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Manuel de l'oeuvre des bons livres de bordeaux

1997
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    Par Hugues Van Bésien
    J. Barault
    J.H. Taillefer
    Noé Richter, Préf. et Postf

    Manuel de l'oeuvre des bons livres de bordeaux

    A l'usage des associés

    (pour la réimpression complète). -Plein chant, 1996.

    Réimpression complète du Manuel de l'oeuvre des bons livres de Bordeaux publié en 1834 par Lafargue et Gauvry, en fait de deux manuels, l'un à l'usage des associés, l'autre à l'usage des directeurs, examinateurs et bibliothécaires. Le premier est le manifeste politique de l'uvre, qui est une confrérie. Il traite de ses objectifs, de son administration civile et religieuse, et pose le principe du réseau centralisé de bibliothèques. Le second est plus bibliothéconomique et décrit les procédures techniques à appliquer au sein du réseau.

    L'introduction de Noé Richter présente l'histoire de l'uvre et de ses fondateurs, en particulier Julien Barault, prêtre vendéen dans tous les sens du terme, réfractaire, clandestin jusqu'en 1801, engagé dès 1812 avec ses moyens propres et dans son appartement dans le fonctionnement d'une bibliothèque, fondateur de l'uvre en 1820. Le manuel de 1834 est donc le résultat d'une longue expérienc, et il est publié dans la perspective d'un essaimage de l'association bordelaise.

    La notion de réseau centralisé reposant sur une direction centrale, sur la circulation des documents entre les points de desserte et sur des procédures communes de traitement et de mise en circulation a retenu l'attention de Noé Richter qui y voit une profonde modernité de l'uvre et invite à une révision de l'histoire de la lecture publique en France. Cette histoire aurait été tronquée par l'« imaginaire corporatif » qui a édifié le mythe américain - l'importation de concepts anglo-saxons par les modernistes au tournant du XIXesiècle - refoulant la connaissance de l'apport ancien des tiers-réseaux militants...

    La postface « les réseaux de lecture : 1820-1940 » retrace, avec de nombreux extraits de textes anciens, l'évolution de la notion de réseau centralisé de lecture.

    Toute quête des origines a forcément quelque chose de litigieux, et l'interprétation de Noé Richter qui tire à toute force l'uvre vers la modernité occulte quelque peu au final ses caractères propres... On peut du reste se demander si les principes centralisateurs de l'Abbé Barault ne relèvent pas au moins autant de la culture d'organisation coercitive et hiérarchisée de l'Eglise catholique que d'une rationalité proprement bibliothéconomique. Car le reste du dispositif bibliothéconomique décrit peut difficilement être interprété dans le sens de la modernité, même si un ouvrage récent sur la gestion des bibliothèques formule de nouveau une théorie du bon livre et de la bonne bibliothèque opposée à une conception bassement « distributrice >,, même si l'opposition entre petit éditeur méritant et vile entreprise commerciale sous-tend encore le jeu de la distinction dans les discours et les pratiques professionnelle...

    En effet, l'uvre est un projet de propagande religieuse et d'évangélisation. Les bibliothécaires notent les conversions obtenues par la pratique de la bonne lecture. On n'organise pas seulement la diffusion des bons livres et des livres moyens qui servent de produit d'appel, mais aussi la destruction des mauvais. Le dispositif bibliothéconomique est avant tout de censure et d'encadrement. Les ouvrages sont caviardés, les lecteurs classifiés par l'institution selon des gradients d'aptitude ou de minorité, on prévient le contact direct avec la collection pour instaurer une forte prescription.

    De ce point de vue, l'oeuvre est une institution dont les buts sont clairs et le fonctionnement cohérent. Sa leçon est peut-être de nous rappeler combien la bibliothéconomie est politique, combien la vérité des projets de lecture publique réside dans leurs dispositions techniques autant que dans leurs idéaux proclamés. Ce qui suffit déjà à donner un grand intérêt à l'exhumation de ce « fossile ».