Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓
    Par Maud Espérou
    Bruno de Cessole. -

    Les livres de leur vie

    Paris : Bibliothèque publique d'information, Centre Georges Pompidou. - Paris, 1994. ISBN 2-85850-809-7. Prix : 60 F.

    Douze petits livrets, dont le premier d'introduction et le dernier vierge, font revivre dix entretiens, issus d'un cycle de rencontres Les livres de leur vie, organisé par la BPI, de 1991 à 1994, sur une initiative de Francine Figuière. De Philippe Sollers à Jude Stefan, en passant par Jean d'Ormesson, André Conte-Sponville, Claude Roy, Georges Steiner, Christian Bobin, Michel Chaillou, Rachid Mimouni et René de Obaldia, ils ont tous égrené leur rencontre avec les livres, les premières découvertes de l'enfance et de l'adolescence, les lectures qui enracinent l'adulte, les croisements nécessaires ou inopportuns entre leurs propres écrits et toutes les littératures possibles. Quel lien peut se nouer entre l'aristocrate, académicien, Jean d'Ormesson, et l'ancien colonisé, Rachid Mimouni, fils d'un père analphabète et qui lit pour survivre, ou le poète « réfractaire au bruit du monde Jude Stefan, qui lit pour oublier, et cet autre « mêlé aux grandes querelles de son temps », Claude Roy, qui trouve dans la lecture cette amitié pure et calme... Tous ont eu leur vie imprégnée par l'imprimé : poésie, roman, philosophie, essai. Tous se souviennent de leur initiation à la lecture, souvent précoce, de leurs premiers enchantements, Dickens, Alexandre Dumas, Stevenson, Jules Verne, lus, sous l'influence de parents, de professeurs... jamais de bibliothécaires.

    Avec la maturité, les voies divergent, les lectures se diversifient. Claude Roy, qui partage avec quelques autres un goût pour Stendhal et les écrivains de l'égotisme, « n'isolerait, ne décernerait le titre de livre de ma vie à aucun livre de poèmes, parce que c'est de la poésie dans son ensemble qu'[il s'est] nourri et dont [il veut] se nourrir. Il [...] semble parfois qu'un seul poète, depuis Homère jusqu'à Saint-John Perse, a écrit tous les poèmes du monde, que c'est toujours le même poète ». Sur des chemins de traverse, Michel Chaillou nous entraîne vers les poètes baroques du XVIIe siècle. Le même trouble que René de Obaldia demande à la lecture nous saisit en découvrant cet homme de théâtre que le goût du paradoxe conduit de Saint-Jean de la Croix à Lichtenberg. Toutes les cultures se croisent, tous les siècles sont présents. Si au fil des pages, les mêmes noms, Cervantès, Montaigne, Proust, Kafka sont convoqués, on rencontre des rejets ou des refus pour les contemporains trop médiatiques, mais aussi pour Balzac ou Flaubert. Au travers de chacun de ces entretiens se dessine ainsi l'homme avec ses secrets, ses désirs, ses nostalgies. Tout au long de ces dialogues court une double interrogation, celle, déjà contenue dans le Contre Sainte-Beuve de Proust, quel mystère se noue entre l'auteur et l'oeuvre et à quelle nécessité correspond une oeuvre littéraire ? Il y a, évidemment, peu de réponses clairement énoncées, en revanche, une longue et belle réflexion faite par Georges Steiner, "ce maître à lire, à la fabuleuse culture ». Dans cette célébration de la culture écrite, Steiner fait partager son angoisse : comment se peut-il que la culture ne soit pas un rempart contre la barbarie, comment se peut-il qu'elle puisse être même le témoin impassible, voire la complice de l'inhumain ultime ? », comme le dit admirablement Bruno de Cessole, dans son introduction. Au-delà de ce pessimisme, Steiner conclut ses propos qui mériteraient, tous, d'être rapportés, « Mais il y a derrière le texte une substance que peut-être nous n'atteindrons jamais. C'est le mystère de cette réelle présence qui fait de l'acte de lecture un acte de foi ».

    On ne pourrait terminer cette invite à lire ces beaux textes qui permettront de mieux connaître certains auteurs ou d'en découvrir d'autres, sans deux regrets. Tous ces livres rêvés, lus et relus, sont presque toujours, sans éditeur, sans illustration, sans couverture. Toutefois Bobin avait amené à Beaubourg, avec lui, Le lys dans la vallée de ses quinze ans, <, illustré comme le sont souvent les livres pour les enfants,,; Steiner rappelle la collection Nelson qui était bon marché, bien imprimée, bien reliée ». Ce serait illusoire, en effet, de croire que le plaisir du texte est indépendant de l'édition, de la typographie, du papier qui le portent. Notre éditeur a si joliment présenté à l'intention du lecteur ses douze livrets noirs et blancs d'une quarantaine de pages chacun, que nous regrettons qu'il ait laissé subsister quelques coquilles fâcheuses et des caractères « faibles ». Cette remarque formelle ne devrait pas éloigner des lecteurs qui trouveront, dans le commerce de ces dix auteurs, de nouvelles lectures et de nouveaux plaisirs.