Le groupe Lorraine de l'ABF a voulu honorer, par cet élégant volume à la typographie soignée, trois bibliothécaires dont presque toute la carrière s'est déroulée en Lorraine. Trente et une contributions de collègues bibliothécaires, d'archivistes, de professeurs d'université et d'autres partenaires des bibliothèques portent témoignage de l'influence qu'ont eue Albert Ronsin, Guy Thirion et André Vaucel dans leur métier de bibliothécaire, d'enseignant et de spécialiste de leur région.
Après trois témoignages qui dessinent la personnalité de chacun des dédicataires, ce volume de mélanges se divise en deux grandes séries de textes : la première, La mémoire propose un panel de contributions sur l'érudition en Lorraine et la lecture, du XVIe siècle à nos jours. Les articles de Marie-José Gasse-Grandjean, Michel Merland et Paul Robaux retiendront particulièrement l'attention des historiens du livre intéressés par les débuts et l'évolution des imprimés lorrains. L'étude que Philippe Alexandre fait sur la presse vosgienne du XTXe siècle à nos jours, retrace l'évolution politique d'une région qui a connu tous les soubresauts de l'histoire. En appendice à L'histoire des bibliothèques françaises, Philippe Hoch nous introduit à la bibliothèque de Metz sous la Restauration et Christiane Guise à la toute nouvelle bibliothèque européenne du roman populaire, installée à Laxou, depuis 1991. Noë Richter conteste une histoire des bibliothèques qui occulte toute La genèse des réseaux de lecture ruraux. alors que la mémoire collective de la profession (entraînant derrière elle bien des universitaires) l'attribue à l'influence des américains et notamment du CARD, Richter la situe vers 1750, « lorsque la classe dominante commence à s'interroger sur l'opportunité d'instruire les paysans et nous livre un rapide survol de toutes les expériences et réalisations qui précédèrent la saga des BCP. Cette saga dont Suzanne Delrieu nous retrace, avec humour, l'itinéraire, dans le Bas-Rhin des années cinquante.
La deuxième partie est consacrée aux institutions, c'est-à-dire non seulement aux bibliothèques mais aussi à leurs partenaires - ce mot étant entendu dans un sens très large puisque cela va de la formation des bibliothécaires (à Tunis ou à Nancy) aux musées en passant par la librairie et le contrôle de gestion. Tout d'abord les bibliothèques universitaires sur lesquelles nous retiendrons surtout l'article de Marc Chauveinc Cathédrale ou chapelle ? recherche d'un modèle pour bibliothèque universitaire ». Après une analyse du contexte administratif actuel caractérisé notamment par les délocalisations et la contractualisation État/collectivités territoriales, il pose la question fondamentale : comment associer les avantages d'une grosse collection, d'un grand magasin où le chercheur comme l'étudiant trouvera tout - et l'accès facile, convivial et rapide à une petite boutique de proximité ? Cette contradiction pourrait être surmontée par un nouveau schéma d'organisation qui allierait une concentration administrative et fonctionnelle à une décentralisation matérielle des collections et des services (photocopie, interrogation des bases de données,...). Six contributions évoquent la lecture publique. Comment s'étonner que Michel Bouvy à qui a l'on doit un projet de bibliothèques de secteur dégagées de toute la pesanteur des réalités administratives, ait mal vécu la décentralisation qui selon lui, outre ses défauts généraux : corruption, népotisme, passe-droits ", présente pour les bibliothèques celui d'avoir - accentué les pressions, les censures, les propagandes ». Et c'est avec bonheur que l'article de Danièle Taesch, La bibliothèque dans la cité lui répond : "Pour rayonner, un équipement culturel doit s'insérer dans son environnement en trouvant de nouveaux modes de fonctionnement, et en devenant le lieu de confrontations des idées. La dynamique et les enjeux font évoluer le travail et, tout en gardant une identité forte, les bibliothèques ont leur avenir tracé dans le partenariat... » Ou que Marie-Thérèse Pouillas, à propos du Contrôle de gestion rappelle que le contrôle populaire à l'occasion des élections, sanctionne ou approuve une gestion politique ».
Un article qui retiendra notre attention, parce qu'il ouvre pour nous des perspectives nouvelles, est celui de Jean-Luc Rémy, Les Musées techniques: la culture scientifique, technique et industrielle et la Lorraine. Il évoque les événements qui jalonnent deux siècles de culture scientifique, technique et industrielle (CSTI), de la fondation du Conservatoire national des arts et métiers en 1794 à la rénovation de son musée, devenu Musée des techniques, en 1994. Puis il suit l'évolution des institutions de promotion de cette culture qui passent d'un souci didactique, vulgariser les progrès de la science et des techniques industrielles, à un souci patrimonial : conserver le patrimoine industriel dans une perspective d'aménagement du territoire aux multiples enjeux, économiques, sociaux et culturels. Une présentation des onze centres de CSTI lorrains et une riche illustration accompagnent cet article.
Nous n'avons pas tout cité, tout résumé : un ouvrage de mélanges est toujours riche d'un foisonnement de contributions où chacun pourra puiser ce qui l'intéresse plus particulièrement, les textes qu'il a envie de compléter, voire de contredire. Certaines synthèses brillent par leur pertinence et leur clarté. Parfois aussi le propos pourra paraître trop banal ou à l'inverse un rien inutilement provoquant... Nous y voyons surtout une invite, comme le dit si bien la préface d'André Ansroul et Pierre Bruthiaux, à prendre la plume, ou plutôt à entrer sur disquette, à semer sur Internet expériences et réflexions.