dans la partie « Témoignages

    En donnant la parole aux auteurs - parfois à leurs proches- invités à exprimer leur vision de l'enfance, leur conception de la littérature pour la jeunesse, leur choix (ou non) d'écrire pour les jeunes, leurs propres souvenirs de lectures, c'est dans l'intimité de leurs préoccupations d'écrivains que l'on pénètre, et de leurs exigences vis-à-vis d'un public envers lequel ils se sentent des responsabilités. Ces témoignages, souvent passionnants, sont complétés, le cas échéant, par une bibliographie critique, renvoyant à d'autres ouvrages ou dictionnaires, ou à des articles de revues, sous la rubrique Pour en savoir plus ».

    Enfin-, la liste exhaustive des œuvres publiées pour la jeu- nesse, avec les mentions de rééditions dans d'autres collec- tions et celles des illustrateurs, nous est donnée, par ordre chronologique de parution, dans la partie Bibliographie », qui clôt l'article. Cette recherche systématique s'appuie sur la confrontation de diverses sources, recoupées et vérifiées, conférant à ce travail bibliographique une fiabilité et une utilité réelles.

    La taille des articles varie selon l'importance de l'œuvre pu- bliée, d'une à six ou sept pages pour les auteurs les plus prolixes (P.-J. Bonzon, G. Chaulet, 6 p., M. Vérité, 7 p.), pour ceux aussi dont la place dans la littérature de jeunesse est éminente (R. Guillot, C. Vivier, 6 p.). Trois index (auteurs et pseudonymes, titres des œuvres citées, illustrateurs) diversi- fient les possibilités d'accès.

    Comme tout dictionnaire, celui-ci ouvre des voies, permet des découvertes, donne envie d'aller plus loin. On sera sen- sible notamment à la présence d'auteurs oubliés, aux noms délicieusement surannés, tel ce Népomucène Jonquille, un non-conformiste dont on ne sait pas grand-chose, mais dont l'œuvre survit d'elle-même ; c'est le cas de Jacqueline André ou Charles Quinel, l'auteur inconnu de la célèbre série « Contes et Légendes écrite en collaboration avec Adhémar de Montgon. Les découvertes ne manquent pas, et c'est tant mieux que nous soient restitués ces auteurs recommandés en leur temps par Mathilde Leriche et Marguerite Gruny.

    Mais un dictionnaire résulte aussi de choix et de compromis, assumés, on l'a vu. Il n'empêche, on pourra regretter l'ab- sence de tel ou tel, parmi les auteurs contemporains surtout : où sont Azouz Begag, Chris Donner, Christian Bruel, Didier Daeninckx, Florence Seyvos... Et pourquoi pas Suzanne Prou ? Disons que c'est la loi du genre, et ne boudons pas notre plaisir à une lecture dans laquelle on se plonge avec délice et que l'on se surprend à ne plus pouvoir quitter, car Nic Diament a su colorer son ouvrage d'une tonalité toute personnelle et nous. rendre plus sensible à l'univers de bon nombre d'écrivains.

    Pour finir, une interrogation : pourquoi un prix si élevé ? Certes, l'éditeur est en droit de revendiquer la qualité du travail accompli, la somme réunie, ainsi que les coûts de fabrication pour un tirage sans doute assez faible. Mais fal- lait-il, en le rendant si peu accessible, priver les petites ins- titutions de cet outil ? Fallait-il en limiter la diffusion aux seuls gros établissements, qui n'en acquerront au mieux qu'un ou deux exemplaires ? On peut s'interroger sur une politique éditoriale qui mise a priori sur une diffusion aussi restreinte. A l'heure où sont mis en circulation des monuments consa- crés à la littérature universelle (4) , il n'est pas inutile de disposer d'un outil rappelant la spécificité et l'originalité d'une litté- rature à part entière, dans sa composante française, qui mérite bien de faire entendre sa différence : à cet égard, le diction- naire de Nic Diament représente bien plus qu'un simple ou- vrage de référence - par ailleurs déjà indispensable.

    1. M. Vérot (1975), B. Epin (1976), F. Caradec (1977), I.Jan (1984), J. Held (1985), et les guides de lectures de la Joie par les livres notamment : ouvrages cités par N. Diament dans son introduction. retour au texte

    2. Les citations sont extraites de l'introduction. retour au texte

    3. Voir p. 10, introduction. retour au texte

    4. Dictionnaire universel des littératures. - PUF, 1994 ; Dictionnaire des oeuvres de tous les temps..., Dictionnaire des auteurs. - R. Laffont, rééd., 1994. retour au texte