Index des revues

  • Index des revues

Introduction à l'histoire de la lecture publique

1996
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓
    Par Jacqueline Gascuel
    Noë Richter

    Introduction à l'histoire de la lecture publique

    Bernay: À l'enseigne de la Queue du chat, 1995. - 254 p. - (Aux dépens de l'auteur). ISBN 2-9509727-0-5. Prix : 130 F.

    Cet ouvrage se compose de deux parties d'importance inégale, un "his-torique sommaire (en 75 p.) et un recueil de textes pour l'étude et la recherche (130 p.). le tout complété par des orientations bibliographiques, des index, et un court chapitre intitulé les dérapages de la mémoire où l'auteur conteste certaines affirmations de ses prédécesseurs - et sur lequel nous reviendrons.

    L'avant-propos précise les objectifs. Longtemps ignorée, l'histoire de la lecture des masses populaires est aujourd'hui l'objet de multiples travaux, notamment universitaires. Mais le milieu professionnel, qui est porteur de la mémoire corporative, s'interroge sur les fondements et la légitimité de ce discours. Non pas sur ses aspects spéculatifs et idéologiques qui appartiennent en propre aux chercheurs, universitaires ou non, mais sur ses fondements événementiels ». Il appartient au praticien de discerner le vrai du plausible, de l'invraisemblable et du faux. Et, à défaut de s'être soumis à cette expertise des spécialistes, un certain nombre de travaux publiés depuis 1980, tout en apportant un riche ensemble documentaire, semble à Noë Richter avoir augmenté « au-delà du tolérable la marge d'erreur à laquelle s'expose tout chercheur ». Et nul doute qu'il ne soit parfaitement en droit de s'irriter de certaines de ces erreurs, lui qui depuis près de vingt ans, étudie l'histoire des bibliothèques populaires et publie régulièrement les résultats de ses travaux (1) .

    Cependant il ne s'agit pas ici d'un ouvrage polémique, mais plutôt d'un aide-mémoire à l'intention des étudiants et des professionnels, couvrant la période qui s'étend de 1760 à nos jours. Il structure l'histoire en dix périodes chronologiques. Synthétiques bien que fondés sur une multitude de lectures, les chapitres montrent bien les différents courants de pensée qui s'affrontent - ou parfois convergent - dans l'élaboration d'une bibliothéconomie, tout à la fois macro- (la couverture du territoire) et micro- (l'organisation de chaque unité). Parfois le ton se fait catégorique, trop peut-être puisque le propos se trouve ensuite précisé, voire contredit. Citons par exemple le jugement sur le projet d'organisation départementale de bibliothèque circulante d'Émile de Girardin (1838) « on (2) a dit [...] qu'il a été le précurseur de nos bibliothèques départementales d'aujourd'hui. Il n'en est rien. Il a seulement transposé au département la formule des réseaux diocésains constitués à partir de 1820 ". Pourquoi opposer ces deux affirmations ? On peut transposer un réseau antérieur et se montrer ainsi un précurseur de ce qui ne rentrera vraiment dans les faits - et avec de toutes autres ambitions - qu'un siècle plus tard ! Et lorsque l'auteur affirme que « la portée de l'événement [les Assises des bibliothèques de juillet 1968] sur le devenir de la lecture publique a été nulle », je crois aussi qu'il va un peu vite. Ces journées ont été préparées par une réflexion de différents groupes (et pas seulement par ceux qu'il désigne par le terme de néomodernistes) - et surtout elles ont été suivies d'une prise de conscience de la part des professionnels que la solution était politique et qu'il fallait agir en dehors du sérail professionnel. Ce qui s'est concrétisé notamment au sein de la FNCCC (3) . La question qui se trouve ainsi posée, est celle de l'Homme dans l'histoire...

    Et on va la retrouver tout au long du chapitre intitulé - Les dérapages de la mémoire Le décret du 28 janvier 1803, considéré par les historiens comme la date de naissance officielle des bibliothèques municipales, a été précédé, sept ans auparavant, d'une circulaire signée Pierre Benezech, intitulée Instruction pour la formation des bibliothèques dans les départements » nous précise Noë Richter. Et il considère cette circulaire comme l'acte de naissance effectif des BM. Certes, mais en légiférant, l'État napoléonien l'a ratifiée, authentifiée.

    De même l'auteur affirme, justifications à l'appui, que l'ABF est demeurée en marge du mouvement pour le développement de la lecture publique jusque dans les années soixante ». Ce qui peut paraître assez justifié au regard des développements d'aujourd'hui. Et pourtant ! ... Il faut replacer les hommes de ce temps dans leur contexte. Les propos du président en exercice, Maurice Piquard, aux fêtes du cinquantenaire de l'Association fait clairement la part des choses : Faut-il rappeler l'intérêt que nous avons pris aux problèmes de la lecture publique et l'accord qu'ont trouvé auprès de notre association ses propagandistes, qui furent aussi nos présidents Ils , trouvaient dans l'Association un auditoire attentif et un milieu propre à favoriser la réalisation [des initiatives, des projets et des voeux] (4) ». Propagandistes et présidents de l'ABF furent en effet des personnalités comme : Eugène Morel, Gabriel Henriot, Pierre Lelièvre, Henri Vendel, Myriem Foncin, Paul Poindron (secrétaire général), dont on connaît les rôles successifs dans la promotion de la lecture publique. Autre dérapage de la mémoire évoqué par l'auteur : l'importance donnée au Congrès d'Alger. Mais lorsqu'Henri Lemaître ne déplace qu'une quarantaine de collègues pour le Congrès international de la lecture publique, nous sommes en 1931 - et le congrès de la FIAB à Berne en 1932 ne réunira guère plus de monde ! C'est peut-être un demi-échec, comme le sera le fait que le bibliobus présenté à l'Exposition coloniale de 1931 n'ait jamais été exploité. Mais un demi-échec seulement, justement parce que l'imaginaire collectif en a été marqué, et que des jalons ont ainsi été posés.

    Je ne dirai que quelques mots de l'anthologie de textes choisis qui constitue la part la plus importante de l'ouvrage. Première remarque : aucun d'entre eux ne figure dans l'ouvrage d'Anne-Marie Chartier et Jean Hébrard Discours sur la lecture, ce qui démontre que le domaine exploré est vaste, toujours à redécouvrir. Seconde remarque : leur rapport avec l'historique de la première partie est volontairement mis au second plan puisqu'ils sont regroupés non par dates mais par thèmes : Le bon livre, Les ennemis et les concurrents du livre, Le bibliothécaire du peuple, etc. La plupart sont des textes du XIXesiècle, ou de l'entre-deux-guerres - les plus récents datent des années quatre-vingt. Une courte présentation justifie les choix de l'auteur - qui nous donne ainsi l'occasion de parcourir le long cheminement de la notion de lecture publique. L'illustration est agréable et éclaire bien le propos : reproductions de gravures anciennes, fac-similés de texte, charmantes vignettes, culs-de-lampe et quelques photos.

    1. Les Bibliothèques populaires, ouvrage publié par le Cercle de la Librairie en 1978 avait été précédé de deux autres études consacrées à l'histoire des bibliothèques publiques. Bien d'autres ont suivi... retour au texte

    2. À ma connaissance ce on désigne Noë Richter lui-même dans l'Histoire des bibliothèques françaises, T. III p. 520. retour au texte

    3. Congrès de la Fédération nationale des centres culturels communaux à Pau en 1970, par exemple. retour au texte

    4. Même si des tensions se sont souvent manifestées au sein d'une associationaux composantes venant d'horizons très divers... tensions que ne peut évo-quer un discours commémoratif. retour au texte