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    Par Dominique Lahary, BDP du Val-d'Oise
    / Alain Jacquesson

    L'informatisation des bibliothèques

    Historique, stratégie, perspective

    Nouvelle édition. Paris : Ed. du Cercle de la librairie, 1995. - 362 p. (Collection Bibliothèques) ISBN 2-7654-0604-9. Prix : 240 F.

    Le Jacquesson nouveau est arrivé », et il n'y a pas lieu de s'en plaindre. En 1992, la première édition de cet ouvrage avait comblé un vide, en offrant aux bibliothécaires, comme l'indique très explicitement le sous-titre, une présentation historique des éléments pour élaborer une stratégie ainsi qu'une mise en perspective (1) .La masse d'informations présentées se situait délibérément dans un contexte international, ce qui permettait au lecteur français d'échapper à une vue trop hexagonale de la question. Mais tout va si vite dans le domaine de l'informatique et des télécommunications qu'une remise à jour s'imposait. La voici donc, et l'on regrettera que l'éditeur ait sur la page de titre qualifié de nouvelle ce qui n'est qu'une deuxième version, qui en précédera peut-être d'autres. Elle propose une matière plus abondante avec 30 % de pages supplémentaires et une densification de la mise en page.

    Directeur de la Bibliothèque publique et universitaire de Genève, Alain Jacquesson a repris pour une grande part le contenu d'enseignements dispensés à l'École supérieure d'information documentaire de Genève et à l'Institut de formation des bibliothécaires de Villeurbanne.

    Après un historique délibérément arrêté au milieu des années soixante, qui propose un utile rappel de la mise en place progressive de la gestion informatisée et des réservoirs bibliographiques, l'auteur présente une approche méthodologique en se penchant successivement sur la phase d'étude, le plan de réalisation, la sélection et l'établissement de contrats. Les fonctionnalités d'un système de gestion de bibliothèque sont clairement présentées. Les exposés les plus fouillés concernent naturellement le catalogage et les OPAC, même si on ne peut attendre, dans le cadre de cet ouvrage, par définition généraliste, une recension exhaustive des questions que posent les modules de recherche documentaire.

    Un chapitre entier est consacré aux normes portant sur les données catalographiques. Il est l'occasion d'un exposé à la fois historique et prospectif sur les formats bibliographiques, dans le contexte international dans lequel se place constamment l'ouvrage. Sont également abordées les formats d'autorité, la normalisation des données locales et, en particulier, les états de collections des publications en série, et, trop brièvement peut-être, la norme ISO 2709. Les réseaux de bibliothèques d'Amérique du Nord et de la plupart des pays européens sont assez longuement décrits. Il s'agit pour la plupart de réseaux bibliographiques. Puis sont analysés les facteurs de remises en cause de ces réseaux et leurs perspectives à moyen terme.

    Internet ne pouvait être absent de l'ouvrage. On y trouvera une présentation synthétique de son fonctionnement et des types de services disponibles. Le lien avec l'activité des bibliothèques est analysé et, sous le libellé La fonction de recherche universelle, on trouvera pour la première fois dans un ouvrage en français de large diffusion une présentation relativement détaillée de la norme Z39. 50.

    La présentation du marché des systèmes informatiques pour bibliothèque est notamment l'occasion d'un exposé sur l'architecture clientserveur. Le phénomène de la micro-informatique est décrit dans toutes ses implications, qui sont croissantes. Reprenant l'excellent intitulé d'un chapitre qui figurait déjà dans la précédente édition ("Systèmes intégrés ou intégration de systèmes ? >,), Alain Jacquesson montre que la notion de système intégré trouve ces limites. Au-delà du cas bien connu en bibliothèque universitaire où il s'agit de combiner l'appartenance à un réseau bibliographique et la gestion locale, la multiplication des usages de l'informatique va conduire de plus en plus à relier des systèmes hétérogènes, notamment par la normalisation de ce que l'auteur appelle les messages bibliothêconomiques.

    Les phases de démarrage d'un système informatique intégré sont assez brièvement décrites, de la préparation du site à la gestion courante et à la participation à un groupe d'utilisateurs. Le catalogage rétrospectif est, en revanche, plus longuement présenté. Alain Jacquesson montre que °les bibliotbèques doivent gérer des contraintes parfaitement contradictoires: temps et argent d'un côté, exhaustivité bibliographique de l'autre Les différentes solutions sont présentées : catalogage à partir des documents ou des fiches, traitement automatisé par lecture optique de l'ancien catalogue, recours à des fournisseurs de notices.

    L'accès au document primaire est envisagé dans la mesure où il utilise l'outil informatique. Il s'agit aussi bien de la commande à distance de documents ou de reproductions que de la gestion locale d'un magasin robotisé, comme à la bibliothèque municipale de Bordeaux. On ne trouvera pas de description du système français de PEB, mais d'autres exemples sont présentés.

    Chaque chapitre se termine par une bibliographie parfois abondante, qui a été complétée. Les références des dernières listes commentées de logiciels publiées par Livres-Hebdo ne sont cependant pas à jour (2) Quelques inexactitudes sont à relever. Le texte et le tableau sur la structure d'un enregistrement MARC (p. 161) reproduit une confusion déjà notée dans la première édition (3) . MultiLIS n'a pas été racheté par Ameritech, qui diffuse les logiciels Dynix et Marquis-Horizon, mais par DRA, jusqu'ici non implanté en Europe (p. 167). Le catalogage à niveau n'a été abandonné par la Bibliothèque nationale que pour BN-OPALE mais fleurit dans BN-OPALINE, les futurs utilisateurs du CD-ROM fournissant une partie des notices de cette base en sauront quelque chose (p. 283). Le CD-ROM Electre-Biblio ne permet plus depuis le printemps 1995 d'exportation en USMARC et UKMARC, mais l'exportation en UNIMARC a été améliorée (p. 304). La base BN-OPALINE ne concerne pas la seule Phonothèque nationale mais aussi les documents cartographiques, les estampes et la musique imprimée (p. 357).

    Il serait vain de relever des lacunes dans un ouvrage qui, malgré son ampleur, est forcément limité. Mais on peut formuler un regret. Une nouveauté intéressante de la dernière version d'USMARC (1995) est présentée : la possibilité grâce au champ 856 d'indiquer l'adresse Internet du document primaire, à charge pour les systèmes de gérer grâce à cette donnée un lien avec ledit document. Mais il faut savoir que ce même champ 856 donne également un nom de fichier, ce qui peut permettre de gérer des liens avec des textes (pouvant être le texte intégral d'un document écrit), des images, des sons, qu'ils soient localisés sur Internet ou stockés localement. Il s'agit donc d'une évolution de la normalisation vers la gestion de véritables catalogues multimédia qu'Alain Jacquesson présente par ailleurs. Autre lacune notable, les outils de recherche documentaire utilisés sur Internet réseau sont quasi inexistants. Un court exposé sur WAIS, qui est simplement cité en passant, aurait été un minimum, alors que seuls les accès de type Telnet, qui laissent en l'état les OPAC locaux, sont présentés.

    Faut-il acquérir cette édition si l'on possède la précédente ? Assurément oui, car les ajouts sont à la fois nombreux et significatifs (4) . Alain Jacquesson a complété son ouvrage d'éléments qui manquaient en 1992. Ainsi, les fonctions de gestion des logiciels de bibliothèque sont mieux analysées, sous trois rubriques : administration, statistiques, management. La question de l'informatisation des services de bibliobus est abordée. La description des réseaux bibliographiques espagnols, italiens et portugais complète un tableau auparavant trop exclusivement consacré aux mondes anglo-saxons et nordiques. D'une manière générale, le contexte français est davantage présent. C'est particulièrement le cas dans le chapitre sur les réseaux bibliographiques, mais aussi dans celui sur les formats : si le rôle particulier d'UNIMARC en France est abordé, la délicate question de sa pluralité de fait n'est pas évoquée (5) . Sous la rubrique Mise en cause du principe même des réseaux l'exemple (ou plutôt le cas) français est davantage analysé. Alain Jacquesson forme quelques espoirs dans la mise en oeuvre du schéma directeur dont est chargée l'Agence bibliographique universitaire. Il le juge beaucoup plus réaliste » que le schéma directeur de 1989 du Ministère de la culture et conclut que des expériences telles que celles de LIERA et du SBN (6) ne doivent pas se reproduire

    Mais ce qui frappe surtout c'est l'importance des ajouts justifiés par les évolutions intervenues depuis le début des années quatre-vingt-dix. Ainsi, la partie consacrée aux OPAC prend-elle en compte le développement des interfaces graphiques et la montée du micro-ordinateur comme poste de consultation mis à la disposition du public, et se termine par une présentation des accès en ligne de type multimédia (7) .Les données sur les grands réseaux bibliographiques sont actualisées, ce qui permet à Alain Jacquesson de signaler que le français a, en 1994, détrôné l'allemand comme deuxième langue traitée par OCLC. L'auteur pense que ces réseaux vont évoluer dans le sens d'une plus grande concurrence : - on ira chercher ses notices où elles seront le meilleur marché, ou le moins grevées de droits L'exposé sur la délicate question de la propriété des notices contient des remarques judicieuses, notamment celle-ci : il il semble [ .. paradoxal qu'une bibliothèque ne soit plus libre de disposer comme elle l'entend de ce qui constitue pourtant son propre catalogue ». C'est bien évidemment la présence d'Internet qui constitue l'aménagement le plus spectaculaire de cet ouvrage. Il est significatif que le chapitre qui lui est consacré en remplace un, purement technique, sur le modèle OSI et TCP/IP. Mais tout aussi importante est la prise en compte de l'architecture client-serveur. C'est que l'architecture des systèmes informatiques a considérablement évolué ces quatre dernières années » et que la structure - en étoile », encore majoritaire, semble irrémédiablement sur le déclin. Les milieux professionnels ont de plus en plus besoin d'exposés courts et clairs de cette révolution copernicienne, et Alain Jacquesson apporte sa pierre à l'entreprise. Quant à la micro-informatique, à laquelle est désormais consacré un chapitre entier, elle bénéficie d'une approche renouvelée. Le paragraphe auparavant intitulé Le PC comme terminal est significativement rebaptisé Le PC comme poste de travail. Alain Jacquesson enregistre le déclin du vidéodisque et le succès du CD-ROM, et il conclut un développement sur la multiplicité des usages de la micro-informatique par cette remarque judicieuse : « il devient fort difficile de distinguer les applications institutionnelles des applications personnelles ; grâce aux réseaux informatiques et aux possibilités de déchargement, l'information n'a plus de frontières fixes Enfin, le chapitre sur l'accès au document primaire ne pouvait qu'être bouleversé par le fait que de plus en plus, ce document est numérique ou numérisé. Sont ainsi présentés le phénomène de la publication électronique comme celui de la numérisation d'anciennes collections La question des droits d'auteurs sur les documents numérisés est brièvement abordée, ainsi que la norme SGML.

    Pour élaborer cette deuxième édition, Alain Jacquesson a procédé par modifications mineures et ajouts éparpillés, ne récrivant totalement que deux chapitres. On peut se demander si cette démarche réformiste ne présente pas quelques inconvénients, notamment dans l'emploi du terme réseau. Alain Jacquesson a maintenu son chapitre sur les - réseaux de bibliothèque qui comporte une partie intitulée La remise en cause des réseaux Cette formulation, qui avait déjà dans la précédente édition provoqué l'incompréhension de lecteurs plus informaticiens que bibliothécaires, paraît, en 1996, bien incongrue, puisqu'on nous dit partout que nous sommes dans l'âge des réseaux ». C'est que l'auteur ne vise là que les réseaux bibliographiques d'une part, les réseaux de gestion intégrée de bibliothèque d'autre part, fonctionnant en mode maître-esclave selon une architecture en étoile. Il est bien certain que ces réseaux-là sont sur le déclin, quand d'autres fleurissent. Plus généralement, le maintien du plan de la première édition a conduit à instiller la nouveauté par touches successives, au risque de disperser l'information et de compromettre la force du propos. Dans différents chapitres, le rôle croissant des interfaces graphiques et des micro-ordinateurs est partiellement abordé alors que le phénomène majeur permettant de comprendre ce rôle nouveau est évidemment l'architecture client-serveur, qui n'arrive qu'au chapitre 7 consacré au marché des logiciels de bibliothèque ce qui est bien tard et vient notamment après la présentation d'Internet qui utilise pourtant largement ladite architecture.

    Sans doute l'arrêt délibéré de l'historique liminaire au milieu des années soixante est-il pour beaucoup dans cet éparpillement de l'information. En n'historicisant que ce qu'il faut maintenant considérer comme la préhistoire de l'informatisation des bibliothèques, Alain Jacquesson prive le lecteur d'une vue claire de la rupture que nous sommes en train de vivre. On pourra bien évidemment objecter que nous manquons encore de recul pour analyser, et même décrire cette rupture, mais il est permis de ne pas partager pareille prudence : quand l'histoire s'accélère, le délai de recul diminue aussi.

    Cette édition est en tout cas un reflet du bouleversement mental auquel les événements nous conduisent, et de la transition dans laquelle nous sommes engagés. Ceci ne retire rien à l'intérêt de cet ouvrage dû à l'importance et à la solidité des informations qu'il rassemble, à la clarté de la présentation et à la grande précision du plan presque entièrement reproduit dans la table des matières. Nul doute qu'il ne contribue à la nécessaire information de la profession sur ce sujet mouvant. En témoigne la pertinence du dernier chapitre qui, sous le titre - Un espace documentaire continu », remplace entièrement le précédent qui ne manquait pourtant pas de visée prospective puisque le dernier intertitre était ainsi libellé: Le lecteur, un navigateur ! » Montrant à quel point l'informatique a changé les bibliothèques, Alain Jacquesson évoque successivement la standardisation du matériel informatique, l'unification croissante des fonctionnalités offertes par les logiciels de bibliothèque, la place centrale qui revient désormais aux données, avant de montrer qu'une puissante logique d'ouverture crée un espace documentaire continu dans le temps et dans l'espace '. Dans ce nouveau contexte, qui commence à être fertilisé par les recherches sur l'intelligence artificielle, le poste de travail multimédia va tendre à se généraliser, dans un contexte de société câblée. Reprenant la désormais classique problématique propriété ou accès, l'auteur définit la bibliothèque virtuelle comme un système par lequel un utilisateur peut se connecter à distance, de façon transparente, à des bibliothèques ou à des bases de données éloignées, en utilisant le système d'accès public de sa propre bibliothèque, un réseau universitaire ou [un] serveur commercial comme passerelle Constatant finalement que l'informatique deviendra aussi un support en soi des nouveaux documents électroniques primaires », Alain Jacquesson termine son ouvrage par le défi auxquels les bibliothécaires vont avoir à faire face, et que nous qualifierons, avec lui, de « tâche exaltante

    1. Une note de lecture sur cette première édition, rédigée par Mireille Chauveinc, est parue dans le Bulletin d'informations de l'ABF n° 157, 4" trim. 1992. retour au texte

    2. Elles sont de 1991 et 1992 alors que les derniers dossiers parus sont La gestion informatisée des petites bibliothèques / Jean-Paul Roux-Fouillet, in Livres-Hebdo n° 135, 4 novembre 1994 et « 16 systèmes de gestion pour moyennes et grandes bibliothèque / Delphine Fournier et Jean-Paul Roux-Fouillet, in Livres-Hebdo n° 177, 20 octobre 1995. retour au texte

    3. Le guide est présenté comme ne contenant que des informations nécessaires au traitement et comme étant le plus souvent occulté aux bibliothécaires alors qu'il contient notamment le statut de la notice, le type de document, le niveau bibliographique et le niveau hiérarchique, souvent proposés par les logiciels en saisie guidée. Le répertoire contiendrait des données codées sur le type de notice, la langue ou le pays alors que la première de ces informations figure dans le guide et les autres dans des zones bibliographiques codées. La description des zones de contrôle- présentée non dans le texte mais dans le seul tableau correspond très exactement au répertoire alors qu'elles sont à tort distinguées de celui-ci. retour au texte

    4. Passons sur la nécessité de mises à jour auxquelles oblige par l'incessante valse des sigles coutumière à l'administration française. En 1992, Alain Jacquesson parlait de la nouvelle DPDU, qu'il rebaptise DISTB en 1995 (p. 158) sans se douter que quelques semaines après parution, il faudrait désormais parler de DISTNB (Direction de l'information scientifique, des technologies nouvelles et des bibliothèques du ministère de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, voir le décret n° 96-16 du 11 janvier 1996 parue au JO du 11 janvier). retour au texte

    5. Signalons à ce propos ce qui est peut-être la première allusion dans une publication officielle à la pluralité officielle des UNIMARC. Dans un article non signé intitulé - Le système universitaire publié dans le numéro 0 d'Arabesque, publication de l'Agence bibliographique de l'enseignement supérieur, il est écrit que pour le futur système bibliographique universitaire le format retenu pour les données bibliographiques est Vnimarc-BNF retour au texte

    6. SBN : Serveur bibliographique national, créé en 1992 pour fournir en ligne les notices bibliographiques des bases BN-OPALE et BN-OPALINE. Ce service, qui n'a rencontré aucun succès, a été fermé en décembre 1994. retour au texte

    7. On trouvera la présentation d'un tel service dans l'intéressant article de Marie-Pierre Dion intitulé Une expérience multimédia : le catalogue de la bibliothèque de Valenciennes in Bulletin des bibliothèques de France, tome 41, 1996, n° 1. retour au texte